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Fonder un nouvel urbanisme sur de nouveaux principes politiques

Publié par , le 21 février 2007.





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1 - L’idéologie : la ville n’est pas un marché

Nous sommes aujourd’hui face à un choix :
 ou bien nous acceptons le modèle de ville que l’ultra libéralisme nous prépare ;
 ou bien nous travaillons et luttons à la construction d’un autre.

Le modèle

Le modèle urbain que porte l’ultralibéralisme prépare est en germe dans celui qui nous commençons à pratiquer aujourd’hui :
 l’espace urbain est formé de marchés superposés (marché des terrains, des logements, de l’emploi, des capitaux, des services...),de services collectifs (transports, police, sécurité, administration générale...) et de dispositifs légaux et réglementaires de régulation urbaine qui encadrent les rapports entre acteurs ;
 les groupes sociaux trouvent place dans l’espace urbain aux endroits que leur assignent leurs dynamismes socio-économiques ou les exploitations et répressions dont ils sont l’objet.
 l’espace urbain est parsemé d’implantations de l’économie mondiale : sièges de grandes entreprises, complexes hôteliers, centres de congrès, banques internationales... ;ces fiefs de l’économie monde forment une ville-dans-la-ville, largement autonome et souvent dominatrice, en particulier lorsque les gouvernements locaux ne sont pas position favorable de négociation. .Développer une telle ville, c’est assurer un plein développement des marchés qui s’y déploient et la composent aux motifs qu’ils sont porteurs de la meilleure dynamique, la plus efficace et la plus juste.

Les espaces politiques se concentrent en quelques rares lieux : le bureau du maire, la salle du conseil municipal... Ces instances ont à gérer la ville c’est à dire à imposer des règles du jeu et à assurer des rapports pacifiques entre les acteurs sociaux, en particulier entre les différentes communautés. Une équipe municipale talentueuse est celle qui évite les conflits ou qui, lorsqu’ils surviennent, sait les traiter,

Cette autorité politique se comporte en autorité régulatrice pratiquant volontiers une sorte d’ ”apolitisme de gestion ”. Puisque la ville est considérée comme un marché, l’intervention en matière d’aménagement doit être minimale et viser pour l’essentiel à faciliter le bon fonctionnement de ce marché. Trop de règles nuiraient au libre fonctionnement des marchés et donc, pour finir, feraient obstacle au développement de la ville.

Pour beaucoup en effet une ville dynamique est une ville libre qui s’étend sans autres contraintes que celles du marché. C’est le fondement implicite de la théorie ultra-libérale appliqué à l’aménagement urbain : la ville est le produit direct de son fonctionnement. La ville se fait d’elle-même.

Le contre modèle

Nous proposons une autre conception de la ville : chaque ville est un espace à construire politiquement, comme espace républicain mais aussi comme espace qui porte la marque d’une histoire et d’une société particulières. Ces particularités fondent des projets originaux. Si la citoyenneté est définie par les lois de la République, la « citadinité » (ou citoyenneté de résidence), elle, s’organise localement. Elle prend la forme de droits à participer aux décisions, de droits de bénéficier des services municipaux, du logement, de l’éducation...

Construire la ville et assurer son développement selon ce modèle requiert des projets et des alliances : projets de développement économique et culturel, alliances socio-politiques.

Ce modèle de la ville-cité suppose une réelle démocratie non seulement représentative mais aussi associative. L’Hôtel de Ville est la place centrale de la gestion urbaine, le lieu d’un véritable gouvernement urbain. Il s’agit au moins autant d’administrer la ville que de gouverner les citadins. C’est autour du pouvoir municipal que se tissent les réseaux de personnes et d’associations qui forment la trame socio-spatiale de la cité. L’urbanisme et l’aménagement prennent ici la première place. Ils produisent l’espace auquel s’identifient les citadins en même temps qu’ils allouent des avantages à ceux qui en ont le plus besoin . Les habitants des quartiers les plus défavorisés sont prioritaires en termes d’équipements, d’espaces publics et d’amélioration des logements... La ville est à penser et à organiser pour le bien du plus grand nombre, à contre courant de la logique urbaine que l’on nous présente comme naturelle : celle de l’accaparement de la ville par les mieux nantis ou les plus débrouillards.

2 - La méthode : la ville comme œuvre collective ou l’urbanisme partagé

L’idéologie de la ville-cité refuse un urbanisme qui ne viserait qu’à perpétuer la ville telle qu’elle s’est structurée historiquement en se contentant d’encadrer le développement urbain par des règlements, des plans et des opérations d’urbanisme ... L’urbanisme apparaît comme une œuvre c’est à dire un produit de l’intelligence. Il ne peut être dissocié d’un projet politique collectif dans lequel plusieurs créateurs partageant leur savoir-faire en matière d’aménagement avec les usagers de ces aménagements. ..

Le partage ne signifie pas la disparition du maître d’œuvre, bien au contraire. Celui-ci est chargé de proposer, de recueillir et de mettre en forme les propositions des usagers. Le plus grand de ses mérites est d’organiser ce partage et d’abord d’identifier les “ usagers ” de la ville. Il est rare qu’ils le soient clairement dans les projets d’aménagement. Leur désignation est en lui-même un acte politique.

3 - Les fins et exigences que sert l’urbanisme

Aux conceptions classiques de l’urbaniste et de l’aménageur comme médecin (soigner la ville), comme constructeur (construire la ville) et comme ordonnateur (mettre en ordre le territoire de la ville) s’opposent de nouvelles approches fondées sur des fins, conçues comme des devoirs fondamentaux à la charge des sociétés et comme des droits fondamentaux dont sont titulaires les citadins.

Le premier objectif de l’aménagement urbain : le droit à la ville et à la cité

Il s’agit d’assurer l’effectivité du droit, collectif et individuel, à la ville comme territoire de l’urbanisation et comme espace social dans lesquels on circule librement, on choisit librement selon ses moyens son lieu d’habitation, on accède aux services individuels et collectifs de son choix (à l’exception des services de puissance publique que l’on ne choisit pas : état civil, juridiction, police...)

C’est un droit qui se conjugue avec les ressources dont disposent individuellement et collectivement tous les citadins mais dans certaines limites : • ceux qui n’ont pas de moyens sont quand même titulaires de droits qu’ils doivent être capables de faire valoir ; • ceux qui ont beaucoup de moyens ne doivent pas envahir, accaparer, "faire la loi" au point de restreindre les champs d’effectivité des autres.

C’est un droit qui devient réalité dans un territoire, dans un espace social qui doit être organisé, afin que le droit se réalise facilement, dans des conditions économiques acceptables ; si la collectivité se ruine pour l’assurer , elle fera tout pour limiter son action à quelques interventions exemplaires, à quelques opérations vitrines.

Le droit à la ville se manifeste concrètement par la jouissance d’un cadre de vie de qualité. Le droit à la ville ne peut prendre uniquement la forme d’un droit à ne pas être exclu de la ville. Vivre dans l’enfer d’une ville (sans toit, sans services, sans travail, sans soins, sans sa famille...) ce n’est ni vivre, ni vivre en ville. Le droit à la ville comme cadre de vie c’est la possibilité d’habiter un logement convenable, d’avoir un travail rémunérateur, de s’installer familialement, de vivre à l’abri des tracasseries policières même si on est natif d’un autre pays. C’est aussi, tout simplement, habiter une ville : belle, commode, saine et respectueuse de l’environnement.

Ce cadre de vie est aussi un cadre d’exercice d’un droit de nature politique, du droit de participer à la cité, à son organisation, à sa conception.

Le deuxième objectif de l’aménagement urbain : la productivité urbaine.

L’urbanisation génère des économies d’échelle dans la production des biens et des services, y compris publics et culturels, jusqu’à ce qu’apparaissent des dééséconomies d’échelle engendrées par la désorganisation de la ville (transports, pollution, insécurité). Bien que la recherche d’optima ne semble pouvoir être fondée sur un raisonnement scientifique, on est néanmoins capable de dire ce qui, dans telle ou telle ville, doit être fait pour améliorer sa productivité.

La productivité urbaine génère un certain niveau de développement des ressources que l’on doit considérer pour une large part comme des ressources collectives dont l’affectation vise à améliorer l’exercice des droits à la ville.

Il ne faudrait pas conclure que faute de développement économique suffisant, il n’y a pas de redistribution possible. Même dans les villes les plus pauvres, les habitants des quartiers les plus défavorisés sont fondés à exiger de bénéficier plus complètement des bienfaits de l’urbanisation, fussent-ils extrêmement modestes.

Le troisième objectif de l’aménagement urbain : la paix urbaine.

La difficulté est ici que le développement urbain produit autant de contradictions sociales que de proximités sociales, que la ville divise autant qu’elle unit.

Si l’urbanisme et l’aménagement urbain ne sont pas toujours capables de créer par eux-mêmes, par leurs propres moyens, cette convivialité, ils sont en revanche à même d’y contribuer, simplement en refusant systématiquement d’entériner toutes les tentatives - elles sont quotidiennes - de ségrégations ou d’apartheid. Si l’aménagement peine à produire par lui-même, de lui-même, la mixité sociale et la paix urbaine, en revanche il est tout à fait capable de résister aux effets « naturels » des marchés fonciers et immobiliers qui, eux, produisent naturellement et sans efforts la ségrégation urbaine.

La quatrième fin de l’aménagement urbain : assurer la durabilité du développement des villes

Les conceptions du développement urbain durable varient. Les différences entre les conceptions anglo-saxonnes, germanique et latine au sein de l’ensemble européen sont, par exemples patentes. Il est pratiquement impossible ici de rendre compte de ces différences. Tentons ici de préciser en quelques phrases ce qu’est la conception du développement durable urbain dans le contexte de la France.

La conception française donne à la notion de durabilité du développement urbain trois dimensions : • une dimension territoriale : le développement urbain doit ménager les équilibres territoriaux, ses équilibres ville-campagne, grandes villes-petites villes, activités industrielles- activités agricoles ; • une dimension environnementale : l’organisation de l’espace urbain doit être économe des ressources naturelles et énergétiques, modérer la consommation d’espace et surtout rationaliser les flux de déplacements ; • une dimension sociale et politique : la ville n’a pas d’avenir durable si elle discrimine, ségrégue et exclut.

Le problème de la conciliation de ces fins ou droits et de leur effectivité

Ces fins ou droits n’ont pas eux-mêmes suffisamment de force et d’évidence pour guider l’aménagement, d’autant que leur coexistence au sein d’un même projet risque fort de ne pas être pacifique. Les droits qui semblent les plus proches comme le droit à la ville et le droit au logement ne sont pas les plus faciles à concilier : le droit à la ville est un droit de liberté que soutiennent notamment ceux qui sont en mesure d’en jouir, d’en tirer profit. Quel droit à la ville -dans sa qualité, sa mixité sociale- peut revendiquer celui qui n’a ni logement ni domicile. Sa première exigence est celle de disposer d’un logement même sans qualité, ni commodité, mal inséré dans la ville... Les mouvement qui soutiennent les mal logés demandent que soient produits en hâte et en masse des logements, alors que pour d’autres, cette production risque fort de se faire au détriment de l’aménagement urbain.

Il apparaît clairement que le génie de l’urbanisme est autant dans la satisfaction de chacun de ces droits ou de ces fins que dans leur articulation, et ce au sein de villes et de sociétés urbaines qui différent les uns des autres. Ce qui rend pratiquement inutilisable les modèles urbains.

4 - L’unification des conceptions des développements urbains du Nord et du Sud

La question du développement urbain est autant celle du développement des villes du Sud que celle du redéveloppement des villes du Nord. L’unification que nous voudrions tenter ici ne porte pas sur les techniques et instruments d’intervention mais sur la démarche, sur la manière de penser. Elle a pour principe la mise en commun de toutes les expériences, la constitution d’un corps de savoir.

La pauvreté et l’exclusion : le premier tiers.

L’urbanisation unifie autant qu’elle divise : unifie les mœurs des groupes sociaux qui forment la société urbaine et en même temps accentue leurs différences. On peut appeler « pauvres urbains » les individus que la ville ne peut intégrer, que le développement urbain marginalise, qui sont dans l’incapacité de profiter de ce développement.

Cette pauvreté est toujours relative à la société considérée et les conditions concrètes de vie des pauvres dépendent des efforts déployés, par eux et par d’autres, pour maintenir leur tête hors de l’eau. La relativité de la pauvreté ne saurait l’empêcher de tendre très souvent, dans les villes du Sud, vers la « pauvreté absolue », le total dénuement. La lutte contre la pauvreté dans une bonne partie des villes du Sud consiste alors à travailler à la survie de pans entiers de la société urbaine.

Ces différences Nord-Sud ne doivent pas cacher les ressemblances, comme par exemple la proportion de pauvres « relatifs », dans la plupart des pays, la proportion de pauvres est affichée comme se situant autour d’un tiers de la population. Ce tiers campe dans la ville soit dans des bidonvilles ou des quartiers dits « spontanés », soit dans des taudis ou logements insalubres, soit dans certaines parties du parc de logements dits sociaux dont la vocation historique était de loger la population des ouvriers et des employés mais dont la relative qualité fonctionnelle est gommée par la dépréciation sociale dont ils sont l’objet. Cette population habite une sorte d’infraville, une ville de deuxième ordre. Ce qui est demandé à l’urbanisme et à l’aménagement c’est avant tout de réinsérer l’infraville dans la ville.

L’insolvabilité habitationnelle de la classe moyenne, le deuxième tiers.

Dans bien des villes du Sud mais aussi dans bon nombre de pays du Nord, dont l’Europe, un deuxième tiers de la population urbaine est frappée d’une sorte d’insolvabilité face au logement ; cette moyenne classe, entre le premier tiers qualifié de pauvre et le troisième tiers qualifié d’aisé (ces découpages grossiers n’ont bien sûr pas de qualité statistique), n’a pas les moyens de sa demande de logement, en quantité, en qualité et en termes d’insertion urbaine.

Les Etats du Nord (y compris les Etats Unis d’Amérique) et la plupart des Etats du Sud ont été insensibles à ce déficit touchant les groupes de revenus moyens et en ont favorisé le comblement par divers procédés : facilités d’accès au crédit ; réservation de logements spécialement construits pour ces catégories sociales ; l’attribution à petits prix de terrains à construire dans de nouveaux quartiers aménagés sous la responsabilité de l’autorité publique (opérations « lotissements économiques » un peu partout et à toutes époques).

La crise économique et la déstabilisation des Etats ont gravement endommagé ces politiques. Quand elles perdurent, comme en France, elles n’ont plus les mêmes effets. Une partie de cette moyenne classe, « appauvrie » se voit assignée à résidence dans des logements dits sociaux qui sont victimes d’une forte dépréciation sociale. Une autre partie s’est stabilisée dans une situation qu’elle croit privilégiée et qu’elle se déclare prête à défendre becs et ongles contre :

 les pauvres qui viendraient « s’installer dans (leur) jardin », troubler leur quiétude-sécurité, leur environnement et pour finir porter atteinte à leurs acquis fonciers ou à leurs espoirs de valorisation foncière (c’est le NIMBY - not in my backyard - des anglo-saxons)
 l’autorité publique qui parfois est capable de lancer des croisades en faveur de la mixité sociale ou la dissémination du logement « très social », en faveur d’un droit au logement qui pourrait bénéficier, à ceux qui n’ont pas de logement....

Dans les villes du Sud, les mêmes causes ont produit des effets comparables :

 les Etats qui avaient lancé des opérations de résorption de l’habitat insalubre et/ou irrégulier ne parviennent pas à répondre à la demande de terrains et de logements pour les pauvres ; ils ont en face d’eux un véritable tonneau des Danaïdes ;
 une partie de la moyenne classe alliée à une partie de la classe que l’on peut qualifier d’aisée (le troisième tiers que nous avons évoqué plus haut) protestent en disant qu’il est temps de mettre un terme à une politique qui privilégie outrageusement les désœuvrés, les trafiquants, les travailleurs souterrains, les voleurs de terrain, les mafieux, les intégristes, les buveurs d’alcool, etc.

5 - aménager dans la mondialisation.

La mondialisation est l’instauration d’un nouvel ordre mondial C’est pour l’heure une entreprise de mise en ordre du monde, ou plutôt une tentative de mise en ordre à laquelle d’autres forces s’opposent soit de manière conservatrice, en défendant l’ordre ancien, soit de manière progressiste, en ouvrant d’autres voies. A l’échelle locale, l’aménagement et l’urbanisme doivent servir à résister à ... (dire non) et à avancer vers ... (proposer d’autres projets), sans surestimer toutefois l’étanchéité de la sphère locale ni sur son importance stratégique (le monde n’est pas la somme des sphères locales).

Comment aménager les villes et les périphéries urbaines dans cette perspective politique et pratique ? On peut formuler deux propositions :

La première est celle de la nécessité d’ « accueillir la mondialisation », ce qui signifie : · en premier lieu, accueillir les femmes, les hommes et les enfants que la mondialisation jettent dans les villes, et ceux que la ville elle-même rejette faute de pouvoir ou vouloir les intégrer ; · en deuxième lieu, aménager dans la ville les espaces de la mondialisation (zones d’activités tertiaires mondialisées, complexe aéroportuaires, escales et nœuds des grandes voies de communication, ensembles hôteliers d’affaires, résidentiel de luxe...) non par des mesures d’isolement ou de cantonnement mais pour les empêcher de dominer la ville (il nous faut ouvrir ici un atelier de réflexion sur ces questions qui sont ardues. · La deuxième est celle de l’instauration d’une véritable « politique de la vie quotidienne » dans ses fonctionnalités les plus élémentaires mais aussi les plus efficaces pour assurer développement social, et cohésion sociale en produisant :

· des équipements publics adaptés et gérés démocratiquement ; · des accès diversifiés à toutes sortes de logements ; · des transports atténuant les effets néfastes de la métropolisation et surtout de la division spatio-sociale ; · des lieux de gestion associative de la « chose publique ».

TRIBILLON Jean-François

mars 2003

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