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L’oligopole de l’eau, sa régulation et le service public - 2000

Publié par , le 13 mars 2007.





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Alors qu’en France, la plupart des activités de service public sont depuis la Libération organisées en monopoles publics, le secteur de la distribution de l’eau et de l’assainissement voit les communes et leurs regroupements choisir majoritairement la gestion déléguée à des opérateurs privés. Les trois oligopoles actuels ont accumulés depuis plusieurs décennies une rente qui les place aujourd’hui comme groupes multi-services au cœur du capitalisme financier français.
Les dysfonctionnements de ce système ont été révélées dès les années quatre-vingts en termes de corruption dans le financement des partis politiques. Depuis, d’autres aspects (opacité, arbitraire, hausses excessives de tarifs) ont été à l’origine de la création d’associations de consommateurs d’eau (ACE). Leurs critiques et actions en justice sont l’une des origines de diverses propositions de réformes.

I - LA STRATEGIE OLIGOPOLISTIQUE DU MARCHE

Des trois principaux opérateurs (Suez-Lyonnaise, Vivendi et Bouygues), les deux premiers atteignent 200 milliards F de C. A. en 1988. Aucun groupe étranger ayant des activités comparables n’atteint cette taille. C’est une chance en terme d’expansion internationale de ces groupes qui conquièrent des marchés difficiles en Europe de l’est, Amérique latine et même en Grande-Bretagne, ainsi que quant au degré d’innovation technologique où les effets de taille jouent à plein.
Mais c’est aussi un risque pour le client comme pour le citoyen. Car la structure oligopolistique affaiblit la pression concurrentielle et augmente le soupçon d’entente occulte ou de coopération implicite. Ce qui expliquerait l’envolée des prix depuis dix ans (même s’ils se stabilisent légèrement récemment).
Ces groupes sont devenus des acteurs pivots des restructurations capitalistiques en France, ce qui a provoqué des réorganisations et restructurations d’activités importantes. La tendance à la concentration bancaire ne va-t-elle pas encore renforcer, à travers des liens capitalistiques nouveaux, les risques de coordination hors marché de l’oligopole de l’eau ?
Les investisseurs institutionnels prennent depuis 1996 une place croissante à côté des liens capitalistiques traditionnels. Parmi eux, la montée brutale des fonds de pension américains se traduit par l’exigence d’une rentabilité financière élevée (de l’ordre de 15% / an) qui risque de faire déraper les prix de l’eau.

II - LES DYSFONCTIONNEMENTS PEUVENT SE RESUMER AINSI

Le plus choquant est le système de corruption des partis politiques permis par la sur-facturation de l’eau et qui constituait une redistribution occulte d’une partie de la rente. Il s’accompagnait parfois d’enrichissement personnel. Les lois sur le financement des partis politiques ont tenté au début des années 90 d’assainir la situation - avec un succès limité pour l’instant, semble-t-il.
Graves parce qu’ils mettent en cause la légitimité démocratique des élus, ces comportements à l’égard des opérateurs privés de l’eau sont aussi révélateurs d’un choix stratégique : face à une situation complexe dont ils maîtrisent mal les données (techniques, juridiques…) une partie des élus recherchent souvent la solution de facilité dans un arrangement de court terme avec un opérateur privé. Ils privilégient dans cette optique les concessions longues qui rapportent le plus. Mais les services juridiques du concessionnaire ont plus d’expérience et de moyens qu’eux et les contrats sont rédigés de telle sorte que les imprévus leur sont favorables. Face aux protestations des usagers-contribuables-citoyens - qui se regroupe de plus en plus en ACE - l’élu se retrouve isolé et a tendance à durcir son attitude.

Les principales critiques des ACE sont :

 l’empilement des structures gestionnaires des réseaux d’eau et d’assainissement. Certains secteurs comportent pour une même facture un syndicat de distribution d’eau, une gestion communale de l’assainissement à laquelle s’ajoutent un premier syndicat d’assainissement pour le réseau d’évacuation des eaux usées et un deuxième syndicat pour la gestion d’une station d’épuration. Il faut aussi noter sur la même facture l’intervention du Département, de la Région avec l’Agence de l’eau, du FNDAE... et pour l’ensemble de ces collectivités la gestion du fermier distributeur d’eau ou chargé de l’assainissement !
Ces structures ne font l’objet dans leur grande majorité d’aucun contrôle démocratique direct ;

 des augmentations tarifaires excessifs et arbitraires, favorisés par le point précédent ;

 un droit à l’information de l’usager-citoyen-contribuable insuffisant et trop souvent bafoué : les textes en vigueur sont souvent méconnus, comme ceux qui font obligation de produire des documents ou de publier et d’afficher (dans la majorité des syndicats intercommunaux consultés, les convocations aux réunions, les comptes-rendus de séances ne sont pas envoyés aux communes pour affichage). De plus, le tribunal considère que l’absence d’affichage d’une réunion ou le défaut de publicité des actes ne crée pas leur illégalité.
Les textes actuels autorisent les élus à se réunir en toute discrétion et à prendre des décisions méconnues des usagers. Ceux-ci n’en prendront conscience que lors de leurs effets, créant ainsi des situations irréversibles.
Les Chambres régionales des Comptes n’assurent qu’un contrôle a posteriori, espacé tous les 4 à 5 ans. Leurs recommandations ne sont accompagnées d’aucun pouvoir coercitif.
C’est donc à l’usager-citoyen à s’épuiser à jouer le rôle de gendarme, ce qui ne le place pas dans une position favorable pour être le partenaire des élus.

 une opacité dans les comptes des fermiers, favorisée par les points précédents.

III - DIVERSES PROPOSITION EMANENT DES PARTIS ET DES ASSOCIATIONS

Elles supposent des réformes législatives et réglementaires. On peut aussi souhaiter la mise au point d’une charte de la distribution de l’eau comme service public qui clarifierait les droits et obligations réciproques des élus, des opérateurs et des usagers-citoyens et permettrait de pacifier les pratiques concrètes.

Les principaux points des réformes sont :

 une re-municipalisation de la gestion de l’eau. Les communes devraient renforcer leurs moyens d’expertise et améliorer leurs informations sur les coûts de traitement et de distribution de l’eau à partir de comparatifs établis à l’échelle nationale. Ceci pour reconquérir une partie du pouvoir qu’elles ont concédé.
Au moment de la renégociation des contrats (seul moment où une certaine concurrence peut jouer pour un monopole naturel même local) la possibilité de faire appel à d’autres opérateurs que les grands groupes privés (par exemple à une gestion déléguée publique) favoriserait concurrence et transparence.

 Qui a la légitimité de gérer ? Il faut un contrat de service public où soit défini par écrit ce que l’on attend d’un service public, qu’il soit de droit public ou de droit privé. Car les rapports de forces sont différents quand le concessionnaire privé est de forte taille. Il faut donc se donner les moyens juridiques de rédiger le contrat. Ils devrait comporter un préambule stipulant que toutes les dispositions du cahier des charges annexes qui seraient contradictoires avec lui seraient nulles et non avenues. Il faut aussi exiger une indexation sur des tarifs différente de celle proposée par le concessionnaire, qui repose sur des critères comme les prix des matériaux. Il est possible de prévoir une procédure de révision du contrat tous les deux ou trois ans en fonction des réalités de l’exercice. Il est également possible d’obliger le concessionnaire à une comptabilité réellement distincte.

 Le principe de transparence nécessite de filialiser la gestion de l’eau, c’est-à-dire d’isoler dans la comptabilité les charges et les produits liés à chaque segment d’activité, ce qui interdirait les subventions croisées, et de comptabiliser de façon indépendante chaque activité des groupes multi-services.

 La création d’une entreprise publique dans ce secteur favoriserait la concurrence. Soumise elle aussi à la filialisation de ses activités, son rôle serait important lors du renouvellement des contrats. Les entreprises publiques actuelles pourraient aussi développer leurs propres activités dans ce secteur - à condition de les filialiser également.

 La Cour des Comptes contribuerait à cette transparence si son pouvoir de contrôle ne se limitait plus aux seules entreprises publiques mais s’étendait à toutes les entreprises du secteur de l’eau.

 La création d’une autorité nationale de régulation est nécessaire pour protéger la qualité de l’eau, en garantir l’accès à tous, remplir un rôle d’information, de conseil à l’adresse des collectivités locales, comme des citoyens, de contrôle et de recensement.
Au niveau départemental, la régulation doit être assurée par un conseil départemental des services publics comme celui proposé par l’AITEC [Cf. fiche résumée].