AITEC
Bouton menu

Le mutisme de l’Europe sur les mobilisations de masse en Inde n’est pas anodin !

Publié par Fanny Simon, le 15 novembre 2012.

Au lendemain de l’annonce du gouvernement indien des mesures de son plan de réforme économique visant à ouvrir plusieurs secteurs clés de l’économie indienne (commerce au détail, assurance, aviation civile, services, banques, …), un vent de révoltes souffle sur le pays qui s’oppose à cette nouvelle vague de libéralisation [1]. Si l’Europe reste bien silencieuse face à ces protestations de masse, c’est qu’elle est au cœur des réformes économiques annoncées par le gouvernement indien.

Commerce et développement accord UE-IndeNégociations commercialesUnion européenneMultinationales



Partager :

bouton facebook bouton twitter Bouton imprimer

Par Fanny SIMON, novembre 2012

Article publié dans la revue "Campagnes Solidaires" de la Confédération paysanne

— 
Article téléchargeable ici
et en anglais ici

— 
Au lendemain de l’annonce du gouvernement indien des mesures de son plan de réforme économique visant à ouvrir plusieurs secteurs clés de l’économie indienne (commerce au détail, assurance, aviation civile, services, banques, …), un vent de révoltes souffle sur le pays qui s’oppose à cette nouvelle vague de libéralisation [1]. Si l’Europe reste bien silencieuse face à ces protestations de masse, c’est qu’elle est au cœur des réformes économiques annoncées par le gouvernement indien.

En effet, depuis 2007 et sous la pression active des lobbies industriels – notamment de la grande distribution, de l’agro-industrie et de l’industrie pharmaceutique [2] -, l’UE et le gouvernement indien ont entamé des négociations pour la conclusion d’un Accord de libre-échange (ALE) visant à libéraliser le commerce dans les secteurs des biens et services, de l’investissement, de l’accès aux marchés publics, et à renforcer le régime des droits de propriété intellectuelle.

Ces négociations sont toujours en cours mais avancent d’un bon pas malgré les conséquences d’un tel accord sur les droits économiques, sociaux et environnementaux en Inde.
Le renforcement du régime de droits de propriété intellectuelle demandé par l’UE (notamment les clauses d’exclusivité des données, l’allongement de la durée de vie des brevets de 20 à 25 ans, le renforcement des contrôles aux frontières) entraînerait une hausse des prix des médicaments génériques au détriment de l’accès aux médicaments pour les populations les plus pauvres. Le droit à la santé des populations indiennes et plus largement du monde entier, l’Inde étant le premier fournisseur de médicaments génériques pour les pays du « Sud », serait alors gravement menacé.

Par ailleurs, les conséquences de cet accord sur le droit à l’alimentation des indiens seraient dramatiques alors même que 224 millions d’indiens (soit 27 % de la population) souffrent de la faim de façon chronique (d’après les chiffres de la FAO entre 2006 et 2008). En effet, dans le cadre de ces négociations, l’UE demande à l’Inde d’éliminer plus de 90 % de ses tarifs douaniers, privant ainsi le gouvernement indien d’instruments de régulation clés pour contrôler l’accès aux marchés locaux. Dans les secteurs laitier et de l’élevage de volaille – ciblés par l’UE - les petits producteurs seront exposés à l’invasion des produits européens et ne pourront rivaliser avec les produits subventionnés ou bradés d’Europe, comme cela a été le cas avec l’invasion de « nos restes » de poulets sur les marchés locaux d’Afrique de l’Ouest.

De même, toutes les initiatives de réforme agraire pour une redistribution des terres – dont la plus récente est la belle victoire du mouvement Ekta Parishad [3] – seront directement menacées par les droits des investisseurs étrangers propriétaires de terre qui, au nom de cet accord, pourront demander de lourdes compensations (se chiffrant à des millions, voir milliards, de dollars) pour « expropriation directe ou indirecte ».

Mais c’est également tout le circuit de distribution alimentaire qui est dangereusement attaqué avec ces négociations. En effet, l’ouverture du commerce au détail aux investisseurs étrangers – demandée par l’UE - s’accompagnerait d’un démantèlement du système de régulation des marchés agricoles encore fort en Inde (incluant un système de prix minimum garantis pour les produits agricoles, un système de distribution public, la promotion des coopératives, … ), avec possibilité à terme pour les grandes enseignes de distribution d’imposer leur propres chaînes d’approvisionnement. Une telle ouverture bénéficiera certainement aux gros producteurs capables de s’industrialiser et aux entreprises agro-industrielles d’Europe beaucoup plus compétitives. Mais elle condamnera pour sûr les petits producteurs soumis à des conditions d’achat intenables et les populations les plus vulnérables qui subiront de plein fouet la hausse des prix issue de la sophistication des produits alimentaires (transformation des produits, packaging, grande surface,….).
De surcroît, l’ouverture du commerce au détail multi-marques aux investisseurs étrangers, dans sa globalité, aura un impact terrible sur l’emploi local et les conditions de vie de millions de familles indiennes qui dépendent de ce secteur. Le commerce au détail représente aujourd’hui le deuxième secteur source d’emploi en Inde : 12 millions d’entreprises de commerce au détail - dont 90 % des ventes au détail passe par les petites échoppes - employant 40 millions de personnes, avec une grande majorité dans le secteur informel [4]. Or les études montrent que l’ouverture du secteur aux grandes chaînes de distribution, telle que Welmart, Tesco, Carrefour, … , entraînera une disparition de nombreux petits commerces et vendeurs ambulants, avec une perte d’emploi nette estimée de 1,1 à 4,9 millions d’emplois en 5 ans pour l’ensemble du secteur (formel et informel compris) ! [5]

Pourtant le gouvernement indien – sous les pressions réitérées de l’Union européenne, des � ?tats-Unis et de leur lobbyies industriels – vient d’annoncer comme mesure phare de son plan économique de relance, l’ouverture du secteur du commerce au détail multi-marques aux investisseurs étrangers. Cette annonce a déclenché une grève nationale pour protester contre cette réforme et autres mesures (ouverture aux investisseurs étrangers du secteur de l’assurance, de l’aviation civile, des postes et télécommunications, augmentation du prix des carburants, …).
Le 20 septembre dernier se sont ainsi des millions de manifestants – organisations de vendeurs de rue, travailleurs, petits commerçants et petits fabricants, syndicats, militants écologistes, associations de consommateurs, … soutenus par les partis de gauche mais également par les alliés du gouvernement (les partis Samajwadi (SP) et Janata Dal-laïque (JD-S)) – qui ont défilé dans les rues des grandes villes (Bombay, Calcutta, Bangalore, Chennai, ...), paralysant une grosse partie du pays avec fermeture des magasins, usines, bureaux et blocage de plus de 200 trains.

Mais les médias et politiques européens semblent bien silencieux sur ce vent de révolte populaire qui a déjà réussi à faire reculer le gouvernement indien en décembre 2011 contraint de remettre sa réforme à plus tard. Nos gouvernements restent sourds – trop absorbés à défendre les parts de marchés de leurs entreprises – aux revendications du peuple indien et aux nôtres. Ce n’est qu’en unissant nos forces contre l’alliance des élites économiques et politiques que nous pourrons défendre nos droits fondamentaux. La marche non violente du mouvement Ekta Parishad, soutenue par des marches solidaires à travers le monde, a été à ce titre exemplaire : elle a réussi à obtenir du gouvernement indien l’engagement d’élaborer dans les six mois un véritable projet de réforme agraire et foncière et une redistribution des terres cultivables aux sans-terres.
Alors face à l’offensive de l’UE sur les marchés indiens pour relancer sa propre croissance, dont le pendant est l’ouverture de nos marchés au détriment des droits et de la souveraineté des peuples ici et ailleurs, ne restons pas muets et dénonçons l’agression de nos gouvernements européens contre le peuple indien ! « Si vous n’êtes pas indifférents, le monde sera différent. » ( Rajagopal P.V. )

Pour aller plus loin :
Consulter les sites suivants (en anglais) :
http://www.indiafdiwatch.org/
et http://donttradeourlivesaway.wordpress.com/

Lire l’article "Inde : Profits des entreprises ou droit à la vie ?" de Aakash Mehrotra du journal électronique InfoChange, sur
http://www.ritimo.org/article4429.html

Voir la campagne de l’Aitec sur les alternatives des peuples pour d’autres politiques commerciales : http://aitec.reseau-ipam.org/spip.php?rubrique230

Notes
[1] http://www.gulftoday.ae/portal/cd3bd6b7-c957-475a-8ed5-d1cb2a6c246d.aspx

[2] A ce sujet voir ici : http://corporateeurope.org/publications/eu-india-trade-invaders-how-big-business-driving-eu-india-free-trade-negotiations

[3] http://www.ektaparishad.com/

[4] http://corporateeurope.org/publications/eu-india-trade-invaders-how-big-business-driving-eu-india-free-trade-negotiations, p 23

[5] http://www.ecofair-trade.org/sites/ecofair-trade.org/files/downloads/12/02/right_to_food_-_impact_assessment_of_the_eu-india_trade_agreement_web.pdf p47-48

Documents à télécharger

  Le mutisme de l’Europe sur les mobilisations de masse en Inde n’est pas anodin  !   Europe’s silence on the mass mobilisations in India is not insignificant !.pdf


Sur le même thème

Commerce et développement

Accord UE-Mercosur Première analyse de « l’instrument conjoint » proposé par Bruxelles

Commerce et développement

BREAKING : Accord-UE-Mercosur – Révélation d’un document secret

Commerce et développement

Accord UE-Mercosur : opacité, secret et manque de transparence.

Commerce et développement

L’accord de libéralisation du commerce UE-Mercosur n’est pas mort