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La transformation urbaine ; entre mondialisation néo-libérale et altermondialisme - Gustave Massiah - 2005

Publié par , le 6 mars 2005.





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L’urbanisation change de nature. Cette urbanisation n’est pas le prolongement au Sud de la révolution urbaine du 19ème siècle ; il correspond à une rupture dans l’évolution urbaine. Cette révolution urbaine est liée à l’évolution de la mondialisation ; sans entrer plus ici dans la caractérisation de la mondialisation considérée comme un processus contradictoire dont l’issue n’est pas prédéterminée. Supports de la mondialisation, les villes en sont aussi transformées. Cette mondialisation bouleverse le système géopolitique et remet en cause la nature des Etats. Elle modifie les rapports entre le local, le national et le mondial ; entre le rural et l’urbain ; entre le particulier et l’universel.

La rupture renvoie à la liaison étroite entre urbanisation et industrialisation qui a caractérisé la révolution industrielle et urbaine du 19ème. La généralisation du modèle industriel productiviste à l’échelle de la planète se heurte à une double limite. La première est celle de l’écosystème planétaire dont on mesure la fragilité, notamment, dans la dégradation de l’environnement des mégapoles, elles mêmes sources de nuisances et de pollutions. La seconde limite est celle de l’emploi mis à mal par l’accélération foudroyante de la productivité. Repartons de la très éclairante formule d’Henri Lefebvre : "l’espace est la projection au sol des rapports sociaux". L’interrogation porte sur l’avenir de ce rapport essentiel : le salariat.

La place de chacun dans la ville ne recouvre que partiellement les anciennes structurations sociales. La place dans la ville, l’accès à l’habitat sont intimement liés à la nature du revenu, plus encore qu’à son niveau. Un salaire stable constitue un statut social, il donne l’accès au crédit, au logement, à la consommation individuelle et collective ; il est la clé de l’intégration. A l’inverse, l’absence de revenu stable ouvre le processus d’exclusion par rapport à la société institutionnalisée. Sans revenu stable, nos sociétés ne savent plus reconnaître le droit à la sûreté, inscrit dans la déclaration des droits de l’homme, et abusivement confondu avec la sécurité et les glissements sécuritaires.

La mondialisation ne saurait être analysée en dehors de la tendance à la précarisation, à l’accroissement des inégalités, de l’élargissement et de l’approfondissements des exclusions. Exclusion par la pauvreté et la misère liée aux inégalités de revenus. Exclusion du travail et des statuts sociaux liés au travail stable. Exclusion par la difficulté d’accès au logement. Exclusion culturelle de la reproduction sociale des "élites". Même si l’exclusion ne peut-être retenue, sans être précisée, comme analyseur unique de l’évolution sociale, l’exclusion massive dont les mégapoles sont le théâtre brouille les identités. Les représentations classiques (communautaires, religieuses, nationales, sociales) ne rendent plus compte du rapport de l’individu au groupe.

A la mondialisation et au modèle urbain libéral-mondial, qui se prétend universel, correspondent des formes urbaines. Dans chaque ville apparaissent de nouveaux centres, des morceaux de ville-monde. C’est l’espace de ceux qui sont en prise directe avec le marché mondial et avec les devises, les îlots protégés et organisés des grands hôtels et des sièges sociaux. La ville s’étend en quartiers ségrégués et refermés sur eux-mêmes, reliés ou plutôt séparés par des autoroutes urbaines. Le modèle libéral mondial combine la purification sociale et la ségrégation ethnique.

Ce qui est discriminant c’est la position par rapport à la précarisation, aux exclusions et aux inégalités ; le refus de la purification sociale, de la ségrégation ethnique et du cantonnement urbain. L’enjeu est considérable et la contradiction de taille. Il faudrait alors refuser la vision que le libéralisme a du social, la correction et la compassion pour les pauvres. Il faudrait opposer la solidarité au caritatif. Pour ne pas se contenter, par réalisme, d’un peu moins d’inégalités, d’un peu moins d’exclusion, pour pouvoir effectivement lutter contre l’injustice et l’exclusion, il faut être capable de penser un monde sans exclusion, une ville sans ségrégation.

L’enjeu est celui de l’affirmation des droits et de leur inscription dans les politiques urbaines et dans la production des villes. Et de fait, progresse l’idée que la ville à penser est celle qui pourra s’appuyer sur le droit au logement pour tous, le droit à la ville pour tous. Le droit à la ville pour tous est plus difficile à penser. Le refus de la ségrégation ne signifie pas que tout le monde doit se retrouver au centre. Il s’agit d’inventer de nouvelles villes. Là-dessus, les pratiques citadines au Nord et au Sud ont beaucoup à nous apprendre. Il s’agit de ne pas opposer la ville de droit à la ville de fait, de s’appuyer sur la ville réelle et de reconnaître les façons populaires de produire la ville. Il existe de nombreuses pistes à partir de la prise en compte de l’échelle du quartier dans la production urbaine, de l’égalité des normes d’équipement entre les quartiers, de l’évolution des services urbains,...

L’espace des acteurs de la transformation urbaine se réorganise. Entre l’Etat, contesté mais toujours présent, et les habitants, considérés suivant le cas comme des sujets, des clients, des consommateurs, des usagers ou des citoyens, d’autres intervenants cherchent leur place. Les municipalités gagnent en autonomie ; elles relient le local et le territoire ; elles affirment leur représentativité en tant qu’institutions locales et de proximité. Les associations s’affichent comme la forme organisée de la société civile ; elles rappellent les intérêts des habitants et l’exigence de leur participation dans tout processus démocratique. Les entreprises s’imposent à l’espace public ; elles rappellent l’importance de la production ; elles portent la rationalité de la gestion des réseaux et des services ; elles correspondent à plusieurs logiques comme le montrent les nouvelles formes d’acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Pour résister et améliorer leur situation, les habitants s’organisent et créent des associations. Ils s’organisent pour lutter (syndicats, associations de locataires...), ils s’organisent pour expérimenter et faire (associations de solidarité, d’insertion, de développement), ils s’organisent pour accéder au pouvoir (partis, associations citoyennes). Cette situation n’est pas nouvelle et n’est pas propre au mouvements urbains.

Les mouvements sociaux urbains sont de plus en plus importants et sont en mutation. Ils combinent les revendications des droits dans les villes et des droits à la ville. Tous les mouvement sociaux qui se déploient dans les villes ont une dimension urbaine. La spécificité des mouvements sociaux urbains, à travers les revendications qui concernent les conditions de vie des habitants des villes, s’élargit à la production des villes et à l’accès aux droits à la ville. L’analyse des mouvements sociaux urbains est d’une richesse extraordinaire. Les mouvements pour le droit au logement se sont amplifiés. Ils mêlent étroitement aujourd’hui la défense des intérêts des sans-logis et des mal-logés comme le montre l’exemple du MNLN au Brésil. Le DAL en France construit le mouvement des NO-VOX, les sans-voix et les sans-droits, en élargissant les initiatives aux mouvements des sans-terre, des chômeurs, des migrants, des hors-castes, etc. Les mouvements d’occupation se sont prolongés dans un vaste processus de régularisations qui s’oppose à l’exclusion des pauvres des centres villes. Un vaste mouvement international contre les expulsions commence à s’organiser. La notion de « pauvre urbain » se radicalise. L’ « Asian Coalition for Housing Rights » qui regroupe les associations d’habitants pour le droit au logement dans plus de vingt pays asiatiques met en avant cette nouvelle appellation des « pauvres urbains » (« urban poors »).

Les luttes pour la sécurité foncière se prolongent dans des pratiques d’amélioration, ou de construction, des logements, dans la réhabilitation urbaine et l’aménagement, dans la revendication de citoyenneté. Les associations en France comme Emmaus, la Fédération pour l’insertion par le logement (FAPIL), les PACT-ARIM élargissent leurs interventions du logement aux quartiers. Le mouvement associatif porte, de manière contradictoire, de nouvelles pratiques de recomposition foncière, d’épargne et de crédit populaire, d’auto-construction et d’auto-promotion, de gestion collective des espaces, de démocratie de proximité.

Ce bouillonnement donne naissance à une élaboration intense. Par exemple, le mouvement pour la réforme urbaine met en jeu l’analogie avec la réforme agraire de la décolonisation. Il met en avant la propriété foncière, la production et l’emploi dans les quartiers, le financement, la gestion urbaine, la démocratie et la citoyenneté. Un autre exemple, celui de la recherche des formes d’alliance entre municipalités et associations d’habitants qui se concrétise à travers les propositions de budget participatif lancées à Porto Alegre.

Les mouvements sociaux urbains sont porteurs de nouveaux projets de transformation sociale. Ils se renouvellent à partir de leur participation au mouvement altermondialiste caractérisé par la convergence des mouvements sociaux et citoyens autour d’une orientation commune, celle de l’accès pour tous aux droits fondamentaux, à la paix et à la démocratie.

Gustave Massiah
Juin 05

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