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Environnement et développement pour une perspective Nord-Sud et une démocratie internationale

Publié par , le 1er mars 2007.

Déclaration de l’AITEC





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La Conférence de Rio est un appel décisif. Depuis des décennies, des associations et des organisations non gouvernementales qui travaillent dans les domaines de l’environnement et du développement.

Depuis très longtemps, elles alertent l’opinion publique sur le mal-développement du monde et plus particulièrement sur le sous-développement du Tiers-Monde. Elles soulignent aussi l’insoutenabilité écologique du développement au Nord comme au Sud. Aujourd’hui ces avertissements sont entendus. Les gouvernements affirment vouloir entrer dans un cycle de négociations destiné à établir les règles d’un développement soutenable pour les hommes et pour la planète.
Sur quelles bases et par quels moyens, cette volonté peut-elle donner naissance à une politique et à des actions qui soient à la hauteur des défis à relever ?

1. Un développement soutenable doit être aussi socialement équitable.Il n’y a pas de respect possible des équilibres écologiques sans solidarité entre les humains. Nous prenons depuis peu conscience que la vie même est menacée sur la planète, à terme extrêmement bref à l’échelle de l’histoire. Le mal-développement actuel condamne à la misère, à la maladie, à l’ignorance la majorité du genre humain. La pression sur les ressources, exacerbée par l’explosion démographique et par le gaspillage, pose à notre génération des défis décisifs (effet de serre, ozone, désertification, eau potable, déchets ... ). Elle exclut de l’avenir les générations futures.
Les contradictions entre environnement et développement peuvent sembler inévitables. L’évolution récente démontre le danger qu’entraîne un mode de développement agressif et non maîtrisé. Toutefois nous avons la conviction qu’il n’y a pas d’opposition irréductible entre environnement et développement et que les choix éthiques, philosophiques et politiques déterminent les solutions à mettre en oeuvre pour surmonter les contradictions. L’avenir de l’humanité ne peut être fondé sur l’acceptation de l’exclusion, sur le cantonnement des pauvres dans les sociétés du Nord et sur le maintien de peuples entiers dans la misère. La gestion de l’exclusion est une mauvaise solution, elle est injuste et instable. Elle ne peut conduire qu’à des politiques inefficaces et détestables. Ce pari sur l’avenir est dans l’invention de nouvelles formes de développement écologiquement soutenables et socialement équitables.

2. L’environnement n’est pas seulement l’affaire du Nord, le développement n’est pas seulement l’affaire du Sud.Pour la moitié la plus pauvre de l’humanité, le « développement soutenable » est avant tout le droit à la santé, à la nourriture, au minimum d’énergie donnant accès, dans une sécurité au moins relative, à une vie qui ne se résume pas aux harassements et aux contraintes. A l’autre extrême, une petite minorité de pays, par sa surconsommation depuis un siècle, a gravement compromis la capacité de régénérescense de la biosphère. Sans oublier qu’il existe un « Sud intérieur » à l’intérieur des sociétés du Nord (ou Quart Monde), et qu’un « Nord extérieur » est formé par les privilégiés du Sud.
La crise écologique souligne le caractère insoutenable des modèles de développement connus. L’objectif visant à atteindre le même niveau de vie que celui des couches sociales aisées des pays du Nord s’est avéré un pari impossible pour le Sud. Certes, ce type de croissance a permis à une minorité de l’Humanité d’accéder à un ensemble diversifié de biens et de services, mais qui ne pourront jamais être à la portée de toute l’humanité. Cette « prospérité » met aujourd’hui l’Humanité face au spectre de l’épuisement des ressources naturelles. La dégradation actuelle est la conséquence de l’appropriation par un quart de la population mondiale des quatre cinquièmes des ressources naturelles disponibles. Ces modèles de croissance, déjà condamnés et mis en cause à l’intérieur de leurs pays d’origine, ne peuvent donc plus être généralisés à l’échelle de la planète.
Le niveau de confort et de santé que ces modèles de développement offraient à la moyenne des populations du Nord pourrait cependant être atteint au Sud selon des techniques nouvelles, découplant la consommation d’énergie et les émissions polluantes de la croissance des services matériels. On ne saurait sous-estimer les possibilités d’une nouvelle forme de croissance de la production soutenue par des niveaux d’investissements plus modestes, utilisant les techniques de pointe tout en éliminant le gaspillage.
Pour les pays développés, c’est à une véritable conversion culturelle qu’il est urgent de s’atteler : mesurer le développement non plus à l’accumulation de marchandises mais à la quantité de temps libre, à la richesse des relations humaines.
Sous des formes et à des niveaux différents, la relation entre gestion maîtrisée de l’environnement et gestion maîtrisée du développement est finalement aussi forte au Nord qu’au Sud.
Au Nord comme au Sud, les propositions de « développement soutenable" passent par l’abandon de conceptions qui associent le développement à la seule logique économique, mesurée en termes de croissance de la production matérielle et d’investissements productifs.

3. De nouveaux rapports Nord-Sud sont Indispensables pour faire avancer la maîtrise conjointe du développement et de l’environnement.Les coûts humains et les dégâts sur l’environnement qui ont permis aux Etats du Nord de s’assurer une position dominante dans l’économie mondiale en font les responsables majeurs de la crise mondiale de l’environnement. Pourtant, les intérêts liés aux modèles de production et de consommation les plus prédateurs prétendent que les choix les plus urgents peuvent être différés au Nord si le développement au Sud est sévèrement bridé.
Il nous paraît évident que dans un monde à la fois unifié et fortement polarisé, l’état présent des relations Nord-Sud ne permet pas de maîtriser la relation entre environnement et développement.
Il importe d’abord de souligner qu’il existe des marges de manœuvre considérables pour un développement matériel écologiquement soutenable. Mais la participation de la totalité du genre humain au développement soutenable implique d’importants transferts technologiques et financiers en faveur du Sud, transferts intégrés dans un projet politique global fondé sur la révision des rapports Nord-Sud. Ce projet s’exprime déjà dans la coopération entre les forces sociales des pays développés qui remettent en cause le développement du Nord, et les forces sociales du Sud déjà conscientes qu’il faut éviter la débâcle de l’environnement au Sud.
Les pays du Sud accepteront de prendre leur part de la défense commune de notre environnement, notre patrimoine commun, encore faut-il que le Nord fasse la preuve qu’il place lui aussi l’environnement avant ses propres intérêts de privilégié. Il doit alors prendre en charge (à titre de compensation pour les dégradations qu’il a seul commises) le financement du développement soutenable et de nouvelles formes d’intervention dans le milieu naturel dans le monde entier. Ce financement pourra être assuré par des crédits additionnels et par la taxation des pratiques préjudiciables. Il nécessite l’annulation de la dette du Tiers-monde, dont la poursuite des recouvrements intensifie sans cesse les niveaux de prélèvements sur les ressources naturelles.

4. La maîtrise de la relation environnement-développement implique une gestion planétaire. L’environnement qui nous préoccupe est celui des populations humaines c’est un environnement fortement structuré par la dynamique propre et par l’action volontaire ou involontaire, directe ou indirecte, de l’homme et des sociétés humaines.
Les problèmes se posent aux divers niveaux d’organisation biologiques et sociaux, aux différentes échelles d’espace et de temps. Il s’agit de concilier le mieux être qualitatif et le mieux vivre économique, de chercher à détecter et à écarter les menaces qui pèsent sur les sociétés humaines et sur la planète.
L’établissement d’un nouveau système de règles de vie est, pour le genre humain, une des tâches les plus difficiles. Difficile à l’échelle nationale, elle est particulièrement ardue à l’échelle mondiale. D’autant plus que les organisations internationales sont sous contrôle des Etats du Nord. Il nécessite la création d’institutions capables d’élaborer des textes respectant les intérêts du Nord et du Sud, capables d’imposer leur loi aux Etats, capables de leur faire abandonner enfin une partie de leur souveraineté face aux impératifs environne mentaux. Sans contrôle démocratique international, nous courrons le risque de voir se dégrader encore plus la situation ou de sombrer dans un éco-fascisme technocratique.
Nous pensons qu’il faudra consolider des contre-pouvoirs en renforçant les sociétés civiles, accroître le poids politique qui ne s’exprime pas dans le statut juridique qui leur est attribué en droit international. la démocratie laissant toute leur place aux sociétés civiles pourra seule servir de contrepoids à la fois à l’Etat et au marché. Le marché n’est pas capable de réguler « spontanément » l’accès au patrimoine commun et intergénérationnel de l’humanité. Encadré par des normes, rééquilibré par des taxes, le marché permet néanmoins aux sociétés d’atteindre de manière décentralisée des buts communs.
Un objectif de Rio porte sur l’allocation et la régulation des droits d’accès aux ressources de la planète, (y compris sa capacité d’auto-régénération), l’encouragement aux pratiques écologiquement soutenables, le recul des pratiques nuisibles. Le dosage entre taxes, subventions et marché un des enjeux du débat, à Rio et dans les différents pays après Rio. Nous affirmons que l’allocation des droits sur les ressources communes de la planète ne peut se faire sur la base de « droits acquis à polluer » (par exemple, par réduction d’un même facteur de pollutions de chaque pays). Cette définition des normes d’accès aux ressources est la plus équitable. Elle ne sera toutefois pas suffisante si les peuples n’ont pas les moyens d’en tirer parti efficacement, ce qui pose à nouveau la question du financement du développement soutenable.

5. Une conscience universelle est à construire.
Elle nécessite le travail commun des associations et des scientifiques dans la consolidation des contre-pouvoirs. Seule la formation d’une conscience universelles et d’une opinion publique mondiale se prononçant sur ce qu’il est souhaitable et raisonnable d’interdire et de promouvoir peut garantir une quelconque efficacité aux conclusions des diplomates. Dans le processus de formation de cette opinion publique mondiale, les associations et les ONG ont un rôle décisif. De par les habitudes de volontariat, de partenariat, elles peuvent s’affranchir des groupes de pression économiques, des intérêts particuliers, des conflits d’intérêts entre nations. C’est de ces débats que peut émerger un consensus sur les défis posés à l’humanité et les moyens d’y répondre. Telle est leur éminente responsabilité.
Les connaissances scientifiques progressent tous les jours et, à tout moment, de nouvelles découvertes, de nouvelles façons de penser remettent en cause notre vision des relations entre l’homme et son environnement. Cette évolution constante ne remet pas en cause la nécessité de fonder l’approche en matière d’environnement et de développement sur une démarche scientifique. La mise en œuvre de découvertes, des possibilités et des modes de pensées produits par la recherche scientifique, l’utilisation des méthodes d’évaluation et la réflexion critique propre à la démarche scientifique sont des atouts majeurs d’une nouvelle approche. Cependant, le travail des scientifiques doit être plus directement relié à une demande social, une nécessité particulièrement évidente dans le domaine de l’environnement. Ils peuvent en toute indépendance y chercher des interrogations et des terrains de vérifications. Les associations et les ONG peuvent jouer un rôle essentiel dans l’explicitation de cette demande sociale, en organisant des interfaces et en élaborant des appels d’offres qui seront adressés ainsi par la « société civile » à la communauté scientifique.
Le rôle de la science dans l’élaboration des politiques est considérable. Pour autant, ce n’est pas à la science, pas plus qu’aux intérêts économiques de définir des normes et des réglementations. Celles-ci doivent résulter d’un débat démocratique ouvert et public. Ce débat nécessite un approfondissement et un élargissement, évitant toute exclusion et tout monopole de la culture scientifique, de la culture et de la formation technique, des capacités d’expertise. Sans un accès des peuples et des Etats du Sud au droit à une connaissance scientifique et à l’expertise technique, les questions posées à la communauté scientifique ne produiront que des réponses unilatérales.

6. La cohérence entre développement, environnement et démocratie ne peut résulter que de la volonté politique de les relier et de leur donne un sens.Cette cohérence implique une définition des priorités du développement et des moyens de les mettre en œuvre ainsi qu’une définition des politiques de l’environnement compatibles avec ces objectifs. Elle implique surtout la volonté d’approfondir la démocratie dans les choix politiques et dans les conséquences du développement.
Trop souvent, tant en matière de développement que d’environnement, les voies non démocratiques sont créditées d’une plus grande efficacité même si elles justifient les pires excès de pouvoir.
Il s’agit là d’une vision à courte vue qui privilégie l’illusion des réponses à court terme et qui s’est toujours révélée catastrophique à la longue. Seules aujourd’hui les démarches démocratiques permettent d’assurer la participation la plus large aux décisions et aux mesures nécessaires pour garantir les libertés, lutter contre les inégalités sociales et assurer la préservation de la planète.
Cette volonté peut agir aux différents niveaux de pouvoirs. La démocratie dans l’entreprise faciliterait des formes de production non polluantes et garantirait les droits des travailleurs. La démocratie locale s’appuierait sur la participation directe et sur le respect des écosystèmes. La démocratie nationale mettrait en œuvre les politiques de répartition entre les groupes sociaux et le contrôle des choix politiques, notamment en matière énergétique et industrielle. La démocratie dans les grandes régions organiserait le droit d’accès aux ressources sur la base des solidarités géopolitiques et culturelles.

7- La démocratie internationale reste largement à inventer.La démocratie internationale ne peut s’accommoder de la perpétuation, de l’aggravation des rapports inégalitaires dans le système économique international. Les orientations qui se dégagent dans les grandes négociations internationales sont inquiétantes comme celles qui se sont ouvertes sur le commerce international au GATT, sur la crise de la dette et son traitement proposé dans les plans d’ajustement structurel de la Banque Mondiale, sur le financement du développement.
La démocratie internationale nécessite la circulation la plus large possible de toutes les informations disponibles. Le pouvoir d’un individu sur un autre, d’une élite sur la masse, du Nord sur le « Sud » prend sa source dans la possession unilatérale d’informations historiques, sociales, économiques, techniques. Nous devons exiger la levée des secrets qui relèvent de l’intérêt public et d’assurer leur diffusion internationale.
L’urgence de la promotion d’une démocratie internationale est encore avivée par les défis de la dégradation de l’environnement. L’approfondissement des droit de le personne et des droits des peuples doit être la référence pour une progression du droit international. L’accès aux ressources naturelles doit être délimité sans être inféodé aux intérêts des grands groupes financiers et à la volonté de puissance de certains Etats, grands ou petits. Les moyens d’application des décisions prises et le contrôle des instruments qui en résultent devraient être pris en charge par toute l’humanité.
L’enjeu est, en définitive, celui du passage, à partir du dilemme environnement et développement, d’une planète des grands féodaux et des seigneurs de la guerre à une planète démocratique.

Juin 1992

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