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Les pays riches tentent de passer en force à l’OMC

Publié par AITEC, Amélie Canonne, le 31 juillet 2014.

Par Amélie Canonne, présidente de l’Aitec

Le 31/07/2014

Commerce et développement OMCNégociations commerciales



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En matière de négociations commerciales, l’attention publique récente s’est portée sur la perspective d’un accord de libre-échange transatlantique et les dangers qu’il recèlerait pour la santé et les services publics ou encore la souveraineté des États et des autorités locales, en Europe comme aux USA. Personne ne s’inquiète plus de l’OMC depuis longtemps, en raison de son échec prolongé (depuis 2003 et l’impasse de Cancun) à faire progresser la libéralisation du commerce mondial autour de l’Agenda dit « de Doha », lancé en 2001.

Pourtant en décembre dernier, à l’issue d’une Conférence ministérielle de l’organisation multilatérale tenue à Bali, les ministres du Commerce réunis en Indonésie avaient annoncé une victoire historique : l’obtention d’un Accord « sur la facilitation du commerce »1 (AFC), que les pays en développement, tout d’abord très réticents, avaient fini par accepter moyennant quelques concessions dans le domaine agricole.

Faute de progrès dans le domaine de l’agriculture, des services ou des autres questions « de Singapour »2, l’Accord de Bali avait alors permis au nouveau Secrétaire général de l’OMC, Roberto Azevedo, nouvellement installé en successeur de Pascal Lamy, de se prévaloir du premier « succès » de l’organisation depuis 12 ans, et même d’annoncer le lancement de la réflexion sur le « post-Doha », comme si la conclusion du dit cycle n’était plus qu’un détail.

L’affrontement en cours au Conseil général de l’OMC ces jours ci à Genève, où devaient être fixées les modalités techniques de mise en œuvre de ce fameux « paquet de Bali », menace pourtant de faire écrouler ce bel édifice. Car l’Inde, qui avait porté fin 2013 la parole des pays les plus pauvres dans l’enceinte de l’OMC, revient à la charge.

L’accord arraché en décembre dernier dans ce dossier de la facilitation du commerce avait en réalité pour contrepartie l’obtention d’un certain nombre de sauvegardes sur la sécurité alimentaire, en particulier l’exemption de poursuites devant l’Organe de règlement des différends pour les pays qui décideraient, dans certains contextes particuliers, de constituer des stocks alimentaires au delà du plafond acceptable par l’Accord sur l’agriculture (plafond au delà duquel cette pratique est considérée comme distorsive des prix internationaux)3.

Mais l’Inde estime non seulement que ces concessions sont insuffisantes (leur mise en œuvre est conditionnée à tellement de critères qu’elle est pratiquement impossible) mais également que les modalités techniques de leur application doivent être clarifiées en même temps que celles sur l’AFC, et non dans un futur incertain. Or la session en cours à Genève vise à entériner l’AFC sans aucune forme de garantie sur le volet « développement ».

Pourquoi cette résistance affirmée de l’Inde, alors que l’élection de mai dernier a pourtant porté à la tête du gouvernement fédéral un Premier ministre ultra-libéral ?

L’Accord sur la facilitation du commerce obligera tous les pays membres de l’OMC à transformer leurs procédures et appareils administratifs et comptables afin de répondre aux standards fixés par les pays du Nord et leurs multinationales dans le domaine des procédures commerciales4. Un accord, en somme, qui facilitera la vie des entreprises cherchant à pénétrer les marchés en développement, mais confrontés à des tracasseries administratives, douanières, procédurales dont elles considèrent qu’elles réduisent leurs bénéfices et gâchent leurs rêves d’un commerce universellement fluide et joyeux.

Mais un accord qui a un coût, élevé – en réformes administratives et politiques, en recettes douanières... -, que les pays du Sud jugent bien supérieur aux faibles aides qui seront octroyées par l’OMC, et alors que nombre d’entre eux estiment que leurs priorités budgétaires devraient être ailleurs, notamment dans le développement, qu’ils peinent à financer par ailleurs.

Bali n’avait donc rien d’un accord, même s’il importait alors de créditer le conte de fées d’un Cycle de Doha en progrès et d’une OMC efficace. Les pays en développement qui avaient longtemps refusé l’AFC se sont inclinés sous la pression – voire le chantage5 – de leurs bailleurs de fonds et investisseurs du Nord. Or la réalité bricolée par les défenseurs de l’accord, qui associe l’AFC à des bénéfices directs pour les pays en développement, semble fort discutable. Les entreprises économiseront certains coûts de transaction, mais ne commerceront ni plus ni moins avec l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique latine : le coût moyen des procédures concernées par l’AFC est estimé à 8% de la valeur des transactions, il n’a donc certainement pas dissuadé jusqu’à présent ces multinationales de pénétrer les marchés concernés, et sa diminution ne se traduira certainement pas en prix spectaculairement inférieurs pour les consommateurs de ces pays.

Dans cette bataille, l’Inde n’est pas plus seule ces jours ci à Genève qu’elle ne l’était il y a sept mois : le groupe africain, avec le groupe des Pays en développement (PED, conduit par l’Ouganda) et le groupe de l’ALBA ainsi que l’Afrique du Sud, ont établi ensemble des arguments légaux solides pour lier les deux dossiers et justifier leur demande d’aboutir sur les mesures de développement en même temps que sur l’AFC. Le G336 (moins le Pakistan) a d’ailleurs renouvelé sa demande d’une solution permanente au problème des stocks agricoles le 16 juillet dernier.

Quelle que soit l’issue du Conseil général de Genève dans les jours à venir – et même si l’Inde pliait face aux injonctions occidentales -, l’OMC demeure donc incapable d’offrir un cadre de dialogue réellement multilatéral et démocratique et c’est le couteau sous le gorge qu’on y accepte des « compromis ». Et quand les citoyens réclament la transparence des négociations commerciales et s’alarment des droits délirants conférés aux investisseurs par des accords de libre-échange comme l’AECG7 ou le TAFTA8, l’OMC persiste à s’accrocher aux branches mortes pour imposer en norme juridique mondiale l’agenda des multinationales et de leurs avocats.

Faut-il rappeler que l’OMC n’est pas une Chambre de commerce privée, mais une organisation de droit public, financée par les budgets de ses membres, tenue par les règles du droit international et la recherche de l’équilibre politique et du bien commun ?

Dans ce contexte, même si l’échec du multilatéralisme, qui offre aux faibles des espaces d’alliance et de regroupement, n’est jamais une bonne nouvelle, on ne saurait pour autant renoncer à la fin – le développement, la justice sociale et la mise en œuvre effective, de même que la justiciabilité, des droits humains pour tous – afin de sauver provisoirement les moyens – l’organisation - surtout lorsqu’ils sont aussi peu probants.

Pour les mouvements sociaux et citoyens, le constat, et les attentes, restent donc inchangés :

  1. la réintégration formelle de l’organisation genevoise dans le cadre des Nations unies,
  1. la soumission de ses règles et de son agenda aux instruments internationaux régissant les droits humains, dans le respect strict de la hiérarchie des normes de droit international,
  1. la pleine transparence de tous les travaux qui s’y déroulent,
  1. l’exclusion définitive de toutes les questions relatives aux droits économiques, sociaux et environnementaux des peuples, tels que – par exemple - l’agriculture, la santé, l’éducation, l’accès à la connaissance..., de son champ de compétences,
  1. et la mise en débat régulière, et ouverte, des enjeux des négociations qui s’y tiendront, assortie d’une consultation des Parlements européen et nationaux afin de valider tout accord.

Dans cette phase critique pour l’OMC et Doha, enfin, la parole du gouvernement français paraît fort discrète. Fleur Pellerin et Laurent Fabius soutiennent-ils cet accord à marche forcée auprès de leurs homologues à l’UE ? C’est probable, puisque Nicole Bricq, pourtant plus réservée que sa successeure quant aux générosités intrinsèques du libre-échange, avait apporté son appui au « compromis » de Bali, en dépit de son incompatibilité manifeste avec un véritable objectif « de développement ».

Pour autant, il est légitime d’attendre une information et un positionnement clairs de la part des instances qui négocient à Genève au nom des citoyens, et il est indispensable d’engager un débat public impliquant la représentation nationale. La société civile française exprime en tout cas sa détermination à y contribuer.

1 Texte final téléchargeable depuis cette page http://www.wto.org/french/tratop_f/tradfa_f/tradfa_f.htm

2 Investissement, marchés publics, concurrence et facilitation des échanges.

3 La discussion porte aussi sur l’année de référence des prix agricoles utilisée pour calculer le montant du plafond de subventions autorisées aux pays en développement à leurs paysans (10% de la valeur de la production agricole totale) : les pays riches proposent 1986-88, les pays en développement estiment quant à eux que c’est beaucoup trop ancien.

4 Il s’agit plus spécifiquement de mesures telles que l’allègement des documents et données exigées, la diminution des inspections des marchandises, le paiement différé des droits, taxes, des systèmes de déclaration et dédouanement simplifiés...

5 Par exemple des USA, qui menacent les pays africains de ne pas renouveler les préférences commerciales dont ceux ci bénéficient à travers l’African Growth Opportunity Act (AGOA), qui arrive à terme en août 2015, et dont les modalités de prolongation doivent être discutées lors du prochain Sommet USA-Afrique début août à Washington.

6 Voir sa composition ici http://www.wto.org/french/tratop_f/dda_f/meet08_brief08_f.htm#g33

7 Accord de libre-échange en passe d’être signé entre l’UE et le Canada

8 Accord de libre-échange négocié entre l’UE et les États-Unis



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