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Continuité du service public - 1994

Publié par , le 13 mars 2007.





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Dix entretiens ont été réalisés sur ce thème en 1994 par Jean-Claude Boual, Philippe Brachet et Alain Nicquet auprès d’élus, responsables d’organismes publics, syndicalistes, responsables associatifs des secteurs de l’énergie, transports et équipement, santé.

Les cinq questions posées étaient :

 Qu’est-ce - selon vous - que la continuité du service public ?
 Comment appréciez-vous la situation actuelle : inévitable ? un moindre mal ? grave et inadmissible ?
 À qui et à quoi en imputez-vous la responsabilité ?
 La concertation (le dialogue) entre pouvoirs publics et syndicats peut-elle renforcer (ou rétablir) la continuité ? À quelles conditions ? Doit-elle s’élargir aux associations d’usagers ?
 L’intégration européenne va-t-elle changer la situation ?

Il ressort des entretiens la double complexité du respect du principe de continuité : complexité technique et complexité sociale. Les différentes dimensions de la continuité sont autant de causes de sa rupture.

I - LES DIFFERENTES CAUSES DE RUPTURE DE LA CONTINUITE

A/ Causes naturelles et technico-économiques

1. Les catastrophes naturelles appellent de la part du service public des formes d’intervention spécifiques pour rétablir la continuité dès que possible. Et ces formes impliquent souvent leur coopération. Ainsi, quand les lignes électriques et téléphoniques sont coupées par des chutes de neige, EDF et France Télécom ne rétablissent la ligne que si les agents de l’Équipement rouvrent la route.

2. Le temps et l’espace :

a) Dans le temps - À court terme, chaque utilisateur du service public peut souhaiter que celui-ci fonctionne en permanence : qu’il jouisse d’un accès immédiat, qu’il n’y ait pas de panne.
À long terme, qu’il n’y ait pas dégradation ou altération du service public sur des longues périodes. Ainsi, si une desserte est garantie, on souhaite qu’elle le soit sur très longue durée et qu’elle ne soit pas interrompue au bout de quelques années, par un évènement indépendant du client. Quant aux transports, la continuité pose des problèmes d’horaires (pour les correspondances).

b) Dans l’espace : respecter la continuité implique d’être sûr que toutes les parties du territoire bénéficient également de l’accès au service. Qu’il n’y ait pas (par exemple) des banlieues dans lesquelles, pour des questions de sécurité, le dépannage ne serait plus assuré. Ou parce que ce n’est pas rentable, que le client ne représente pas un lobby suffisant.
Ce peut être aussi que les petites communes aient accès dans des conditions normales au x services publics.

3. L’intermodalité : avec la suppression des lignes secondaires, l’usager est obligé de prendre sa voiture pour aller prendre le train : d’où rupture.

B/ Déchirure du tissu social républicain
Historiquement, le service public a créé du lien social : il doit maintenant concourir à son rétablissement.

C/ Les atteintes à la sécurité sont en même temps des atteintes à la continuité.
Car l’impératif de sécurité relève directement des principes du service public, même s’il s’agit d’activités privées. Ainsi, la sécurité du Tunnel sous la Manche relève-t-elle du service public. De même pour le transport aérien. C’est une des manières par lesquelles le service public se dissocie de la propriété publique : quel que soit demain le régime de la propriété, les impératifs de service public devront être assurés par des moyens spécifiques - et en particulier la continuité.

D/ La grève

C’est le symptôme d’une certaine pratique des relations sociales. Elle est réglementée, mais l’efficacité de cette réglementation dépend elle-même du climat des relations de travail.
Un certain dialogue devrait pouvoir lui être substitué qui évite d’aller à l’affrontement. Mais dans quelles conditions ?

Selon le domaine d’activité, la grève n’a pas la même signification : à France Télécom surtout (et en partie à EDF) elle est techniquement difficile à faire ressentir à l’usager (sauf grève dite « sauvage » qui tend à être assimilée par la réglementation à du sabotage).
C’est une question de degré d’automatisation du service. À La Poste et dans les transports publics par contre, la grève des agents a une traduction concrète sur l’interruption du service rendu.

1. La réglementation

a) EDF - Il existe une obligation de maintenir le courant aux clients prioritaires : de proche en proche, 80% des Français sont sur des réseaux prioritaires.
Il existe d’autre part une loi de 1980 sur la sécurité des établissements nucléaires qui commence à être appliquée : elle interdit la grève dans les centrales nucléaires. Or 80% du courant électrique est d’origine nucléaire.

b) Transports publics. La grève de la « pince » (validation des billets) est interdite. D’autre part, il existe une période de cinq jours où normalement, l’avis de grève étant déposé, la négociation doit se dérouler. Mais cette période est rarement utilisée à cet effet. Bien que l’on parle de la nécessité d’un vaste débat sur la continuité depuis des années, la réglementation évolue très peu. Certaines mesures ont toutefois été prises : on ne peut plus déposer des préavis de grève en série, un jour après l’autre, pour x motifs.

2. Les attitudes syndicales

 La distance est grande entre la position de la CGT : « Nous sommes en désaccord total avec toute idée de service minimum en cas de grève, de limitation : nous revendiquons un exercice du droit de grève plein et entier » ; et celle de la CFDT de l’énergie qui met comme condition sine qua non de sa participation à une grève qu’il n’y ait pas de préjudice pour l’usager.

3. Les causes des grèves

D’abord les traditions typiquement françaises : la voie majeure d’expression syndicale, c’est la grève.

Ensuite, une dérive médiatique fait que, lorsqu’un syndicat imagine une forme d’expression originale, les médias s’en désintéressent. Et une préoccupation sociale qui n’est pas relayée dans les médias part déjà avec un handicap. Pour attirer l’attention des médias, il existe peu d’autres moyens qu’une action gênante pour le public - parfois même répréhensible aux yeux de la loi.

Enfin, avec la crise économique qui dure de manière plus ou moins larvée depuis 1973, les services publics sont devenus les porte-paroles de revendications que les entreprises du secteur concurrentiel (leurs personnels) ne peuvent plus exprimer. C’est ce qu’Henri Vaquin appelle les grèves par procuration.

Il n’y a pas un responsable unique. Il manque une volonté politique, notamment d’aménagement du territoire. Mais la loi est vide ! Chacun le déplore.

II - COMMENT RENFORCER LA CONTINUITE PAR UN DIALOGUE SOCIAL PREVENTIF ?

A/ Les responsabilités de la grève

L’attitude syndicale dogmatique selon laquelle les syndicats n’ont aucune responsabilité parce que la grève est uniquement due aux pouvoirs publics qui refusent aux services publics les moyens nécessaires à leurs missions et qui n’acceptent pas la concertation existe toujours à la CGT, à F.O. et à Sud. Mais même à la CGT, on souhaite un dépassement de la situation actuelle.

B/ Prévenir la grève par l’organisation d’un partenariat de service public

1. Comment instituer une réelle obligation de concertation avant la grève ?

L’expérience du management stratégique intégré (MSI) d’EDF est une voie possible. Car la qualité de la concertation interne joue un rôle préventif en responsabilisant les agents. Un commencement de preuve : la récession de 1993 ne s’est pas traduite à EDF par une recrudescence de grèves avec coupures.

Cette démarche contractuelle a été tentée comme politique gouvernementale par les gouvernements Chaban-Delmas et Rocard : il existait alors du « grain à moudre » dans les négociations dans les organismes de service public. Mais aujourd’hui également, on pourrait remplacer les évolutions quantitatives par des évolutions qualitatives : négocier en termes de temps de travail au lieu d’argent. C’est jouable à condition de ne pas minimiser les difficultés et de procéder par étapes. Car si l’on prétend imposer dès le départ des instances de concertation en contrepartie de l’interdiction de la grève, cela serait perçu comme un marché de dupes par les syndicats.

2. Les associations de consommateurs et d’usagers doivent-elles être partie prenante ?

 Syndicats et associations semblent converger sur son acceptation. Le point de vue des usagers est devenu depuis plusieurs années une réelle préoccupation pour la plupart des syndicats. Désormais, quand une grève se prépare, dans la très grande majorité des cas (au moins dans les transports urbains) un dialogue s’instaure avec les usagers.
Un grand débat public doit être lancé sur ces questions, ouvert à tous les acteurs. Il y a une condition : que ce soient de vraies associations d’usagers. Or il n’y a pas de tradition nationale. Mais il est vrai que c’est un cercle vicieux : il faut donc commencer par un bout.

 D’autre part, l’usager a un rôle d’évaluation des prestations, qui constitue un outil permettant au service public de réaliser sa mission. Malheureusement, sa place n’est pas suffisamment actée dans les faits. C’est fort dommage car l’usager est celui qui peut aider par sa critique, qui doit toujours être jugée positivement. Ainsi, les mesures prises sont mieux ajustées. C’est aussi l’usager qui peut valoriser le service rendu.