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Contribution des chercheurs à Habitat II

Publié par AITEC, le 9 mars 2007.

Droit au logement et droit à la villeConférences Habitat



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1- La réunion d’Habitat II devrait donner une place mieux déterminée à la recherche. Les textes officiels insistent sur l’importance du partenariat impliquant tous les acteurs, dont les chercheurs. Cette participation est envisagée à deux niveaux, au sein des commissions nationales, et lors d’un "forum pour les organismes professionnels et universitaires".

2- Cette contribution est proposée à la commission nationale française, en tant que contribution des chercheurs sur les PED à la réflexion française sur l’urbain. La contribution est également l’occasion d’une confrontation avec les autres points de vue. En effet, la contribution des chercheurs sur les PED sera proposée aux chercheurs travaillant sur les problèmes urbains en France, en visant une contribution commune. En France, la recherche urbaine sur les PED s’est restreinte et a été isolée du reste de la recherche urbaine. Pourtant, malgré les spécificités, on retrouve des problématiques communes, et les points de vues s’enrichissent mutuellement. Nous partons donc pour notre part, de la recherche urbaine française PED, pour la confronter avec le reste de la recherche urbaine française d’une part, et de la recherche dans les pays du Nord et du Sud avec laquelle nous sommes en contact d’autre part. Ce texte sera aussi soumis aux autres acteurs travaillant en coopération avec les chercheurs, particulièrement au sein du Programme Solidarité Habitat, qui prépare un forum en 1995 sur ce sujet.

3- Nous proposons d’organiser la contribution des chercheurs autour de trois parties : un état des lieux thématique de la recherche urbaine sur les vingt dernières années ; les critiques des fondements et des politiques ; les propositions des chercheurs et de la recherche par rapport à Habitat II.

4- Avant la contribution, il convient de s’interroger sur Habitat I. La position des chercheurs doit-elle se définir par rapport au débat international (tel qu’il est défini par Habitat II) ou par rapport aux pratiques, qu’il ne faut pas sous estimer ? Pour faire avancer la réflexion sur cette question nous proposons un document sur Habitat I (1976) qui retrace l’évolution des idées (l’historique des termes Habitat et Etablissements humains par exemple) et replace le rôle de la recherche à Vancouver. On peut y suivre depuis 1976, un double glissement. L’un des préoccupations du logement à l’habitat et à la ville, qui traduit une prise de conscience de l’importance de l’urbanisation. Un glissement de la politique urbaine à la gestion urbaine qui est marqué par la progression de la pensée néo-libérale.

Etat des lieux thématique

5- A partir de quoi peut-on apprécier les résultats de la recherche, en fonction de quels critères, de quelles attentes ? Dans un premier temps, on peut partir de la production de recherche, de ses résultats tant au niveau de la production des connaissances que de ses applications. Il convient également de s’interroger sur l’évolution : en fonction de quoi et comment ont changé les thèmes, et pourquoi de nouvelles thématiques émergent-elles ?

6- Comment s’organisera la discussion à Habitat II ? Des forums devraient être organisés sur 11 thèmes proposés par le secrétariat. Ces thèmes reflétent une lecture des problèmes à un niveau institutionnel global. Du point de vue de la recherche, nous ne pouvons rester prisonniers d’une telle grille opérationnelle, bien que nous la prenions en compte. La recherche produit ses propres thèmes selon d’autres représentations de la réalité et le temps de la recherche est différent de celui de l’intervention. La définition des thèmes à retenir pour la recherche urbaine des années à venir est un des enjeux d’Habitat II, qui doit ouvrir le débat sur la politique de la recherche.

7- Le mouvement scientifique est plus que jamais partagé entre deux tendances contradictoires : d’une part, la mondialisation fait surgir des thèmes universellement ressentis, d’autre part, la singularité des territoires continue d’exiger des spécialisations lourdes qui se perpétuent au sein de communautés scientifiques à travers des individualités. Lorsque des tentatives de rapprochement inter-régionaux sont faites autour d’un thème fédérateur, on s’apercoit que les concepts n’ont pas le même sens d’un locuteur à l’autre. C’est dire que la mondialisation n’efface pas les territoires et, s’agissant de la ville, que la mégalopolisation du monde et la précarisation croissante ne réduisent pas nécessairement la diversité des situations urbaines.
L’enjeu de la diversité citadine est considérable. Il revêt deux dimensions : l’une patrimoniale, recouvre à la fois les identités héritées et l’incessante production d’innovations culturelles et sociétales ; la seconde dimension est celle du défi urbain, car la diversité citadine recèle l’essentiel des réponses aux difficiles questions de la governance des villes. La diversité citadine est, dans un domaine où les capacités d’intervention sont souvent dramatiquement réduites, un précieux indicateur des possibles.

8- Tous les thèmes identifiés à l’occasion d’Habitat II font l’objet de travaux de recherche souvent conduits par des chercheurs isolés. Pour notre contribution, nous retiendrons les thèmes issus de dispositifs de recherche (c’est-à-dire au moins trois chercheurs sur 3 ou 4 ans). Interurba a le projet d’éditer des fiches portant sur les thèmes évoqués dans le présent texte, et incluant également les thèmes émergents.
A la suite de la préparation, nous éclairons l’état des lieux sur huit de ces thèmes : questions foncières, gestion urbaine et régulation sociale, ville et travail, cultures urbaines, modes de financement de l’urbanisation, services urbains, transports, migrations. Signalons l’importance des nouveaux thèmes émergents, par exemple : violences urbaines (colloque d’Ibadan), villes en guerre...

9- Questions foncières

La recherche a mis en évidence un recul de la répression à l’égard des occupants illégaux du sol, agissant soit par invasion soit par acquisitions clandestines aux détenteurs historiques, ruraux ou coutumiers. Elle a souligné le développement d’appropriations, d’acquisitions et de cessions foncières par lesdits occupants, qui sont des pratiques juridiques populaires (sans qu’on puisse parler d’un nouveau droit) et qui manifestent la montée en puissance d’un véritable marché foncier.
La reconnaissance de ces pratiques par la recherche n’a pas réussi à faire admettre cette réalité aux gouvernants, qui continuent à croire que l’Etat reste le premier organisateur de la ville et le premier allocateur du sol... mais que la crise, disent ses représentants, les obligent pour l’instant à fermer les yeux et à se taire.

La gestion du rapport entre le droit traditionnel et le droit moderne est au centre de nombreuses interrogations. Le droit traditionnel a été considéré comme le fait de "minorités" en Asie, dans un contexte de "politique indigène" en Amérique latine ou dans la perspective de la domination coloniale ou post-coloniale en Afrique. Il a été caricaturé jusqu’à l’époque actuelle, la recherche ayant particulièrement mis en évidence ce phénomène en Afrique sous l’expression du "référent précolonial". La fameuse opposition tradition-modernité est dépassée dans le domaine des pratiques foncières et, à l’interface, se développe une problématique nouvelle, qualifiée de "problématique de l’entre deux" (préférée à "transition") dans les travaux récents. Elle correspondrait à un ensemble d’innovations contemporaines dans le statut de la terre (patrimonialisation) et dans le rapport au droit qui est interprété en fonction des logiques d’acteurs et des modes coutumiers de formalisation. Elle est l’expression de métissages culturels en cours de concrétisation illustrant, pour compenser la tendance à la mondialisation du marché ou des institutions de gestion, un processus complémentaire d’affirmation des identités ou des particularités régionales ou locales.

10- Modes de financements de l’urbanisation

Les recherches sur le financement de l’urbanisation, anciennes dans les PED ont connu un regain d’intérêt avec l’apparition au Nord des problèmes d’exclusion et de marginalité. En matière de logement pour les plus pauvres, la réponse est le locatif social subventionné par l’Etat dans les pays développés et la propriété privée - même irrégulière et informelle - dans les PED. Les recherches mettent en lumière la capacité d’épargne des pauvres et insistent sur son importance dans l’articulation du système associatif avec le système formel. Pourtant, cette épargne ne doit pas servir de caution au désengagement de l’Etat.
Ce nouveau questionnement permet une coopération mutuelle : entre les capacités d’ingénierie développées au Nord et les dynamiques autocentrées de financement populaire au Sud.

11- Services urbains

En matière de services urbains, la recherche a eu pour principal objet de décrire les pratiques de service qui se sont développées dans les quartiers populaires ou en voie d’urbanisation, hors de l’emprise des Etats et des municipalités souvent défaillantes. Ces études des réalités quotidiennes ont mis en évidence l’extraordinaire dynamique des petites entreprises, des associations d’habitants et des ONG dans leur fonction de prestataires de services. D’autres recherches, moins abondantes, ont porté sur la privatisation des services municipaux et ses conséquences sur les services effectivement rendus. Pour l’essentiel, et à notre connaissance, l’objectif de ces recherches n’a pas été de dégager de nouveaux modes d’organisation des services à mettre en oeuvre par les municipalités des grandes villes. Cet espace est actuellement occupé par les bailleurs de fonds et les grandes entreprises exportatrices de services et d’équipements. Une recherche indépendante devrait s’y développer. Les modes d’organisation institutionnelle des services, notamment délégués (concession, affermage...) ont fait l’objet de quelques analyses qui gagneraient à être étendues et systématisées.

12- Transports urbains

En vingt ans, les recherches sur les conditions de déplacement dans les villes du Sud ont abordé quatre thèmes : la mobilité, les transporteurs, les infrastructures et les politiques publiques. Les recherches sur les déplacements collectifs ont glissé vers l’étude des moyens individuels. Elles montrent comment à travers l’étude de l’accessibilité, l’accès différencié à l’espace urbain est aussi un accès différentiel aux moyens de transport.
Deux segments sont étudiés : les transports, privé et artisanal, caractérisés par une organisation corporative, et les infrastructures de transport de masse, pour lesquelles on privilégie l’étude des modes d’implantation des systèmes ferroviaires et routiers et leurs impacts urbains plus que les technologies. Les recherches sur les transports urbains en Amérique latine, Afrique et Asie mettent en lumière le dynamisme relatif de chacun de ces segments, leur hétérogénéité, leur instabilité et les conditions concrètes de leur complémentarité, dans des espaces urbains marqués par la ségrégation. Elles éclairent la capacité des transporteurs, voire des entreprises publiques à se substituer à une tutelle institutionnelle affaiblie. Alors que partout émergent, face à la mobilité réprimée, des mouvements d’usagers ainsi qu’une pression importante des classes moyennes.

13- Ville et travail

Au début des années 70, la recherche urbaine PED introduit le concept d’économie informelle. Elle identifie des pratiques qui pallient les échecs du projet développementaliste, de l’Etat de droit, de la généralisation des droits sociaux. L’économie informelle est définie comme un phénomène massif qui touche toutes les activités économiques et structure la société autant que l’économie formelle. L’enjeu est alors de comprendre si l’économie informelle offre une solution aux problèmes du sous-développement.
Malgré la diversité des situations observées, la question principale est celle de l’articulation entre l’économie informelle et l’économie formelle. Ces rapports sont de complémentarité et non de substitution, les sociétés se structurant autour de cette articulation. Le blocage principal est alors l’incapacité à construire un projet politique et social qui intègre les deux types d’économie. L’informel n’est donc en aucun cas une réponse à la crise sociale. Les institutions internationales participent au succès de ce terme et cherchent à lui faire jouer un rôle important dans leurs politiques de développement et d’ajustement. La recherche pour sa part, analyse l’informel comme un révélateur de l’incapacité de l’Etat à produire des normes socialement acceptées encadrant le marché.

14- Migrations urbaines

Le thème des migrations a été étudié sous ses trois aspects principaux : migrations internes et urbanisation (généralement la capitale), migrations internationales Sud/Sud d’une part, et Sud/Nord de l’autre. La recherche a mis en évidence le ralentissement des migrations internes urbaines dans la dernière décennie, et de nombreuses évaluations laissent supposer un accroissement des migrations internationales dans le Sud et au Nord. Nouvel élément : ces trois types de migration se décloisonnent et deviennent de plus en plus interdépendants, à la fois parce que les écarts de développement peuvent paraître plus évidents devant les facilités de circulation, mais aussi en réaction à l’adoption par tous les pays de législation de plus en plus restrictives. En outre le nombre des réfugiés (politiques et économiques) va croissant. Ce qui modifie les stratégies migratoires dans le sens d’une diversification et d’une interdépendance des lieux d’implantation. Cette évolution se traduit par une organisation plus solide des réseaux sociaux et professionnels qui trouvent en outre, à s’utiliser avec une certaine facilité, dans un contexte mondial marqué par un accroissement de la flexibilité, et de la clandestinité, du travail. Ces nouveaux aspects des migrations constituent le phénomène majeur de cette dernière décennie et devraient davantage attirer l’attention des responsables et des chercheurs.

15- Gestion urbaine et régulation sociale

Depuis la fin des années 1980, la gestion urbaine est un concept qui a été largement développé. Elle comprend la production, l’organisation, l’équipement de l’espace ainsi que l’entretien des équipements et le fonctionnement des services. En mettant plus particulièrement l’accent sur les lieux d’articulation et d’arbitrage, la recherche a mis en évidence la fonction de régulation sociale dont procède la gestion urbaine. Le développement des procédures de régularisations foncières, tout comme celui de dispositifs contractuels entre l’Etat et des acteurs de la "société civile", procèdent d’un élargissement du champ de la légalité (foncière, urbanistique) en même temps que d’une intégration socio-économique de populations qui tendaient à menacer la légitimité des pouvoirs en place. La codification officielle de pratiques populaires (droit intermédiaire pour l’occupation du sol, reconnaissance et contractualisation de l’informel, gestion partagée) permet de désamorcer des rapports devenus parfois incontrolables pour l’Etat. La gestion partagée consiste en des régulations locales, mais aussi évolutives (ou précaires) en réponse à l’inadaptation de mécanismes trop uniformes et réservés à une partie seulement des populations citadines.

La problématique de l’exclusion est en partie liée à celle de la gestion urbaine : la rigidité des systèmes publics formels rendent ces derniers inaccessibles à une part (croissante ?) de la population en situation de précarité. Face à l’incapacité des institutions d’inclure la totalité des habitants dans le mouvement de modernisation de la ville, la "société civile" élabore et met en oeuvre des systèmes parallèles. Ces initiatives reposent d’une part sur le secteur informel, et d’autre part sur une entité infra-municipale, le quartier, espace d’organisation et de production de biens et services et espace de solidarité.
C’est parce que ces initiatives s’excercent en dehors du cadre urbain légal qu’elles offrent une alternative, plus ou moins efficace, aux services publics déficients. Mais elles portent également un risque de dualisation sociale et spatiale (ville formelle/ville informelle), surtout si l’Etat et les collectivités locales se reposent sur leur succès. La recherche souligne la fragilité de ces situations et constate la difficulté de persuader les pouvoirs publics de bâtir des programmes permettant à la fois de définir un cadre politique, dans lequel se développeront les initiatives de la société civile, et de souligner la responsabilité des collectivités locales et de l’Etat, seule garante du caractère public des services urbains.

16- Mégapolisation

Depuis que l’explosion urbaine du second demi-siècle a confirmé son universalité et sa non-réversibilité, la nécessité de refonder l’interprétation générale du fait urbain s’impose de plus en plus à la recherche. Ce sentiment est d’abord né de l’idée que le gigantisme urbain ne s’exprimait pas seulement par un changement quantitatif, mais aussi, à la longue, par un changement de nature et de sens. D’où le parti de porter un regard privilégié sur les situations urbaines nouvelles, les mégapoles, où pourraient se lire le nouveau rapport de l’homme à la ville, de l’homme au pouvoir ; bref les nouveaux contours d’une citadinité bouleversée par le gigantisme.
Cependant, cette attention au symptôme - la mégapole - devait naturellement conduire à l’étude d’un processus : la mégapolisation. C’est-à-dire à reconnaitre que la dynamique de concentration mégapolitaine pouvait et devait s’observer à tous les échelons de l’espace d’un pays, d’une région du monde. C’est ainsi que la notion de petite ville doit être reconsidérée. De même la nouvelle donne de la relation ville-campagne et le rapport complexe entre économie et démographie.

17- Cultures urbaines et gouvernance

Les recherches sur les mouvements sociaux, très nombreuses dans les années 70, ont débouché sur deux types de problématiques : les cultures urbaines et les modalités de governance.
En apparence contradictoires, certaines concernent l’individualisation en ville, d’autres les renforcements de la pensée identitaire et les nouvelles formes de représentation de l’ethnicité. Ainsi, les phénomènes religieux, réseaux se constituant dans les villes sur de nouvelles bases de solidarité. Les groupes messianiques, les églises, les sectes offrent de nouvelles possibilités d’inscription en ville aux populations et permettent de jouer de réseaux verticaux. D’autres recherches portent sur les phénomènes de fusion et de diffusion de modèles culturels parfois nouveaux, que ce soit par la musique, les modes alimentaires, vestimentaires, ou les loisirs. Ces deux types de recherches révèlent certes de nouveaux modes d’expression, notamment des population défavorisées, mais identifient également des processus d’innovation dans le champs urbain.

Dans le domaine de l’administration des collectivités territoriales et singulièrement des communes ou municipalités, deux modèles d’organisation, résultant de deux traditions occidentales, paraîssent s’affronter. Le premier, porté par la Banque mondiale après avoir été découvert par l’économie politique nord-américaine, est associé à la notion de governance. Ce terme, à travers l’analyse de ses usages, met moins l’accent sur une formule d’organisation que sur la nécessaire légitimité de l’autorité intervenant dans le champ considéré, tant en termes de responsabilité que de capacité à répondre aux besoins des usagers. Le deuxième modèle de la décentralisation, s’inscrivant dans l’héritage latin ou romain de la contre-réforme (France), se présente comme une formule de redistribution des compétences au profit des autorités locales en coupant le rapport hiérarchique entre le centre politique et les collectivités et le contrôle d’opportunité que le premier exercait auparavant sur les décisions des secondes.
De ce diagnostic, la recherche tire actuellement deux conséquences : governance et décentralisation ne sont pas deux modèles alternatifs mais deux modalités complémentaires. Il n’existe cependant pas de modèle universalisable car ces deux modalités posent chacune des difficultés qui ne peuvent être résolues qu’à l’échelle locale par la connaissance des enjeux urbains de la démocratisation des comportements et des systèmes de décision.

18- On ne peut réduire la production de la recherche à l’approche thématique. Le rôle de la recherche est d’améliorer la connaissance, de fournir un stock d’analyses proposées pour les pratiques et les mécanismes de prise de décision. La recherche participe également à une meilleure connaissance des représentations de la réalité, de la construction des concepts et des théories avec un double objectif, explicatif et opératoire. L’intérêt de l’approche thématique est de rendre plus aisé le rapport entre les interventions opératoires et les pratiques. Pour autant, les recherches et les pratiques sont deux champs ayant chacun leur logique et leur légétimité spécifique. Il est nécessaire d’évaluer leurs relations, qu’elles fonctionnent ou non sous la forme d’application, cette évaluation se place de plusieurs points de vue : celui des conséquences sur la transformation de la réalité, celui du retour sur la recherche, celui de la recherche dans le cadre de l’action. Cette question de la relation entre recherches et applications est un des enjeux essentiels d’Habitat II. Elle redonne toute sa dimension à la transmission et l’échange des connaissances liés à la production de celles-ci, de la formation (ex : Université) et de la coopération.

Critiques des fondements et des politiques

19- La recherche porte aussi sur ce qui détermine l’évolution de la ville et celle des politiques de la ville. Qu’est-ce que l’instrumentalisation ? Pourquoi faire cette critique ? Il est nécessaire de mener une réflexion sur la construction des concepts et méthodes. En dehors de cette réflexion le risque est grand que les effets pervers des politiques l’emportent sur les meilleures intentions.
Plusieurs questions transversales se posent, qui n’ont pas toutes fait objet de recherches particulières comme celle de la femme en ville. Dans cette contribution, ous proposons de centrer sur 6 approches : le rôle de la recherche dans la connaissance de la réalité, les modèles urbains, l’émergence des nouveaux acteurs, marché-démocratie-pouvoirs publics, identité et citoyenneté, la notion de crise urbaine.

20- Le rôle de la recherche dans la connaissance de la réalité, et l’appréciation de ses évolutions, de ses représentations, sont trop souvent niés, ou ignorés par les chercheurs.
La question des indicateurs urbains mondiaux réclamés par les institutions internationales en est un exemple. Ce thème est l’un des plus importants du programme de discussion d’Habitat II. La CNUEH élabore actuellement des propositions de définition d’indicateurs mondiaux permettant de comparer les situations urbaines. Les chercheurs interrogent les présupposés théoriques de cette demande (doit-on et peut-on comparer avec un même type de mesure ?), et les implications pratiques de tels indicateurs (quel type d’intervention les indicateurs vont-ils servir ?). Les chercheurs constatent que l’éclatement des modèles provoque une relocalisation des problèmes : la méthodologie induit des pratiques généralisables non énoncées. Il faut alors séparer deux notions : celle d’indicateur et celle d’analyseur qui est préférable.

21- La critique des fondements des modèles urbains en oeuvre actuellement est nécessaire à la modification progressive des pratiques. La question des modèles est au centre de nombreuses problématiques. On assiste à la fin des anciens modèles de gestion et de production de l’urbain dans le monde et au quasi monopole de celui de la Banque mondiale. Pourtant, peut-on réellement parler de modèle de la Banque mondiale ? En effet, depuis quelques années, on peut relever la contradiction entre le néo-libéralisme qu’elle prône, sa pratique à travers les projets urbains et les conséquences néfastes des programmes d’ajustement qu’elle défend.

22- La scène urbaine a vu émerger de nouveaux acteurs qui s’engouffrent dans l’espace créé par le désengagement de l’Etat. Un repositionnement de tous les acteurs est à l’oeuvre dans ce mouvement. Les quatre types d’acteurs de la ville identifiés sont : les municipalités ; la société civile organisée au sein d’églises, de partis politiques, d’association d’habitants, ou d’ONG ; les entreprises et les acteurs économiques qui gèrent les services urbains ; et les professionnels. Une étude de l’articulation initiatives populaires-collectivités-ONG est à faire. Les ONG revendiquent un rôle d’interface entre les émergences locales (limitées) et les pouvoirs institués. Elles héritent d’un nouveau rôle issu du déplacement des formes de coopération internationale, et tendent à capter les attributs de mini-organisations internationales. Quels sont les fondements de leurs pratiques dans ce nouveau rôle ?
Une réflexion sur la position des entreprises par rapport à l’urbanisation serait nécessaire. L’urbanisation du tiers-monde est l’occasion d’une extension considérable des marchés des biens et services urbains. La prise en compte des carences des milieux populaires antant que la montée en puissance des couches moyennes et supérieures fournissent d’excellentes occasions de pénétration des sociétés commerciales locales et internationales. La constitution d’un entreprenariat local, intervenant de façon toujours plus capitaliste sur ces marchés se double de la mondialisation des entreprises tentant de pénétrer sur ces nouveaux marchés. La recherche avanca quelque peu en ce domaine, mais l’entreprise (nationale ou étrangère) exploitant les nouveaux marchés urbains du Sud est encore assez mal légitimée comme objet pertinent.

23- Le marché et la démocratie sont affirmés comme également désirables et se renforçant mutuellement parce qu’ils postulent tous deux une multiplicité de sujets individués, formellement semblables dans leur capacités d’accès aux ressources collectives, et associés librement dans des organisations plus ou moins complexes pour une meilleure efficacité de leurs transactions. Les liens sociaux abstraits de l’échange et de la représentation sont appelés à remplacer les solidarités liées à la naissance et à la tradition. Moins les ressources abondent et plus l’assentiment collectif à l’individualisation est difficile, plus la transition se fait violente, plus les anciennes affiliations se mobilisent au coeur des nouveaux mécanismes en gestation.
Durant les vingt dernières années, de nombreux chercheurs ont ouvert d’autres voies vers la rationalité et le développement, qui entendent toutes faire l’économie de la constitution de l’individualité comme base de la modernité. La démocratie et le marché peuvent sembler se réduire à des légitimités faciles pour l’accès de l’élite à un mode de vie international. Mais cette légitimité est en fait acquise au nom d’une supposée capacité à organiser leurs sociétés selon ces mêmes valeurs qui ont fait leurs réussites individuelles. C’est avec cette nouvelle couche sociale très urbanisée que les chercheurs sont amenés de plus en plus à travailler sur des projets qui visent davantage la mise en réseau internationale que le développement intérieur. Marché et démocratie apparaîtraient alors comme des mots de passe plus encore que comme des mots d’ordre. Leur donner consistance dans des projets concrets et localisés, s’articuler à la multiplicité réelle dans toutes ses contradictions, reste le souci principal des chercheurs à travers les évaluations et les expertises dans lesquelles ils sont associés de plus en plus à des chercheurs des pays concernés.

24- La citoyenneté éclatée, vécue comme telle par les protagonistes de la ville, fait de la revendication de la participation civique et politique au sens large, un phénomène planétaire. Citoyenneté et urbanité, jadis solidaires, ne le sont plus et font place aux villes productrices d’exclusion. Reconstruire la modernité par l’épanouissement de nouvelles citoyennetés se dévoile alors comme l’ambition pour l’aube du XXIe siècle et comme la poutre maîtresse d’un nouveau projet de civilisation urbaine. La citoyenneté doit être déclinée et trouver des modes d’expression multiples, respectueux de l’articulation (spécifique et unique à l’environnement où elles’excerce) de l’économique, du politique, du social, du culturel, avec cependant une intention centrale : le citoyen doit être remis au centre des choix et des décisions et contribuer ainsi à recréer la ville "plurielle", la ville métisse de cultures et d’identités, attentive aux usages et aux "pratiques ordinaires" par lesquels "les gens de peu" s’approprient l’espace et vivent leur vie, attentive aux "arts de faire" où s’invente le quotidien. La citoyenneté, clef de la cité ? En tous les cas de la recherche sur la ville !

25- La notion de crise urbaine est largement utilisée pour caractériser les difficultés actuelles dans le développement des villes, que ce soit au Nord, à l’Est ou au Sud. Elle est illustrée partout mais selon des modalités différentes, par la marginalisation et l’exclusion d’une partie de la population urbaine. La très grande diversité de situations à laquelle est appliquée l’idée de crise, amène plusieurs interrogations : s’agit-il d’un concept applicable à toutes les situations ? Parle t-on de crise urbaine ou de l’impact de la crise sur la ville ? On peut tenter de définir la crise comme le résultat de la concomitance et de la généralisation de ruptures d’équilibres à différents niveaux. Il convient de séparer le concept généralisable de crise urbaine des crises sectorielles, de celle des modèles de gestion de la ville et de la citoyenneté. Se pose alors le problème du cadre d’analyse de la crise. Le contexte de rupture des modèles économiques, de crise des modèles d’intervention de l’Etat, de l’émergence des initiatives populaires face à l’inefficacité des pouvoirs publics, renvoie in fine, à l’idée que plus que la ville, ce sont les modèles d’intervention dans l’urbain qui sont en crise.

Propositions des chercheurs et de la recherche

26- Les chercheurs peuvent-ils être considérés comme des acteurs autonomes ? peuvent-ils développer des stratégies propres ? Cette question de l’autonomie des chercheurs se pose du point de vue des individus, des institutions de recherche et de la collectivité des chercheurs. Il convient de soumettre cette catégorie, comme les autres, à l’analyse critique et de la situer dans l’ensemble formé par les acteurs de la production urbaine.

27- Comment se situe la recherche par rapport à la demande sociale ? Celle-ci est-elle définie exclusivement par les pouvoirs publics ? Les institutions de recherche doivent-elles définir leurs programmes à partir de leurs seuls commanditaires ? D’autres acteurs (associations, mouvements sociaux par exemple) n’ont-ils pas aussi légitimité à exprimer aussi la demande sociale.

28- Nous proposons que les chercheurs, d’ici Habitat II, définissent leurs points de vue sur les rapports à avoir avec les différents acteurs et fassent des propositions sur : les chercheurs et la recherche par rapport aux pouvoirs publics, aux institutions internationales, aux municipalités et collectivités locales, aux associations d’habitants et ONG, aux entreprises et acteurs économiques, aux professionnels.

29- Habitat II doit être le lieu de définition d’un programme international de recherche en précisant les thèmes, les financements et les institutions.

30- Quelles que soient les décisions d’Habitat II, les chercheurs peuvent se donner des objectifs : consolider les capacités de recherche dans les pays, en favorisant les centres de documentations et les financements de programme de recherche ; instituer le partenariat entre institutions ; renforcer les réseaux de chercheurs et définir des thèmes mobilisateurs pour ces réseaux.

31- Nous proposons que la plate-forme définie par la prep-com d’avril 1995 soit soumise à la discussion auprès de tous les acteurs et notamment des chercheurs.

Contribution élaborée au cours du séminaire Habitat II d’Interurba (20 décembre 1994, 22 février 1995 et 7 mars 1995)
Direction G. Massiah - Coordination A. Chatelier

Liste des participants au séminaire

Etienne Adjimah
Serge Allou, PSH
Michel Arnaud, IPC-ADP
Jean-Claude Barbier, ORSTOM
Monique Bertrand, Université de Caen
Jeanne Bisilliat, ORSTOM
Isabelle de Boismenu, GRET
José Borzacchiello da Silva, Paris 8
Robert Cabanes, ORSTOM
Armelle Chatelier, Interurba
Alain Durand-Lasserve, CNRS
Galila El Kadi, ORSTOM
G. Garcia-Oriol, IFU-ENS
Nathalie Gaudant, PSH
Xavier Godard, INRETS
Charles Goldblum, Paris 8
Céline Guibert,
Jean-Marie Hennin, architecte
Philippe Haeringer, ORSTOM
Etienne Henry, INRETS Bernard Klein, ORSTOM
Tidiane Koïta, InterurbaEmile Le Bris, ORSTOM
François Leimdorfer, IEDES
Etienne Le Roy, Paris-I
Gustave Massiah, AITEC
Yves Marguerat, ORSTOM
Françoise Navez-Bouchanine, INAU
Annik Osmont, IFU Paris-8
Abdelkader Ouahrani,
Raoul Pajoni, GRET
Thierry Paulais, CDC
Rémi Perelman, DCST
Anne Querrien, Plan Urbain
Corinne Rocher, IFU Paris-8
Céline Sachs-Jeantet, Consultante
Marie-Claude Tabar-Nouval, ISTED
François Tomas, Gral/CNRS
Jean-François Tribillon, AITEC
Yannis Tsiomis,
Licia Valadares, IUPERJ

Bibliographie

 Actes du séminaire "crise urbaine"

 BURGEL Guy, "Acteurs et chercheurs dans la ville", Villes en parallèle, n° 17-18, avril 1991, 347 p.

 COING H., JOLLET M., LAMICQ H., La politique de recherche urbaine française dans le Tiers-Monde, Institut d’urbanisme de Paris, Créteil, 1978, 240 p.

 COQUERY M., "Urbanisation et urbanisme" in La recherche en langue française et le développement, Paris, Karthala, février 1993.

 HAERINGER P., La recherche urbaine à l’ORSTOM. 1950-1980, ORSTOM, 1982.

 HENRY E. et SACHS C., "Envahir, conseiller et gouverner... la ville d’Amérique latine", in Social Science Information sur les sciences sociales, vol. 32, n°2, juin 1993, Sage Publications, pp. 303-361.

 LEIMDORFER F., VIDAL L., "Les thèses françaises sur les villes des pays en développement (1980-1990)", Pratiques urbaines, n°10, Paris, INTERURBA, 1992, 159 p.

 LEPETIT B., TOPALOV C., "La recherche urbaine dans les sciences sociales"

 MILBERT I. : "Diffusion et valorisation de la recherche urbaine française sur les pays en voie de développement dans les années quatre-vingt", Lyon, Economie et Humanisme, 1992, 105 p. (bibliographie)

 "Le dispositif français de recherche et d’études urbaines dans les pays en développement. Etat de la question", Pratiques urbaines, n° 11, ORSTOM-Plan Urbain, Paris, septembre 1993, 160p.

 "La recherche urbaine au Maroc", Pratiques urbaines, n° 6, Bordeaux, CNRS-ORSTOM, juillet 1988, 98 p.

 "La recherche urbaine au Brésil. Un état de la question", Pratiques urbaines, n° 7, 1989, 112 p.

 "La recherche urbaine dans les pays andins. Un état de la question", Pratiques urbaines, n° 8, Bordeaux, CNRS- ORSTOM, 216 p.

 "Recherche urbaine : quel avenir ?", Metropolis, vol. 8, n° 57, 3ème trim. 1983, 71 p.

 La recherche urbaine en France, Paris, Ministère de l’Urbanisme et du Logement, 1980, 278 p.

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 STREN R., "Notes on the Ford Foundation Project. Urban research in the developing World : towards an agenda for the 1990’s", 5 p.

 VERNIERE M., Rapport de synthèse du comité de réflexion sur l’apport des universités dans la formation et la recherche relatives au développement inégal dans le monde, 1983, 12 p. multig.

 RONCAYOLO, Rapport sur la recherche urbaine, CNRS, 1991.



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