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Istanbul, Capitale Culturelle de l’Europe : Oui, mais sans les « Roms de Sulukule » !

Publié par , le 11 avril 2008.





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Istanbul : Capitale Culturelle de l’Europe !

Istanbul se prépare à être « Capitale Culturelle de l’Europe » en 2010. C’est l’occasion rêvée de promouvoir la ville et de mettre en valeur son patrimoine historique. Zoom sur Sulukule, un quartier aux abords des murailles byzantines classées patrimoine de l’Humanité par l’Unesco.

Sulukule est connu comme le quartier le plus ancien où les Roms se sont installés, venus du sous-continent indien au 11ème siècle pendant l’époque byzantine. Cette identité rom est certes encore vivante mais relève aujourd’hui davantage de l’Histoire et de la mémoire de la ville. Les habitants sont de provenances diverses (sud-est de la Turquie, côté égéenne...) et le quartier est cosmopolite. En novembre 2005, la caméra à la main, les journalistes affluent dans les rues de Sulukule. La nouvelle parait si inattendue que les habitants ont peine à y croire : Sulukule, classé en zone de « renouvellement urbain », va être détruit1 ! Cette rumeur n’en est hélas pas une : la mairie métropolitaine d’Istanbul, la mairie de l’arrondissement de Fatih et l’agence pour le développement du logement (TOKI) ont signé leur accord le 13 juillet 2006, lançant cette entreprise : 571 familles doivent quitter le quartier. Ce quartier, c’est pourtant leur patrimoine familial. Les réseaux de solidarité leur permettent en effet d’y vivre modestement, mais correctement. Le projet de la mairie menace leur économie domestique en les délogeant, en les confrontant à des loyers plus élevés dans d’autres quartiers ou à des conditions de vie pénibles dans des bidonvilles. Les habitants ne sont pas contre un projet de renouvellement de leur quartier pourvu qu’ils continuent à y vivre.

En route vers l’expulsion

La mairie de Fatih s’appuie sur la loi de « rénovation pour la protection et l’usage des biens historiques et culturels détériorés » de juin 2005 pour réaliser ce projet de renouvellement urbain. En réalité, il ne s’agit pas de préserver et de réhabiliter le tissu urbain mais bien de le détruire. A la place, les élus souhaitent reconstruire un quartier neuf dans un style « ottoman », qui ferait écho, selon eux, aux murailles byzantines. Ce type de loi sert les projets de spéculation foncière et ne garantit plus la sécurité du logement. Même les quelques trois cents propriétaires du quartier (1/3) sont sans défense : la mairie peut démolir au nom de l’intérêt public.

Avec le soutien des médias, les autorités publiques cachent ces réalités. La municipalité de l’arrondissement et son maire, Mustafa Demir, n’ont de cesse de proclamer que c’est « le projet le plus social » qui soit. Et l’opinion publique approuve : « De quoi se plaignent les habitants de Sulukule, après tout ? L’État leur donne une maison, à eux ! ». Le dessous des cartes est différent.

En effet, le projet prévoit de reloger ces familles à quarante kilomètres de leur quartier, dans une cité, loin de toute infrastructure sociale ou de transport. De plus, ce relogement risque d’être de courte durée, car ces familles ne pourront pas s’acquitter des charges mensuelles trop lourdes, et ne pourront jamais accéder à la propriété au bout des 15 ans de paiement comme le prévoit le projet. De 50 / 100 lires turques (30 / 60 euros) dans le quartier, les loyers passent à 500 / 800 lires turques (300 / 470 euros) dans la cité de relogement. Au bout de quelques mois, elles feront face à ce que vivent déjà des foyers dans des arrondissements de la métropole suite à de tels projets de rénovation urbaine ; elles seront expulsées et trouveront refuge au mieux dans un bidonville, au pire dans un cabanon ou sous une tente dans la rue. Quant aux risques d’appauvrissement, ils n’ont même pas besoin d’être démontrés.

Mobilisation d’une plateforme

La mobilisation contre la destruction du quartier a surtout été impulsée par les ONG locales (Accessible Life Association et Human Settlement Association) et quelques leaders de l’association de quartier (Association pour la solidarité et le développement de la culture rom de Sulukule). Les activités des ONG, dès le départ, sont d’ordre juridique (procès contre la mesure d’expropriation d’urgence) mais restent sans résultat. Au début de l’année 2007, dans l’urgence des démolitions, la Plateforme de Sulukule (composée d’architectes, d’universitaires et d’artistes) imagine une série d’événements culturels avec les habitants pour sensibiliser l’opinion publique et les élus politiques. Cette manifestation arrête temporairement les démolitions. Mais surtout cette approche « folklorisante » autour de la culture rom ne fédère pas et ne mobilise pas les habitants du quartier. La Plateforme, malgré elle, divise le quartier en insistant sur une identité « rom » associée à la musique et au divertissement à laquelle la majorité des habitants n’arrivent pas à s’identifier, et ce à juste titre. « On nous a tsiganisé avec ce projet », dénonce Asım Hallaç, l’un des très rares habitants mobilisés dans cette lutte pour son quartier. L’agitation médiatique et politique autour de Sulukule masque le vrai problème : l’absence de mobilisation au sein du quartier. Au lieu d’impulser une dynamique locale, la Plateforme de Sulukule se tourne résolument vers les élus politiques et les médias.

Stratégies de la mairie

La nomination d’Istanbul comme « Capitale Culturelle de l’Europe 2010 » motive davantage la Plateforme pour réaliser son idéal de projet : un projet participatif exemplaire pour 2010. La Plateforme met en œuvre toutes les démarches de concertation et de dialogue.
De son côté, la mairie, devant les médias, affiche une adhésion totale à cette noble intention.
En réalité, elle se défile et poursuit son objectif de démolition-« relogement ». Avec le soutien de la mafia locale et de quelques habitants, elle parvient à diviser le quartier déjà très peu mobilisé avec la création d’une seconde association de quartier (« Neslişah »). Et commence à poser les jalons de son projet de renouvellement urbain (loterie pour le relogement des locataires, démolitions de maisons...).

La Plateforme continue cependant de se mobiliser pour le quartier ; la visite du député européen Joost Lagendijk, le 9 février 2008 donne une énième impulsion à la Plateforme : elle court après la presse, des campagnes de sensibilisation, des projets de réhabilitation... Cette mobilisation et la lutte de quelques militants sauvera-t-elle un quartier ?
Loin des agitations de la Plateforme, les habitants –spectateurs de leur propre sort- n’attendent plus grand chose aujourd’hui. 31 maisons sont déjà détruites, les locataires devront vider les lieux avant la fin mars 2008. Le compte à rebours a commencé.