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Réforme de l’ISDS : nouvelle tentative de diversion de la Commission

Publié par AITEC, le 6 mai 2015.

Quatre mois après la publication des résultats de la consultation publique sur le volet « Investissement » du traité transatlantique, la Commissaire au Commerce C. Malmström présentera demain ses propositions de réforme de l’arbitrage d’investissement au Conseil des ministres de l’UE.

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On se souvient que les résultats de cette consultation s’étaient révélés désastreux pour la Commission puisque 97% des réponses s’étaient explicitement déclarées hostiles à la présence d’un mécanisme d’arbitrage Investisseur-État dans le futur accord.

Les gouvernements allemand et français, officiellement réservés sur un tel mécanisme, s’étaient également saisi du dossier et avaient pris l’engagement, lors d’une réunion des sociaux-démocrates européens à Madrid en février dernier, de faire des propositions de réforme susceptibles d’accoucher de « quelque chose de totalement neuf, qui n’ait plus rien à voir avec le mécanisme d’arbitrage d’aujourd’hui » [1].

De ces réflexions, il résulte :

  • la proposition transmise fin avril par S. Gabriel à la Commissaire Malmström, qui consiste en une formulation alternative type des chapitres Investissement des futurs traités de l’UE,
  • le « concept paper » de la Commissaire Malmström, diffusé hier, qui présente l’approche qu’elle défendra demain auprès des ministres du commerce des 28.

Les propositions de la DG Commerce sont construites autour des quatre axes de travail identifiés à l’issue de la consultation : 1) renforcer les garanties du droit des États à réguler, 2) réformer les tribunaux d’arbitrage eux-mêmes, 3) créer un mécanisme d’appel et 4) améliorer l’articulation entre arbitrage international et tribunaux nationaux.

Or notre verdict est sans appel après analyse : aucune des propositions ne répond aux enjeux soulevés lors de la consultation publique par les citoyens et un nombre croissant d’experts du droit.

Ces propositions reprennent en réalité largement les éléments contenus dans le texte de l’accord UE-Canada. En effet, celui-ci introduit déjà la possibilité de créer un mécanisme d’appel ; il amène quelques nouveautés concernant la qualification et la sélection des arbitres et prétend consolider le droit du législateur à réguler. On peut retrouver ici et ici les raisons détaillées pour lesquelles l’AITEC juge ces propositions très insuffisantes. En résumé :

  • Le droit à réguler des États ne fait l’objet d’aucune formulation précise, alors qu’il ne figure qu’au préambule, non contraignant, du CETA et que les notions de « traitement juste et équitable » et d’ « attentes légitimes » des investisseurs ne sont pas davantage circonscrites.
  • La création d’un registre d’arbitres jugés compétents par les deux parties ne résoudra pas le conflit d’intérêt inhérent à une mission payée au cas par cas. Il ne peut y avoir d’impartialité de la part d’arbitres dont le rôle fluctue selon les dossiers, entre arbitre et avocat des investisseurs, et dont la situation financière dépend directement du nombre et de la longueur de cas qui ne peuvent être initiés que une des deux parties.
  • La perspective d’un mécanisme d’appel - qui va dans le bon sens – n’est inscrite que sous la forme d’une « clause de rendez-vous » [2] dans les accords de l’UE avec le Canada et Singapour -, et n’est assortie d’aucun élément plus concret la rendant crédible.
  • L’obligation faite aux investisseurs étrangers de choisir entre juridictions nationales et arbitrage d’investissement continue de leur conférer un privilège à nul autre égalé dans le droit international. Aucun justiciable n’a le droit de choisir la juridiction qui lui sera la plus favorable. Les recours domestiques doivent être épuisés pour que puisse être invoquée un instance judiciaire internationale. Cela fait de l’ISDS, pourtant présenté comme un moyen de lutter contre la discrimination des investisseurs étrangers, un système profondément discriminatoire pour tous les autres justiciables.

La nouveauté principale du texte communiqué par la DG Commerce hier concerne en réalité la perspective d’une cour permanente de l’investissement, et la transformation des arbitres en juges nommés pour une période fixe, dans le cadre d’une juridiction internationale indépendante.

La proposition va dans la bonne direction sur le principe, mais outre qu’elle reste à l’état de vœu pieux pour l’heure, elle ne sera positive qu’à un certain nombre de conditions fortes :

  • le rééquilibrage du droit international de l’investissement exige des réformes de substance profondes : les clauses qui confèrent aux entreprises des droits exceptionnels sans aucune obligation symétrique doivent être supprimées et les droits humains définis par les conventions internationales doivent faire référence supérieure par rapport au droit commercial.
  • Une cour internationale permanente de l’investissement pourrait s’avérer utile si l’indépendance complète des juges y est garantie, ainsi que la transparence systématique et totale des procédures, l’accès de parties tiers à celles-ci et l’existence d’un mécanisme d’appel. L’accès à une telle cour ne doit être possible qu’après épuisement des recours domestiques.
  • L’accès des citoyens et de la puissance publique à la justice face aux entreprises est également un impératif incontournable afin de rendre le droit international juste et équitable. La réponse à cette préoccupation réside dans la création de mécanismes juridiques internationaux contraignants en dehors des traités de commerce et d’investissement, qui auront valeur universelle.

Reste enfin une difficulté majeure : pour la Direction Générale du Commerce, le texte du CETA est finalisé et son chapitre « Investissement » ne pourra plus évoluer dans sa substance, alors que certains États membres dont la France affirment souhaiter des améliorations de fond et qu’Ottawa n’entend pas rouvrir les discussions.
Mais la ratification du traité à Strasbourg est prévu fin 2015, début 2016 au plus tard, et ni Bruxelles ni Ottawa n’entendent repousser.

Les organisations de la société civile, en Europe comme au Canada, ont fait connaître de longue date leur refus de voir ratifié puis mis en œuvre l’accord UE-Canada dans son état actuel, et le chapitre Investissement fait incontestablement partie des aspects inacceptables du traité.

Nous poursuivrons donc l’interpellation des parlementaires et des eurodéputés français afin qu’ils saisissent les enjeux du débat sur l’ISDS, et qu’ils prennent la mesure des inquiétudes des citoyens et qu’ils refusent de ratifier CETA.
Et nous participerons à toutes les mobilisations qui permettront de réaffirmer notre opposition à CETA et TTIP tels qu’ils sont aujourd’hui engagés.

Retrouvez également le texte de position du réseau Seattle to Brussels ici.

Photo : Cécilia Malmström par Johannes Jansson


[2Clause écrite présente dans le texte final qui marque l’absence d’accord substantiel sur un sujet mais qui établit formellement l’engagement de poursuivre la discussion à une date ultérieure.

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