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L’usager du "service public". Partenaire des politiques publiques, nécessités et blocages en France - 1997

Publié par , le 13 mars 2007.





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I - Les politiques publiques mettent en œuvre des moyens administratifs : les « services ». La logique du commandement descendant à travers l’application hiérarchique d’un emboîtement de textes est de plus en plus insuffisante à assumer la complexité des situations et des objectifs. L’usager-citoyen n’est plus un administré passif. Pour les organismes publics (administratifs et/ou marchands), respecter les principes du service public ne se limite pas à respecter ses obligations réglementaires, mais suppose aussi de connaître et satisfaire ses droits, attentes et besoins. Cela implique d’organiser et d’afficher des concertations avec les acteurs sociaux représentant à divers titres l’usager-citoyen. Parmi ces derniers, les associations sont des partenaires mal commodes mais incontournables : un test du degré de réalité du « service public » - à la fois en termes d’efficacité et de démocratie.

II - Le terme d’usager a une pertinence générale parce qu’il désigne celui qui utilise un bien pour satisfaire un besoin. Quant au service, au sens moderne du terme, c’est l’usage. Celui que rend l’administration, c’est l’usage de la réglementation qu’elle applique. Et les services publics marchands, celui de leurs prestations.
L’usage est susceptible d’une évaluation directe qui permet de mesurer la qualité du service rendu : il recouvre une chaîne d’opérations mesurables en termes de résultats. En même temps, le caractère très général de la notion d’usager peut être précisé en y accolant d’autres dénominations qui la précisent. Ainsi, dans le cas d’EDF pourra-t-on parler d’usager-citoyen-client.
Le partenariat est le comportement stratégique que doivent avoir les organismes de service public (administrations et entreprises publiques) pour respecter, dans leurs domaines, les principes du service public : pour remplir leurs « missions » et assumer un management public adapté. Il suppose une certaine institutionnalisation par les organismes publics de leur pratique de concertation ainsi qu’une stabilité et reconnaissance mutuelle des partenaires.

Si le partenariat est la démarche indispensable au respect des principes du service public, c’est parce que l’organisme public n’est pas en mesure de satisfaire complètement à lui seul ce besoin de connaissance des usagers. Ceci parce que ces derniers sont produits par les activités des services : elles génèrent bien une certaine connaissance des usagers, mais marquée par le point de vue et les intérêts des services. La qualité du service rendu suppose que le point de vue interne de l’organisme sur l’usager accepte de dialoguer avec le point de vue autonome de l’usager sur les services. D’où l’impératif de participation des usagers à la définition des orientations et à l’évaluation des résultats des « services publics ».
Le partenariat a pour but d’optimiser, dans les organismes de service public l’efficacité de la relation agent-usager, à la fois en termes de citoyenneté et de prestation de service. Les droits et obligations des usagers et des agents sont mutuels : les droits des usagers sont des obligations pour les agents, et une partie des droits des agents se traduisent en obligations pour les usagers. Et c’est précisément la fonction du partenariat (surtout au niveau local) que de révéler et d’organiser cette mutualité : de faire accepter cette obligation en la concrétisant en respect de l’autre par le dialogue.

III - Les organismes publics pratiquent déjà le partenariat, mais surtout avec les professionnels (ou avec les élus-décideurs, qui se comportent en professionnels de la gestion des compétences de leurs collectivités), parce qu’ils ont organisé eux-mêmes leur représentation, qu’ils y investissent des moyens qui la rendent consistante et qu’ils y sont à même niveau général de compétence que les services. En définitive, dans ce partenariat, « tout se passe comme si » ces professionnels représentaient leurs clients, qui n’ont pourtant pas les mêmes intérêts qu’eux.
Mais ces deux partenariats expriment des intérêts, des points de vue qui sont distincts de ceux des usagers « finaux » eux-mêmes. C’est pourquoi une évaluation indépendante, distincte de l’auto-évaluation des services sur eux-mêmes est indispensable car elle apporte un point de vue irremplaçable : celui de l’expérience directe de la relation de service vue de l’autre côté.

IV - Les organismes français de service public ont deux impératifs : la recherche d’une négociation stratégique avec leurs différents partenaires (clients, fournisseurs, tutelles, autres organismes…) et celle d’une éthique publique donnant un contenu au principe d’égalité de traitement entre leurs usagers en termes de relations de service. Il n’en sont encore qu’au début de l’expérimentation d’une intégration spécifique entre ces deux impératifs.
En particulier parce qu’elles ont eu trop longtemps à souffrir de l’arbitraire de leurs tutelles (ce n’est pas fini !), les entreprises publiques de service public ont maintenant tendance à idéaliser la notion de client comme modèle de relation à l’usager. Certes, la concurrence est un puissant stimulant de la qualité et de la personnalisation des relations avec les usagers, comme de la simplification et la contractualisation des relations de travail dans l’entreprise. Mais cette dimension est insuffisante à constituer le management public comme tel : la crise de « Socrate » à la SNCF en 1993 l’a bien montré. Dans les organismes de service public, si, selon la formule de Michel Rocard, « l’usager doit être aussi souvent que possible traité comme un client » (qualité de la prestation), il faut aussi le constituer comme acteur de l’espace public défini par l’application des principes du service public dans le champ d’activité de l’organisme. Et l’usager individuel ne saurait être un acteur collectif.

Les associations d’usagers sont donc un partenaire mal commode mais incontournable. Il peut seul apporter aux organismes de service public un retour d’information : alors que les techniques individuelles de communication avec les usagers permettent de connaître les dysfonctionnement des services, elles sont insuffisantes à elles seules à en connaître les causes et à expérimenter leur suppression. C’est par contre ce que permet le partenariat avec les associations. Tout conflictuel qu’il soit souvent, il est donc indispensable aux deux partenaires. L’enjeu en est l’organisation de la rencontre entre l’objectivité des critères du management et la subjectivité des usagers-clients, dont la satisfaction peut ne pas y correspondre : cette organisation vise à constituer cette rencontre en système d’interaction.
À travers l’objet de leurs activités, les associations acquièrent d’une part une expérience des services, et d’autre part une connaissance des appréciations des usagers à leur égard qui en font des représentants (tout imparfaits et partiaux qu’ils soient) des usagers et des médiateurs vis-à-vis des organismes de service public. Or l’attitude traditionnelle de l’administration à l’égard des associations revendicatives est de les considérer a priori comme des adversaires et de tenter de neutraliser leurs critiques en les discréditant comme non représentatives. Et celle de ces associations (en miroir, faute de voir leur point de vue pris en considération par les services) est de camper sur une attitude dénonciatrice.

V - Les relations des associations avec les décideurs publics sont ambiguës et contradictoires. Cela tient sans doute à leur nature : ce sont des acteurs privés mais collectifs, ce qui est source de rivalité avec les collectivités publiques qui ont tendance à monopoliser l’intérêt général : à arguer de la nature privée de l’association, pour ignorer la dimension sociale du service rendu par elle.

Pourtant, associations et organismes publics sont en même temps complémentaires, la première déchargeant les seconds de rôles qu’elle remplit mieux car plus directement, leur permettant de se centrer sur leurs missions propres. De plus, elles sont - de bon ou mauvais gré - interlocutrices dans le débat public. Se repérer dans la nébuleuse associative suppose d’opérer plusieurs distinctions :

 entre associations revendicatives et gestionnaires. Les premières ont pour objet essentiel soit de contester une décision (ou un projet) publique, soit de promouvoir un point de vue, une conception idéologique. Le plus souvent, un peu des deux. Les secondes gèrent des services publics ou sociaux par délégation d’une collectivité publique ;

 entre associations para-syndicales (tous les grands syndicats de salariés ont créé leurs associations de consommateurs-relais), para-administratives (palliatif aux lourdeurs de la comptabilité publique), para-commerciales (production d’un bien ou d’un service qui ne se rattache pas directement ou qui est très réducteur par rapport à l’objet social annoncé et qui se situe dans un secteur concurrentiel) et associations autonomes d’intérêt général (celles qui constituent le champ du partenariat).

VI - Les limites de la représentativité actuelle des associations sont aussi les conditions de son amélioration et de leur reconnaissance demain :

 1° le pluralisme : c’est la garantie la plus efficace et la plus facile à mettre en œuvre contre l’« abus de position dominante » d’une seule. Même si elle engendre l’effet pervers de faciliter aussi la création d’associations factices pour contenir l’influence de celles dont la représentativité gêne. Seul, le débat public contradictoire peut permettre aux citoyens-usagers de décanter leurs audiences respectives selon des critères démocratiques ;

 2° la reconnaissance par les pouvoirs publics de la distinction entre association d’intérêt général, para-administrative et para-commerciale, selon des critères objectifs comme ceux proposés par le Centre national de la vie associative (C.N.V.A.). Les subventions seront alors réservées aux premières ;

 3° la répartition des subventions aux associations d’intérêt général selon des critères qui soient l’expression aussi directe que possible de l’utilité collective de leurs activités (comme les heures de permanences effectivement tenues). Le saupoudrage actuel, sous prétexte d’impartialité, tend à mettre sur le même plan les « vraies » et les « fausses ». Et cette confusion justifie à son tour la diminution globale des subventions.

Les activités de service public ont une nature mixte (à la fois économique, sociale, juridique, politique) : leurs destinataires sont donc indissolublement usagers, citoyens, contribuables et clients. Or conjuguer ces différentes dimensions suppose que les organismes à missions de service public (administratifs et/ou marchands) dépassent le comportement administratif traditionnel d’une part et la modernisation uniquement commerciale de l’autre (pour les « services publics » marchands) pour assumer une démarche managériale et stratégique qui sache organiser le partenariat avec les associations d’intérêt général de leur secteur.
La nécessité de ce dernier relève à la fois de l’efficacité publique et de la citoyenneté active.

Le partenariat constituant la stratégie du service public, son degré de réalité est donc aussi le critère d’effectivité du management, dans les organismes de service public. Et plus particulièrement celui avec les associations d’intérêt général, où le domaine du partenariat est la participation à la définition des missions de service public et à l’évaluation de la qualité (au sens large) des prestations et plus généralement, des résultats.