AITEC
Bouton menu

Illégitimité de la dette du tiers monde et construction d’un nouvel ordre juridique international - 2001

Publié par , le 14 mars 2007.





Partager :

bouton facebook bouton twitter Bouton imprimer

Les campagnes pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde ont fréquemment soulevé la question de l’illégitimité de tout ou partie de cette dette et celle de la coresponsabilité de gouvernements ou d’institutions financières du Nord dans la constitution d’une dette illégitime.

La légitimité, qualité de ce qui est légitime, c’est-à-dire juste et équitable, se distingue de la légalité, qui est la conformité à la loi. Un acte légal peut être clairement considéré comme illégitime. L’écart entre légalité et légitimité éclaire les nécessaires progrès du droit.

Ainsi le droit prend fréquemment en considération l’inégalité des partenaires pour corriger les résultats choquants d’une apparente liberté contractuelle. Cette notion, qui fut à la base du droit du travail, ne pourrait-elle recevoir quelques applications internationales ?

Si la légalité de la dette est toujours défendue par les créanciers, sa légitimité est fréquemment contestée par les peuples (plus rarement par les Etats) des pays débiteurs et par les organisations de solidarité internationales qui les soutiennent.

Alors que la légalité se doit d’être examinée au cas par cas, en référence à des textes précis, la légitimité, qui se réfère à des valeurs, peut être appréciée à un niveau plus global, de manière plus ouverte, mais inévitablement subjective.

Explorer le rapport entre légalité et légitimité, analyser les éléments d’illégitimité dans un acte légal, est l’une des voies pour faire progresser le droit, et en particulier, s’agissant de la dette du Tiers-Monde, le droit international. Un point de départ utile reste l’analyse strictement juridique des actes contestés.

Des présomptions d’illégalité pèsent en effet sur de nombreuses dettes et divers motifs d’illégalité possible ont été identifiés, selon le droit classique des contrats, parmi lesquels on peut énumérer, au titre de la formation du contrat : la capacité contestable de l’emprunteur (dette contractée par un gouvernement illégitime, irrégularité de la procédure), les vices du consentement (engagement contracté sous la contrainte), l’objet illégal ou criminel du financement.

Le défaut d’exécution d’un contrat commercial, financé par le prêt contracté et jugé indissociable de celui-ci (malgré la séparation formelle entre les deux contrats), a été relevé par la jurisprudence du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).

D’autres éléments permettent de contester non la régularité du contrat de prêt, mais l’obligation d’un paiement intégral des sommes dues au titre de ce contrat, remise en cause par des circonstances particulières frappant l’emprunteur. Le remboursement et le paiement des intérêts peuvent être rendus impossibles ou inopportuns par des cas de force majeure ou parce qu’il se heurtent à des utilisations des fonds jugées prioritaires au nom d’un ordre juridique supérieur.

Il en est en particulier ainsi si le poids des remboursements lèse les droits humains fondamentaux de la population du pays débiteur, en référence notamment à la Déclaration universelle des droits de l’homme, en ses articles 22 à 27, complétée par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Une telle notion d’illégitimité n’est-elle pas partiellement reconnue, bien que sous une forme détournée et inavouée, dans les travaux ayant abouti à l’initiative PPTE, particulièrement à l’initiative renforcée, avec la notion d’endettement tolérable et l’affectation des ressources dégagées par l’extinction d’une partie de l’endettement à la réduction de la pauvreté et aux priorités sociales ?

Une limite à l’exigibilité des dettes peut également être recherchée dans la contestation d’une partie du montant financé : surcoûts liés à des irrégularités dans les procédures de passation des marchés, détournement d’une partie des sommes prêtées, par exemple pour le versement de commissions dans un cadre de corruption.

L’analyse du rôle de la corruption comme origine d’un endettement contestable est probablement un élément fondamental des travaux sur la légitimité et la légalité de la dette. Elle va largement au delà de la part des commissions dans les montants financés, par les distorsions qu’elle induit dans les processus de décision, les commissions versées pouvant, à l’extrême, devenir la véritable finalité des projets (qui ont alors toutes chances de ne répondre à aucun besoin réel) et de l’endettement qui les accompagne.

Cette analyse a aussi le mérite d’aborder la notion de coresponsabilité des parties prenantes (emprunteur, créancier, fournisseur, garants).

L’extension à l’ordre international de la notion de responsabilité du banquier, définie en droit national, qui impose à celui-ci des obligations de prudence et de clairvoyance quant à la situation, actuelle ou prévisionnelle, de l’emprunteur et au caractère approprié de l’objet du crédit, pourrait donner une base légale à la délimitation des responsabilités dans la constitution d’une dette illégitime.

Elle conduit à s’interroger sur les responsabilités dans l’origine de l’endettement pour le financement d’investissements inopportuns, elle-même tributaire d’analyses de l’utilité réelle de l’objet de la dette.

De telles réflexions pourraient être confiées à une instance internationale d’arbitrage, comme le demandent de nombreuses organisations de solidarité internationale. Elles ne manqueraient pas de mettre en évidence un faisceau de responsabilités diverses, dont la plupart (banques ou autres institutions financières, bien entendu, mais aussi bureaux d’études et fournisseurs, organismes de garantie, administrations) sont situées au nord, et d’en tirer les conséquences, morales, juridiques, politiques et financières.