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fiche de lecture : Rénovation urbaine. Les leçons américaines

Publié par , le 31 août 2009.





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KIRSZBAUM Thomas
Rénovation urbaine. Les leçons américaines
Paris : Presses universitaires de France (coll. La Ville en débat), 2009, 86 p.

Thomas Kirszbaum est un observateur attentif des réalités urbaines des deux côtés de l’Atlantique. Il nous offre un bref ouvrage à la fois savant et percutant sur la « rénovation urbaine » telle que conceptualisée, mise en œuvre et évaluée aux États-Unis. L’expression date des années 1950. Elle a laissé (un peu comme en France d’ailleurs) un souvenir calamiteux car elle reste associée à l’éviction brutale des Noirs des quartiers centraux. Connue sous les sobriquets de negro renewal ou de « bulldozer fédéral », elle rassemble maintenant une panoplie d’instruments et de financements avec un systématisme qui a peu d’équivalents à l’étranger.

Les États-Unis sont l’un des pays, avec la France, qui sont allés le plus loin dans l’affichage et la mise en place de politiques de lutte contre la ségrégation résidentielle. La comparaison de la « ceinture noire » américaine et de la « ceinture rouge » française restera toujours discutable. Elle a néanmoins sa pertinence et son importance. On peut la résumer aujourd’hui en quelques mots. La ségrégation s’atténue aux États-Unis ; elle s’accentue en France. Incontestablement, les quartiers américains sont engagés dans une dynamique de « déghettoïsation » et, bien plus qu’unicolores, ils ressemblent désormais à des patchworks.

Afin de déconcentrer les minorités pauvres, plusieurs voies sont possibles : la dispersion (consistant à encourager, par exemple avec des chèques, les habitants des ghettos à partir) ; la stabilisation par le développement communautaire des quartiers (avec une visée d’enrichissement, sans départ, des habitants) ; et la « gentrification » (en cherchant à attirer des moins pauvres). Les deux premières options, disperser ou stabiliser, sont parfaitement contradictoires.

Les initiatives les plus récentes cherchent à composer avec les outils et ressources des différents modèles. L’illustration de ce policy mix, qu’étudie dans le détail T. Kirszbaum, est le programme HOPE VI (Housing Opportunities for People Everywhere), dont l’orientation, au fond, est un peu la même qu’en France : en finir avec les grands ensembles d’habitat social. Doté d’un budget de six milliards de dollars US fédéraux, et ciblé sur la fraction la plus dégradée du parc social, le programme est encore en place. Proportionnellement plus ambitieux que le PNRU (Programme national de rénovation urbaine) français (car il vise 150 000 démolitions pour 1,4 million de logements sociaux), il est également bureaucratiquement plus souple. Il s’agit d’une hybridation et d’une combinaison des logiques dites place et people : le programme, nourri des visions du New Urbanism (faibles densités, nostalgie des solidarités et des organisations vicinales) vise conjointement mobilité (volontaire) des habitants et rénovation de leur habitat.

Thomas Kirszbaum ne fait pas dans la célébration béate. Il rapporte, grâce aux données disponibles, ce que sont les avancées de telles pratiques. Il rappelle aussi les interrogations suscitées, et les effets pervers annoncés, quand ils ne sont pas observés. Il en va ainsi de la criminalité. Sa réduction dans certains sites pouvant très bien être liée à un déménagement du dénuement et de la délinquance. C’est d’ailleurs ce que signalait en 2008 un article qui a fait du bruit, montrant que Memphis serait devenue, en raison de HOPE VI, une des villes américaines les plus dangereuses(1).

Au final, selon l’auteur, la rénovation urbaine doit être considérée non pas comme l’énoncé d’une solution miracle, mais comme une opportunité et comme un risque. De ses allers et retours très instruits entre les deux pays, on notera certes des parallèles et des convergences, mais aussi des divergences. Thomas Kirszbaum souligne ainsi que la France s’engage dans la « résidualisation » (marginalisation) de son parc social, quand les Américains augmentent les plafonds de ressources pour y accéder. Il note également combien les Américains, emmenés en cela par les évolutions de l’affirmative action (discrimination positive), paraissent moins obnubilés par la composition ethnique des quartiers concernés.

Au final, de manière un rien acrobatique mais argumentée, Thomas Kirszbaum voit dans le renforcement des interventions publiques de rénovation urbaine une logique néolibérale, car relevant d’un principe d’investissement qui n’est pas nécessairement immédiatement en faveur des plus pauvres. En tout état de cause, on retiendra de cette étude vive et très informée, que les États-Unis peuvent toujours nous éclairer. Ce texte très bref, dense et précis, mérite d’être la référence sur le sujet.

Julien Damon

1. ROSIN Hanna. « American Murder Mystery ». The Atlantic, juillet-août 2008, pp. 40-54.

Extrait de la rubrique Analyses critiques du n° 355 de septembre 2009 de la revue Futuribles.
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