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Sénégal : inflation des prix alimentaires, montée des protestations populaires

Publié par , le 21 avril 2008.

En quelques mois, des protestations populaires ont éclaté sur tous les continents face aux énormes pressions sur les prix des produits alimentaires. Aux Philippines, en Egypte, au Sénégal, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Mauritanie, au Maroc, au Cameroun ou encore en Haïti, le pouvoir d’achat moyen ne permet plus de faire face aux dépenses alimentaires indispensables, non plus seulement pour les groupes appauvris et précaires mais également au sein des classes moyennes, employés du secteur formel et de la fonction publique ou para-publique...
C’est véritablement une crise alimentaire structurelle qui affleure au grand jour, qui montre à la fois
l’échec des modèles de développement et de leur mépris des problématiques des agricultures vivrières et des marchés locaux,
l’incapacité des règlementations commerciales multilatérales fondées sur l’idée d’un équilibre heureux et à moindre coût entre offre et demande,
enfin les conséquences in vivo du mouvement de contagion spéculative vers les marchés agricoles à l’échelle globale autant que locale.

Faibles du point de vue de leurs capacités à développer des politiques publiques audacieuses (même quand ils ont à coeur de mettre en scène leur force en réprimant les manifestations et démonstrations de colère), les gouvernements sont largement impuissants.

Chérif Younouss Diante, Secrétaire national chargé des relations extérieures au sein du Syndicat national des travailleurs de la SONATEL et Secrétaire national adjoint chargé des relations extérieures pour la Confédération nationale des travailleurs sénégalais, revient sur la situation sénégalaise.

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Interview réalisée par Amélie Canonne

A.C - Comment se manifeste la crise alimentaire au Sénégal depuis quelques mois ?

C.Y. D. - L’inflation est au delà du supportable, le carburant et les denrées de première nécessité sont devenus quasi innacessibles pour les populations. Et certaines denrées ont même disparu des étalages car l’inflation augmente tous les jours et les commerçants font de la rétention.
En exemple, le sac de 50 kgs de riz a augmenté de près de 50% en l’espace de deux mois, de 9500 fs cfa à 17000 (14 euros à 25 euros) et ceci à Dakar. Rendu à l’intérieur du pays, il passe carrément à 20.000 fcfa soit 30 euros 25 cents : en effet le riz, qui est un produit importé, est débarqué au port de Dakar, avant d’être transporté vers l’intérieur du pays, ce qui renchérit le prix dans les régions.
Tout ceci ajouté à la situation des entreprises avec son lot de fermeture et de compression nous met dans une situation d’instabilité sociale quasi permanente.

A.C – Pour avoir une idée plus précise, peux-tu nous donner une idée du niveau de vie et du pouvoir d’achat moyens des Sénégalais ?

C.Y. D. - Le salaire moyen se situe entre 150 et 350 euros dans la fonction publique et entre 200 et 1000 euros dans le secteur privé avec des pics parfois supérieurs à 1000 euros pour les cadres intermédiaires et supérieurs. Quant au sac de riz de 50 kgs peut nourrir une famille de 5 à 6 personnes pendant un mois. Il faut préciser que le riz est un aliment complémentaire, indispensable au fameux "Thiébou Diène" plat national servi généralement au déjeuner seulement.

A.C. - Alors qui sont les Sénégalais touchés par cette crise inflationniste ?

C.Y. D. - Toutes les classes le sont, nonobstant le revenu qu’on peut avoir. La solidarité qui est un élément social important dans notre pays, fait qu’on partage toujours ce qu’on gagne avec les parents et amis, qui à la fin du mois, ou devant une difficulté , viennent toujours vous voir pour solliciter une aide.
Mais, il est vrai aussi que la crise frappe plus durement les paysans, les artisans et les petits métiers. Les premiers tirent leur revenu de l’agriculture, qui avec les mauvaises saisons hivernales (pluies insuffisantes, manque de semences et d’intrants agricoles etc...) mais aussi et surtout la mauvaise orientation de la politique agricole tournée dorénavant vers les biocarburants, ont fini de mettre à genoux notre paysanat.
Quant aux artisans et petits métiers du secteur informel, ils gagnent leur pain à travers justement ce que cette classe moyenne peut dépenser (travaux domestiques, réparations de voitures, achat de biens et services divers... Et comme la classe moyenne croule dans les difficultés, elle est encline à faire l’économie de certaines dépenses non urgentes.

A.C. - Comment les acteurs sociaux sénégalais analysent-ils les causes de cette crise ?

C.Y. D. - Certaines causes de cette crise sont à chercher sur un plan global, dans la politique des échanges commerciaux internationaux et dans la détérioration des termes de l’échange. Les conséquences des politiques d’ajustement du FMI et de la Banque mondiale, les échecs de l’OMC, des accords UE-ACP etc... ont fini de mettre à genoux les campagnes où la pauvreté a atteint des niveaux inimaginables ces vingt dernières années. La paupérisation des masses s’est accrue, et explique la montée de l’exode rural et de l’immigration clandestine, "car la terre ne nourrit plus" selon les propres termes des paysans.
Aujourd’hui , dans nos pays, les politiques invoquent souvent les nouvelles puissances asiatiques, la Chine, l’Inde etc... , grands consommateurs de riz, dont le pouvoir d’achat s’est accru du fait d’un taux de croissance à deux chiffres et qui aujourd’hui importent du riz car ils peuvent se permettre maintenant deux repas par jour. Ils incriminent également la baisse des réserves mondiales de céréales, et l’intervention des investisseurs de toutes sortes (fonds de pensions, fonds souverains etc...) qui se détournent de l’or noir et envahissent le secteur des denrées alimentaires étranglant ainsi les couches les plus faibles des pays pauvres d’Afrique et d’Asie. Nos gouvernements se concertent réguliérement au sein des cercles régionaux (Union Africaine, CEDEAO, UEMOA etc ; mais la plupart de leurs décisions restent lettre morte, sinon tardent à se réaliser du fait de la faiblesse des moyens, mais aussi et surtout du rapport de force dans les relations commerciales internationales en faveur des pays occidentaux. Vous vous souvenez certainement des APE...

A.C. - Pour reprendre l’exemple du riz, peux-tu nous expliquer le contexte de sa production et/ou de son importation au Sénégal ?

C.Y. D.Mon pays importe chaque annèe 600.000 tonnes de riz. La production dans la vallée du fleuve Sénégal représente environ 10 % du besoin national. Le riz de la vallée est exporté vers la Mauritanie pour deux raisons : les Sénégalais n’aiment pas sa qualité, qui s’est d’ailleurs améliorée sans qu’ils s’en rendent comptent, et lui préfèrent de loin le riz thaïlandais, et il n’existe pas de pistes pour amener ce riz local vers les autres régions du Sénégal. La vallée étant frontalière à la Mauritanie, le riz passe directement de l’autre coté du fleuve Sénégal. Quand au riz casamançais, bien apprécié, il sert à la consommation locale des familles. Sa culture n’a pas pu s’intensifier, certainement à cause de la faiblesse des investissements conséquences des mouvements de rébellion qui s’agitent dans cette région.


A.C.- Comment se sont organisées les mobilisations populaires et qui en sont les acteurs ?

C.Y. D. - Il y a en gros deux grands secteurs mobilisés. D’abord les syndicats réunis dans deux grands blocs ( Intersyndicale et Front uni syndical), avec un plan d’actions contenant une grande marche unitaire, suivie d’une grève générale. La marche a été interdite et quelques leaders ont bravé l’interdiction, puis il y a eu une espèce de léthargie due à des pesanteurs politico-syndicales qui sont d’ailleurs en train de se dissiper. Au niveau de notre centrale syndicale, la décision a été prise lors d’une réunion du Bureau national la semaine dernière, de prendre le pouls des syndicats de base (une soixantaine) pour aller vers la grève générale même seule. Certains syndicats de base se sont déjà prononcés (les enseignants) pour y aller.
L’autre groupe est bien sûr la « société civile » non syndicale, notamment les associations de consommateurs dont la marche a été interdite, et qui ont quand même organisé un sitting dispersé par la police ; les dirigeants du sitting ont même été mis en prison puis libérés et doivent passer en jugement le 11 avril. Les ONG sont présentes également à travers des campagnes de sensibilisation dans tout le territoire national.
De fait, très souvent, les syndicats, les partis politiques, les associations de consommateurs et de paysans, ONG etc se retrouvent dans les mêmes marches ou sitting. Il faut noter que la grogne en milieu scolaire est antérieure aux événements liés à l’inflation observée ces derniers mois, et qu’elle touche autant les enseignants que les éléves et étudiants.
Mais les syndicats n’ont pas de solution concrète face aux problèmes des paysans, sauf de déplorer leur situation et de demander des aménagements fiscaux et des augmentation de salaires permettant à leurs militants d’améliorer leur pouvoir d’achat. Quand aux associations de paysans, elles sont affaiblies par leur division et se trompent d’objectifs, dans ce sens qu’elles se battent beaucoup plus pour améliorer les prix d’achat des céréales, du coton etc... que de lutter sérieusement contre la paupérisation du monde rural.


A.C. - Mais y a-t-il selon toi un contexte spécifique au Sénégal qui entretient voire renforce les protestations ?

C.Y. D. - Oui, le contexte politico social du Sénégal est marqué par une crise politique profonde, car les partis d’opposition historiques avaient boycotté les dernières élections législatives, ce qui a permis au parti au pouvoir de rafler plus de 90 % des sièges de députés et d’installer confortablement son pouvoir au niveau des institutions, avec un Sénat contesté sous l’ancien régime, qu’il a ramené et dont les Sénégalais ne voient pas l’utilité sauf pour caser des militants non servis par l’alternance. Le train de vie de l’Etat est dénoncé autant par les syndicats, les partis politiques et les associations et ONG.
Le gouvernement a pris quelques mesures jugées insuffisantes par les partenaires sociaux (réduction du nombre de ministres de 45 à 30, diminution des salaires des ministres, députés et sénateurs dans l’ordre de 5 %).


A.C – Le gouvernement a-t-il pris des mesures spécifiques à la suite de l’explosion de la crise alimentaire et qu’en pensent les forces sociales qui sont actuellement mobilisées ?

C.Y. D. - Le gouvernement vient d’octroyer une enveloppe de 10 milliards de fcfa pour le monde paysan alors que les experts pensent qu’il faut 40 fois plus pour éviter la famine déjà installée en monde rural, favorisant l’exode et l’immigration clandestine des jeunes.
Il vient aussi de décider d’une baisse de la fiscalité de 5 milliards sur les salaires, ce que les syndicats jugent insuffisant car représentant seulement 5 % de la fiscalité sur les salaires. Lors de la négociation entre centrales syndicales et le patronat, le gouvernement a aussi proposé la création de magasins de référence et de centrales d’achat. Concernant celles-ci, il promet de mettre à la disposition des deux inter-syndicales la somme de 500 millions fcfa chacune pour la mise en place des centrales d’achat, ceci pour lutter contre la rétention et la spéculation sur les denrées de première nécessité. Les centrales syndicales jugent ces mesures insuffisantes et demandent une augmentation des salaires dans le privé que le patronat refuse, jugeant qu’il n’y a aucune mesure en faveur des entreprises, pour leur permettre "d’absorber cette augmentation " selon leur propres termes.



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