Appel citoyen pour un encadrement et une transparence des activités de lobbying en direction des instances de décision publiques
Publié par , le 20 octobre 2008.
Jeudi 9 octobre 2008
De nombreux acteurs politiques, économiques, syndicaux, associatifs oeuvrent pour faire connaître leurs positions aux élu-es, au gouvernement, aux décideurs politiques, au niveau national comme territorial. Pour atteindre leurs objectifs, certains acteurs développent une activité dite de « lobbying » [1].
Mais ces acteurs sont loin d’avoir tous les mêmes moyens matériels et humains, et l’accès aux lieux de pouvoir et d’élaboration des décisions publiques est, dans les faits, opaque et très inégal. Ainsi, à Bruxelles, environ 3000 groupes d’intérêts emploient plus de 15 000 lobbyistes professionnels dont 70% d’entreprises, 20% d’institutions régionales et 10% d’organisations représentant la société civile.
En France, omniprésents à l’Assemblée nationale et au Sénat car bénéficiant d’accès privilégiés, des lobbyistes représentant des entreprises ou d’autres acteurs économiques participent aux commissions et aux groupes d’étude, organisent des événements dans l’enceinte parlementaire, invitent des député-es à des voyages d’étude, ou encore embauchent des attaché-es parlementaires pour faire de la veille juridique…De telles pratiques, au lieu de concourir à l’information des décideurs et à une prise de décision objective, brouillent le débat démocratique, aggravant la crise de légitimité des élu-es et des pouvoirs publics.
Dans une démocratie, les acteurs doivent pouvoir soumettre leurs positions au débat public et des mécanismes de régulation publics assurer l’égalité dans cette expression. Or, actuellement, les intérêts économiques et financiers à court terme tendent à primer sur les autres secteurs - social, environnemental, culturel - ce qui entre en contradiction avec les principes et les objectifs d’un développement durable.
Un rééquilibrage suppose aussi que des mécanismes de démocratie participative et des contre-pouvoirs soient soutenus par les pouvoirs publics, tels que les conférences de citoyens, la protection des lanceurs d’alerte, le financement et la prise en compte de l’expertise associative… La mise en œuvre effective de ces dispositifs permettrait de diminuer l’impact du lobbying de groupes d’intérêts peu soucieux de l’intérêt général.
Actuellement, des propositions pour réglementer le lobbying sont en préparation ou en discussion au sein de la Commission européenne ainsi qu’à l’Assemblée nationale en France.
Dans ce contexte, les organisations signataires de cet appel demandent l’instauration en France, d’un débat public et de règles claires sur les groupes d’intérêt. Qu’elles considèrent que leur propre pratique puisse relever ou non d’une activité de lobbying, ces organisations de la société civile publient leurs arguments et leurs positions de façon transparente auprès des décideurs, du public, des medias, se refusent à faire usage de méthodes déloyales et estiment que la question de l’impact des groupes d’intérêt, particulièrement ceux poursuivant des buts lucratifs, ne doit plus rester taboue en France [2].
C’est pourquoi les organisations signataires demandent un encadrement et une transparence des activités des lobbyistes en direction des instances de décision publique. Elles appellent au débat pour la mise en œuvre concrète des principes fondamentaux suivants :
– La transparence et l’encadrement strict des activités des lobbyistes au sein de toutes les instances publiques (Assemblée nationale et Sénat, gouvernement, collectivités territoriales…) ;
– L’interdiction du lobbying d’intérêts économiques et financiers privés dans des secteurs d’intérêt général essentiels tels que les droits humains, la préservation de l’environnement, la santé, l’éducation, la solidarité… ;
– L’interdiction de tout conflit d’intérêt entre la décision publique et des intérêts économiques catégoriels, pour que les élu-es aient les moyens d’exercer leurs fonctions de façon indépendante.
Contexte et propositions
– La Commission européenne (CE) a lancé en 2005 une « Initiative pour la transparence ». Dans ce cadre, la campagne européenne Alter EU émet des propositions pour encadrer le lobbying [3]. En juin 2008, la CE a décidé la création d’un registre facultatif pour les lobbyistes, qui est insuffisant et privilégie les entreprises.
– En France, la volonté d’encadrer (ou de favoriser) le lobbying a donné lieu à plusieurs initiatives parlementaires : proposition en octobre 2006 d’une résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale pour établir des règles de transparence avec la mise en place d’un registre [4] ; rapport d’information sur le lobbying [5] ; création en mars 2008 d’une délégation spéciale chargée de faire des propositions applicables au 1er janvier 2009 et qui seront discutées en petit comité en octobre [6], mise en place d’un groupe d’études « pouvoirs publics et groupes d’intérêt » chargé d’étudier la question du lobbying dans l’ensemble des réseaux institutionnels et de pouvoirs qui prévoit de rendre ses conclusions d’ici dix huit mois [7]
Les organisations signataires formulent des propositions, qui seront réactualisées et complétées au vu des évolutions. A court terme, compte-tenu des propositions à l’étude à l’Assemblée nationale, elles demandent la transparence de l’activité de lobbying au sein du Parlement et du Sénat par :
– Un système obligatoire d’inscription électronique et de rapports d’activité pour tous les lobbyistes dotés d’un budget de lobbying annuel significatif (plus de 5000 euros/an). Les rapports d’activité devront être mis à la disposition du public dans une base de données en ligne entièrement consultable et téléchargeable, reprenant les données suivantes :
→ La communication des noms des clients et des autres sources de financement à des fins de lobbying ; la communication des noms des personnes approchées dans le cadre de chaque opération de lobbying, les dates des échanges, les sujets abordés
→ La communication des dépenses affectées à chaque opération de lobbying
– Des règles interdisant aux groupes de pression l’emploi du personnel de l’Assemblée ou de leurs proches à des fins de lobbying, ainsi que l’utilisation des lieux de pouvoir.
– Un code de conduite pour les élu-e-s imposant :
→ La rédaction obligatoire de compte-rendu de réunions formelles ou informelles entre les députés et les personnes appartenant au monde des entreprises, y compris quand ils sont consultés sous couvert d’expertise, ces comptes-rendus étant disponibles sur un site ouvert au public ;
→ L’application effective des décrets relatifs à l’exercice d’activités privées par des fonctionnaires ou agents non titulaires ayant cessé temporairement ou définitivement leurs fonctions et extension de ce décret, éventuellement inclus dans un texte de loi, au personnel politique élu soumis au même contexte [8] ;
→ La vérification, par une commission ad hoc dont les délibérations seraient publiques, de la compatibilité d’un métier éventuellement salarié, de direction ou de conseil d’entreprises avec un mandat électif, sur le plan des possibles conflits d’intérêt ;
→ L’obligation par les élu-es et décideurs de déclarer toute tentative de pression de la part d’intérêts privés.
– La fin de l’attribution de badges permanents permettant un accès privilégié à des représentants d’intérêts privés au seul titre de « lobbyiste » [9].
Organisations signataires (au 09/10/08)
Action Consommation
ACME (Association pour un contrat mondial de l’eau)
Adéquations
AITEC (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs)
Anticor
ATTAC
Ban Asbestos France (association de lutte contre l’amiante)
Cheminements Solidaires
Confédération paysanne
CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité)
Fondation France Libertés
FGTE - CFDT (Fédération générale des transports et de l’équipement)
Fondation Sciences citoyennes
Greenpeace
Inf’OGM
MDRGF (Mouvement pour le droit et le respect des générations futures)
Réseau semences paysannes.
Notes
[1] Lobbying : ensemble des actions d’influence par lesquelles des groupes d’intérêt interfèrent dans les processus d’élaboration, d’application ou d’interprétation des lois, règlements ou normes, et, plus généralement, dans les décisions des pouvoirs publics. On qualifie le plus souvent de lobbying les pressions visant à favoriser des intérêts économiques spécifiques. auprès de ces décideurs.
[2] Voir Contexte et propositions.
[3] L’alliance pour une réglementation de transparence et d’éthique en matière de lobbying (ALTER-EU) est une coalition de plus de 160 groupes de la société civile, syndicats, universitaires et organismes de relations publiques préoccupés par l’influence croissante exercée par les lobbyistes du monde des affaires sur les programmes politiques en Europe ; http://www.alter-eu.org/fr
[4] A l’initiative des députés UMP Patrick Beaudouin et Arlette Grosskost ; http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion0156.asp
[5] Rapport du député UMP Jean-Paul Charié, Commission des Affaires économiques, de l’environnement et du territoire , qui propose d’institutionnaliser le lobbying des entreprises : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i0613.asp
[6] Présidé par le député UMP Marc Le Fur, vice-président de l’Assemblée nationale
[7] Co-présidé par les députés UMP Grosskost et Beaudouin http://www.assemblee-nationale.fr/13/tribun/xml/organe.asp ?id_organe=xml/organes/403520.xml.
[8] Décret du 17 février 1995 et Décret n° 2007-611 du 26 avril 2007 relatif à l’exercice d’activités privées par des fonctionnaires ou agents non titulaires ayant cessé temporairement ou définitivement leurs fonctions et à la commission de déontologie, JO du 27 avril par l’article 4 de la loi n° 94-530 du 28 juin 1994 . A noter que le décret de la loi de modernisation de la fonction publique (n° 2007-148 du 2 février 2007), assouplit les règles de « pantouflage » pour les agents de la fonction publique partant dans le privé, en réduisant de cinq à trois ans le délai imposé à tout fonctionnaire avant d’aller travailler pour une entreprise privée avec laquelle il a été en relation dans ses fonctions.
– http://www.aaeena.fr/servicecarrieres/fiches/doc_pdf/pantouflage.pdf
– http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do ?cidTexte=LEGITEXT000006056021&dateTexte=20080702
[9] Actuellement l’attribution de badges d’accès permanent à l’Assemblée nationale - traditionnellement réservés aux entreprises d’Etat et aux organismes d’intérêt public - reste très confidentielle. 50 organismes tels que l’Association nationale des industries alimentaires, la CFDT, FO (mais pas la CGT), la FNSEA, les Jeunes Agriculteurs, les Charbonnages de France, le MEDEF, GDF, EDF, France Telecom, Canal+, l’UPA (Union professionnelle artisanale) en bénéficient sans aucune règle d’attribution transparente…