AITEC
Bouton menu

Les 10 raisons de s’opposer à l’accord UE-Mercosur

Publié par Collectif Stop CETA-Mercosur, AITEC, le 2 novembre 2020.

Commerce et développement Négociations commercialesUnion européenneaccord UE-MercosurEnvironnementMultinationalesaccords UE-Amérique latine



Partager :

bouton facebook bouton twitter Bouton imprimer

Jamais un accord de libéralisation du commerce n’avait été aussi contesté : selon un sondage publié le 10 septembre 2020, et réalisé dans quatre pays européens (France, Allemagne, Pays-Bas et Espagne) avec des résultats similaires pour chaque pays, près de 80% des personnes interrogées veulent que cet accord entre l’Union européenne et les Etats du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) soit abandonné. Le message est clair : ne plus approfondir la mondialisation néolibérale et productiviste au détriment du climat, de l’Amazonie et des emplois. Ce message porte dans l’opinion, et dans les institutions : les parlements autrichiens, hollandais, irlandais et wallon se sont déjà prononcés contre cet accord, tandis que plusieurs gouvernements ont été conduits, sous la pression, à émettre de vives réserves.

Pour autant, la Commission européenne et les ministres du commerce des États-membres de l’UE ne veulent pas « jeter à la poubelle 10 ans de travail » et désirent sauver ce projet d’accord. Peut-être en le complétant d’un protocole additionnel ou d’une déclaration interprétative, comme ce fut fait pour le CETA sans que cela ne change la nature d’un accord profondément dangereux sur les plans social, écologique, sanitaire et des droits humains. Autour d’un double message "Non à l’accord UE-Mercosur - Oui à la Relocalisation écologique et solidaire", il s’agit désormais d’augmenter la pression citoyenne pour que ce projet d’accord soit purement et simplement abandonné et d’oeuvrer à ce que la politique commerciale européenne soit revue en profondeur.

Raison n°1 - Un accord anachronique, toujours pas abandonné.

Les négociations ont débuté en 1999, alors que près de 70% du commerce mondial était l’apanage des Etats-Unis, de l’UE, du Japon et du Canada, et alors que la Chine, le Brésil ou l’Inde n’étaient pas encore des puissances mondiales ou régionales. La crise climatique, l’effondrement de la biodiversité ou l’aggravation des inégalités mondiales passaient sous le radar d’une période d’approfondissement de la mondialisation. Depuis vingt ans, les négociations se sont déroulées dans une grande opacité. Le mandat de négociations de la Commission, qui ignore le défi climatique, n’était pas public et il a fallu que ce soit la société civile qui le fasse fuiter en 2019. Quant à l’étude d’impact commandée par la Commission, de médiocre qualité et toujours pas définitive, elle n’a été publiée qu’une fois les négociations finalisées.
En France, après avoir déclaré en juin 2019 que l’accord UE-Mercosur était un « bon accord commercial, bon pour nos entreprises et nos emplois », Emmanuel Macron s’est ravisé quelques semaines plus tard, alors que l’Amazonie partait en fumée, en déclarant qu’il ne « signerait pas le Mercosur en l’état ». En juin 2020, devant la Convention citoyenne pour le climat, il a prétendu de manière erroné « avoir stoppé net les négociations avec le Mercosur », alors que celles-ci se poursuivaient tranquillement. Enfin, à l’occasion de la remise du rapport de la commission d’évaluation, le gouvernement a indiqué rester « opposé au projet actuel », en pointant le problème « majeur » de la déforestation, sans pour autant annoncer renoncer à un accord entre ces deux blocs régionaux qui représentent un quart du PIB mondial, soit 18 000 milliards d’euros (dont 87% pour la seule UE) et près 775 millions d’habitants (513 millions en UE).

Raison n°2 - Une dépendance accrue des pays du Mercosur aux marchés mondiaux

Les économies des pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) sont fortement dépendantes des marchés mondiaux, les rendant fragiles et peu résilientes face aux chocs extérieurs. Les exportations du Mercosur, majoritairement portées par des entreprises multinationales étrangères, sont en grandes parties composées de produits agricoles et de ressources naturelles (minerais, etc), le plus souvent bruts. Cette dépendance limite la possibilité de conserver et redistribuer la valeur ajoutée sur leurs territoires et les oblige bien souvent à supporter un coût environnemental élevé et de nombreuses violations des droits humains.

Cet accord aurait pour effet d’approfondir cette spécialisation primaire au détriment d’une diversification de leur économie et de la préservation des grands écosystèmes bio-diversifiés qui sont vitaux pour le climat mondial. Si l’accord prévoit de supprimer plus de 90% des droits de douanes sur les échanges entre les deux zones, il va surtout favoriser les secteurs automobile, chimique et pharmaceutique européens, et le secteur agro-exportateur issu de monocultures des pays du Mercosur. Les asymétries économiques entre l’UE et les pays du Mercosur vont donc s’approfondir au détriment de la diversité, de l’autonomie et de la résilience des économies locales.

Raison n°3 - Les droits humains et les libertés publiques sacrifiés sur l’autel du commerce international ?

Le projet d’accord comporte trois volets : un volet commercial, mais aussi deux volets portant sur le « dialogue politique » et la « coopération » qui doivent permettre à l’UE de montrer qu’elle promeut les principes démocratiques et ses valeurs fondamentales (droits humains, libertés, etc), sans pour autant qu’ils aient une même force normative et exécutoire que le volet commercial. Par ailleurs, les cas documentés de violations des droits humains et de violences physiques envers les populations autochtones ne cessent d’augmenter au Brésil. Un tel accord, s’il devait être finalisé et ratifié, conduirait donc à légitimer et récompenser de telles pratiques, à rebours des valeurs démocratiques que l’UE revendique.

Dans une lettre ouverte publiée en juin 2019, plus de 340 organisations de la société civile rappellent que les « violations des droits humains et attaques contre les minorités, les populations indigènes, les LGBTQ et autres communautés traditionnelles » se sont multipliées depuis l’investiture du président brésilien Jair Bolsonaro en janvier 2019 : au mois de février 2019, au moins 14 territoires indigènes protégés auraient été attaqués. Une réalité que l’UE ne devrait accepter au regard de ses propres valeurs et engagements, et qui justifie à elle seule d’abandonner ce projet d’accord.

Raison n°4 - Un accord incompatible avec la lutte contre les dérèglements climatiques.

Alors que Bruxelles entend faire du « Green deal » sa nouvelle marque de fabrique et placer l’UE à la pointe avancée du combat climatique, l’accord UE-Mercosur, finalisé presque cinq ans après l’Accord de Paris sur le climat, mine cette ambition : l’accord de Paris n’est mentionné que dans le chapitre sur le développement durable, seul chapitre à ne pas avoir de force exécutoire et contraignante. Puisant son origine à la fin des années 1990, l’accord UE-Mercosur fait comme si le réchauffement climatique n’était pas devenu une priorité et comme si l’expansion du commerce international pouvait s’exonérer de toute responsabilité en la matière.
Un accord de commerce qui vise à augmenter les flux commerciaux entre les différentes parties de l’accord contribue structurellement à augmenter les émissions de gaz à effet de serre (GES). En allongeant les chaînes d’approvisionnement au détriment d’un commerce local et soutenable, cet accord approfondit un système commercial faisant par exemple faire des dizaines de milliers de kilomètres à des produits alimentaires pourtant déjà disponibles dans chacun des pays. A l’heure de la pandémie de COVID-19 et d’un dérèglement climatique aux effets chaque année plus significatifs, n’est-il pas anachronique de vouloir accroître le transport international de marchandises, alors qu’il n’est pas couvert par des objectifs de réduction d’émissions de GES et par l’Accord de Paris ?

Raison n°5 - Primauté du droit commercial sur l’intérêt général.

Le chapitre sur le commerce et le développement durable est souvent présenté comme une avancée, car il comprend des sujets tels que les dérèglements climatiques, la déforestation dont l’exploitation illégale du bois, les normes sociales ou la responsabilité sur les chaînes d’approvisionnement. C’est aussi le seul chapitre qui fait référence au principe de précaution, parmi les centaines de pages du projet d’accord. Mais là où les chapitres portant sur les règles commerciales sont précis, exécutoires et pouvant être l’objet de sanction si elles ne sont pas respectées, celui-ci se limite à lister des engagements déjà pris et généraux, sans aucun objectif et dispositifs contraignants en la matière.
C’est pourtant le seul chapitre qui ne puisse être mobilisé par l’une des parties pour faire valoir ses droits ou la bonne application de l’accord. Comme dans tout accord de commerce de ce type, il existe en effet un mécanisme de règlement des différends entre Etats qui permet à l’un d’eux de faire valoir ses droits : le chapitre sur le développement durable est le seul chapitre qui ne puisse conduire à des sanctions commerciales au cas où certains engagements pris en matière de lutte contre les dérèglements climatiques ou de déforestation ne seraient pas respectés.

Raison n°6 - Vers la déstabilisation des marchés agricoles

L’UE prévoit de libéraliser totalement 82 % des importations agricoles en provenance du Mercosur, le reste l’étant partiellement. En retour, les pays du Mercosur suppriment 93 % de leurs lignes tarifaires pour les importations de produits agroalimentaires. Tourner les systèmes agricoles vers l’exportation génère un effet néfaste sur les prix à la production dont dépend la rémunération des agriculteurs, aggravant leur dépendance envers les marchés mondiaux et le basculement des systèmes agricoles vers des modèles insoutenables. Ainsi, l’UE, qui doit déjà exporter ses surplus de production de porc, accorde un quota supplémentaire d’importation de porc aux Etats du Mercosur. Ce qui revient à généraliser une étrange logique consistant à importer des produits déjà disponibles suffisamment en Europe.
Les pays du Mercosur représentent déjà près de 80 % de toutes les importations de viande de boeuf en Europe pour un montant total de près de 270 000 tonnes : les 99 000 tonnes de boeuf à tarif préférentiel (7,5%) prévues par l’accord pourraient donc déstabiliser les marchés européens. Tout comme le quota de 180 000 tonnes de viande de volaille supplémentaire. L’accord prévoit également un quota de 650 000 tonnes d’éthanol par an, bien supérieur aux importations actuelles. Selon l’étude d’impact publiée par la Commission, les productions de boeuf et de sucre dans l’UE devraient baisser de 0,7%, tandis qu’elles augmenteront respectivement de 1,2% et 1,7% au Brésil. Vont en résulter une pression à la baisse sur les prix à la production, l’intensification des cultures, l’utilisation de béquilles chimiques et d’OGM, en plus de pollutions accrues et de la destruction de la biodiversité.

Raison n°7 - Vers toujours plus de déforestation ?

C’est l’un des effets majeurs de l’accord UE-Mercosur : accroître les importations en Europe de produits tels que la viande, l’éthanol, le soja encourageant la monoculture agricole qui est l’un des moteurs importants de la déforestation en Amazonie, dans le Cerrado ou encore des forêts tropicales sèches du Chaco, qui sont pourtant essentielles pour la stabilisation du climat mondial et pour la biodiversité. En Amazonie brésilienne, 63 % des terres déboisées sont utilisées pour le pâturage du bétail. Plus de la moitié des émissions de CO2 du Brésil sont dues au changement d’utilisation des terres, tandis qu’au Paraguay, ce chiffre est de 70 %.

L’accord ne comprend aucun mécanisme qui pourrait garantir, de quelque manière que ce soit, que les différents Etats respectent leurs engagements en matière de lutte contre la déforestation. Que ce soit sur leur territoire ou que ce soit pour juguler ce que l’on appelle la déforestation importée. Si la lutte contre la déforestation exige bien d’autres mesures que le seul rejet de l’accord UE-Mercosur, renoncer à cet accord est indispensable pour ne plus apporter la caution de la France et de l’UE au système agro-industriel sud-américain, source de déforestation et de violations des droits humains. Il est illusoire d’imaginer que quelques menues mentions de ces enjeux dans un chapitre sur le développement durable, non contraignant, ou pire, dans une déclaration annexe, soit de nature à résoudre ce défi : depuis que Jair Bolsonaro a pris ses fonctions de président du Brésil en janvier 2019, le niveau de déforestation a explosé et la législation visant à limiter l’impact de la production agricole sur la déforestation a été démantelée.

Raison n°8 - Protéger la planète ou vendre des pesticides au Mercosur ?

Avec les Etats-Unis, le Brésil est le plus grand consommateur de pesticides au monde, avec environ un milliard de tonnes par an. L’étude d’impact produite par l’UE indique que « l’utilisation des pesticides a augmenté dans tous les pays du Mercosur (...) et que près d’un tiers des pesticides utilisés au Brésil sont considérés comme dangereux ». L’épandage aérien, interdit dans l’UE, est autorisé dans les pays du Mercosur. Depuis l’entrée en fonction de Jair Bolsonaro en janvier 2019, 290 produits agrochimiques ont été approuvés entre janvier et juillet 20191. Près de 70% de ces pesticides sont utilisés pour le soja, le maïs et la canne à sucre génétiquement modifiés. L’augmentation de l’importation de ces produits entraînera une augmentation mécanique de l’utilisation de pesticides.
Les entreprises européennes fabriquant des engrais et des pesticides, telles que BASF et Bayer-Monsanto, se frottent les mains2. L’UE a ainsi autorisé l’exportation de plus de 80 000 tonnes de pesticides qui sont pourtant interdits d’utilisation en Europe3. Le Brésil, avec les Etats-Unis, fait partie des premiers clients des entreprises européennes de ce commerce controversé. En 2019, l’UE a donné son feu vert à l’exportation de neufs nouveaux pesticides interdits, la France étant à l’origine de plus de la moitié de ces nouvelles exportations. Autant de pesticides qui, par effet boomerang, pourraient se retrouver à la table des consommateurs européens. Dans le même temps, leur utilisation empoisonne les populations rurales de ces pays. L’UE, loin de contribuer à « exporter » ses standards environnementaux et sanitaires, exporte des poisons.

Raison n°9 - Détruire toujours plus d’emplois au nom des exportations ?

Un accès privilégié aux marchés sud-américains pour les entreprises exportatrices européennes est le principal argument mis sur la table par la Commission européenne : la suppression des droits de douane sur tout une série de produits, tels que les voitures (35 % de droits de douane) et pièces automobiles détachées (14-18 %), les machines (14-20 %), les produits chimiques (jusqu’à 18 %) et les médicaments (jusqu’à 14 %) est mise en avant pour justifier un tel accord. Il faut en attendre des pertes d’emplois conséquentes dans les pays du Mercosur : selon une étude, 186 000 emplois pourraient être perdus dans le secteur industriel de la seule Argentine.

D’une manière générale, cet accord pousserait les secteurs industriels et économiques des pays du Mercosur à se restructurer avec une spécialisation accrue dans l’exportation de produits agricoles et de ressources naturelles, qui génèrent peu de plus-values territorialisées, au détriment de secteurs non négligeables dans l’industrie manufacturière (automobile, textile, etc). Une industrie manufacturière qui compte pour beaucoup dans les échanges commerciaux internes au pays du Mercosur qui avaient décidé d’un tarif extérieur de 35% sur les importations de voitures pour encourager l’installation d’usines automobiles dans ces pays. Sa suppression conduira l’ensemble du secteur à se tourner vers des fournisseurs européens plutôt que locaux, avec de forts impacts négatifs sur l’emploi et le climat ?.

Raison n°10 - Haro sur les marchés et les services publics !

Les multinationales européennes, et notamment françaises, sont prêtes à sauter sur l’occasion : l’accord doit leur ouvrir l’accès aux marchés publics nationaux et locaux des pays du Mercosur. Les entreprises de l’UE pourront ainsi participer à des appels d’offre pour la gestion de l’eau et de l’assainissement ou relatifs aux transports et s’approprier des pans entiers des économies locales au détriment des entreprises et, pour partie, des emplois, des pays du Mercosur. Les petites et moyennes entreprises locales seront les grandes perdantes, et les multinationales sud-américaines de ces secteurs seront conduites à devoir s’aligner sur les champions européens en la matière.

D’une manière générale, le secteur des services est largement libéralisé : l’UE, et ses entreprises qui exportent deux fois plus qu’elles n’importent en la matière (23 milliards contre 11 milliards) en sortira la grande gagnante au détriment des entreprises du Mercosur. Les dispositions de l’accord en matière de commerce électronique limitent par ailleurs la possibilité de taxer les transactions électroniques internationales. Les Etats peuvent ainsi taxer leurs consommateurs nationaux lorsqu’ils accèdent à des services électroniques, mais le projet d’accord limite considérablement la possibilité de taxer les entreprises qui génèrent des profits à partir de ces activités économiques. Les pertes de recettes fiscales sont alors considérables et elles toucheront d’abord les pays du Mercosur

Conclusion

Cet accord de libéralisation du commerce entre l’UE et les pays du Mercosur n’aurait jamais dû être promu et soutenu par les États-membres de l’UE, dont la France. Bolsonaro ou pas, feux de forêts ou pas, c’est le contenu et la logique même de cet accord qui sont inacceptables. Un tel accord approfondirait un peu plus une globalisation économique et financière que rejette une part croissante de l’opinion publique et qui a été profondément délégitimisée par la pandémie de Covid19. L’heure n’est plus celle d’une mondialisation qui fait de l’intérêt des multinationales (ouverture des marchés, protection de leurs intérêts) un objectif supérieur à la protection de la planète, aux droits sociaux et droits des populations. Ce projet d’accord entre l’UE et le Mercosur empêche la relocalisation de notre système agricole, alimentaire et économique à laquelle aspirent les populations. Il est temps que revoir en profondeur la politique commerciale européenne et s’engager à garantir les droits de tou.te.s les citoyen.nes - y compris la santé, les droits des travailleurs, les agriculteurs, etc.- et la protection de la planète.



Sur le même thème

Commerce et développement

Accord UE-Mercosur Première analyse de « l’instrument conjoint » proposé par Bruxelles

Commerce et développement

BREAKING : Accord-UE-Mercosur – Révélation d’un document secret

Commerce et développement

Accord UE-Mercosur : opacité, secret et manque de transparence.

Commerce et développement

L’accord de libéralisation du commerce UE-Mercosur n’est pas mort