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Introduction. Démocratie et marché - Philippe Frémeaux

Publié par , le 13 mars 2007.





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Le débat sur démocratie et marché a été longtemps structuré selon une opposition classique :
 pour la théorie libérale, il n’y a pas de démocratie sans marché, sans autonomie de la sphère marchande (et de la société dite civile) face a l’Etat.
 pour la théorie marxiste, la démocratie dite bourgeoise est purement formelle, elle ne correspond à rien dans une économie de marché capitaliste.

Cette opposition a évolué d’abord :
 sous l’effet de l’évolution des pays du socialisme réel : la démocratie dite bourgeoise n’avait pas que des défauts...
 Sous l’effet de l’évolution des sociétés développées et du tiers monde, à économie de marché : le rôle régulateur de l’Etat est indispensable pour limiter les effets pervers du marché. Il n’y a pas de démocratie possible sans un minimum de cohésion sociale et de mécanismes correcteurs des inégalités...

Depuis lors, d’autres évolutions sont venues nourrir la réflexion, et notamment les transformations des pays socialistes. Au-delà du rêve « fin de l’Histoire » à la Fukuyama, on ne peut qu’observer l’évolution différente de la Chine et de l’URSS : dans le tableau à quatre cases avec marché/économie de commandement en colonnes, et démocratie/totalitarisme en lignes, la Chine va vers la case marché + totalitarisme, tandis que l’URSS accède à des formes démocratiques (à défaut d’être une démocratie), tout en conservant pour l’essentiel une économie administrée (même si cette administration est désormais autogérée par les entreprises plus qu’elle n’est organisée par le centre).

L’examen approfondi de ces évolutions conduit, aujourd’hui, à s’interroger plus avant sur le sens des concepts de marché et de démocratie.

Plus que jamais, l’autonomie de la société civile face à l’Etat, peut prendre des formes fort différentes (on peut laisser la liberté de s’enrichir sans pour autant donner le droit d’ouvrir sa gueule...). Inversement, d’autres formes de diversité des lieux de pouvoir peuvent déboucher sur une régulation démocratique de la société, dans le cadre d’une économie où les régulations administrées demeurent très importantes.

Le marché « pur » n’existe pas : tout système dit « de marché », mêle des formes d’économie administrée, fondée sur une coopération non marchande entre agents (coopération plus ou moins contraignante et plus ou moins soumise à des procédures) et des relations marchandes. La relation marchande « pure » n’existe pas, et comprend toujours une dimension sociale et historique (connaissance mutuelle des agents, respect implicite de normes,...). Il n’y a donc pas une économie de marché, mais des économies de marchés (comme le dit J.Sapir), imbriquant des formes très différentes de fonctionnement.

Les modes spécifiques de fonctionnement du marché, sont donc profondément imbriqués avec les formes socio-historiques propres à chaque pays. L’établissement d’un droit « capitaliste » n’a fait que sanctionner, régulariser des pratiques sociales. Il ne suffit pas de mettre en oeuvre les cadres juridiques du marché aujourd’hui, à l’Est, pour que celui-ci fonctionne...

En ce qui concerne la démocratie, la complexité est identique : l’exercice des libertés fondamentales et l’acceptation de l’alternance par les détenteurs du pouvoir apparaissent comme les critères juridiques qui permettent de définir une démocratie. Mais la relative liberté de la presse et l’organisation d’élections en Russie suffisent-elles a dire que ce pays est devenu une démocratie ? Non, certaines « formes » démocratiques s’y sont établies, mais la démocratie n’y est pas ancrée dans les têtes, dans les comportements sociaux, dans les mécanismes de régulation du pouvoir. Le « droit » démocratique, là aussi, ne fait que sanctionner une évolution de comportements sociaux, l’établissement d’une société où les centres du, pouvoir sont multiples et où leur coexistence est possible.

Le chemin parcouru dans nos pays où la démocratie résulte de l’heureuse issue de l’affrontement entre la bourgeoisie montante et les vieux pouvoir régaliens, puis de l’entrée sur la scène sociale du salariat, a donné naissance à la théorie classique qui lie économie de marché et démocratie. Elle ne peut se reproduire a l’identique dans les pays qui sortent d’une économie administrée : la diversification des centres de pouvoir ne peut prendre qu’une forme différente. Celle-ci sera probablement proche de celle observée dans nos pays, ou la relation société/Etat ne se traduit pas par la régulation d’une opposition de classe centrale (droite/gauche, capitalistes/salariés), mais par une gestion négociée des intérêts de multiples groupes de pression. Reste à voir si cela permet de répondre aux enjeux auxquels sont confrontés nos sociétés à l’est, à l’ouest, ou au sud. Sans doute pas. Mais que faire ?

Philippe Frémeaux

15 Septembre 1993