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Etat des lieux de la violation du Droit au Logement dans l’Union européenne

Publié par , le 9 mars 2007.





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 Jean-Félix Annic - Droit Au Logement (DAL Fédération), France

Je vais le faire, très rapidement, un point subjectif de notre travail de fond. Grosso modo, il y a une dizaine d’année, il n’existait en France que des associations de locataires. Elles étaient soit indépendantes, soit politiques et issues des élections des locataires auprès des HLM (Habitation à Loyer Modéré). Il y a une dizaine d’année, le constat a été fait qu’il y avait beaucoup de mal-logés, de gens qui n’accédaient pas au logement dit social. À partir de là, des militants du DAL, de provenances diverses, ont ouvert le cadre non plus de manière politique mais thématique. Ils ont accepté d’abandonner leur image politique pour se battre dans le seul domaine du droit au logement. C’est un point important pour la création de réseaux demain.

En effet, la réussite du DAL en France a reposé sur son indépendance politique et financière qui a permis de mobiliser les énergies de différents courants politiques et non pas d’un seul. Derrière, nous avons revendiqué les droits fondamentaux, issus notamment du droit constitutionnel français, reconnaissant le droit au logement . Avec parfois des biais : droit de l’enfant, droit de la famille du point de vue de l’ONU, voir des dossiers européens. Nous nous sommes battus uniquement sur ces bases-là : pas toujours des textes de lois, mais la légitimité, la dignité humaine. Loi ou pas, il est indigne que quelqu’un soit à la rue, que des familles entières soient entassées dans 20 m2. Ces thèmes sont au départ du DAL. À l’intérieur du DAL, les premiers militants ont développé une thématique que nous avons appelée « l’après-guerre », l’autoconstruction (l’expérience des "castors", etc.). L’analyse a été faite, à un moment donné, démocratiquement au sein du DAL, que le plus urgent était de réquisitionner des logements vacants, des immeubles entiers vides, pour que les gens puissent y entrer et faire appliquer un texte de loi qui était issu de la guerre : l’application de la loi de réquisition permettant à des maires et à des élus par mesure de nécessité humaine d’ouvrir des locaux publics ou privés pour loger des gens dans le besoin. C’est un contexte important à rappeler.

L’expérience du DAL s’est confortée depuis dix ans par un travail en réseau, car nous n’avons jamais été coupés ni des mouvements sociaux (indirectement les syndicats, etc.) ni des mouvements novateurs comme Droit Devant ! ou les Comités de sans-logis, mais également des mouvements de chômeurs. Au départ, si nous n’avions écouté que les syndicats nous n’aurions jamais écouté les chômeurs car dans les ASSEDIC, les ANPE, etc., les administrateurs ne sont issus que des syndicats et pas des chômeurs. Je ne veux pas être polémique, mais il faut être attentif à exclusion au-delà des textes. Notre stratégie est basée sur l’auto-réquisition plus que la réquisition. Maintenant, l’enjeu est la mise en place de réseaux européens.

 Michel Frechet - Confédération Générale du Logement (CGL), France

Je suis le responsable départemental de la CGL pour les Hauts-de-Seine. Elle a été créée en 1954, à la suite de ce que l’on peut appeler le rassemblement des Comités de sans-logis qui s’étaient créés en région parisienne à l’initiative notamment de l’Abbé Pierre. À l’époque, différents Comités de sans-logis, se sont progressivement regroupés. La CGL s’est créée deux ou trois ans après. En 5, 10, 15, 20 ans, l’organisation a évolué vers un regroupement des propriétaires non-bailleurs, des accédants à la propriété, des copropriétaires et des locataires. Le collègue du DAL disait que le problème des sans-logis n’avait jamais été posé. Il a en partie raison mais il faut quand même rétablir certaines réalités. Ce problème a toujours été posé par nombre d’organisations de locataires, de copropriétaires, etc., et ce depuis la Libération.

Il existe en France une diversité des associations d’habitants. Le DAL en fait partie ; la CGL aussi mais également d’autres associations comme la CNL, la CLCV, etc. Il ne faut pas les rejeter car la grande diversité de ces organisations fait aussi la richesse de notre pays. N’oublions pas que nos "ancêtres" depuis au moins un siècle, se sont battus dans notre pays pour un droit au logement et qu’avant la CGL ou le DAL, d’autres se sont battus. Il n’est pas possible de les écarter d’un revers de main. Mais il est aussi intéressant que de nouvelles organisations comme le DAL se soient créées. Que d’autres naissent, ne serait-ce que pour "secouer le cocotier" et rappeler que quelquefois, on a tendance à oublier que le droit au logement est un éternel recommencement, que c’est une éternelle bataille pour la reconnaissance. C’est très bien que le collègue du DAL ait pu nous dire tout cela.

Pour sa part, la CGL, rassemble différentes catégories d’adhérents, mais aussi des associations d’immeubles et des adhérents individuels. Les premières regroupent des gens qui ont un logement, dans l’ensemble, et défendent leurs droits vis-à-vis de leurs bailleurs ou leurs syndics. Souvent, ils les défendent assez vigoureusement, même si on en parle pas toujours dans la presse. Ils n’hésitent pas à se lancer dans des grèves de charges, des manifestations et ils ont parfois recours aux médias même. Mais nous constatons dans nos luttes quotidiennes que ce type d’actions intéressent assez peu les médias. La CGL comprend, à côté de ces associations, des personnes qui adhèrent en tant qu’individus, parce qu’elles ont des problèmes, généralement soit avec leurs bailleurs, soit d’expulsion.

L’action que nous avons mené dans les Hauts-de-Seine se passe également dans d’autres départements avec d’autres unions départementales de la CGL, même si la presse n’en parle pas systématiquement. Nous avons été confrontés pendant de nombreuses années à ce problème de l’expulsion. Ce département est l’un des plus riche de France, au budget supérieur à celui de la Grèce ou de l’Autriche, du fait du siège social de nombreuses grandes sociétés dans le quartier de La Défense. C’est l’un des départements qui rassemble le plus grand nombre d’assujettis à l’impôt sur les grandes fortunes et aussi l’un de ceux où l’on expulse le plus. C’est celui qui a le plus recours à la force publique pour mettre les gens à la porte.

Quelques chiffres : en 1999, dans ce seul département, il y a eu 2109 demandes de propriétaires pour expulser les familles en impayé de loyer. Le Préfet a accordé 1145 autorisations et ce sont finalement 700 recours à la force publique qui ont été réalisés. Ces chiffres nous ont été communiqués au Conseil départemental de l’habitat par le préfet lui-même. Ce sont donc des chiffres officiels. Le département des Hauts-de-Seine est de très loin le département de France où l’on expulse le plus. Dans les Hauts-de-Seine on expulse beaucoup plus qu’à Paris et pourtant personne n’en parle. Curieusement, nous avons constaté, qu’en 1999, il y avait eu dans les Hauts-de-Seine plus de recours à la force publique qu’en 1998. En 1998, le même préfet des Hauts-de-Seine avait fait effectuer 639 interventions de la force publique pour expulser. 639 en 1998, 700 en 1999. 639 avant le vote de la loi contre l’exclusion, 700 après le vote de cette même loi, ce n’est pas normal. Le moyen que nous avons trouvé pour mettre cela sur la place publique a été de réaliser une étude. Quand les gens viennent nous voir lorsqu’ils sont en processus d’expulsion, on leur demande un ensemble de documents dont leur jugement d’expulsion. Malheureusement, tous ne l’ont pas parce qu’ils l’ont perdu ou pour toute autre raison, car les familles en situation d’expulsion locative, sont dans des situations difficiles. Conserver les papiers, ou conserver un jugement, ce n’est pas pour eu leur problème principal. Néanmoins, nous avons pu récupérer 60 jugements d’expulsions (trente qui ont été prononcé avant le vote de la loi contre l’exclusion et trente après). Nous avons alors comparé ces jugements les avons classés dans trois domaines :

1. l’octroi de délais. Lorsque les familles arrivent au tribunal elles demandent des délais qui sont accordés ou pas par le juge ; 2. la fixation de l’indemnité d’occupation ; 3. la condamnation éventuelle aux paiements de frais supplémentaires. Là encore, personne n’en parle, alors que ceux-ci sont souvent colossaux pour les familles qui passent en jugement. Cela vient alourdir considérablement leur dette. Quant à l’octroi des délais, il y a une évolution des juges avec le vote de la loi, plutôt dans un sens positif. Par contre, en ce qui concerne la fixation de l’indemnité d’occupation et la condamnation éventuelle au paiement de frais supplémentaires, il n’y en a aucune. À quoi a servit cette loi ?. D’après cette étude, strictement à rien. Nous avons un superbe texte mais il n’est absolument pas appliqué - dans les Hauts-de-Seine en tout cas. Mais je ne m’avancerais pas trop en disant que c’est partout pareil en France.

 Knut Unger - MieterInnenverein Witten u. Umg., Allemagne (Ruhr)

Witten est une ville de 100.000 habitants. Son association de locataires a été fondée en 1920 - 3.000 membres. Elle fait partie de la traditionnelle association-parapluie, la Fédération allemande des locataires, qui comprend environ 1 300 000 membres dans toute l’Allemagne. À Witten, nous travaillons avec plusieurs réseaux sociaux et territoriaux d’habitat, jusqu’à des niveaux régionaux et nationaux. Des sans-abri sont aussi membres permanents, ce qui n’est pas courant pour une association allemande de locataires. Mais à la fin des années 80, nous avons dû changer nos statuts pour inclure les sans-logements dans nos actions et services officiels. À l’époque, la situation du logement dans notre pays empirait. La crise du logement de 1988 à 1994 fut le résultat d’un manque croissant de maisons et d’appartements du fait du désengagement de l’État, de l’utilisation croissante d’espace vital par les catégories aisées et par l’immigration. Dès lors, bien sûr, le nombre de sans-logement augmenta aussi. Nous furent confrontés à leur grès mauvaise situation légale dans beaucoup de villes d’Allemagne. Ils étaient sans doute plus d’1 million en 1994. Il est intéressant de constater combien la situation changé entre temps. Nous ne connaissons pas leur réel nombre aujourd’hui parce que les rapports sur les sans-logements sont mauvais en Allemagne, mais l’estimation tourne autour de 530 000. Que s’est-il passé ?

Quelques mots d’abord sur la situation légale des sans-logement en Allemagne. Depuis le début du siècle, ils dépendent de la police. Non pas l’existence des sans-logement mais le fait que quelqu’un puisse dormir dans la rue est la préoccupation principale de la loi et de la police. C’est pourquoi depuis près d’un siècle, cette police oblige les administrations locales à mettre les sans-logements dans des abris provisoires. Durant les années 80, ils étaient nombreux à vivre ainsi depuis très longtemps. Certains de ces abris étaient de très mauvaise qualité, mais bon nombre d’entre eux ressemblaient à des logements à louer ordinaires. Pourtant, leurs habitants n’ont pas les mêmes droits légaux que des locataires normaux. Leurs droits sur leurs appartements ne sont pas les mêmes. Ainsi, il est presqu’impossible d’empêcher une expulsion ou de vérifier les taxes qu’ils doivent (qui sont parfois bien plus élevées que les loyers du marché) ou de s’opposer à une décision d’accroître le nombre de personnes par appartement. Il est presqu’impossible de défendre les droits de ces habitants légalement. Même les protestations et les actions directes n’ont presqu’aucun effet. Pendant ce temps, les autorités locales s’efforcent de regrouper le nombre croissant de sans-abri dans ces logements provisoires. Même si la loi est restée la même, la situation actuelle est totalement différente.

Depuis 1994, le nombre des sans-abri et de personnes logées provisoirement a beaucoup diminué. Bien sûr, la principale raison est l’évolution du marché. Après 1989, l’État s’est réinvesti dans la construction et la crise cyclique s’est terminée vers 1994. L’autre raison est un changement dans les pratiques des autorités locales et régionales. Plusieurs villes ont maintenant commencé à mettre en œuvre des stratégies à la fois prophylactiques et de reconstruction pour faire face aux problèmes des sans-abri avec une approche multiple, prenant conscience de leurs besoins spécifiques d’une aide à la fois personnelle, psychologique et sociale, ainsi que du manque de logements abordables pour les revenus modestes et des problèmes propres aux communautés. Par exemple, l’État de Rhénanie du nord appuie des politiques de coordination à la fois locales et nationales de tous les efforts nécessaires pour l’intégration des sans-logis : assistance sociale, transformation des logements provisoires en locations normales, etc. Ces démarches ont diminué par trois le nombre des sans-abri et de ceux logés dans des abris provisoires depuis 1994.

Il est important d’apprendre de ces expériences, même si nos discussions se situent au niveau européen. La Communauté européenne ferait un pas en avant en reconnaissant la nécessité de telles stratégies intégrées et en les appuyant. Il faut que les ONG et les porte-paroles des plus pauvres participent à la mise en œuvre et à l’évaluation de ces programmes. Mais bien sûr, ce n’est pas assez. À long terme, nous avons besoin des droits individuels en appui. C’est la seule façon de protéger les droits du peuple contre un retournement du marché. En Allemagne aujourd’hui, l’État se désengage en matière de logement et beaucoup d’appartements bon marché deviennent propriété privée : nous devons craindre une nouvelle augmentation du manque de logements pour les pauvres et une nouvelle crise du logement dans les prochaines années. Alors, seul le droit au logement reconnu par la loi pourra obliger les autorités locales à accorder des logements normaux à tous ceux qui en ont besoin.

La privatisation du logement dans différents secteurs est un second exemple des activités de notre association de locataires. l’Allemagne avait un important secteur public national du logement. L’État l’a totalement privatisé. Il a vendu les logements appartenant aux chemins de fer à une société privée. Il existe toujours un secteur du logement public, mais la plupart des logements et des actions des sociétés locales de logement sont vendues à des groupes privés. Chaque mois survient un nouveau cas de privatisation. Dans ma région, l’exemple le plus important est celui de l’achat des logements des travailleurs sociaux par Viterra AG, filiale du groupe énergétique E.O.N. Ils veulent vendre 5000 appartements tous les ans. Cela signifie la privatisation d’un quartier par mois, leur vente à des spéculateurs ou leur transformation en logements individuels privés. Au début, il y eut un mouvement important et nouveau de protestation de locataires. Mais maintenant, nous ne savons que faire car il n’existe pas d’alternative finançable. Il ne semble y avoir aucune possibilité d’arrêter ce processus de libéralisation et d’actionnariat. D’ici dix ou vingt ans, un nouveau type de capitalisme spéculatif aura pris le contrôle de ce nouveau champ. Nous ne connaissons pas les conséquences pour les gens et ne savons pas comment réagir aujourd’hui au niveau national. Nous réfléchissons à des expériences dans ce domaine.

 Vincenzo Simoni - Unione Inquilini, Italie

L’Union des locataires que je représente est la seule organisation issue des années 1968 en Italie, qui ait survécu et continue de se développer. Elle est présente dans toutes les régions et dans quarante-sept provinces. Les centres les plus important sont à Rome, Naples et Milan, mais nous sommes aussi implantés à Venise et à Florence, qui sont des sites historiques de la lutte pour le logement. Dans ces deux villes, à cause du tourisme et de l’activité universitaire, le marché du logement est un peu anormal. Notre secrétaire est un retraité et la plus part des membres de l’Union des locataires sont des bénévoles qui travaillent sur le plan politique ou sont des architectes, des avocats, des techniciens qui offrent leurs services aux adhérents. Cela empêche toute bureaucratisation de l’organisation. Mais cela comporte aussi des aspects négatifs parce que d’une année sur l’autre, il y a beaucoup de changements. Nos adhésions ont augmenté de 100% et cela a provoqué une crise de croissance. Durant les deux dernières années, la législation nous concernant a complètement changé. Il n’y a plus de contrôle sur le niveau des loyers, une liberté totale des propriétaires, qui peuvent fixer leurs prix avec seulement des conditions établies au niveau territorial entre bailleurs et locataires. La seule possibilité d’améliorer ces conditions, c’est par le levier fiscal : tu payes moins de loyer et le propriétaire paye moins de taxes. Au début de cette année, l’application de cette nouvelle législation a vu la mise en place d’une sorte de compensation sous forme d’une aide à la personne ou à la famille en location. Nous n’avons pas encore reçu de bilans, ne savons pas si cela marche, comme en Allemagne et en Grande-Bretagne, où il existe des mesures similaires. La ligne principale où se sont positionnées plusieurs associations et plusieurs groupes d’intérêts tels que les architectes, est que l’on ne peut pas empêcher le marché du loyer de flamber, mais qu’au contraire il faut suivre l’évolution des prix des loyers et apporter une aide financière aux gens, pour qu’ils puissent payer leurs loyers. Nous, en tant qu’organisation, sommes dans une position très délicate : nous trouvons des réponses dans certaines villes ou certaines régions, dans d’autres un peu moins, et quelquefois aucune solution. Dans certains endroits, les signaux sont très préoccupants.

Chez nous, la poussée sécessionniste est très importante. Cela ne va pas déboucher sur un véritable fédéralisme mais plutôt un retour avant l’unité de l’Italie, avec l’existence du Grand-duché ou la création d’un autre type d’État-Nation au niveau régional. L’horizon européen est pour nous encore plus important parce que l’Europe pourrait constituer un recours face à la division, la tendance étant de faire des choses tout à fait différentes d’une région à l’autre. Le cadre européen nous permettrait de sauvegarder des droits, comme celui au logement.

Les expulsions en Italie se font par l’intermédiaire de la force publique. Mais il existe encore une certaine culture humaniste et une sensibilité sociale. D’où une solidarité qui s’exprime lors des expulsions. Alors, la résistance et l’union des luttes parviennent à des succès. À Florence par exemple, la plupart des expulsées sont des personnes âgées. Il existe des comités de "Panthères Grises" qui se mobilisent. Ces personnes âgées militantes font des sit-in, occupent les escaliers et les entrées des immeubles, ce qui nécessite à chaque fois l’intervention d’ambulanciers et de la force publique. En Italie il n’est vraiment pas populaire de s’attaquer à des personnes âgées. Un dispositif de mobilisation de cette grande faiblesse la traduit en une force. La faiblesse des personnes âgées devient une grande force sociale.

Les associations connaissent un nombre croissant de locataires et de petits propriétaires très affaiblis économiquement. Ce sont des membres des classes moyennes et très basses qui s’appauvrissent de plus en plus. Les loyers ont augmenté et les locataires n’arrivent plus à payer l’augmentation des loyers. Les loyers des habitations sur le marché libre sont équivalent à un salaire moyen.

D’un autre côté, les petits propriétaires âgés n’arrivent pas à se charger des travaux et des manutentions dans l’habitation. L’ensemble de la copropriété arrive à faire face aux frais de rénovation de l’habitat, mais les propriétaires plus affaiblis par l’âge ou par les conditions économiques, n’arrivent pas à payer leur quote-part. Ils sont donc obligés de mettre en hypothèque leur logement auprès du syndic afin de couvrir les frais des travaux collectifs de l’immeuble.

L’augmentation des impôts et la hausse des loyers HLM ainsi que par les mécanismes de contrôle des plafonds ont remis en question la situation d’équilibre et de sécurité des propriétaires. Pour les couches moyennes, dont les revenus dépassent le SMIC, leurs possibilités ne sont pas à la hauteur des besoins des familles.

Les deux phénomènes sont lourds à supporter ensemble : la précarité des sans-logis (SDF, immigrés,...) et celle des locataires et petits propriétaires en difficulté. Quoique notre fatigue soit réelle, c’est une bonne fatigue car nous avons l’espoir d’aboutir à des résultats concrets lors de nos prochaines manifestations. Cela nous a conduit à avoir des rapports très importants avec les cadres politiques et syndicaux.

 Paul Trigalet - Solidarités Nouvelles, Belgique

Notre association a d’abord aidé une association de locataires, un syndicat de locataires, depuis 1968. Par les interpellations des personnes concernées nous avons été amenés petit à petit à nous intéresser non pas seulement aux locataires sociaux, mais aux personnes mal logées, aux résidents permanents dans des campings et aux SDF. Je parlerai surtout de ceux qui sont exclus du droit au logement et des actions menées dans ce combat.

En Belgique comme ailleurs existe une loi de réquisition par les maires. Mais elle n’est pratiquement pas appliquée, bien que relativement récente puisqu’elle date du début des années 90. Cependant, le problème est chez nous aussi grave, aussi scandaleux que dans d’autres pays, puisque dans la Wallonie, (3 millions et demi d’habitants), 35 000 logements sont inoccupés et 40 000 personnes demandent l’accès aux logements sociaux. Dans ce domaine-là, un groupe de sans-revenu a occupé à Liège un bâtiment vacant depuis des années dans le quartier Jean Ruel ( ?). Notre association les a soutenu alors qu’ils étaient menacés d’expulsion et nous avons obtenu qu’un ministre régional, intéressé par le droit au logement, soutienne leur action et mette un avocat à leur disposition. Cette action a permis que le juge interroge la propriétaire, qui vit loin de ce logement, et qu’il lui demande de justifier son refus d’accorder un contrat de location aux occupants. Depuis deux ans, l’affaire en est toujours là. Elle a donné au ministre l’idée de concevoir un autre type de loi de réquisition beaucoup plus simple, qui est maintenant passée dans le code du logement. Malheureusement, il n’y a pas d’arrêté d’exécution. Nous essayons d’avoir toujours deux fers au feu : la contestation et la revendication, et aussi des actions positives. À côté de cela, nous avons créé une association (on parlait tantôt de Castor) qui permet à des sans-abri de rénover eux-mêmes des bâtiments inoccupés, qui soit une alternative à la loi de réquisition et qui montre que c’est possible. Depuis 5 ans, nous avons ainsi rénové, en partie avec des fonds publics, 17 logements pour des sans-abri et des personnes expulsées.

Nous avons été participants de la constitution d’un front des sans-abri pour l’ensemble de la Belgique. Il est né de ce qu’un groupe de sans-abri, exclus de toute aide sociale (puisque dans notre pays, pour avoir une aide sociale ou n’importe quel droit, il faut avoir un domicile, et puisque les sans-abri n’ont pas de domicile, ils n’ont pas de droit). Pendant un an, un groupe autogéré de sans-abri, dans les divers services sociaux de Bruxelles, a mené une action de campement devant ces services sociaux pour obtenir ce qu’ils appelaient le minimex de rue (le RMI), et grâce à cela, la disposition légale qu’on appelle l’adresse de référent. Malheureusement, elle est très mal appliquée. De plus, ils ont travaillé ensemble à la réalisation d’une petite brochure très claire, qui explique tous les droits des sans-abri aux services sociaux. Nous avons réussi à la faire éditer par le Ministre de l’Intégration Sociale.

Le pouvoir politique a réservé, fermé de nombreux logements pour construire des bâtiments pour l’Europe et quelques familles ont occupé ces logements depuis des années. Malheureusement, ils ont été depuis peu expulsés.

Nous travaillons aussi avec un groupe nouveau d’exclus du droit au logement, qui las d’attendre des logements sociaux, ont pris leur sort en main et acheté une caravane ou un chalet dans des campings, ou dans des domaines touristiques. Cela représente un nombre important de citoyens puisque dans la petite communauté des 3 millions et demi de Wallonie, de dix à quinze mille personnes se sont installées ainsi en toute illégalité dans des campings depuis 20 ans. Nous leur avons permis de s’organiser en comités et avons réussi à obtenir des "assemblées citoyennes", c’est-à-dire leur permettre d’exprimer devant des responsables politiques pourquoi ils ont fait ce choix et comment pour eux c’est une piste intéressante, parce qu’il y a de l’autoconstruction, de la convivialité, de la vie dans la nature, etc. Grâce à elles, cette expérience est tolérée actuellement.

Notre région connaît de graves problèmes d’insalubrité. Là aussi, nous menons une action pour la défense des personnes et des familles qui vivent dans des logements exigus, des propriétaires transformant des maisons en ville en multiples petits logements de 3 mètres sur 4 à des coûts invraisemblables. En partie grâce à nos conférences de presse, une réglementation de ce qu’on appelle le permis de location a été instaurée. Mais comme elle n’a pas de dimension sociale, l’un de ses effets pervers est de permettre de mettre à la porte des personnes sans permis de location. La seule alternative est de les mettre dehors ou d’augmenter le loyer. Nous menons là-dessus une action avec des juges et des avocats qui ont accepté d’écouter les personnes concernées et nous espérons un débat qui permettrait de démontrer les effets pervers de cette action contre l’insalubrité. Il lui manque une dimension sociale de protection des personnes qui sont obligées de vivre dans ces conditions innommables, mais ne doivent pas pour autant subir des expulsions.

Nous souhaitons que le réseau européen qui fait l’objet de nos assises soit non seulement un lieu d’échange, d’expérience, d’interpellations communes, mais surtout un lieu aussi où l’on créé des solidarités pour les luttes concrètes, où on se communiquent ces luttes et comme hier, où l’on apporte un soutien concret. Je pense que c’est une manière d’interpeller valablement les politiques. Merci.

 Rita Ana Silva - Olho Vivo - Centro de Apoio ao Imigrante, Portugal

La réalité au Portugal est très différente. Il y a encore beaucoup de bidonvilles. Maintenant les pouvoirs publics essaient de les faire disparaître en construisant des ghettos de béton. Beaucoup de quartiers sociaux sont en cours de construction, ce qui a posé bien des problèmes de relogement. Ils sont allés dans les bidonvilles, il y a 6 ans, pour rencontrer les familles qui y vivaient et ont négligé le fait que beaucoup de personnes y travaillent également. En 6 ans, il y a eu une forte immigration au Portugal du fait de ces nouveaux aménagements. Maintenant, comme ils attribuent des logements à des gens dans les ghettos de bétons, il ne reste plus de place pour les personnes qu’ils ont expulsé des bidonvilles. Ce qui provoque de violents affrontements avec la police durant l’été et l’hiver. Malheureusement, il n’existe aucune organisation ni mouvement constitués pour lutter pour les droits au logement, mais surtout une action caritative.

Il va nous falloir nous y mettre car le nombre de sans-abri est croissant au Portugal. Il y a 5 ans, ce n’était pas aussi critique. Le réseau serait très important pour nous car nous avons beaucoup à apprendre et à échanger sur nos expériences respectives. Dans mon organisation Olho Vivo, nous avons commencé à travailler avec les populations immigrées il y a deux ans sur la question des papiers. C’était alors un petit mouvement. Mais cette année, nous avons organisé une manifestation rassemblant 1.500 personnes. Maintenant, beaucoup d’organisations et de militants apportent leur soutien.

Dans notre centre de soutien, nous essayons d’aider les immigrés sur le plus de questions possibles comme les papiers d’identité, le logement, les soins de santé. Par exemple, concernant le logement, nous avons organisé une action avec 20 familles qui avaient été expulsées des bidonvilles, en occupant la mairie.

Une nouvelle loi est sur le point d’être votée. Le Portugal n’autorise plus la délivrance de visa de résidence. Il ne délivre que des visas de travail. Donc les gens ontuniquement le droit de travailler et la décision concernant leur droit de résidence est entre les mains du patron. La durée du séjour est limitée à 5 ans. Ceci parce qu’ils doivent construire la zone euro au Portugal.

Après, ils expulsent. Maintenant, les gens savent qu’ils ne peuvent résider plus de 5 ans. Ne sachant pas ce qui les attendra après, ils se demandent s’ils vont investir dans l’achat d’une maison ou s’ils doivent économiser pour l’envoyer à leur famille et vivre dans la rue ou dans des logements insalubres. Cette loi n’est pas bonne sur bien des points, notamment sur le plan du logement.

Il y a aussi beaucoup de sans-abri parmi les personnes âgées. La seule action menée face à ce problème se situe sur le plan caritatif. Rien de plus. Il nous faut améliorer ça. Hier, j’ai participé à l’action du DAL et cela a été pour moi une expérience spectaculaire. J’apprends beaucoup et nous avons besoin de recevoir des informations au Portugal. Merci.

 Marja Väinöla - Fondation Barka, Pologne

La Pologne, comme vous le savez, est une bonne élève pour l’adhésion à l’Union Européenne. C’est pour ça que c’est le moment de faire connaître la situation aussi bien en Pologne qu’en Europe. Les Polonais ont besoin de connaître la situation dans les pays de l’Union Européenne. Car, depuis le changement de régime, nous sentons qu’avec une économie de marché, on approche de la situation des pays riches : la pauvreté qui augmente, les laissés-pour-compte.

À l’époque du communisme, tout le monde en principe avait un logement et du pain. Maintenant, il y a les nouveaux riches et les nouveaux pauvres. Surtout, depuis quelques années, il y a le problème de l’expulsion. Alors que les communistes avaient réquisitionné tous les logements et que chaque habitat était occupé par une famille, maintenant les anciens propriétaires veulent récupérer leur propriété. Les gens qui y étaient logés sont maintenant mis à la rue. On trouve des familles entières dans la rue sans aucun espoir. Même si les gens ont un travail, ils peuvent aussi se trouver dans la rue. C’est très difficile quand tu as un travail de nourrir ta famille quand tu n’as même pas de logement à lui offrir. Un exemple vient de la Fondation "aide mutuel Barka" qui œuvre depuis 11 ans dans la région de Poznan, ville de 600.000 habitants, où 700 familles, soit 3.000 personnes, sont expulsées chaque année. Pendant l’hiver nettement moins car c’est un pays froid, mais à partir d’avril, des gens se retrouvent à la rue. La fondation Barka essaie de trouver les solutions pour venir à bout de la pauvreté sous toutes ses formes. Actuellement, le programme se présente en 4 étapes. La première est bien sûr l’accueil des personnes individuelles ou en famille, pour leur offrir un logement d’urgence ou en maison communautaire. Après, il y a l’étape socio-éducative, surtout pour ceux qui sont au chômage, qui n’ont jamais travaillé ou qui ont un problème avec l’alcool, un problème psychiatrique ou autre et n’ont pas de capacité. On a alors créé une école, sur le modèle danois, qui donne une formation professionnelle dans des ateliers d’artisanat, d’informatique et de langues. Car une personne pauvre a droit aussi à l’éducation. La troisième étape est celle du travail. On s’est créé un marché du travail par la récupération, ce qui n’existe pas en Pologne, un peu sur le modèle des communautés d’Emmaüs ici, pour des gens qui vivent de récupération, de recyclage, de ce type de programme écologique. Et c’est intéressant car, au niveau européen, les projets écologiques sont souvent soutenus par les fonds européens et autres. La quatrième étape est celle du logement, individuel ou pour la famille. Le programme de Barka est de construire des petites maisons en bois écologiques, qui ne coûtent pas très chères, parce que la main-d’œuvre est sur place, les gens construisent eux-mêmes les maisons. C’est le nouveau programme qu’on a présenté à la réunion de Berlin en juillet.

Avec l’entrée dans l’Union Européenne, il est très important d’éveiller les consciences publiques. À Poznan, dès qu’il y a des problèmes d’expulsion ou autre, on convoque la presse, la radio et la télé tout de suite.