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3 ouvrages sur les services publics en Europe

Publié par , le 10 avril 2008.





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Quel avenir pour les services d’intérêt général en Europe ?

Les services d’intérêt général (SIG ou services publics en France) sont au coeur de la vie sociale, économique et politique dans chaque pays européen comme dans l’Union européenne en général. Depuis l’Acte unique européen de 1986, l’UE a entrepris de libéraliser les SIG économiques (réseaux de communication, transport, énergie...). Où en est-on de ce processus de libéralisation ? Quels ont été son influence et ses résultats selon les pays ? Comment prendre en compte la diversité des modèles nationaux ? Peut-on bâtir un droit européen positif des services publics ? Quels sont les enjeux d’une régulation des SIG et à quel niveau la mettre en oeuvre ?

Tour d’horizon à l’occasion de la parution de trois livres récents sur le sujet ("Les services publics en Europe" et "Les services publics en Europe - Pour une régulation démocratique" édités par Publisud ; "Services publics, un défi pour l’Europe" Eds. Charles Léopold Mayer).

Avec la participation de Pierre Bauby, président de la commission SIG du CEEP, Jean-Claude Boual, secrétaire général du CELSIG, Sarah Valin, membre de l’AITEC et de Philippe Frémeaux, directeur de la rédaction du mensuel Alternatives économiques.


Présentation du livre « Les services publics en Europe. Pour une régulation démocratique » (Publisud, 2007)

Par Pierre Bauby

Je voudrais présenter les apports spécifiques de cet ouvrage dans les débats sur les services publics en Europe.

C’est le fruit d’un travail universitaire interdisciplinaire auquel ont participé 26 auteurs de plusieurs laboratoires de recherches européens, que j’ai co-dirigé avec Henri Coing et Alain de Tolédo.

Il ne cherche pas à revenir sur l’histoire des deux dernières décennies en regrettant que les événements n’aient pas été différents, mais prend acte de la situation actuelle, fruit d’un processus profond d’européanisation des services publics, caractérisé par la libéralisation et l’introduction de la concurrence, d’une libéralisation cependant maîtrisée, contrôlée, régulée.

Et l’ouvrage se saisit d’un des enjeux clés du devenir des services publics en Europe, la question de la régulation, dans une démarche interdisciplinaire.

Tout le monde parle de « régulation », c’est un mot « valise », mais dans la plus obscure clarté.

L’ouvrage cherche à clarifier ce que cela recouvre, à dégager les enjeux, à proposer des perspectives. Il vise à conjuguer dynamiques communautaires, spécificités de chaque secteur et logiques nationales (qui ne disparaissent pas avec l’européanisation).

Il cherche à répondre à 4 questions : pourquoi parle-t-on de régulation des services publics, quels sont ses objectifs, quelle fonctions cela recouvre-t-il, comment et à quel niveau la mettre en œuvre ?

 1/ Pourquoi parle-t-on de régulation des services publics ?

L’emploi du concept de régulation provient de la complexification des systèmes dans lesquels existent dorénavant plusieurs acteurs qui ont des intérêt différents et opposés, qui sont en concurrence.
La régulation vise à assurer l’équilibre dynamique de systèmes instables qui ne peuvent être laissés à leur auto-régulation.
Cette complexification amène à clairement séparer les fonctions d’opérateur et de régulation ; la « régulation » tient à la réduction du « monopole naturel » à son cœur et à la séparation entre infrastructures et services. Intervient également la séparation dans les fonctions de l’Etat entre son rôle d’actionnaire et la fonction de régulation du système. Elle prend en compte les asymétries d’informations qui existent entre les acteurs.

 2/ Quels objectifs de régulation ?

Les objectifs peuvent être très différents, débouchant sur des formes variées de régulation.
La régulation peut avoir pour objectif d’introduire la concurrence dans un secteur marqué par une situation de monopole. Elle sera alors asymétrique pour forcer l’ancien monopole « historique » à ouvrir ses marchés ; elle est alors souvent conçue comme devant être provisoire (ce qui n’a nulle part été confirmé).
La régulation peut viser à contrôler la concurrence. Mais il faut alors préciser sur quelles bases… La concurrence dans les secteurs de service public est oligopolistique. Faut-il accepter ou refuser les concentrations, les ententes, les coopérations, les intégrations d’activités ? Faut-il tout séparer ? Sur quelles bases ? Dans quels objectifs ? Cet aspect est le plus souvent en charge des autorités de contrôle de la concurrence et leurs jugements interviennent ex-post.
La régulation peut également avoir en charge d’organiser l’équité d’accès d’opérateurs en concurrence à un réseau unique qui reste un monopole naturel. C’est un objectif complexe, qui implique des décisions en continu et des instances spécialisées.
La régulation peut avoir pour objectif d’assurer l’équilibre évolutif entre concurrence et intérêt général, le contrôle des obligations de service public ou de service universel, etc.

 3/ Quelle fonctions de régulation ?

On peut relever 8 fonctions de régulation, qui impliquent une prise en charge précise et spécifique : la réglementation, les objectifs éventuels de politiques publiques, le respect pour partie du droit de la concurrence, l’équité d’accès à l’infrastructure, les tensions entre concurrence et obligations de service public, le financement de ces obligations et des investissements à long terme, le contrôle de l’ensemble de ces fonctions, l’évaluation des performances et de l’efficacité du système.
Il ne faut pas confier l’ensemble de ces fonctions à un seul organe, mais assurer une dynamique entre plusieurs instances.

 4/ Comment et à quel niveau la mettre en œuvre ?

La régulation doit être organisée au niveau où le service est défini.
Cela conduit à emboîter les niveaux local, national et européen. Certains parlent à ce propos de « fédéralisation » de la régulation.
Il faut prendre en compte le fait que les marchés sont de plus en plus intégrés au plan communautaire, que les opérateurs sont trans-nationaux et trans-sectoriels.
La clé d’une régulation efficace est la participation de tous les acteurs, non seulement les autorités publiques et opérateurs, mais aussi les utilisateurs, les personnels, la société civile.
D’où notre titre « Pour une régulation démocratique »…


Les services publics, un défi pour l’Europe.

Par Sarah Valin

Avec l’écriture de cet ouvrage, nous nous sommes fixés plusieurs objectifs.

 1- Dresser un tableau de ce qui s’est passé au plan communautaire en matière de services publics

 comprendre ce dont on parle -> services publics / services d’intérêt général / économiques… poser les définitions (France conception organique ; Europe : objectif, fonction)

 retracer la prise en compte progressive des services publics dans la construction européenne -> au départ, elle ne s’y intéresse pas ; puis à partir de l’Acte unique de 1986, elle met en place des logiques de libéralisation graduelle et sectorielle, conformément aux objectifs de 1957 que sont les 4 grandes libertés de circulation ; puis, au fur et à mesure, elle a transversalisé son approche. Reprendre les étapes de la libéralisation et observer les rythmes de libéralisation qui varient selon les pays.

 exposer et analyser les principaux débats qui ont animé à la fois les institutions européennes et la société civile en matière de services publics, dont l’exemple le plus parlant est la directive sur les services dans le marché intérieur, dite directive Bolkestein.
=> déséquilibre dimension sociale et intérêt général, le privilège étant donné à l’approche économique.

 2- Second objectif : illustrer l’approche européenne en matière de services publics

 Par l’étude de 5 services d’intérêt général (eau, électricité, logement, transports urbains et services postaux), exposer ce qui s’est passé au plan communautaire spécifiquement pour ce secteur. Voir quelle est la méthode adoptée en fonction du service : l’approche ne peut être la même pour un service local tel que l’eau ou les transports urbains (approche environnementale au départ / diffusion de bonnes pratiques), un service social tel que le logement (ou a fortiori il peut exister des conflits sur la question compatibilité des aides d’Etat avec les traités) et ou encore des services de réseaux tels la poste ou les services électricité ou de gaz (où là, l’action est entamée dès 1986 on l’a dit, qui est achevée pour électricité et gaz / confirmée pour 1er janvier 2011 pour les services postaux, après un recul de deux ans car beaucoup de débats).

 Et, pour chacun de ces services, voir comment est organisé et fourni le service dans différents pays, pour identifier à la fois les diversités entre les pays et les convergences qui existent. Les 6 pays choisis sont France, Suède, Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Hongrie. Exemples : diversité des modes de gestion (déléguée France / régies communales Suède) ; conception du logement social (universaliste Suède / modeste Allemagne, Italie). Pour chaque pays, une « expérience significative » vient en guise de conclusion. Par exemple, la loi sur le droit au logement opposable qui existe depuis 2003 en Ecosse, des partenariats public-public entre la Suède et des opérateurs municipaux de distribution d’eau des pays baltes, etc.

Perspectives :

Cet ouvrage est un premier pas. Il dresse un état des lieux et se concentre sur les aspects institutionnels.

La perspective est de voir comment les mouvements sociaux, qu’ils soient syndicaux, associatifs, ONG ou des collectifs informels de citoyens, s’approprient ces questions et la dimension européenne des services publics.


Remarques de Jean François Tribillon, membre de l’Aitec, suite à la présentation des 3 ouvrages, à la Maison de l’Europe, le 26 mars 2008.

1 – Ce qu’a dit l’auditeur d’origine germanique : la France qui brandit la bannière des services publics (sp) vit depuis toujours dans la concurrence, la liberté de choix de l’usager, à la différence de la Prusse et de l’Allemagne qui vivent depuis le début du XIX dans le « monopolisme » d’où son impression : l’idéologie française du sp est une idéologie à savoir un ensemble de croyances à fonction de dissimulation.

2 –Mr.Brachet en réponse à Mr.Boiteux : les efforts de rationalisation ne servent à rien, c’est l’effort de rapprochement des points de vue des peuples européens qui est à entreprendre et ce rapprochement doit se faire sur /par/avec l’ambiguïté des notions ; bref la confusion des sentiments est pédagogiquement et politiquement à préférer (si j’ose dire) à la rationalisation conceptuelle qui est toujours unilatérale et donneuse de leçons.

Ce que j’ai regretté de n’avoir pu trouver intéressant (parce que ça n’a pas été dit) :

1 – La théorie globalisante des services publics qui fonde la notion de service public obligerait à intégrer les services publics d’administration ou même de gouvernement, ce qui est pratiquement et théoriquement impossible, sauf du point de vue du ralliement syndical ou électoral, sauf reconstruction politique, laquelle reste à faire.

2 – La force et la légitimité d’un service public tient à sa capacité de novation technique, politique, sociétale…Les services publics servent à électrifier, combattre les inégalités, généraliser le certificat d’étude puis le baccalauréat, développer de manière soutenable, rendre permanente l’éducation, lutter contre la discrimination, donner réalité au droit au logement…Quand la novation est sur rails, le service public peut devenir bureau ou entreprise, à maintenir sous surveillance socio-politique ou en état de socialisation, c’est tout.

JFT 27 mars 2008