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Expertise, aménagement et urbanisme : brèves notes accompagnées d’une annexe terminologique. - Jean-François Tribillon - 2004

Publié par , le 6 mars 2004.





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L’idée d’expertise est très agréable à l’esprit. Il semble tout à fait rationnel (c’est même le comble de la rationalité) de faire intervenir dans un processus de décision un tiers chargé d’éclairer le décideur, en prenant la parole au nom d’un savoir, se tenant éloigné de toute influence, s’abstenant de toute considération d’opportunité, capable aussi de dire qu’il ne sait pas et que dans ces conditions le principe de précaution s’impose...

Il est possible que la procédure d’expertise n’ait pas les mêmes vertus lorsqu’on l’applique aux projets urbains. Ce que nous allons tenter de montrer en limitant nos développements à l’urbanisme et l’aménagement pratiqués par les collectivités locales et en prenant appui sur notre expérience.

1 - Il n’y a pas d’experts en aménagement et en urbanisme.

L’urbanisme et l’aménagement ont pour principal objet de proposer à la puissance publique de prendre des décisions qui ont pour effet de modifier le cours « naturel » d’une urbanisation, la trajectoire d’évolution « spontanée » d’une ville :
 soit par le moyen de règlements donnant lieu à la délivrance d’autorisations et de permis ;
 soit par le moyen d’opérations d’aménagement lancées par la puissance publique ou autorisées par elle ;
 soit par le moyen d’orientations à long terme s’inscrivant par exemple dans les schémas de cohérence territoriale.

Il faut sans doute aussi distinguer l’urbanisme et l’aménagement comme prescripteurs du changement urbain des matières et disciplines connexes qui sont à utiliser :
 d’une part pour bien comprendre la complexité d’une situation urbaine, pour appréhender correctement l’instabilité d’un sous-sol, des risques écologiques...
 d’autre part pour réaliser le changement par des emprunts, des acquisitions foncières, des ouvrages d’art, des autorisations...

Nous tenons l’urbanisme et l’aménagement pour des arts (au sens de l’art médical) prescriptifs, dont l’essence consiste à dire ce-qui-doit-être, arts qui se distinguent de ces disciplines et ingénieries connexes qui sont tout à fait autonomes, qui ont d’autres utilisations possibles, qui sont des matières souvent « dures »...

Précisément, les experts que nous voyons intervenir dans les projets urbains sont des experts de ces ingénieries et disciplines qui se situent d’après moi en dehors du champ de l’urbanisme et de l’aménagement, proprement dits.

Dans la pratique la plus quotidienne, l’aménagement ou l’urbanisme se traduit toujours par une proposition de prescription adressée à la puissance publique qui accepte (ou refuse) de la faire sienne parce qu’elle s’inscrit dans une évolution souhaitée par elle, éventuellement planifiée, le plus souvent implicite. Cette inscription est parfois formulée très rustiquement dans une a parte du maire glissant dans l’oreille de son adjoint à l’urbanisme lors de la présentation d’un projet ; « Ce projet est très bon, il va dans notre sens, dans le sens d’une gentrification de ce quartier que nous avons toujours considéré comme vraiment trop populaire »

En pratique, la décision d’aménagement et d’urbanisme ressemble à une fusée à deux étages :
 le premier étage est d’ordre politique et contient le moteur de la fusée : ce que l’on nous (c’est le maire qui parle) propose là contribue à produire la ville que nous souhaitons, nous sommes d’accord politiquement ;
 le deuxième étage, propulsé par le premier, est l’étage technique : il suffit que le projet proposé à la décision du maire paraisse efficace, se réfère à des succès obtenus ailleurs par de semblables projets, ne semble pas comporter de risques trop importants ; il sera toujours temps plus tard de corriger le projet lorsqu’il s’agira de le mettre en œuvre ; on s’en remettra alors aux techniciens fonciers financiers, immobiliers...qui savent faire pratique et efficace en leur qualités d’opérateur, d’ingénieur, de banquier, de promoteur... ; on peut qualifier ces techniciens d’experts au sens le plus étroit du terme, mais ce sont des experts de la mise en œuvre d’une opération et non de sa conception.

Par l’expression « expert en urbanisme et en aménagement » on veut sans doute parler d’un bon urbaniste, qui a de l’expérience, qui excelle dans son art, qui excelle à mettre à plat une question, à raisonner par analogie, à développer des scénarios d’évolution en fonction de type d’interventions ou de non interventions, à spéculer sur les effets probables d’une décision, à trouver le compromis raisonnable...

Nous définirons l’urbanisme et l’aménagement comme des arts politiques dont la principale fonction est de penser l’espace de la cité, fonction qu’embarrasserait une quelconque expertise car elle aurait nécessairement le même objet.

2 - Les espaces d’une nouvelle expertise en urbanisme et en aménagement

Il nous faut réfléchir au développement de nouvelles formes et objets d’expertises dont l’intérêt réside non dans l’apport d’un véritable savoir (l’expert comme technicien) mais dans la forme d’intervention (l’expert comme intervenant bénéficiant d’une certaine autonomie de conduite de ses investigations et d’appréciation : le modèle de référence de l’expert en question est l’expert comptable chargé de par la loi de faire son rapport sur la bonne marche de l’entreprise au Comité d’entreprise, le modèle de référence est aussi le commissaire enquêteur nouvelle manière...) (voir annexe)

Les deux principaux espaces dans lesquels de tels experts pourraient opportunément et logiquement officier sont :
 l’organisation du débat public sur les projets d’urbanisme et d’aménagement ;
 l’évaluation démocratique des mêmes projets.

La concertation ou débat public se situe de nos jours en France à égale distance entre deux extrêmes : la simple information des usagers par la collectivité locale sur les projets d’urbanisme et d’aménagement qu’elle a sur le feu et la co-maîtrise d’œuvre ou l’urbanisme et l’aménagement partagés. L’information est simple à organiser. La co-maîtrise est une aventure qui est à vivre par le maître d’œuvre, comme une aventure intellectuelle et professionnelle, pour laquelle le recours à une expertise n’a pas beaucoup de sens.

Le débat public dans l’état actuel des mœurs, lui, gagnerait à être organisé par un expert indépendant de toute influence qui aurait à susciter le débat, le conduire et le conclure afin de livrer son rapport à l’autorité publique dont il ne dépendrait pas économiquement.

L’évaluation démocratique est aussi un espace de prédilection d’une forme d’expertise, dans laquelle l’évaluateur doit pouvoir en toute liberté discuter de tout avec tous les producteurs et usagers du projet pour tenter de donner du sens (et non des bons ou mauvais points) au projet réalisé et tenter de réajuster une politique ou de relancer de nouveaux projets sur de nouvelles bases.

On aura pu remarquer pratiquement que les débats que l’expert a à organiser, qu’il s’agisse de débats publics sur la décision à prendre ou qu’il s’agisse de débats rétrospectifs sur la qualité des choix opérés dans la conduite d’un projet soumis à évaluation, sont en soi au cœur de ces démarches pour autant qu’elles sont démocratiques. Et c’est là que réside la quintessence de ce genre d’expertise : savoir (il y a quand même du savoir en jeu) et pouvoir (être en mesure de faire) poser les questions stratégiques aux acteurs sociaux et pour ce faire se tenir éloigné du décideur, de l’investisseur, de l’autorité publique qui a lancé le projet. Ces expertises ont une fonction sociale avant d’avoir une fonction technique, et l’expert ressemble plus à un médiateur social qu’à un technicien

On peut se demander d’ailleurs si l’on peut organiser un tel débat sans avoir au préalable quelque peu rééquilibrer les forces des discutants, ce qui pourrait conduire à mettre à disposition des plus faibles...une certaine capacité technique, ce qu’on qualifier aussi d’expertise au sens technique signalé plus haut. Cette capacité pourrait très simplement résider en la capacité à parfaitement comprendre ce que l’on vous raconte pour démonter le raisonnement et être donc se trouver en situation de la critiquer Concernant les acteurs associatifs -de plus en plus actifs- on distinguera deux catégories : les associations locales affiliées à des associations, fédérations ou unions nationales, et les associations strictement locales. Il arrive que les associations à affiliation nationale bénéficient de capacités techniques et soient capables de mobiliser quelques professeurs du Muséum d’Histoire Naturelle, des Facultés de Droit ou des Ecoles d’Architecture. Les associations locales sont beaucoup plus démunies.

On peut aussi s’interroger sur les limites de telles expertises. Elles apparaissent clairement lorsqu’on pose la question des usagers. Il n’est pas discutable que l’expert en débat public comme l’expert en évaluation doivent faire des usagers leurs interlocuteurs privilégiés. Il va de soi que la réhabilitation d’un quartier doit répondre aux demandes des habitants du quartier. Est-ce si simple ? Les usagers sont à même de s’opposer à tout changement alors que précisément le changement d’usage (économique, social, culturel) est l’objectif recherché. On en vient à se dire que l’identification des usagers à prendre en compte est un acte déterminant, qui détermine la problématique dans laquelle on décide de se situer, que l’ « invention des acteurs » est un acte politique. Pourquoi l’expert en débat public ou en évaluation aurait-il le droit d’inventer un nouveau projet en inventant de lui-même les acteurs avec lesquels engager le débat, mettant complètement à port à faux le projet arrêté (comme projet à discuter en vue de son exécution) ou exécuté (comme projet réel à évaluer), celui que les organes locaux démocratiquement élus ont choisi ?

On peut dire que ces expertises, si elles sont réfléchies et sincères, ne peuvent se développer qu’en s’autorisant d’une idéologie de la démocratie participative, associative et citoyenne capable de contredire l’expression de la démocratie représentative, élective et institutionnelle.
Est-on capable en France d’une telle « relativisation » de la démocratie représentative ? Est-on capable de construire la démocratie participative ?

La conséquence la plus évidente du développement de telles expertises sera l’accumulation par certains experts et bureaux d’études d’un savoir que l’on peut qualifier de « leçons d’expérience sur les projets comme drames -au sens étymologique- historiques -l’évaluation raisonne historiquement- et sociaux -le débat public met en scène les acteurs sociaux- » . Il nous faut ici infléchir ce que nous avons déclaré dans la première partie pour admettre que ces leçons profiteront à l’art politique de l’urbanisme ou de l’aménagement. Les matériaux accumulés par ces expertises contribueront à un exercice plus fin de ces arts politiques, à la manière des apports des sciences politiques aux décisions politiques. Elles (les sciences politiques) les (les décisions) référencient historiquement, analogiquement...mais ne leur donne pas un contenu plus scientifique, plus sûr comme le rapport de l’expert en structures en X à l’ingénieur chargé de choisir la structure de franchissement de tel obstacle, et qui hésite entre la structure en X et la structure en Y.

Nous concluons en résumant.

L’urbanisme et l’aménagement sont des arts politiques rebelles à l’expertise conçue comme un apport technique devant éclairer la décision.

En revanche, on peut prétendre que les expertises en débat public et en évaluation, qui sont des expertises à faible teneur technique mais à forte teneur sociale, contribueront à terme à un perfectionnement de ces arts par les leçons d’expérience que l’on voudra bien extraire de ces expertises, capitaliser et publier.

JF TRIBILLON

Annexe

Expert, professionnel, technicien, consultant, commissaire enquêteur... Eléments de définition. Citations.

Expert : nom donné au technicien commis par le juge en raison de ses lumières particulières pour procéder à une expertise ; expertise : mesure d’instruction consistant pour le technicien commis par le juge, l’expert, à examiner une question de fait qui requiert ses lumières et sur laquelle des constations ou une simple consultation ne suffiraient pas à éclairer le juge et à donner un avis purement technique sans porter d’appréciation d’ordre juridique. (Gérard Cornu : Vocabulaire Juridique de l’Association René Capitant, première édition de 1987, Puf, Paris 837 p)

Consultant : nom donné au technicien commis par le juge pour lui fournir une consultation ; consultation : mesure d’instruction consistant pour le technicien commis par le juge, le consultant, à examiner une question de fait qui requiert ses lumières sans exiger, à la différence de l’expertise, d’investigations complexes, et à donner oralement ou par écrit un avis purement technique sans porter d’appréciation juridique. (Idem quant aux sources)

Technicien : nom donné à la personne choisie et commise par le juge en raison de sa qualification, pour l’éclairer, par des constatations (le technicien est dit alors « constatant » par opposition à « consultant » et à « expert »), une consultation ou une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un spécialiste et dont dépend la solution d’un litige. (Idem)

Constatation : 1. Opération intellectuelle consistant à relever l’existence d’un fait ou à caractériser aussi objectivement que possible une situation de fait ; bien que comportant une marge irréductible d’appréciation individuelle s’oppose à « appréciation morale » et à « appréciation des intérêts ». 2. Mesure d’instruction consistant pour la personne commise par le juge, le constatant, à relater un fait ou à décrire un état de fait, sans porter aucun avis sur les conséquences de fait et ou de droit qui peuvent en résulter (ex ; mesure d’un terrain, état d’une construction) (voir « constat »). 3. Nom donné au résultat du travail du constatant. (Idem).

Constat : 1. En un sens générique, soit l’opération consistant à constater un fait, soit le résultat de cette opération soit le document écrit constatant ce résultat : ex. constat amiable. 2. Description écrite par un huissier de justice ou une autorité de police judiciaire d’une situation qu’il a personnellement constatée. (Idem quant aux sources)

Expert comptable : technicien de la comptabilité de haut niveau, relevant d’un ordre professionnel et ayant pour fonction de réviser, redresser et certifier la comptabilité d’entreprises auxquelles il n’est pas lié par un contrat de travail ; commissaire aux comptes : personne physique ou morale inscrite sur une liste professionnelle, chargée par les associés de contrôler d’une manière permanente les comptes dressés par le dirigeants, d’en certifier la régularité ainsi que la sincérité, de vérifier les informations financières données aux associés (...) et auquel incombe la mission (...) de déclencher une procédure d’alerte lorsqu’il a pris connaissance d’un fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation (...).(idem)

Professionnel : par opposition à profane, homme de l’art ; personne dont l’appartenance à une profession fait attendre une qualification correspondante. (Idem)

Commissaire enquêteur nouvelle manière

Désignation du commissaire enquêteur (Dictionnaire Permanent Construction et Urbanisme Bulletin 318, avril 2002, p. 1499)

Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique sont désormais désignés par le président du tribunal administratif.
La loi relative à la démocratie de proximité harmonise les règles de désignation des commissaires enquêteurs ou des membres de la commission d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique (DUP) avec celles applicables à leurs collègues chargés des enquêtes publiques en matière d’environnement. Ainsi, il appartient désormais au président du tribunal administratif de choisir, dans les conditions des articles L. 123-1 et s. du code de l’environnement, les commissaires enquêteurs ou la commission d’enquête préalable à la DUP. La désignation se fait parmi les personnes inscrites sur des listes d’aptitude. Par cette disposition, le législateur a souhaité, en attendant une réforme plus profonde de la profession, donner un signe fort d’indépendance et de neutralité du commissaire enquêteur.

Pouvoirs du commissaire enquêteur (idem quant aux sources)
Des réunions publiques peuvent être organisées par le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête préalable à une déclaration d’utilité publique.
Dans le cadre du travail d’harmonisation qu’elle opère en matière d’enquêtes publiques, la loi relative à la démocratie de proximité a unifié les pouvoirs des commissaires enquêteurs intervenant dans une DUP (déclaration d’utilité publique préalable, dans le cadre de la procédure d’expropriation) avec ceux de leurs collègues chargés des enquêtes publiques en matière d’environnement. Outre la possibilité d’entendre toutes personnes dont ils jugent l’audition utile et d’analyser les registres d’enquête mis à la disposition du public, les enquêteurs peuvent désormais recevoir tous documents nécessaires à l’enquête, visiter sous certaines conditions les lieux concernés et convoquer le maître d’ouvrage ou son représentant, ainsi que les autorités administratives intéressées. En outre, des réunions d’information et d’échanges avec le public peuvent être organisées sous la présidence du commissaire enquêteur ou du président de la commission d’enquête en présence du maître d’ouvrage.

Frais d’enquête et indemnisation du commissaire enquêteur (idem quant aux sources)
Les frais engagés pour le bon déroulement de l’enquête publique ainsi que l’indemnisation des commissaires enquêteurs et des membres de la commission d’enquête sont pris en charge par le maître d’ouvrage. II s’est, toutefois, avéré en pratique que les fonds nécessaires à l’enquête étaient souvent versés avec un retard préjudiciable à la procédure d’enquête publique. C’est pourquoi, la loi de démocratie de proximité prévoit que sur demande du commissaire enquêteur ou du président de la commission d’enquête, le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cet effet ordonnera le versement d’une provision par le maître d’ouvrage. L’enquête publique ne pourra alors être ouverte qu’après le versement de la provision dont le montant aura été défini par le juge administratif.