AITEC
Bouton menu

La criminalisation de l’occupation, une tendance européenne contre le droit au logement

Publié par AITEC, le 26 mai 2023.

Droit au logement et droit à la villeMouvement social et citoyenFinanciarisation du logementLogement socialMal logement



Partager :

bouton facebook bouton twitter Bouton imprimer

Interview d’Irene Escorihuela, directrice de l’Observatoire des Droits économiques, sociaux et culturels de Barcelone

Le 27 avril dernier, le congrès espagnol a approuvé en première lecture un projet de loi sur le droit au logement en Espagne. Première loi sur le droit au logement en Espagne, demandée par les mouvements sociaux, dont nos partenaires de l’Observatoire des droits économiques sociaux et cultuels de Barcelone (ODESC), ce projet de loi est pourtant loin de répondre aux enjeux actuels du droit au logement en Espagne et les organisations sociales continuent à se mobiliser pour que la loi aille plus loin. Pendant ce temps, le Parlement catalan examine aussi une loi criminalisant le squat. Interview avec Irene Escorihuela, directrice de l’Observatoire des Droits économiques, sociaux et culturels de Barcelone, qui nous explique rapidement le contexte et la mobilisation sociale.

Pouvez-vous nous présenter l’Observatoire des droits économiques sociaux et culturels de Barcelone ainsi que les enjeux auxquels vous faites face actuellement ?

Nous travaillons sur différents sujets, mais surtout sur le droit au logement et le droit à la ville. Il y a 20 ans, nous avons commencé à faire des projets en coopération avec l’Amérique latine. Et quand la crise de 2008 est arrivée, nous nous sommes demandé·e·s pourquoi travailler exclusivement avec ces pays, alors qu’il y a aussi violation des droits humains ici en Espagne. Dès lors, nous avons été très actives et actifs dans le soutien des victimes d’expulsions. Début 2009 correspond aussi à la formation de la Plataforma de Afectadas por la Hipoteca (Plateforme des victimes du crédit hypothécaire). Cette période était difficile car cette situation était complètement mise sous silence en Espagne, cette crise du logement n’était ni portée comme un enjeu politique, ni à l’agenda des pouvoirs publics. Les gens avaient honte d’expliquer l’impossibilité de payer leur logement à cause de la crise et de la perte d’emploi. Nous avons donc commencé à nous organiser, à expliquer la situation à la population, récolter des données, etc. En voulant faire de ce problème un enjeu public, nous nous sommes rendu compte qu’il était massif. Il y a eu plus de 400 000 explusions de logement en Espagne depuis 2008 [1]. Et ce phénomène continue, plus de 41 000 explosions ont eu lieu en 2021 - soit une augmentation de 40% par rapport à 2020 selon la Fondation Abbé Pierre [2].
Après 2009, nous avons aussi travaillé avec les Nations Unies et la sphère internationale qui dénonçait cette situation en Europe.

En 2013 il y a eu un changement de loi qui a précarisé les locataires, de plus en plus nombreux·ses en Espagne du fait de la crise des subprimes de 2008 qui a créé une forte demande sur le marché du logement [3]. Cette loi prévoyait l’option pour le propriétaire de revoir les loyers à sa guide selon les prix du marché à l’issue d’une période de trois ans. Dans certaines zones tendues comme à Barcelone, cela a conduit parfois à des hausses soudaines d’un tiers du montant du loyer, obligeant les locataire à quitter leur appartement. Il y a aussi beaucoup d’occupations (squats). Il y a peu de logement social donc celles et ceux qui ne peuvent pas se loger n’ont pas le choix, d’autant plus qu’il y a énormément de logements vides en Espagne.

Donc pour résumer, nous avons eu les problèmes d’hypothèques, puis les problèmes liés aux loyers ainsi que les occupations. Au niveau de l’Observatoire, nous écrivons des rapports, nous accompagnons différentes campagnes, nous faisons du plaidoyer en lien avec les pouvoirs publics et le législateur. Nous avons par exemple travaillé dernièrement sur les effets néfastes de plateformes comme Amazon, Netflix ou Glovo (lien vers le rapport). Donc nous travaillons aussi sur les droits du travail, la justice climatique, etc.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus concernant l’état actuel du droit au logement à Barcelone, et plus largement en Espagne ?

Nous avons très peu de logement social, seulement 2%. Le reste correspond au marché privé qui est terriblement cher. Et nous n’avons aucune loi qui régule les prix des loyers. Nous avons beaucoup travaillé sur 2 aspects. Tout d’abord les expulsions, qui sont très nombreuses - environ 10 par jour à Barcelone. La mairie travaille beaucoup à la réduction de ces expulsions, mais c’est notamment les mouvements sociaux qui permettent d’en éviter certaines en s’interposant directement entre la police et les locataires sur le point de se faire expulser. Donc nous aimerions non seulement que le projet de loi pour le droit au logement que nous avons proposé au Parlement espagnol au côté d’autres organisations sociales [4] arrête les expulsions, mais aussi qu’il y ait un encadrement des loyers prévu. Nous avons eu une loi sur le logement en Catalogne il y a 2 ans qui était plutôt efficace car elle avait permis de réduire les prix des loyers, mais elle a été annulée par la Cour Constitutionnelle [5]. Selon la Cour, c’est au gouvernement national de réagir à ce propos et non au parlement catalan.

Cela fait plus de 2 ans que nous luttons en faveur de cette loi mais le parti socialiste (majoritaire au gouvernement) ne veut pas passer cette mesure qui correspondait pourtant à une mesure phare de la coalition de gouvernement avec Podemos pour former un gouvernement commun.

En Catalogne, il y a aussi une nouvelle loi qui vise a expulser plus facilement les personnes logeant dans des squats/occupations [6]. Cette nouvelle loi autoriserait les mairies et les communautés de propriétaires (copropriétés) à se substituer au propriétaire pour demander elles-mêmes l’expulsion des locataires qui ne payent pas leur loyer ou les squatteur·se·s. Nous pensons que c’est un réel danger, car cela pourraient être fondé sur la supposée gêne des voisin·e·s, par exemple, ce qui pourrait être très discriminatoire. Même les mairies disent qu’il y a un gros problème d’occupations alors qu’elles sont en baisse cette année. De même que les médias qui affirment que c’est le problème le plus important du pays.
Nous avons réalisé un plaidoyer et avons pu obtenir un accord : les mairies pourront toujours être à l’origine des expulsions, mais pas les co-propriétés. Pourtant, ce qui était important pour nous était d’au moins interdire les expulsions concernant les personnes en situation de vulnérabilité. Le gros problème de cette loi est le concept très large de « nuisance ». Car derrière ça, il y aura beaucoup de racisme, de volonté de se débarrasser de personnes pauvres, sans ressources.

Quel est la position de la mairie de Barcelone au sujet de cette loi ?

Le parti de la mairie a voté contre cette loi, c’est la droite qui a voté pour (Convergencia et le parti socialiste). La mairie demande surtout une loi au niveau national permettant un plafonnement des loyers.

Est-ce que l’Observatoire s’appuie sur des alliances au niveau européen ? Est-ce que l’échelle européenne a une importance dans vos modes d’action ?

Nous faisons parti de HIC, Habitat International Coalition. Nous avons participé à la Coalition Européenne d’Action pour le Droit au logement et à la ville il y quelques temps, mais nous n’étions pas très actif·ve·s. Donc nous sommes plutôt mobilisé·e·s au niveau local, au niveau de la Catalogne et de l’Espagne, puis à l’échelle internationale.

Le DESC participera également au festival international du logement social (International Social Housing Festival 2023 - ISHF) qui a lieu à Barcelone ce mois de juin. Lien vers le programme du DESC.

Pour aller plus loin :
https://observatoridesc.org/es/comunicado-sobre-aprobacion-ley-vivienda-congreso-diputados


[1ANCELOVICI Marcos, EMPERADOR BADIMON Montserrat, « Résister à la crise sur le pas de la porte : la lutte contre la dette et pour le droit au logement en Espagne », Mouvements, 2019/1 (n° 97), p. 94-103. DOI : 10.3917/mouv.097.0094. URL : https://www.cairn.info/revue-mouvements-2019-1-page-94.htm

[6Ley 1/2023, de 15 de febrero, de medidas urgentes para afrontar la inactividad de los propietarios en caso de ocupación ilegal de viviendas con alteración de la convivencia vecinal (“Ley 1/2023”).



Sur le même thème

Droit au logement et droit à la ville

Webinaire : comment le capital financier transforme nos villes et comment nous pouvons le combattre !

Droit au logement et droit à la ville

Une mise en place tardive et inefficace des politiques de lutte contre le sans-abrisme en Grèce

Droit au logement et droit à la ville

Découvrir la ville sans la consommer ou comment ne pas être une touriste

Droit au logement et droit à la ville

Retour sur la rencontre de la Coalition (EAC) : compte rendu, positions de soutien et premiers retours