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Point de repère sur le "modèle EDF" - 1996

Publié par , le 13 mars 2007.





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L’histoire d’EDF commence par la constitution progressive depuis la fin du XIX e siècle du réseau national à partir de la création d’unités de production (privées) à côté des grands pôles de consommation. De 1920 à 1935, de grands ensembles interconnectés se construisent à partir de ce qui existait à proximité des ressources naturelles, poussés par la logique des rendements croissants. Mais la crise des années 30 ébranle le secteur et pousse à la concentration. La CGT et la Fédération des Collectivités locales concédantes envisagent déjà une nationalisation du secteur. À la veille de la guerre, elle est presque réalisée sur le plan technique, autour du duopole Durand-Mercier.

 La Reconstruction

En 1946, Electricité de France est créée à partir de la nationalisation des producteurs. Dès l’origine, EDF est conçue comme une entreprise publique nationale disposant d’une autonomie d’entreprise industrielle et commerciale. L’État, les consommateurs et le personnels sont représentés au Conseil d’Administration (gestion tripartite). L’électricité fait partie des priorités de la reconstruction financée par l’aide Marshall à partir de 1947. La recherche de cohérence est indispensable : cohérence dans les statuts des personnels et dans l’organisation. Les structures sont rationalisées (directions des études et recherches, de l’équipement, de la production-transport, de la distribution) ; les métiers, structurés ; les tensions électriques, unifiées sur le territoire national. L’arbitrage entre sources de production se fait en faveur de l’hydraulique, qui coûte cher en investissement mais est très économe en fonctionnement : c’est donc un choix en faveur du long terme et de l’indépendance énergétique nationale.
Très vite pourtant, une dérive étatiste fait remplacer les représentants des consommateurs au C.A. par des personnalités qualifiées nommées par l’État et suspend la parution du décret de création des comités régionaux de distribution prévu par la loi.

 Le développement rationalisé (1954-1972)

La nécessité est ressentie par EDF de mettre au point des méthodes économiques pour encadrer le développement électrique. Dans le silence des textes, l’entreprise s’invente une morale collective.

D’abord une méthode des choix d’investissements : le taux d’actualisation qui revient à classer les projets selon leurs coûts actualisés. Ce classement fait apparaître ceux dont la rentabilité est supérieure à la norme fixée par le Plan (et qui dépend de la rareté des ressources en épargne longue) : ceux-là seuls sont retenus. Cette méthode permet donc d’inscrire les décisions d’investissement d’EDF dans le cadre de la cohérence macro-économique de la planification. EDF relève les grands défis techniques de l’intégration verticale et de la normalisation horizontale. Elle réalise des gains de productivité importants : comment les mesurer et les affecter équitablement entre les clients-usagers (baisses relatives des tarifs), les agents (hausses de salaires) et l’État (dividendes) ? C’est la méthode du surplus de productivité globale des facteurs.
En tant qu’entreprise de service public, EDF se doit de respecter l’égalité de traitement entre ses clients-usagers. Mais qu’est-ce à dire ? La tarification au coût marginal est une réponse qui concilie l’utilité pour le client et le coût pour la collectivité de l’équipement nécessaire. En effet, le coût marginal est celui de la dernière unité produite (à la marge) : c’est celle que la consommation supplémentaire du client coûte à l’entreprise (ou celle que son abstention lui épargne). Si le tarif est fixé à ce niveau, l’arbitrage du client correspond à un point d’équilibre pour l’entreprise.

Ces principes sont pour l’entreprise le moyen d’éviter l’interventionnisme en ordre dispersé des différentes tutelles. Ce n’est pas l’État qui a défini ces critères, mais il les a acceptés. La relation avec la tutelle se détend dans la mesure où la morale de service public est accepté par tous. En 1970, la lettre de mission accompagnant le contrat de plan constitue la première définition de ses missions depuis la nationalisation. EDF se mobilise pendant deux ans pour l’expérience contractuelle. Son abandon avec la chute du gouvernement Chaban-Delmas dé-crédibilisera la démarche contractuelle auprès des agents pendant dix ans.

 La dérive bureaucratique (1973-1989)

Les tutelles reprennent leurs contrôles a priori dé-responsabilisants au moment où l’entreprise réalise l’important programme électro-nucléaire, d’autant plus coûteux qu’il a été décidé tardivement par l’État et que ce dernier ne respecte pas ses engagements financiers (risque de change des emprunts à l’étranger). À partir de 1984, la politique contractuelle est reprise a minima.

La période managériale (1989-1992) - À partir de 1985, la reprise progressive par l’État de la démarche contractuelle a permis à l’entreprise de décider de son changement interne dans une vision à long terme. Elle est partie de la prise de conscience que désormais, dans la croissance logistique qui correspond au 3 ème âge de la vie de l’électricité, les surplus de productivité ne proviendront plus d’abord des paris technologiques, des effets de taille et de série ni des rendements croissants dus au réseau. Ils seront d’abord fonction de l’enjeu de la qualité. L’électricité étant vecteur de services de plus en plus diversifiés et décentralisés, le centre de gravité stratégique de l’entreprise se déplace d’amont vers l’aval, de la production vers le service aux usagers-clients.
Le changement est devenu indispensable car l’usager-client d’EDF n’est plus comme hier prisonnier des usages captifs de l’électricité (éclairage) : désormais, 70% du C.A. d’EDF s’effectue sur des marchés concurrentiels (notamment le chauffage). Les contraintes de la production et de la distribution doivent toujours être maîtrisées, mais la qualité standardisée au disjoncteur est désormais insuffisante : il faut l’articuler avec le « sur mesure de masse », la qualité globale pour chaque client, compte tenu de ses attentes et besoins spécifiques.

L’entreprise décide de s’engager dans un management stratégique intégré. Dans le M.S.I., les trois aspects ont leur importance.
La stratégie appelle une interaction d’acteurs face à l’incertain, différemment intéressés au résultat. L’enjeu en est la redéfinition conjointe d’un système de compétences potentielles et d’un système d’interactions, de représentations communes, partagées.Le management est le changement interne nécessité par les mutations sociétales et celles induites dans les attentes des clients. Il doit rendre l’entreprise capable de connaître les besoins spécifiques de chaque client et d’y répondre efficacement. Mais aussi de faire face aux incertitudes plus larges issues de ces mutations.
Dans un univers incertain, en croissance nulle ou faible, la question de l’existence de « grain à moudre » et de la manière de le moudre est essentielle - et elle relève de la stratégie. Cette dernière apparaît en définitive dans un contexte où elle et à la fois plus nécessaire et plus difficile. Définir une stratégie, c’est pour EDF faire en sorte que les surplus dégagés par l’entreprise soient jugés acceptables par ses partenaires (clients, personnels, pouvoirs publics de différents niveaux territoriaux, écologistes…). C’est donc créer une situation de stabilité dynamique entre acteurs qui ont chacun leur conception du partage du surplus.

Le M.S.I. est la responsabilité première de la direction d’EDF : c’est elle qui l’a décidé en 1989 après tout un travail d’élaboration. Pendant quatre ans, il réussira à impulser une dynamique de changement qui permettra de conforter de bons résultats financiers malgré une conjoncture « molle » et de concilier démarches commerciales et de service public. Mais cet élan est retombé depuis la nomination en 1992 du nouveau président. Rompant avec la tradition d’EDF, les deux dernières nominations ont déstabilisé et délégitimé l’entreprise : au moment où le M.S.I. aurait dû plus que jamais être poursuivi avec continuité et ténacité pour mobiliser agents et partenaires extérieurs de l’entreprise pour une refondation d’un service public moderne compatible avec la construction européenne, le M.S.I. est abandonné de facto. Les réactions de la majorité des agents et des syndicats comme de la direction à la directive européenne sur l’électricité de décembre 1996 (cf. fiche résumée) vont dans le même sens : ils ont ressenti la fin prochaine du monopole comme une menace et non comme un stimulant pour re-légitimer la démarche de service public auprès de ses usagers.

Face aux logiques contradictoires (technique, d’usage, commerciale, financière, politique…) le management consistait à leur donner un poids à travers une représentation : la direction pouvait organiser les arbitrages (au niveau le plus décentralisé possible, selon le principe de subsidiarité) parce qu’elle avait des interlocuteurs.

 Depuis 1992, le retour au commandement

C’est la logique court-termiste de l’actionnaire qui prédomine de nouveau : l’État privilégie l’impératif financier, ce qui vide de son contenu social les nationalisations et les transforme en étatisation-marché. Conséquence : EDF est désormais gérée selon une logique de commandement, en fonction d’arbitrages de court terme et non plus des besoins sociaux. Le déficit de légitimité de cette dernière a des conséquendces croissantes, internes comme externes.

Quel électro-choc sera nécessaire pour relancer la démarche managériale d’EDF ? Quand et comment faudra-t-il que la crise éclate pour relancer le changement nécessaire, pour refonder le « servie public » de l’électricité ? Lui faire retrouver sa véritable légitimité par la relance du partenariat avec ses usagers-citoyens, considérée enfin comme d’importance stratégique ?