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La menace de "monstruopole" - Michel Rochefort - 2001

Publié par , le 7 mars 2001.





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On a insisté, en France, sur l’essor des régions des métropoles autour de Paris ou de Lyon qui contraste avec les difficultés de certaines zones de la façade atlantique. Dans les pays en développement, on souligne l’aggravation des inégalités régionales qui prennent la forme d’une région centrale, autour de la métropole, dont le dynamisme relève partiellement de sa domination économique sur les régions périphériques. Cette spécificité fonctionnelle des régions métropolitaines s’exprime aussi par les nouvelles formes d’organisation des espaces qui abritent ces fonctions et les habitants qui y trouvent un emploi.

I Les nouvelles régions métropolitaine

Si les effets de la mondialisation sur les villes se perçoivent d’abord sur le plan fonctionnel, ils se font également sentir indirectement sur l’organisation interne des nouveaux espaces métropolitains. Divers facteurs modifient les formes traditionnelles de la croissance spatiale des grandes villes qui étaient caractérisées par des tentacules continues à partir des axes de circulation. Les nouvelles techniques de communication et d’information favorisent les implantations plus dispersées des centres d’activités et des zones d’urbanisation résidentielle. Les entreprises tertiaires n’ont pas les mêmes impératifs de localisation que les usines de l’époque industrielle ; les habitants sont plus mobiles grâce à l’essor des transports et à l’usage croissant de la voiture individuelle. Les fonctions de pôle de l’économie mondialisée définissent des centres dans l’espace mondial mais elles n’impliquent plus une concentration physique des nouvelles activités dans un seul lieu ; elles se localisent dans un territoire plus vaste où des unités spatiales diversifiées sont reliées par des réseaux et par des flux. Cette tendance paraît évidente à l’échelle d’une région autour des centres métropolitains ; elle est moins évidente à l’échelle des espaces nationaux. Certains chercheurs ont avancé l’idée d’une « métropole éclatée » au-delà de la propre région de la grande ville devenue pôle de l’économie mondialisée. Ils observent, par exemple, la déconcentration spatiale des directions des grandes banques, avec une localisation éloignée de certains services internes, comme ceux du traitement informatique des données. Ils insistent sur l’importance croissante du télétravail à domicile. L’organisation plus globale de tous les aspects de ce desserrement du centre des affaires et de l’évolution des choix résidentiels des habitants qui y travaillent conduit plutôt à la formation d’une région métropolitaine faite d’unités spatiales diversifiées mais interdépendantes dans un espace plus ou moins vaste autour de la grande ville proprement dite. L’analyse plus approfondie de ces phénomènes incite de nouveau à reprendre l’idée d’un rôle différentiel joué par les niveaux de développement des économies nationales.

Dans les pays développés, certains décrivent une nouvelle révolution urbaine qui annonce la fin de la grande ville de l’époque industrielle et la naissance des « métapoles » de demain. La péri-urbanisation remplace la croissance dense et continue autour des métropoles par une extension sur des territoires distendus, discontinus, hétérogènes et multipolarisés, sans limite précise entre la ville et la campagne. Les interrelations entre ces unités urbaines différenciées impliquent un accès facile aux moyens de communication et de mobilité qui conditionnent leur fonctionnement : accès aux relations informatisées par la possession des instruments nécessaires ; accès aux centres d’emploi par des déplacements alternants facilités. L’intégration dans le système est donc conditionnée par un certain niveau de vie et entraîne l’exclusion des populations démunies. A la vision optimiste de cette marche vers la métapole, certains peuvent alors opposer, même dans les pays développés, la formation de véritables ghettos à l’intérieur de ces régions métropolitaines et l’aggravation des ségrégations socio-spatiales. C’est un enjeu de première importance qui s’impose à ceux qui ont la charge de gérer la ville.

Dans les Pays du Sud, où règne dans les villes la pauvreté du plus grand nombre, cette faiblesse du niveau de vie de la plupart des habitants devient un facteur très discriminant dans l’organisation des nouvelles régions métropolitaines. Sur le plan fonctionnel, la mondialisation n’apporte pas les mêmes facteurs d’essor des économies urbaines et maintient, au contraire, une pauvreté directement ou indirectement liée aux bas salaires offerts par les établissements décentralisés des firmes multinationales. Dans l’organisation interne des espaces métropolitains, l’afflux de nouveaux habitants démunis aboutit à des formes très spécifiques de la péri-urbanisation. Les premiers temps de l’hypercroissance des grandes villes -métropoles ou mégapoles- se sont traduits par la multiplication des zones d’habitat précaire, bidonvilles ou taudis, tant décrites dans les paysages urbains. Sans doute existent- elles encore un peu partout, mais elles ne logent qu’une fraction de plus en plus réduite des populations démunies de plus en plus nombreuses. En revanche, de vastes, très vastes espaces au-delà de la ville se transforment en « zones d’urbanisation irrégulière » : des lotissements précaires et illégaux permettent l’accès à de petites parcelles où les familles pauvres auto-construisent leur petite maison, souvent dépourvue des équipements de base et de tout élément de confort. Bien des nuances seraient à apporter pour décrire ce mécanisme général de péri-urbanisation mais, de toute façon, il renforce l’opposition entre les espaces des riches et ceux des pauvres, entre la ville légale et la ville illégale... Cette ségrégation socio-spatiale favorise la montée de la violence urbaine. Les métropoles de la mondialisation seraient-elles les monstres urbains de demain ?

A cette vision pessimiste on peut opposer de nouvelles formes de gestion des villes qui, à l’inverse, annoncent peut-être un avenir meilleur. Les effets de la mondialisation sur les villes ne peuvent être saisis sans tenir compte des nouvelles formes d’intervention, d’aménagement qui apparaissent dans l’évolution des politiques urbaines et des efforts de divers acteurs pour mieux gérer les villes.

II. Comment gérer les villes de la mondialisation ?

La croissance des métropoles et les nouvelles formes de l’urbanisation accentuent les dysfonctionnements issus de l’évolution urbaine non contrôlée. La loi du marché ne réussit pas à réguler les contradictions consécutives à l’action de divers acteurs aux intérêts divergents. L’intervention de la puissance publique, très précocement présente dans la gestion des villes, semble de plus en plus nécessaire pour éviter la formation de ce que certains ont appelé des « monstruopoles ». Il y a danger d’une asphyxie urbaine par congestion de tous les moyens de transport ; d’une explosion sociale par aggravation des formes de l’exclusion spatiale. Qui doit prendre en main ce destin des métropoles ? Dans bien des cas, les grands programmes d’aménagement des gouvernements centraux n’ont pas donné les résultats escomptés. Au désengagement progressif de l’Etat se substituent de nouvelles structures de gestion urbaine fondées sur la démocratie locale, le rôle croissant de la société civile et l’association des différents acteurs pour une « bonne gouvemance ».

Le défi urbain pourra-t-il être relevé ?

Il ne faut, sans doute, pas rêver de programmes visant à déplacer une fraction importante de la croissance métropolitaine hors des régions où elle se fixe par le jeu de tendances lourdes qu’on ne peut guère modifier. Le temps n’est plus où la création de métropoles d’équilibre visait à diminuer le « poids écrasant » de Paris sur le territoire français. Les nouvelles capitales, dans les pays en développement, n’ont guère de chances de contrebalancer les mégapoles héritées des époques antérieures : Certes Brasilia est devenue un grand centre intérieur au Brésil, modifiant le rôle auparavant très exclusif des grandes villes littorales dans l’ensemble du territoire, mais que dire des effets réels d’Abuja, de Yamoussoukro ou de Dodoma sur les territoires des nations africaines qui ont décidé de les construire ?

Les politiques étatiques qui voulaient donner un logement pour tous ont connu également bien des échecs, en particulier dans les pays en développement. L’étranglement financier n’a pas permis de mener à bien les programmes prévus qui n’ont couvert que les besoins des classes moyennes, sans pouvoir répondre aux demandes des populations insolvables. Or les habitants concernés ne subissent plus passivement les décisions des services d’aménagement venus d’en haut. Ils tentent d’imposer leur participation par leurs associations ou par l’intermédiaire des ONG. Les populations démunies des pays du Sud revendiquent, en particulier, le droit à la ville. Un tournant s’esquisse et fait apparaître de nouvelles formes d’intervention. En France, malgré la tradition centraliste les programmes d’aménagement urbain relèvent de plus en plus des pouvoirs locaux qui tentent d’organiser des concertations avec les habitants concernés.

Cette tendance à une participation des habitants prend toute son importance dans les Pays du Sud où le choc de la mondialisation sur les villes a aggravé des situations sociales déjà très tendues. Au Brésil, les municipalités où les partis de gauche ont gagné les élections s’engagent dans l’élaboration de « budgets participatifs » dans le cadre d’une gestion qui associe les pouvoirs publics locaux aux autres acteurs de la société civile. En Afrique les ONG multiplient les formes de coopération visant à monter des programmes qui mobilisent les habitants en collaboration avec les intervenants internationaux...

Cette marche, encore hésitante, vers une bonne gestion urbaine participative représente-t-elle un véritable espoir pour les grandes villes de demain ? Elle se heurte encore à l’impréparation des habitants et particulièrement des populations démunies ; elle se heurte surtout aux contradictions socio-économiques issues de la mondialisation elle-même qui aggrave le fossé entre les populations aisées et les pauvres, entre les pays du Nord et ceux du Sud, où les situations urbaines actuelles pourraient parfois décourager les plus optimistes.

Michel ROCHEFORT

INSTITUT DE GEOGRAPHIE

2001