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Diagnostic du non respect du droit au logement

Publié par , le 22 février 2007.

Ce diagnostic est le fruit d’un travail, lancé à l’initiative de l’AITEC, auquel ont participé des militants issus de plusieurs associations (DAL, FAPIL, LDH, ADELS, etc.). Il est aujourd’hui proposé au débat comme contribution à la réflexion sur l’application du droit au logement en France





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mai 1999

Le logement est un élément central de la citoyenneté. Mais dans une société de plus en plus instable, où le risque et la précarité se généralisent, la question du logement se pose aujourd’hui pour un nombre toujours plus grand de personnes et plus seulement pour les plus démunis. Le CERC estime à 12 ou 13 millions le nombre de personnes en situation de vulnérabilité économique. 1,8 millions de personnes sont considérées comme mal logées. Des centaines de milliers de personnes sont sans domicile, dans des logements précaires ou sans autonomie (hébergement). On recense plus d’un million de demandeurs HLM. 

LE DECALAGE CROISSANT ENTRE L’OFFRE ET LA DEMANDE

L’offre est inadaptée qualitativement et quantitativement La crise de l’offre peut s’analyser comme une adaptation classique en économie libérale de l’offre à la demande de logement neuf : la production, même en réduction, permet de répondre aux demandeurs les plus solvables. C’est finalement le mode de régulation de l’offre et de la demande qui est en crise : « la production est tirée vers le haut, la demande vers le bas » (René Ballain). Cette crise conduit à la baisse régulière du nombre de logements annuellement construits à un niveau nettement inférieur aux besoins, estimés par les experts à 316 000 par an. Le nombre de logements sociaux construits chaque année est en baisse constante et affiche un retard annuel de 9 000 à 12 000 unités par an depuis 1994 par rapport aux objectifs affichés. Pour l’année budgétaire 1998, sur les 50 000 PLA budgétisés, 28 000 seulement ont été consommés, puisque les collectivités locales sont de plus en plus réticentes à construire de nouveaux logements sociaux. Parallèlement, les logements considérés comme vétustes disparaissent petit à petit par démolition ce qui entraîne une réduction de la partie la plus « sociale » du parc locatif privé : de 1992 à 1996, ce parc a perdu 435 000 logements. Près de la moitié des ménages les plus pauvres y trouvaient leur place en 1984 contre seulement 9% aujourd’hui. De même, la réhabilitation du parc socialpublic engendre souvent des augmentations importantes de loyer et donc l’exclusion des ménages les plus modestes. Les projets de reconstruction après démolition sont rares, n’aboutissent pas ou débouchent sur des programmes trop coûteux pour répondre aux attentes des mal-logés. Ce sont ainsi 12 000 logements sociaux qui ont été démolis en 1998, contre 6 000 en 1997.

Une difficulté d’accès croissante pour des ménages peu ou pas solvables Le problème du logement en France n’est pas seulement une question de production de logements, mais aussi d’accès au logement. Si le nombre de logements est insuffisant, leur accessibilité aux ménages défavorisés est également de plus en plus difficile alors que les facteurs d’exclusion, de précarité et de pauvreté se multiplient (chômage en hausse, sans-papiers, discrimination, ...). Le coût des loyers comme le poids relatif du logement dans le budget des ménages n’ont cessé d’augmenter ces vingt dernières années. Si une partie du parc de logements privés mais aussi publics mis sur le marché ne trouve pas preneurs, c’est parce que bon nombre de ménages à la recherche d’un logement n’ont pas les ressources ou les garanties suffisantes. Les appels de détresse lancés par l’Abbé Pierre sont tout aussi justifiés que dans les années cinquante, même s’ils n’induisent pas les mêmes solutions. Il ne s’agit plus seulement de répondre sur un plan quantitatif à un besoin massif de logement, mais de permettre d’une manière ou d’une autre la solvabilisation de tous ceux dont les ressources insuffisantes ou incertaines ne permettent pas d’accéder au marché.

Au delà des chiffres, les flux... : Mesurer le mal logement se heurte aux problèmes de définition (sans abri, sans domicile, mal logé,...), à la difficulté de figer derrière des mots des réalités extrêmement diverses et mouvantes et à l’absence de volonté publique de chiffrer les besoins. Il en résulte un déficit de données statistiques globales et fiables. Mais au delà des chiffres toujours sujets à discussion, la réalité est bien celle d’une crise structurelle et d’un nombre toujours plus grand de personnes exclues du logement décent. Le problème n’est donc pas tant de savoir précisément combien de personnes sont sans abri (200 000, 600 000 ?) mais de savoir que le nombre de sans abri ne cesse d’augmenter.

L’AGGRAVATION DES INEGALITES URBAINES ET DE LA SEGREGATION

Les inégalités urbaines redoublent les inégalités devant le logement Les politiques d’accession à la propriété, un vieillissement prématuré du parc HLM, la mauvaise réputation de certains quartiers et la carence des services publics accentuent la ségrégation spatiale qui divise profondément la ville et la société qui l’habite. Cette ségrégation urbaine peut vider de son sens le droit au logement si l’exercice de ce droit a pour effet de vous assigner à résidence dans un quartier impossible à habiter. La qualité du logement est à combiner à la qualité de son environnement urbain. Le droit au logement se conjugue avec le droit à la ville. Le logement n’est pas un simple abri. Il est aussi un domicile, une adresse, un moyen d’autonomie, un statut d’usager des services publics locaux, un usage des espaces publics environnants, un moyen essentiel de l’hospitalité...

La mixité sociale affichée ne suffit pas à lutter contre la ségrégation Les « classes moyennes » ont toujours fourni aux bailleurs sociaux des locataires idéaux capables d’équilibrer socialement le peuplement d’un ensemble de logements. Cet équilibre est devenu une norme de gestion, immobilière et urbaine, d’équilibre sociologique et de mixité. La régression sociale et économique qu’a subi la classe moyenne font de ce bon locataire paré de toutes sortes de vertus un mythe, un souvenir. Ce qui n’empêche pas les bailleurs et bien des collectivités locales, qui trouvent sur ce point une convergence d’intérêt, de continuer à revendiquer ce devoir de mixité. La conséquence de cet affichage est de fonder leur refus de loger trop de pauvres, de Français d’origine étrangère, d’étrangers, de familles nombreuses ou mono-parentales,... Sous prétexte de mixité et grâce à l’absence de transparence des modalités d’attribution, on peut pratiquer tout à fait légitimement une politique de quotas à l’encontre des pauvres, des immigrés, etc. Car ce n’est pas en logeant ces gens là qu’on peut équilibrer un peuplement immobilier et urbain. On peut ainsi bloquer l’accès de ces populations indésirables même s’il faut au besoin laisser vacants de nombreux logements. La conséquence la plus évidente de cette politique est de dispenser le bailleur social de tout effort d’approfondissement de sa mission sociale : loger ceux qui n’ont pas de logement ou qui sont mal logés. L’offre de logements sociaux ne s’étant pas pour autant développée dans les quartiers qui en sont dépourvus, elle se trouve de fait restreinte pour les populations défavorisées et/ou immigrées. Finalement, le droit à un environnement social équilibré l’emporte sur le droit au logement.

LE MODELE D’INTERVENTION PUBLIQUE EN CRISE

L’Etat subordonne son intervention à la logique du marché A la forte implication de l’Etat dans la production et la gestion du logement a succédé, depuis une vingtaine d’années (réforme de 1977), un désengagement de la régulation du foncier au profit des mécanismes du marché et parfois des collectivités locales. La politique du logement qui s’est développée tend à confier au marché le soin de produire les logements nécessaires à la satisfaction des besoins. Dans cette conception, le rôle des pouvoirs publics nationaux ou locaux se limite à corriger les dysfonctionnements du marché en faveur des populations défavorisées (tendance à subventionner la personne et non plus la pierre) : traitement de l’urgence, solvabilité de certaines catégories, régulation par l’Aide personnalisée au logement (APL) ou l’Allocation logement (AL). Ces politiques ont fait la preuve de leur échec. Malgré quelques effets d’annonce, l’intervention de l’Etat n’est pas ciblée sur les publics défavorisés qui ont le plus besoin de la solidarité nationale, bien au contraire. Les moyens budgétaires vont d’abord dans le soutien au secteur marchand par le biais des exonérations fiscales (amortissement Malandain, Périssol ou Besson) et des multiples incitations qui ont largement alimenté la spéculation immobilière et déréglé le marché du logement dans certaines agglomérations. Ces pratiques « libérales » se sont appuyées sur la croissance rapide des dépenses publiques. Le volume financier consacré aux aides à la personne (APL, AL) augmente moins vite que le nombre de bénéficiaires. Leur montant s’en trouve raboté un peu plus chaque année et leur non-indexation contribue à en réduire l’effet solvabilisateur. Paradoxalement, ces aides à la personne ont elles-mêmes induit une tendance à l’augmentation des loyers. Quant aux interventions directement sociales, comme le Fonds de solidarité logement (FSL) ou l’Aide à la gestion sociale des organismes, elles s’avèrent dans l’incapacité de suivre la croissance des besoins.

Les expulsions : La baisse de la solvabilité des ménages (chômage, éclatement familial, problèmes de santé, endettement,...) a amplifié le problème des impayés qui reste la première cause de l’expulsion (50 à 70% des expulsions en Ile de France). Les contentieux d’expulsion ont dépassé les 140 000 en 1996. Cette même année, il y a eu 13 615 interventions effectives de la force publique. Le fonds d’indemnisation des propriétaires pour refus de concours de la force publique a doublé entre 1989 et 1992, passant de 102 millions à 215 millions de Francs.

La constitution d’une filière d’urgence renforce la frontière de l’exclusion D’année en année, l’efficacité directe de la l’intervention publique se réduit et l’addition de mesures ponctuelles d’urgence ne fait que repousser le moment où l’ensemble de l’édifice doit être reconstruit. De plan d’urgence en plan d’urgence, on a opéré un resserrement de fait de l’intervention publique sur la constitution d’une filière d’exception pour les plus démunis (logement temporaire, dont la durée dépend du bon vouloir de l’administration quand il ne s’agit pas d’une place en unité de vie collective). On assiste à un glissement du droit au logement au droit à l’assistance au logement. Le recours homéopathique à la réquisition de logements depuis 1995 constitue, en dépit d’une reconnaissance de fait de la gravité de la crise du logement et d’un affichage volontariste, le symbole patent de l’impuissance publique.

LA CRISE DU LOGEMENT REMET EN QUESTION ET DIVISE LE MOUVEMENT HLM

Le logement social n’est pas une réponse suffisante Jusqu’aux années 70, le mouvement HLM avait absorbé une bonne part de la demande des classes populaires. Il accueillait en 1996 17,6% des ménages français et représentait environ 40% du parc locatif. La réforme de l’aide à la pierre, remplacée en partie par l’aide à la personne, avait pour objectif d’intégrer progressivement sur le marché libre le patrimoine public. L’arrêt de la croissance, la montée du chômage et de la précarisation, la remise en cause du salariat ont radicalement modifié la perspective d’origine. Le logement social n’est plus aujourd’hui en position de faire face à l’exclusion croissante des ménages modestes du parc social privé et au développement d’une demande très peu solvable. Il n’a pas été conçu pour accueillir les plus déshérités. Il se trouve fragilisé par le désengagement financier de l’Etat et la paupérisation des locataires. L’ascenseur social est aujourd’hui en panne.

Le mouvement HLM est tiraillé entre sa vocation sociale et ses impératifs de gestion Les animateurs du mouvement HLM, dans leur diversité, se trouvent à la croisée des chemins. Compte tenu des contraintes financières et juridiques qui leur sont imposées, doivent-ils toujours chercher à positionner leur patrimoine dans un créneau du marché ou répondre aux besoins non solvables ? La question a souvent trouvé sa réponse : de fait, suite aux réhabilitations engagées depuis quinze ans et aux programmes neufs en PLA, les loyers d’une partie du parc public sont aujourd’hui proches du marché locatif privé de moyen standing et, en tout état de cause, incompatibles avec les ressources de la plus grande majorité des mal-logés.

L’ACCES AU LOGEMENT RENVOYE VERS LES ACTEURS LOCAUX

La diffusion des responsabilités est un facteur d’exclusion Les lois de décentralisation en application depuis quinze ans ont largement contribué à brouiller la carte historique des responsabilités en matière de logement social. Si, d’après les textes, l’Etat garde la pleine responsabilité de cette politique, en particulier en matière financière et réglementaire, les collectivités territoriales sont sommées de prendre en charge le social et le poids des élus locaux dans les décisions va sans cesse grandissant. De leur côté, les organismes constructeurs et bailleurs revendiquent leur part de responsabilité dans la recherche d’une saine gestion. A ce jour, les responsabilités des uns et des autres sont noyées dans un processus dont l’apparente et incompréhensible complexité désarme le plus grand nombre et en priorité les demandeurs de logement. Les instruments de régulation de la politique du logement sont technocratiques et ne contribuent pas à assurer le droit au logement. Les lois (Loi Besson par exemple) ne sont pas appliquées et la volonté politique manque pour traiter le problème des expulsions.

Les associations ne sont pas en mesure de garantir le droit au logement Par ailleurs, la politique en faveur du logement des défavorisés a introduit de nouvelles pratiques. Certaines associations investissent le champ de l’immobilier. Elles jouent un rôle indéniable d’expérimentation et d’innovation et ont acquis une légitimité par leur proximité avec les habitants. Elles ne peuvent pour autant suppléer à la défaillance publique et interviennent par défaut de la puissance publique. De fait, les habitants et les associations ne sont toujours pas reconnus comme partenaires de la politique du logement et de l’aménagement et ont les plus grandes difficultés à siéger dans les instances de décision. En pratique, Ils ne sont pas considérés comme des partenaires à part entière et ne sont pas réellement consultés, même si la loi le prévoit, sur les projets de transformation des quartiers. Confrontées à ses injonctions contra-dictoires, les associations ne sont pas non plus en mesure de garantir le droit au logement.

GARANTIR LE DROIT AU LOGEMENT

Les mesures d’urgence occultent l’objectif du droit au logement Depuis quelques années, à la suite des mouvements d’opinion, les gouvernements annoncent régulièrement des mesures d’urgence en direction des sans-logement et des mal-logés, mais force est de constater que le mal s’aggrave. Le traitement de l’urgence occulte ce que pourrait être une politique à long terme. Le logement social au rabais ou provisoire pour les plus démunis est tout à la fois un non sens sur le plan économique, car il coûte cher sans résoudre aucun problème, mais aussi une honte pour notre société développée qui reconnaît et organise l’exclusion. Il génère des parcours résidentiels instables chez les personnes à revenus précaires qui, plus que d’autres, ont besoin de sécurité pour tenter de se bâtir un avenir.

Le développement de nouvelles luttes met en avant le droit au logement Les mouvements d’opinion sont cependant relayés par des actions organisées de mal-logés et de sans-logis. Les mouvements organisés ont désormais conquis une place dans les débats sur les politiques du logement et deviennent des acteurs incontournables. Le développement de ces nouvelles luttes doit permettre d’engager le débat sur la responsabilité et le rôle des différents acteurs dans la mise en oeuvre du droit au logement. Il s’agit aussi de promouvoir, à des échelles territoriales pertinentes, de nouvelles formes de gestion participative et de contrôle démocratique des politiques publiques du logement associant plus fortement les associations et les exclus du logement. Le débat devra ouvrir de nouvelles perspectives concernant les modes d’intervention publique, la recherche de nouveaux mécanismes de régulation de l’offre et de la demande et statuer sur la place du logement dans la protection sociale afin de passer d’une intervention trop centrée sur le secteur public à un véritable service public du logement.

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