AITEC
Bouton menu

Les conditions à réunir pour un droit au logement effectif

Publié par , le 12 mars 2007.

Questionnement autour de quelques orientations des politiques du logement

GouvernanceLogementDroit au logement et droit à la ville



Partager :

bouton facebook bouton twitter Bouton imprimer

Le projet sur le droit opposable : un effet d’annonce porteur de discrimination ? Un droit au logement au rabais ?

L’Aitec prend acte de la prochaine adoption d’une loi sur le droit au logement opposable, perspective pour laquelle elle se mobilise aux côtés de nombreuses associations depuis plusieurs années. La présence de ce thème aujourd’hui dans l’agenda politique est incontestablement le fruit de la lutte des associations de défense des mal-logés et des mobilisations de la plate forme pour le droit au logement opposable.

Cependant, en l’état, le projet de loi présenté n’est qu’un texte d’affichage ne mettant aucunement en place un mécanisme réel d’opposabilité. Dans sa rédaction actuelle il n’ouvre un recours qu’aux personnes classées prioritaires par décision administrative : le droit de saisir le juge est conditionné par la décision de la commission de médiation de considérer la demande comme prioritaire. Il affirme par ailleurs que le droit ouvert est celui d’obtenir "un logement ou un placement en structure adaptée" ce qui n’exclut donc pas de continuer à recourir aux hôtels meublés et à l’hébergement provisoire. S’agit-il d’un droit à l’hébergement ou d’un droit au logement ? Dans le même esprit, la définition des publics pose aussi problème, puisqu’elle crée une discrimination légale entre les mal-logés en excluant les étrangers qui ne séjourneraient pas de "façon durable" (1).

Ainsi concernant la rédaction de la loi, nous rappelons avec la plate-forme pour le droit au logement opposable, qu’afin d’être pleinement efficace la loi doit contenir une obligation de résultat et une possibilité de recours :

L’État est le garant du droit au logement. Il peut déléguer sa mise en œuvre à des collectivités territoriales.
Une évaluation permanente et publique, des besoins quantitatifs et qualitatifs en logements, au niveau national, régional et local, est menée. Elle fixe les objectifs à atteindre pour satisfaire ces besoins.
L’État garantit la réalisation de ces objectifs par la loi, le financement et son impulsion.
L’État et les collectivités territoriales délégataires ont l’obligation de réaliser ces objectifs par tous les moyens appropriés, dans un délai donné.
Un recours à deux niveaux est créé, ouvert à toute personne en situation de mal logement :

1. Un recours amiable, auprès d’une commission locale indépendante que chacun peut saisir, directement, à tout moment. Elle est chargée d’examiner la situation du demandeur et de lui trouver, en liaison avec le ou les responsables désignés du logement et dans un délai approprié, une solution de logement adaptée à ses besoins.

2. Un recours juridictionnel, devant le tribunal administratif, qui peut obliger, sous astreinte, la ou les collectivités responsables à fournir un logement au demandeur.
L’État pourra être appelé dans la cause, si cette ou ces collectivités considèrent qu’il ne lui (leur) a pas donné les moyens nécessaires à remplir sa (leur) mission.
extrait du Manifeste de la Plate forme pour le droit au logement opposable, janvier 2007

Enfin, la loi ne prévoit pas d’obligation de résultat en matière d’offre de logement. Ainsi, si un juge peut prononcer une condamnation, il ne peut assurer l’accès à un logement, tout au plus à un hébergement. Il est donc avant tout indispensable que soient réunies les conditions économiques, politiques et sociales de résorption de la crise du logement. Il est alors nécessaire d’organiser un débat sur les conditions de la mise en œuvre du droit au logement effectif et sur son lien indispensable avec la notion plus globale qu’est celle de droit à la ville (droit à la mobilité, à l’accès aux services et équipements de la ville...).

Les conditions de l’accès à un logement décent pour tous

La discussion actuelle sur la crise du logement a tendance à porter sur un unique sujet : le niveau de production de logement est-il suffisant pour répondre aux besoins ? Or cette question est trop restreinte dans un contexte où seul le logement social est en mesure de répondre à la demande de logement décent des plus pauvres. La question de la production est bien sûr fondamentale mais il faut aussi poser la question des conditions d’accès à l’ensemble de l’offre.

 L’impossibilité pour les plus démunis d’accéder à un logement décent est due aujourd’hui en grande partie à la place croissante qu’occupe le marché dans le domaine du logement. En effet, dès 1977 (et la réforme Barre qui instaure le passage des aides à la pierre aux aides à la personne) l’Etat a commencé à abandonner les mécanismes régulateurs qui lui permettaient de tempérer les tendances spéculatives du marché. La diminution de l’aide à la pierre a eu pour contrepartie une augmentation du coût du logement pour les ménages et une explosion des dépenses publiques au travers du système d’aide à la personne. En outre, même si les dépenses publiques ont fortement augmenté, les aides personnelles au logement ont perdu leur pouvoir solvabilisateur en raison de l’importante hausse des loyers. Ainsi, la crise s’alimente de l’insuffisance de la production de logements sociaux mais elle est aussi la conséquence directe d’une politique qui favorise essentiellement les mécanismes spéculatifs de marché en particulier par le développement de l’aide fiscale.

 La discrimination dans le secteur public et privé est une pratique qui rend plus difficile encore l’accès au logement et redouble les effets des inégalités sociales. Dans le parc social les discriminations résultent d’un système qui fonctionne sur la base d’une sélection et d’une répartition informelle et opaque des populations "désirables" et des populations "indésirables" (l’origine du candidat étant bien évidemment un critère de "désirabilité"). Dans le parc privé, la discrimination, plus diffuse, est plus dure à évaluer mais elle joue aussi un rôle important de blocage dans l’accès au logement, notamment dans le parc locatif privé. Ainsi, la difficulté d’entrer dans le logement social, malgré la satisfaction des critères d’accès, ou celle d’accéder au parc privé décent, rend impossible la mobilité résidentielle de ces personnes.

 La financiarisation du logement social. Les organismes HLM obéissent à des logiques financières de gestion. La politique de logement menée par le ministère de la cohésion sociale au cours des trois dernières années est fondée sur une relance par les mécanismes de marché et une forme de privatisation rampante des outils de financement (Livret A) et de la gestion des organismes HLM. Ainsi, la réforme des statuts des sociétés HLM, qui donne désormais le pouvoir aux actionnaires, et la politique de plus en plus active de vente du parc, accentuent la marchandisation du logement social. On peut aussi citer le déconventionnement du parc de la SIC (ICADE, filiale de la Caisse des Dépôts).

 Les politiques publiques ne se sont jamais attaquées aux causes structurelles de la crise, en particulier à la réduction constante, voire à la disparition, du parc à bas loyer disponible pour les ménages modestes. Ceci est particulièrement vrai dans le parc privé où la disparition de logements à bas loyer n’est pas compensée par la construction de logements à loyers modérés dans le parc HLM et le parc "conventionné privé". Les aides fiscales, qui favorisent davantage l’investisseur privé fortement fiscalisé que le logement social, ont permis certes une relance de la construction mais il s’agit de logements ne répondant pas aux besoins d’une large partie de la population. Ainsi au cours des six dernières années, le prix des appartements neufs a progressé de 54,6 %, celui du terrain à bâtir de 57,5 % et celui des logements anciens de 87,9 %, tandis que, dans la même période le revenu disponible des ménages n’augmentait que de 24,8 % . Par ailleurs, dans ce contexte de hausse des prix, la précarisation croissante de l’emploi est un obstacle supplémentaire à l’accès au logement, devenu la première dépense des ménages. Dans le même temps, dans le parc social, l’Etat oblige les sociétés HLM à répercuter le coût des réhabilitations par des augmentations de loyer. Les investissements de l’Etat diminuent et les logements produits sont de moins en moins "sociaux" (augmentation de la construction des PLS non accessibles aux plus pauvres).

Face à cette crise sans précédent qui produit des effets sociaux durables voire pour certains irréversibles, il est bon de rappeler que contrairement à une idée reçue la France dépense peu pour ses aides au logement. Ainsi, ramenées en pourcentage de PIB, les aides au logement représentent entre 1,6% et 1,82% , selon les modes de calcul, ce qui situe la France dans la moyenne européenne de 1,8% (l’Angleterre, par exemple, se situe à 2,6 %).

Quelques questions clefs pour rendre effectif le droit au logement.

 Quelle part de sa richesse la collectivité veut-elle consacrer à la redistribution en faveur d’un logement accessible ? Il est bon de rappeler au passage que les formes les plus libérales d’intervention ne sont pas forcément les moins chères (comme l’a montrée l’explosion des aides à la personne en France) ni les moins coûteuses socialement ou du point de vue du développement durable (voir les aides individuelles favorisant le logement individuel périurbain).

 Quelles formes d’interventions publiques souhaitons-nous pour permettre une régulation du marché et rendre le produit logement (public ou privé) accessible à tous ? Il s’agit d’intervenir sur l’ensemble des éléments de la chaîne : coût du foncier, coûts des logements, coût des loyers.

 Comment compléter la régulation du marché par un système d’aide à la personne fondé sur un mécanisme assurantiel pour les ménages fragiles ? Créé selon la logique de la CMU il s’appliquerait à toute personne, quelle que soit sa situation administrative ou économique.

 Quel logement social produire, pour qui et où ? Comment organiser la gestion du parc existant ?

 Quelle régulation citoyenne du système peut-on mettre en place ? Quelle gouvernance du système souhaite-on développer et comment agir à partir de la situation actuelle ?

C’est la question de la transparence démocratique qui est posée ici. Le système français du logement a atteint aujourd’hui des niveaux de complexité et de technicité tels qu’il est très difficile d’organiser des débats publics sur ces questions. Le logement reste "une affaire de spécialistes" et chaque nouvelle loi rajoute de la complexité (la loi ENL est, à ce titre, un aboutissement caricatural).
Partant de ces questions, on peut émettre une série de propositions ayant pour objectif d’alimenter un débat citoyen sur l’évolution des politiques vers un droit effectif pour tous au logement et à la ville.

Des propositions à discuter

· Une nouvelle autorité organisatrice locale

Le débat sur le Service Public du logement est, tout comme celui sur l’opposabilité, très salutaire mais à ce jour insuffisant et trop centré sur des outils traditionnels. Il ne répond pas aux questions nouvelles qui se posent aujourd’hui : qui garantit et organise l’accès au logement ?

La création "d’autorités organisatrices locales", dans une logique de service public local, chargées de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour garantir le droit au logement effectif, serait une innovation dans le sens de la transparence démocratique et d’une claire répartition des responsabilités. Ces agences ou régies immobilières locales, deviendraient le lieu de recueil des besoins et des demandes. Elles auraient aussi la possibilité de gérer les actions à mettre en œuvre dans une logique de contrat ou de convention avec les différents acteurs du logement social, mais aussi du parc privé. L’objectif de ces agences serait une régulation qui ne bloque pas le marché mais qui doit permettre une meilleure adaptation de l’offre à la demande.

Quel pourrait être le rôle d’une autorité de régulation ?
 Assurer une cohérence dans la mise en œuvre de mesures visant à réguler les dysfonctionnements du marché concernant par exemple la mobilisation des logements vacants (réquisition), la prévention des expulsions, le contrôle du niveau des loyers et de leur augmentation.
 Une intervention possible dans des domaines ponctuels : la mise en chantier de programmes urgents, le soutien aux promoteurs ou logeurs innovants, le contrôle des ventes à la découpe…
 Une garantie de transparence et d’efficacité des attributions de logements sociaux, le développement de conventions pour un parc à loyer maitrisé dans le privé.
 La mise en œuvre de plans d’action foncière qui viendraient appuyer les Programmes locaux d’Habitat.

Reste à réfléchir à l’organisation de cette autorité (une compétence d’Etat à déléguer en partie à des « régies locales » placées sous la responsabilité des intercommunalités ou des régions (IdF) ?
Quelles seraient ses formes d’intervention ? De contrôle ? Quel rapport aurait-elle avec les autres acteurs du logement ? Quel pouvoir d’injonction à construire et à louer ? Quel rôle dans la réalisation du droit au logement et dans la procédure juridictionnelle d’exécution des décisions de justice ? Quelles interventions sur les rapports locatifs et sur le foncier ?

· Le foncier et la propriété.

Il faut tout d’abord rappeler que l’Etat, directement ou par l’intermédiaire de ses Etablissements publics, reste le premier propriétaire foncier de ce pays et le pire des spéculateurs. Il vend certains de ses terrains bien trop chers pour le rachat par les collectivités locales et la mise en œuvre de programmes de logements accessibles (voir par exemple les ventes des emprises ferroviaires).

Les appels à la relance d’une politique foncière paraissent ainsi aujourd’hui bien tardifs à un moment où l’Etat a abandonné ses outils de régulation. Les communes en possèdent certains par la maîtrise de l’occupation de leur sol mais elles n’ont ni compétences ni responsabilités dans le domaine du logement. Dans ce contexte un premier pas important serait de voir les documents d’urbanisme non pas comme des contraintes mais comme l’aboutissement d’une volonté commune. Le rôle du plan d’urbanisme serait alors de produire du foncier en donnant une fonction sociale à la propriété foncière.

Un changement plus radical pour envisager la régulation foncière aujourd’hui serait d’établir une dissociation des droits de propriété. Il s’agit de différencier le droit d’usage d’un bien de sa propriété réelle ou encore de séparer la propriété du sol de celle des murs pour sortir une partie du foncier du marché. C’est une question taboue en France mais il est bon de ne pas oublier que des pays beaucoup plus "libéraux" que la France ont une vision de la propriété bien plus restrictive que la notre (propriété étatique des sols, récupération des plus-values sur le foncier). La dissociation des composantes des droits de propriété permettrait ainsi de modifier le partage de la rente ou des plus-values, qu’elles soient liées à des investissements publics ou à un simple classement en zone constructible.

Mais l’engagement d’un tel débat ne doit pas cacher l’importance et l’utilité immédiate d’actions foncières plus classiques (certaines déjà en expérimentation) :

 En premier lieu, et dans l’urgence, bloquer les démolitions d’ensembles immobiliers sociaux qui s’inscrivent dans le cadre de l’Anru et dont l’objectif premier est d’extraire du foncier pour la promotion privée (sous couvert d’introduction de mixité sociale).
 Concentrer l’essentiel de l’action foncière sur des emplacements limités en taille et urbanisés.
 Mettre en place au niveau local un suivi précis des mutations foncières pour exploiter les opportunités qui se présentent pour la construction de logements accessibles. Faire alors réaliser le portage foncier des biens (de l’acquisition jusqu’à leur réemploi) par des établissements publics fonciers spécialisés, nationaux ou régionaux, capables de mettre en œuvre des capitaux sociaux.
 Geler le foncier des endroits susceptibles de faire l’objet d’opération de réaménagement urbain pouvant dégager suffisamment de terrains pour la construction d’habitat social.
 Obliger tout promoteur agissant dans les "zones de déficit en logements sociaux" d’affecter une part significative de son programme en termes de surface de plancher à des logements sociaux, avec un pourcentage à déterminer en fonction des situations locales.
 Affecter ponctuellement dans les PLU le mécanisme de la réservation foncière "pour équipement" à des réservations foncières "pour logements sociaux".

Il va de soit enfin qu’il est nécessaire de réequilibrer les poids respectifs du droit de propriété et du droit au logement en accordant une réelle valeur constitutionnelle à ce dernier.

L’AITEC
25 Janvier 2007

(1)Les 130 000 étudiants étrangers bénéficiaires d’une carte de séjour temporaire ainsi que les étrangers bénéficiaires d’une carte de séjour pour un motif économique seraient alors exclus de ce droit.