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A Roanne, le collectif 88% réenchante la politique locale

Publié par AITEC, le 9 mars 2020.

Créé en 2017, à la suite de la décision du Conseil communautaire de Roannais Agglomération votant l’augmentation de 88% de l’indemnité du Maire LR de Roanne, Yves Nicolin, le collectif 88 pour cent s’est lancé en septembre dernier dans la création d’une liste citoyenne de gauche et écologiste, pour radicaliser la démocratie et porter localement une politique qui cherche à combattre les fins de mois difficiles et la fin du monde annoncée.

Du 27 février au 1er mars, le collectif organisait les 88 heures pour Roanne, “un festival joyeux, politique et militant”, destiné à présenter le programme aux habitant.e.s sous le signe de la politique du lien, de la rencontre et de la convivialité.

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Un festival joyeux, politique et militant pour faire de la politique autrement

“Nous appelons les nageurs, les cyclistes, les fonctionnaires, les précaires les commerçants, les demandeurs d’asile, les contribuables, les vulnérables, les LGBT, les bénévoles, les poètes, les gilets jaunes, les victimes du racisme, les manifestants, les retraités, ceux qui n’auront plus de retraite, ceux qui n’ont pas la parole, ceux qui n’osent pas la prendre, ceux qui ont envie de la prendre, ceux qui ne comptent pas pour le monde politique, ceux qui ne se sont pas augmentés de 88 %”. Ainsi était lancé l’appel sur le site du collectif 88 pour cent pour inviter les habitant.e.s de Roanne à venir découvrir le programme en 94 mesures que le collectif avait élaboré au fil des réunions lors des derniers mois, centrées sur des objectifs de démocratie, de justice sociale et écologique.

Rencontres, repas partagés, conférences, projections, théâtre, parades de vélo, chorales, ateliers de cirque pour enfants, concerts, lectures de poèmes, visites de Roanne au fil de l’histoire ouvrière... pendant 88 heures, tout au long du jour et de la nuit, Roanne a vécu au diapason de de la politique de la rencontre.

Le programme a été conçu de façon décentralisée par les membres du collectif et se déroulait dans plusieurs endroits de la ville, dont un chapiteau, monté spécialement pour l’occasion avec les moindres deniers de la caisse de campagne. Des défis étaient même organisés, comme la tournée nocturne des boulangeries où les militant.e.s allaient offrir un café au travailleur.euses pétrissant le pain de bon matin.

Pour Franck Beysson, tête de liste du collectif, “le Festival des 88 heures, reflète la diversité du collectif qui s’est construit depuis trois ans autour d’une autre façon de faire de la politique, avec de l’humour et avec d’autres approches. C’est un mélange de politique, de joie, de vivre ensemble, d’éducation populaire pour ouvrir les espaces, pour qu’on soit à la rencontre des gens sous différentes formes, pour qu’il y en ait pour tous les goûts ”. Le programme s’est construit en un mois, sur la base des propositions des un.e.s et des autres.

Un collectif créé en 2017 pour dénoncer le tout pouvoir du maire

Le collectif s’est constitué en août 2017, alors qu’un article dans la presse locale avait révélé qu’Yves Nicolin, maire LR, de la ville, également président de l’agglomération du grand Roanne, avait fait voter en Conseil de la Communauté d’Agglo, l’augmentation de 88% de son indemnité de maire afin de compenser la perte de son indemnité de député et de continuer à percevoir entre 8 000 € et 9 000€ par mois. Au pouvoir depuis 2014, après un précédent mandat de 2001 à 2008, M. Nicolin avait dû renoncer à son poste de député, dans le cadre de la nouvelle loi sur le non-cumul des mandats.

Indignés par cette situation, Raphael, Pierre et Camille, trois jeunes travailleur.euses de Roanne passionné.es de théâtre, créent une page Facebook intitulé “Collectif 88%” pour dénoncer sur le ton de la parodie et de l’humour les excès du maire. Le collectif commence à faire des actions dans l’espace public afin de dénoncer cette augmentation, dans une ville fortement affectée par la désindustrialisation, où le taux de chômage dépasse les 20% et le taux de pauvreté avoisine les 30%.

Les actions dans l’espace public s’enchaînent, faisant émerger ce mode de contestation basé sur l’intervention artistique et joyeuse, les happenings : déploiement d’une banderolle avec un chèque géant en salle des mariages lors des journées du patrimoine, organisation d’un banquet lors du festival de gastronomie “Table ouverte” avec un “burger quizz” pour dénoncer les excès du maire, actions théâtrales dans l’espace public représentant la scène du conseil communautaire où le maire défend son augmentation, diffusion de tracts dans les manifestions pour le climat, ou les journées de grèves...

Peu à peu le collectif se consolide. Des personnes d’horizons divers et de différentes générations confluent. Certain.e.s venu.e.s des marches pour le climat, qui se sont politisé.e.s peu à peu, au-delà de “l’écologie des usages personnels”, pour une écologie plus radicale et critique du système capitaliste, comme dit Camille Blois, membre fondatrice du collectif. Puis des gilets jaunes, des militant.es syndicaux.ales, des artistes, des personnes non encartées aussi. Aujourd’hui le collectif réunit une soixantaine de personnes actives.

Ce n’est qu’en septembre 2019, que le collectif se décide à s’engager dans la bataille des municipales et à constituer une liste citoyenne. “Après avoir participé à quelques réunions de du groupe PC- PS, nous nous sommes rendu.es compte que nous ne nous retrouvions pas dans la façon de fonctionner ni dans les propositions politiques, explique Camille Blois. On a annoncé notre candidature parodique en septembre 2018, puis elle est devenue à l’automne 2019 une liste citoyenne moins basée sur l’humour. »

Camille Blois a 26 ans. Arrivée à Roanne depuis quelques années pour exercer en tant que jeune orthophoniste, elle est actuellement en formation pour faire du théâtre et est militante syndicale à la CGT. Membre fondatrice du collectif, elle avoue avoir éprouvé quelques doutes au moment où le collectif s’est constitué en liste et s’est finalement positionnée quarantième sur la liste de 39, c’est à dire suppléante.

Au début, la liste n’est pas constituée. Le collectif préfère travailler sur le fond plus que sur les personnes. Une rencontre a lieu où chacun.e fait part de ses valeurs et des éléments les plus importants pour rédiger collectivement un manifeste commun, à partir d’ateliers d’écriture. Puis, des groupes de travail thématiques, rendant compte à l’ensemble du mouvement régulièrement, rédigent les bases du programme en 94 mesures, autour de trois axes : social, écologique et démocratique. Le programme démontre l’importance du travail des militant.es qui se sont inspiré.es d’expériences similaires dans d’autres collectivités.

Le collectif utilise des modes d’animation participative, qu’il applique régulièrement ou des pads pour coopérer sur des documents. Les militant.es les plus âgé.es, comme Dominique , militante à Europe Ecologie Les Verts, reconnaissent que cela a supposé un certain temps afin de s’habituer à ces outils, mais elle reconnaît en même temps puiser dans cette dynamique une régénerescence politique.

L’écoute, le respect et l’enthousiasme sont palpables lors des rencontres. Ce qui fait la force de ce collectif c’est qu’il n’est pas centralisé, personne ne parle pour les autres.

Après que le collectif se soit consolidé, la France Insoumise, EELV et le PC ont rejoint la dynamique, apposant leur soutien à la liste citoyenne. Cela a permis que les partis adhèrent à l’acquis du collectif et n’imposent pas leurs méthodes ou leurs logiques d’appareil. Des groupes coexistent dans le groupe mais la parole est égalitaire, une personne – une voix et le collectif tisse l’unité dans la diversité.
Jean-Pierre Décloître est vingt-troisimème sur la liste, ouvrier retraité, ancien soixante-huitard, qui se décrit comme un journaliste de la première heure, était dégoûté de la politique, “la liste “88 pour cent” et son programme participatif, est pour lui l’occasion de redonner la parole aux gens”.

Franck Beysson a été désigné tête la liste à l’occasion d’une élection sans candidats, c’est à dire que les militant.e.s l’ont désigné pour les qualités sur lesquelles iels s’étaient accordé.es pour la tête de liste : la capacité d’écoute et à fédérer et les facultés à porter la voix de l’ensemble du collectif dans les médias. Franck a 33 ans et travaille dans une association qui fait de l’éducation populaire sur les questions environnementales. Engagé dans les marches pour le climat et sur les ronds-points avec les gilets jaunes, il est également militant à Attac et a su fédérer les diverses tendances qui font la richesse du collectif.

“A Roanne, dit-il, il y a des personnalités politiques de classes supérieures bien implantées, qui décident pour les autres, sans répondre aux urgences sociales et écologiques, mais au contraire en maintenant un système qui nous pousse droit dans le mur. Notre enjeu, c’est de renforcer la participation locale des gens qui n’ont pas d’intérêts personnels dans la gestion de la ville. Nous voulons mettre en place des mesures de démocratie directe de façon à permettre aux gens de décider et à reprendre en main leur destin, à comprendre la complexité des problèmes et à décider avec nous. ”

Réinventer l’avenir de Roanne

Dans cette ville de 36 000 habitant.es de la Loire, au centre de la France, la désindustrialisation a laissé des traces douloureuses. L’industrie textile qui embauchait la plupart des femmes de la région, a décliné progressivement. Les dernières bonneteries et tricotteries de Roanne ont fermé leurs portes au début des années 2000, délocalisant leurs ateliers en Tunisie.

L’entreprise publique d’armement Arsenal qui embauchait 3000 personnes dans les années 90 a été privatisée et restructurée en 1995.

L’agriculture aux alentours a vécu les remembrements de la SAFER dans les années 60 et compte désormais une monoculture d’élevage de vaches charolaises et laitières, sur d’immenses terrains.

Le premier employeur de Roanne est désormais l’hôpital public, un équipement immense, construit récemment grâce à des emprunts toxiques et faute de moyens, n’ayant pas la possibilité d’accueillir autant de patients que son espace le permettrait.

Comme bien d’autres villes intermédiaires et post-industrielles, les édiles locaux ont cédé aux promesses d’emploi des enseignes de la grande distribution, adaptant leur urbanisme pour implanter des zones commerciales sur des terres agricoles et entraînant les fermetures progressives du petit commerce et des filières de production locale.

Remettre l’écologie au cœur des responsabilités politiques, telle est l’ambition du collectif 88 pour cent.

Répondre à l’urgence sociale et écologique à travers la mise en place de la démocratie réelle

D’un point de vue écologique, Roanne a été développée autour de la voiture avec un urbanisme qui oblige les gens à utiliser leurs véhicules. Le collectif souhaite donner une place différente à la voiture et proposer d’autres possibilités. Un des points forts du programme est aussi la lutte contre l’artificialisation et la préservation des terres et la question de développer l’agriculture et des filières de transformation locale, pour dépendre le moins possible des énergies fossiles et construire une communauté résiliente.

Pour Franck Beysson, “ce qui marque la rupture avec d’autres courants politiques sur les enjeux du territoire, c’est la volonté de renouer avec un modèle de développement radicalement différent, en préserver les milieux naturels et agricoles. Le collectif 88 pour cent s’oppose en effet très fortement au projet d’extension du golf des Villerest qui va grignoter des terres agricoles et d’une forêt, et suppose de construire une conduite d’eau de trois kilomètres dans une zone qui est en déficit hydrique pour permettre à des nantis de toute la France de venir jouer au golf.” Pour lui, c’est un des enjeux principaux de l’articulation entre les questions sociales et environnementales.

Le Conseil de l’Agglo défend un projet d’implantation de l’entreprise ID logistique, un entrepôt de distribution pour les grandes surfaces et le e-commerce du groupe AUCHAN, qui menace de bétonner 50 hectares de zone agricole. Ce projet est supposé créer 200 emplois dans les périodes de haute saisonnalité avec des perspectives d’automatisation du travail et drainer 150 camions par jour. “ID logistique est cotée en bourse et réalise des excédents monstrueux”, nous dit Franck. Cette entreprise est aussi réputée pour la précarisation de ses employé.es, très peu payé.es et à qui on demande des cadences infernales. Pour Franck Beysson, cette entreprise s’inscrit dans un modèle économique mondialisé qui détruit les filières locales et les petits commerces.

Roanne est aussi un des fleurons de l’industrie de l’armement. L’entreprise Nexter, ancienne entreprise publique Arsenal, a été privatisée à la fin des années 90, avec un plan de restructuration massif. Les effectifs sont passés de 3000 à 350 emplois. La liste citoyenne souhaite porter le débat sur le territoire au sujet de la présence de cette industrie qui fabrique des armes utilisées dans des conflits comme le Yémen. Le collectif 88 pour cent milite pour la renationalisation de cette entreprise, et milite pour un armement défensif et de filières de déconstruction d’armes.

La liste des 88 pour cent entend aussi affirmer être une ville accueillante et solidaire, développer l’accès aux droits, soutenir le tissus associatif et l’ESS, mettre en œuvre les droits culturels partout dans la ville, contre l’économie libérale, qui détruit les liens et l’environnement.

A Roanne, aucun sondage n’a été réalisé autour des municipales. Rien n’est prévisible. Malgré l’investissement fort des membres du collectif et sa créativité, l’accès aux médias reste difficile. Une inconnue reste de savoir si les gens vont se mobiliser pour voter.

Les dernières semaines s’annoncent incertaines et enthousiastes à la fois, même si la grande inconnue reste de savoir si collectivement le collectif accepterait de gouverner avec le PS ou fera le choix de continuer à construire le pouvoir local, dans le contre-pouvoir de l’opposition et de la rue.

https://www.collectif88pourcent.fr/

Magali Fricaudet pour l’AITEC
5 mars 2020



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