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Quelle politique urbaine pour affronter la crise écologique urbaine et les défis climatiques annoncés ?

Publié par Jean-François Tribillon, le 25 février 2020.

Par cette contribution, proposée en fin d’année 2019, Jean-François Tribillon nous invite à nous questionner sur la manière dont sont pensées les politiques urbaines, à l’aune de la crise écologique que connaissent les villes. Comment faire face aux défis climatiques actuels et à venir ?





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Position du problème

Depuis quelques décennies, l’aménagement urbain accompagne le marché foncier et urbain. Le marché organise l’offre immobilière non sociale plus ou moins conditionnée par un urbanisme décentralisé et de plus en plus évanescent sauf lorsqu’il s’agit de lancer des opérations spectaculaires destinées à faire la renommée d’une ville, de l’intégrer au réseau des métropoles « tgvisées », lui donner des chances d’intéresser le marché mondial… En même temps est proclamée la nécessité de produire des ville dites « durables » et sont célébrés les quelques promoteurs de l’ « urbain durable » présentés à l’admiration du peuple en aventuriers, en expérimentateurs héroïques, en militants obsessionnels, en maires se mettant en danger de ne pas être réélus…

La contradiction est évidente : nous sommes dans le couloir d’une révolution sans précédent (produire la ville durable, nous reprendrons cette expression commode) mais nous baignons dans la post-modernité : la ville à construire est décrite par la loi, sa fabrication est laissée à l’initiative de plusieurs dizaines de milliers d’aimables conseillers municipaux, l’État est dans une situation de grande faiblesse technique…

Nous sommes très en retard. Ce retard est dû en premier lieu à la faiblesse politique de la production urbaine : son orientation libérale et décentralisée fait de l’écologie urbaine un supplément d’âme, une aventure locale héroïque et individuelle qui ne dépasse pas le cadre des opérations d’éco-quartiers. Notre conviction est que la maîtrise d’ouvrage urbaine publique étant en faiblesse, la maîtrise d’ouvrage publique durable l’est encore plus. On ne voit pas pourquoi l’évocation de l’impératif du développement durable donnerait des muscles à des autorités et des techniciens affaiblis.

D’où notre interrogation : n’est-il pas temps de reconsidérer réactivement la situation présente, pour dire qu’il est urgent de :
 construire (reconstruire en fait) une politique urbaine nationale…
 …qui aurait pour objet la mise en chantier de milliers (c’est une image) de quartiers et de villes durables…
 …à la lumière des leçons de l’expérience : positives de 1945-1975 puis négatives (moins positives en tout cas) de 1975-2015…
 …que l’on voudra bien considérer comme du passé enregistré comme expérience avant que les historiens ne s’en emparent.

Quelle politique urbaine ?

Hypothèses de départ :

On pose comme principe 1 qu’on se tient éloigné de deux modèles :
 celui du verdissement de la ville et de la constitution de la ville par agglomération d’éco-quartiers et dispositifs montés, imaginés entre amis ;
 la ville à inventer n’est pas (non plus) une mégastructure de science fiction digérant tout le CO 2 de la terre…

On pose comme principe 2 que les villes devront affronter des conditions climatiques difficiles, changeantes et imprévisibles, ce qui met les habitants, les entreprises, les institutions de nombre de ces villes en situation de devoir d’abord résister puis improviser c’est à dire imaginer, au fur et à mesure de leur existence, des changements de modes d’occupation de leur espace ou même de leurs sites… C’est sur une sorte de voie d’autogestion périlleuse que les habitants doivent s’engager.

Les acquis.

On tient compte positivement de quelques avantages acquis durant ces dernières années :
 sur le plan de la formation des urbanistes : la profession s’est beaucoup diversifiée, il est compris que la réponse spatiale (voir la critique du « spatialisme » selon Jean-Pierre Garnier) n’est pas suffisante, que les apports des sciences et des sciences sociales sont importants, que les expériences de développement durable sont à répertorier à critiquer et à assembler en modèles que l’on peut espérer efficaces, et même qu’un enseignement en cette matière est possible ; 
 sur le plan de la démocratisation : le pouvoir donné aux milliers de conseils municipaux de décider de l’aménagement de la ville, de leur localité, est sans doute à considérer positivement au lieu de dire qu’il faut au contraire revenir en arrière, qu’il faut le mettre hors de la portée de ces notables incompétents et égoïstes

Esquisse de ce que pourrait être une politique de développement massif de villes durables.

En s’inspirant des principes qui ont assuré le succès de la politique urbaine 1945-1975, on peut tenter d’identifier ceux qui pourraient architecturer une politique urbaine de la ville durable :

Sur le rôle de l’État :

On a du mal de concevoir qu’une telle révolution, de la ville, puisse faire l’économie d’une reprise de pouvoir de l’État (ou d’une puissance de même nature éventuellement transnationale, européenne) ; il n’y a pas de révolution de cette ampleur sans une mutation étatique d’ordre technique, idéologique, financière, socio-politique… 

Formes de cette politique :

Il s’agit sans doute moins de créer en 2020 les structures institutionnelles des années 1950 que de penser une politique d’offre de kits aux collectivités mais aussi aux mouvements de toutes sortes assortie évidemment d’une obligation de faire circonstanciée et d’une assistance technique.

Laisser l’urbanisation se faire ?

On ne peut guère espérer faire la ville à coup de grands ensembles immobiliers. On peut penser désormais faire une ville en laissant les urbanisations se faire selon des principes de convenance sociale dont on peut critiquer l’injustice (ségrégation) socio-politique. Cependant nous obtiendrons plus aisément un tissu social plus résistant et plus entreprenant en laissant les affinités sociales opérer l’urbanisation et il sera beaucoup plus facile et efficace de demander à chaque « communauté » de s’organiser et d’organiser des services communs. Nous devons accepter que la formation de la ville durable se fasse selon des critères de convenance sociale, quitte à organiser à l’échelle urbaine une intégration sociale. Ce réalisme social est le prix à payer pour obtenir une bonne performance des services susceptibles d’être créés « naturellement » par les citadins, mais aussi pour obtenir une bonne performance politique et de gouvernement des groupes.

L’équipement collectif comme organisateur de l’espace.

On ne peut ici qu’appliquer les principes qui sont généralement adoptés par les villes soumises à des risques sismiques : l’espace urbain est parcouru par une trame d’équipement qui est la voie d’acheminement d’une part des services et réseaux et d’autre part des secours en cas de catastrophe en même temps que l’espace de refuge de la population. On est conduit évidemment du point de vue de l’aménagement à faire de cette trame d’équipement la colonne vertébrale de la ville et donc de procéder à son expropriation avec la plus grande détermination.

La question de l’opérationnalité.

La trame d’équipement (sa caractérisation, sa localisation et l’incorporation au domaine public de son emprise foncière) est évidemment l’élément déterminant de l’organisation urbaine concevable. On inclut dans l’emprise de la trame les périmètres sanctuarisés en raison de leur importance écologique : des affleurements des nappes phréatiques aux réserves de biodiversité etc. On se méfiera de la tentation des fondateurs de villes ou quartiers durables de leur désir de s’approprier l’ensemble de l’espace et de procéder à des affectations parcellaires individuelles comme s’il s’agissait de grands ensembles, de nouvelles villes ou de villes nouvelles comme dans les années 1960. Il nous semble au contraire simplifier au maximum la planification et diviser l’espace en espace habitable et appropriable et en espaces publics ou communs comme on dit souvent.

La question des compétences.

La concentration des compétences d’urbanisme, d’aménagement, d’équipement et d’ingénierie, de promotion immobilière publique en quelques points du territoire (métropoles et grandes villes) n’est pas satisfaisante.. C’est l’ensemble du territoire qu’il s’agit de desservir, et certainement en continu. Les expérimentateurs des éco-quartiers semblent penser que l’animation socio-politique des groupes d’habitants et d’entreprises qui s’installent dans un lieu est devenu une sorte de spécialité nouvelle, là ils n’ont pas tort.

La question du roman.

Pour mobiliser, il est besoin de donner à espérer en fournissant la description de la ville qu’on veut créer. Jusqu’ici les politiques se contentaient de dire : « on vous promet l’ordre et le progrès et on s’occupe du reste ». Il est temps de convenir d’autre chose. C’est dans la description dessinée de la « ville promise » que les architectes ont fait leur notoriété. Les tenants de l’écologie urbaine doivent prendre le relai, décider d’une iconographie qui tient la route, trouver le chemin des esprits, des sensibilités mais montrer comment assurer la sécurité des habitants : leur permettre d’affronter calmement les grandes tempêtes climatiques.

Critique

Le retour à une organisation politique en forme de politique urbaine est à contre courant mais n’est pas illégitime en raison de la nature même du défi et de l’impossibilité de continuer à faire semblant de se complaire dans l’actuelle post-modernité qui semble attendre soit que Nexity soit prêt à faire du durable en masse soit qu’un régime autoritaire prenne le pouvoir

La difficulté principale n’est peut-être pas là. Elle se situe dans le principe même de la production des villes. Elles ne peuvent être que des organismes vivants, prenant en main leur aménagement et équipement permanent. Auront-elles le temps et le gout de préserver les droits de l’homme ? Qu’il s’agisse de mettre en demeure les habitants de respecter des règlements d’usage (de comportement en fait) de la ville, de changer leur mode de vie en fonction des aléas climatiques, d’appliquer les délibérations des conseils de gestion de quartier, de les faire participer à des travaux communautaires… nous nous acheminons vers une sorte de commune qui risque de se comporter comme certaines colonies religieuses américaines du XIX ième siècle.

Débat

1 – La question de la faiblesse de la production urbaine durable – Elle procède d’abord de la faiblesse de la production urbaine organisée elle-même, cette faiblesse est d’abord à aller chercher du côté de celle de la production urbaine.

2 – S’ajoutent, à mesure que le temps passe, les risques d’ordre climatique, en particulier : montée des eaux, tempêtes, incendies, modification du régime des vents, précipitations imprévisibles… Comment faire face à ces risques climatiques, comment faire de l’urbain résistant ? Les risques écologiques et les risques climatiques s’ajoutent. En bonne logique les villes durables devraient d’abord être conçues comme résistantes aux agressions climatiques avant d’être durables pour la simple raison que, pour devenir durable, il faut avoir survécu !

3 – La reconstruction d’une politique urbaine - Les leçons politiques de 1945-1975 servent d’armature à nos propositions. Si nous avons réussi de telles prouesses il y a à peine une cinquantaine d’années, nous pouvons le refaire. Nous ne nous plaçons pas ici sous une bannière technique. Nous exprimons principalement un point de vue politico-institutionnel comparatif, ou plutôt s’efforçant de trouver dans le passé des « perles » mais aussi esquissant des répétitions possibles. Nous ne tirerons pas de la politique urbaine de 1945 à 1975 une politique toute armée mais quelques « leçons d’expérience ».

Jean-François TRIBILLON pour l’AITEC, le 2 octobre 2019