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Mouvement social, mouvement syndical et service public - 1997

Publié par , le 13 mars 2007.





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La notion de service public est très ancienne : on la date généralement du XVIII e siècle. Elle a pris son essor au cours de la Révolution française. Elle est au carrefour de traditions multiples donnant lieu à des traductions idéologiques multiples, à des statuts et des modes de gestion particuliers. Elle fait appel à une notion qui interdit l’inscription dans le marbre : l’adaptabilité, qui implique par définition une adaptation permanente de la manière de fonctionner, des services offerts. Les types d’approche sont nombreux et donnent lieu chacun à débat (comme l’approche juridique). Mais ils ne remplacent pas le débat citoyen à propos du service public, qui seul est global et n’a pas encore eu lieu nationalement. D’où le fait que chacun soit actuellement livré à lui-même en fonction des pressions des organismes financiers, des politiques…

Ce premier facteur d’affaiblissement agit sur une ligne de fracture plus fondamentale touchant au rôle de l’État dans la vie économique et sociale. Il existe une incessante fluctuation entre la prédominance de l’économique et du politique dans les choix de société de demain. Le flou sur les missions actuelles de l’État ne favorise pas les réponses à propos des services publics qui, en France, découlent d’une conception centralisée de la structure de l’État. Ainsi, certaines institutions financières internationales intervenant sur la base d’orientations politiques ont des interventions dé-structurantes sur les services publics de la plupart des pays. Elles augmentent l’importance de la « loi du marché » : leurs interventions ont comme contrepartie un affaiblissement des services publics. À l’échelle nationale également, les politiques économiques ont de moins en moins de prise et ce phénomène peut s’accentuer avec l’internationalisation de l’économie. Car mécaniquement (comme si les hommes n’avaient pas prise sur le phénomène) les services publics seraient le vilain rempart contre cette loi du marché.

Un autre affrontement existe entre ce qui doit rester de la prérogative de l’État central et ce qui devrait être décentralisé demain à d’autres collectivités (municipalités, départements régions). Les transferts de responsabilités sans toujours les moyens financiers correspondants sont de nature à déstructurer les services publics. Ils ont aussi parfois été effectués sans garantie de cohérence nationale, ce qui constitue un autre handicap pour des services publics largement façonnés à l’échelle nationale, à partir d’une péréquation entre citoyens à ce niveau.
Ainsi, nous sommes entrés dans une étape de régionalisation de la SNCF : le principe de base n’est pas en soi condamnable car les trains régionaux seront sans doute mieux articulés, coordonnés si la responsabilité en revient aux élus régionaux, plutôt que de vouloir tout piloter de Paris. Mais les moyens de demain sont inférieurs à ce qu’accordait l’État aux mêmes périmètres - ce qui revient à miner le dispositif. Surtout : les Régions pourront décider en matière de transport, y compris quant à la tarification. Ce qui implique que demain, la même qualité de transport pourra se payer différemment d’une région à une autre. Les règles de fonctionnement du service public dépendront là des majorités politiques des Régions. Cela crée une instabilité par rapport à la forme d’organisation centrale, peut-être plus lourde, mais plus stable, que nous connaissons jusqu’à présent.
Cette question de la décentralisation doit être reliée à celle de la nécessaire démocratisation des services publics, leurs C. A. sont censés être composés de différentes parties. La loi de démocratisation du secteur public a prévu des représentants des usagers. À la SNCF, des voyageurs, des transporteurs, des « personnalités qualifiées », dont les critères de désignation par le conseil des ministres est nécessairement partisan. Au niveau central, une certaine démocratie représentative est organisée par la loi. Mais les décisions ne sont pas prises en conseil d’administration ! La somme des représentants de l’État + ceux de l’entreprise (nommés par l’État) fait systématiquement la majorité.
La vraie démocratisation ne peut donc pas se limiter au niveau central. Des propositions existent permettant au citoyen d’intervenir plus près du service rendu. L’échelle régionale devrait faire une place plus importante aux comités d’usagers, de défense, d’activité… C’est vrai pour la SNCF comme pour d’autres services publics. Mais les directions d’entreprises nationales perçoivent le citoyen-consommateur comme un client à séduire mais comme un « emmerdeur » dès qu’il se met à s’intéresser au fonctionnement interne et à faire des propositions. À la SNCF, l’aspect techniciste de l’entreprise a beaucoup servi d’argument pour considérer que les usagers ne disposaient pas des éléments techniques pour apprécier le service. Et aujourd’hui, aucune structure de concertation ne permet l’expression de leurs opinions : ils sont cantonnés dans une classique attitude revendicative extérieure.

Nous sommes partisans de schémas pluri-modaux de transport, alors que l’intervention de la puissance publique se fait par secteur d’activité (aérien, autoroutier, ferroviaire…) - et il y a beaucoup à faire pour que les choses changent. Cela permet-trait de raisonner différemment certains projets. On veut par exemple construire une autoroute là où une voie ferrée est sous-utilisée (comme dans le sud-est). Même si chaque mode de transport ou chaque région fait part de ses besoins, il existe nécessairement un lieu central qui doit établir des priorités. Les schémas sont l’un des moyens de vérifier la pertinence de certains modes, donc de réorienter certains choix qui aujourd’hui, privilégient systématiquement le transport routier. Il existe aujourd’hui une discrimination en ce sens que les contribuables payent l’infrastructure autoroutière alors que les usagers du train payent l’infrastructure routière. L’un des atouts du ferroviaire est de pouvoir transporter indifféremment sur la même infrastructure voyageurs et marchandises. Certaines lignes pourraient être fermées si l’on ne raisonne qu’en termes voyageurs alors qu’il faut aussi examiner les possibilités de transport de marchandises. Nous serons vigilants à ce qu’il n’y ait qu’un seul schéma.

Une autre ligne de fracture se situe sur le continent européen : la notion de subsidiarité est beaucoup utilisée comme critère dans un débat sur le rôle de la Commission européenne et des États membres. L’Europe se met en place d’abord comme espace ouvert à la libre circulation des biens, des capitaux, les services publics étant plutôt perçus comme remparts à éliminer pour accroître cette libre circulation. Or toutes les entreprises de service public sont aujourd’hui confrontées à des directives, des règlements qui affaiblissent la forme d’organisation actuellement structurée à l’échelle nationale sur une cohérence solide (EDF, SNCF,…). Cette dé-règlementation est en même temps re-règlementation - surtout pour les entreprises de réseau.
La principale variable d’ajustement des mécanismes concurrentiels, c’est le coût du travail. C’est le coût social qui est comprimé pour permettre d’emporter des marchés ou de permettre à d’autres de travailler dans des conditions sociales différentes de celles assurées aux personnels des services publics. Les syndicalistes ne peuvent pas considérer cette perspective comme légitime. Une pression existe sur les entreprises publiques pour qu’ elles glissent des critères de service public vers ceux d’économie de marché. Or le moindre coût immédiat n’est pas celui de long terme pour la collectivité. Une bataille farouche se mène en ce moment avec la SNCF sur sa politique tarifaire. « Socrate » a été une expérience douloureuse. Elle consistait à mettre en œuvre une tarification de l’usage du train basée sur le yield management : d’après cette technique mise au point aux U.S.A. pour le transport aérien, le tarif est aussi élevé que chaque usager peut payer. Il n’y a plus de prix de base, mais les tarifs varient en fonction de l’offre et la demande.
Cette logique a été par la suite combattue en interne et par les associations d’usagers - ce qui signifie que des convergences sont possibles. C’est encore aujourd’hui un point de débat fort car dans la logique du service public, le critère d’égalité d’accès par le prix est important. Il est largement malmené par la politique T.G.V. qui implique que le tarif soit fonction de la performance, ce qui dérape largement de la conception originelle du service public.
La notion de service universel - plutôt d’origine anglo-saxonne - définit l’intérêt public. Elle devrait se substituer au service public : c’en est la partie pauvre, une sorte de « service minimum » à assurer en toutes circonstances. ce n’est pas du tout une référence au regard de ce qu’a été (et de ce qu’est encore) le service public.
Les critères servant à la construction de l’Europe sont surtout économiques, financiers, mais peu sociaux. Des normes existent par contre sur la réduction des dépenses publiques (donc des services publics). Et le sommet de Luxembourg ne permet pas de considérer qu’il y ait un infléchissement suffisant sur la question de l’emploi.

Depuis juin 1997, les derniers changements continuent d’affaiblir les services publics plutôt que de le réinstaller, l’améliorer. Il est possible à la fois de comprendre les salariés du secteur public quand ils portent un enjeu dépassant leur défense catégorielle et de constater que seuls les professionnels de ces secteurs portent ce combat. Des mouvements, des associations de défense, des comités se créent à l’occasion, mais globalement, cela reste trop l’affaire des professionnels directement concernés. À charge pour eux de tenter de faire comprendre ce combat à l’opinion. En même temps qu’existe un renforcement de l’attente à l’égard des services publics comme moyens de s’attaquer à la « fracture sociale », l’opinion n’est pas non plus indifférente à l’argument de la privatisation, quand on lui explique que cela réduit les charges parce que les personnels n’auront plus la même situation sociale. Elle peut être séduite sur l’apport immédiat, alors que l’enjeu est à plus long terme. Ce qui est visé, c’est d’extraire les segments rentables du secteur public, ce qui aurait des effets importants sur la société française - et européenne - de demain.

CONCLUSION

L’attitude syndicale à avoir :

1 - ne pas s’en remettre à l’idéologie libérale (à la « pensée unique ») : c’est de son côté que le dogme existe, selon lequel la « loi du marché » serait systématiquement porteuse d’avancées sur les plans économique et social. La démonstration n’est pas faite, alors qu’a contrario, des exemples montrent les effets sociaux désastreux dans les pays où la privatisation a été réalisée.

2 - Participer à l’évolution positive des services publics, ne pas s’en tenir à la défense de l’existant, dans son périmètre ou dans sa forme. Cette question s’est déjà posée en 1995 : nous refusions les propositions gouvernementales de réforme de la SNCF, mais nous voulions aussi faire des propositions qui permettent de la re-positionner. Pour reprendre le principe d’adaptabilité, il faudrait aujourd’hui réfléchir au champ que devraient couvrir les services publics, à la manière dont ils fonctionnent aujourd’hui. Le rapport de force en interne est insuffisant si les citoyens n’interviennent pas, ne participent pas davantage à ce débat. Il serait injuste de laisser les seuls professionnels décider du fonctionnement des services publics. Les syndicats doivent participer à l’actualisation, la révision du mode de fonctionnement des services publics. Les directions mènent en ce moment une bataille idéologique importante sur la culture d’entreprise dans les services publics. Les cheminots (en majorité) pensent exercer un métier différents des autres - c’est peut-être aussi parce que les syndicats ont joué un rôle. C’est parce que cette majorité a le sens du service public que la bataille de 1995 a été possible. Nous devons continuer en interne pour résister aux pressions très fortes qui visent à changer les individus. En expliquant par exemple que les effectifs du marketing doivent être développés comme dans n’importe quelle entreprise, alors que nous pensons que ces techniques ne correspondent pas à la notion de service public : on ne vend pas du train comme une prime d’assurance ou une maison.

3 - Tenter d’articuler la réflexion aux plans national et international. Aujourd’hui, si l’on est pas aussi avancé au plan européen, on est rapidement dépassé : cette dimension nous préoccupe nécessairement. La C.G.T. est handicapée par sa non reconnaissance pleine et entière comme membre de la confédération européenne des syndicats. Souhaitons que cela évolue prochainement. Mais cela ne nous empêche pas d’être en rapport avec nos homologues des autres pays et d’avoir des actions de mobilisation au niveau européen.

4 - Nous devons travailler les convergences. Tenter de montrer par le réseau syndical que tous les adhérents sont utilisateurs des combats dans les services publics - et y intéresser d’autres forces. Les convergences doivent aussi se construire avec les associations, coordinations, mouvements. Des choses existent déjà, comme entre les organisations des Finances et les chômeurs sur l’imposition. Entre les syndicalistes des organismes financiers et des organismes comme D.A.L. qui se battent pour le droit au logement. Entre syndicalistes de l’énergie et comités de chômeurs.
Avec les associations, comités (quels qu’ils soient) nous avons des rapports, des points d’accord et de divergence. Ainsi, quand certaines nous affirment : « nous luttons pour le développement du transport ferré, mais peu importe le statut des personnels », je les comprend dans leur combat de conserver le train, mais en même temps, je suis en désaccord car je suis convaincu que leur intérêt bien compris est le maintien d’une SNCF avec l’atout de la péréquation. Je conçois que le statut des personnels ne soit pas leur souci, même si c’est un point de différence avec elles. Pour autant, il n’empêche pas des initiatives communes sur des combats commun