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Les enjeux du "service public" aujourd’hui - Philippe Brachet - 1997

Publié par , le 13 mars 2007.





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En France, cette notion fonde la légitimité de l’État républicain : ses valeurs se concrétisent en corps de principes que les institutions ont pour mission de faire respecter. Or le dispositif actuel de service public (administratif et marchand) mis en place à la Libération, dans le consensus de l’époque, est en crise profonde. Car nous sommes depuis les années soixante-dix dans une période de mutations qui se produisent à la fois dans les domaines scientifique, technique et social. Le centre névralgique en est constitué par le système politique en crise. Et les activités de service public sont au cœur de cette mutation. Face à ces mutations des demandes, des attentes et des besoins., l’offre de service public s’est figée du fait de l’étatisme.
L’enjeu central est donc l’adaptation des institutions aux demandes sociales et citoyennes : la relégitimation des « services publics » est partie intégrante de la sortie de la crise politique et institutionnelle.

1. la crise politique actuelle est d’abord celle du modèle jacobin d’État républicain.

La démocratie se vit dans la façon dont sont articulées ses deux dimensions - la représentation et la participation. Or dans le modèle jacobin :

 la participation du citoyen à la république se limite à l’élection, moment-symbole sans lendemains pour lui,

 pour l’exécution de son mandat, l’élu-décideur se comporte en souverain absolu : la séparation des pouvoirs commence au-dessous de lui, mais lui participe de tous,

 toutes les décisions étant centralisées, le niveau local se réduit à l’application de décisions prises au centre,

 émanant du centre, la monarchie républicaine se reproduit à la périphérie du système (maire).

 c’est un système machiste : l’exclusion des femmes des responsabilités le prive d’une vision concrète des problèmes, du point de vue pratique de l’usager. Les femmes se désintéressent donc du « service public » qu’elles identifient avec le pouvoir jacobin.

Le modèle jacobin a désormais épuisé ses vertus démocratiques. La profondeur de la crise vient de ce qu’aucune alternative n’apparaît puisque les partis de gouvernement restent dans sa logique et que la majorité des élus réagissent à la crise politique par des comportements qui l’aggravent.

2. Les « services publics » sont au cœur de la crise sociale.

Alors qu’à l’origine, ils s’opposaient comme aspiration populaire à l’arbitraire de la souveraineté du monarque, ils ont été depuis récupérés par la logique jacobine. Ceci par la conjugaison de la croissance des effectifs des agents publics et du maintien (pour l’essentiel) des modes d’intervention de l’État-gendarme sous l’État-providence.

Conséquences :

 les corporatismes au nom du « service public » (le « service des « services » »). Le corporatisme diffuse à partir des grands corps de l’État, y compris aux appareils syndicaux ;

 le droit public définit en général le « service public » en termes de techniques juridiques qui organisent l’exceptionnalité du statut juridique public par rapport à celui du privé, sous l’autorité du Conseil d’État ;

 La crise actuelle des « services public » vient à la fois des mutations techniques qui créent de nouvelles attentes de services, de la crise de l’État-providence et de la construction européenne. Cette dernière conteste en fait non pas le « service public » dans son principe mais l’étatisme au nom du « service public » (ex. des subventions qui ne sont pas justifiées par leur utilité à réaliser une mission de service public précise). Mais contrairement à ses proclamations à usage interne, l’État français ne sait pas se comporter autrement.

3. L’alternative actuelle est entre :

 une poursuite de la dérive ultra-libérale qu’un État à la fois volontariste et impuissant cherchera en vain à masquer

 et des expérimentations participatives, de citoyenneté active qui refondent la légitimité des activités de service public et les articulent avec la construction européene.

Ce qui suppose :

 de partir du terrain, de valoriser le niveau local selon le principe de subsidiarité et d’y expérimenter des partenariats de service public utilisant l’évaluation pluraliste comme technique d’animation et de médiation - d’apprentissage de la démocratie ;

 de reconnaître qu’aucun des acteurs partie prenante du service public ne peut légitimement se l’approprier, en re-vendiquer le monopole. Car les principes du service public ne peuvent s’appliquer qu’au travers du débat public permanent, seul capable d’approcher l’indispensable transparence ;

 de revenir aux principes du service public pour débattre de leur application à des activités données en re-définissant les « missions » des organismes avec la participation de tous les acteurs concernés ;

 de tirer toutes les conséquences de ce que le destinataire du service public, c’est l’usager-citoyen. Donc de le reconnaître comme acteur social (au-delà des enquêtes et sondages qui en donnent une connaissance statique, statistique, sérialisée et la cantonnent dans un rôle individuel passif) en admettant son rôle à travers ses associations, à côté des autres partenaires du service public, dans la définition des missions et l’évaluation des résultats.

4. Même si un modèle alternatif au jacobinisme n’existe pas aujourd’hui de manière cohérente, ses lignes de force sont perceptibles et sont seules susceptibles de régénérer la vie politique française :

 l’expérimentation locale d’innovations participatives comme les comités (ou conseils) de quartier, les comités d’usagers et différentes formes d’appropriation citoyenne de l’évaluation pluraliste ;

 la logique de réseau qui mette ces expériences en synergie, s’étende selon le même mouvement du local au mondial, en passant par le national et l’européen. Car le travail en réseau ouvert est un mode alternatif au centralisme jacobin, pyramidal et fermé dans ses fondements (secret) ;

 l’organisation d’un mouvement d’associations citoyennes (au sens large), gardant chacune leur objet spécifique mais dépassant leur appréhension du politique, sans tomber pour autant dans la politique partisane. Mouvement organisé en réseau ouvert valorisant les expériences locales.

Car conformément aux analyses de Tocqueville et comme ce fut déjà le cas dans les années 60-70, les associations seront à l’avenir le principal moteur du renouveau démocratique. Une des clés de leur influence sera leur capacité à dépasser leur rivalité avec les élus-décideurs par des expériences locales et par le dialogue public contradictoire.

5. Ce renouveau démocratique sera en même temps celui du service public.

 Léon Duguit le définissait il y a un siècle comme « les activités qui - à une époque donnée - sont au cœur de l’interdépendance sociale et qui, pour cette raison, doivent être organisées par la force gouvernante ». C’est cette définition sociétale (et non une définition étroitement juridique) qui permettra de dépasser la crise actuelle, car l’exceptionnalité du droit public est minée par la mondialisation, attaquée par les instances européennes et pauvre en relations sociales de solidarité.
Dans ce sens large au contraire, les associations d’intérêt général remplissent une mission de service public qui devrait fonder leur reconnaissance active par l’État.

 De même, la crise des organismes marchands de service public comme EDF ou la SNCF s’aggravera tant qu’ils prétendront la résoudre uniquement en interne ou par des démarches exclusivement commerciales. Car elles constituent un pseudo-dialogue qui passe à côté des attentes de leurs clients, qui se veulent en même temps usagers et citoyens. Et seul un vrai retour d’information autonome peut fonder la dimension relationnelle du service public - le « service des publics ». C’est ce qu’a commencé d’expérimenter EDF au début des années 90. Mais depuis, la démarche managériale y est bloquée ; la direction en crise de légitimité et le retour du commandement y passe par celui d’une conception exclusivement interne de la productivité (avec traduction dans les indicateurs qui sont privilégiés).

On pourrait faire le même type d’analyse pour la SNCF ou La Poste. Quant à France Télécoms, elle semble désormais exclusivement préoccupée par l’impératif commercial. Cette re-glaciation actuelle s’effectue sur fond de profonde division des personnels et conduirait (si elle se prolongeait) aux pires conditions d’application des directives européennes.

Il est donc grand temps d’expérimenter des partenariats locaux (comme entre Agences d’EDF et maires pour la réalisation d’une enquête de terrain sur la compréhension et l’utilisation par la population d’une commune de La garantie des services). La re-légitimation que produiraient ces partenariats s’étendrait non seulement aux associations qui y participeraient mais aussi aux organismes de service public. La réalisation de telles expérimentations citoyennes est le test que les « services publics » ont enfin la volonté de dépasser leur crise de légitimité en redevenant exemplaires comme acteurs du renouveau démocratique.