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Les services d’intérêt général en veilleuse, Yves Durrieu, février 2010

Publié par , le 18 février 2010.





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Yves Durrieu, Aitec, février 2010

Qu’on les appelle à Bruxelles « Services d’Intérêt Général » (SIG) ou à Paris « Services Publics », la tendance est à faire disparaître de l’actualité ces services, en les banalisant et en les faisant passer pour des services commerciaux ordinaires.

SPECIFICITE DES SIG

Les SIG ont comme caractère commun, en tant que biens publics, l’obligation d’accès, sans discriminations, à tous ceux qui prétendent les utiliser ; ces services visant à satisfaire des besoins prioritaires, il faut donc limiter au minimum tous les obstacles à leur accès. Ainsi les équipements publics doivent être répartis sur le territoire de sorte qu’ils puissent accueillir tous les usagers qui le souhaitent, y compris les handicapés, que ce soit pour les transports en commun, les établissements d’enseignement ou hospitaliers, les bureaux de poste ou le logement. Les services médicaux doivent favoriser davantage le déplacement des praticiens que celui des patients (contrairement à certaines orientations récentes). En ce qui concerne l’accès à l’eau, à l’électricité ou au gaz, on estime nécessaire, dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, d’adopter des mesures d’aide et des tarifs spéciaux ouvrant leur usage aux plus démunis. D’une façon plus générale, on admet que les tarifs doivent être étudiés, pour ceux appelés « services d’intérêt économique général » (financés en majorité par les usagers), de sorte qu’ils couvrent leurs coûts et non pas qu’ils s’alignent sur la concurrence. D’où des opinions contradictoires sur le rôle de la concurrence : les uns considèrent celle-ci comme un facteur d’équilibre automatique des prix au niveau le plus bas ; les autres, constatant la réalité, contestent ce postulat et exigent une évaluation objective et contradictoire de cette vague de libéralisation. « Les services sociaux d’intérêt général » (hôpitaux, enseignement, logement social), pris en charge totalement ou très majoritairement par la collectivité publique furent longtemps considérés comme hors marché, mais l’UE a maintenant tendance à les assimiler à des services commerciaux ordinaires et même à les inciter à une gestion privée.
Ces biens publics doivent aussi garantir la sécurité de leurs utilisateurs et la qualité (un équilibre devant être recherché entre le coût et la qualité) ; ils doivent généralement faire l’objet d’investissements lourds, calculés sur le long terme et à gérer dans leur globalité (c’est-à-dire en évitant d’être segmentés, comme on le fait trop souvent pour des raisons budgétaires). On insiste aussi sur la nécessité d’adapter les services publics à l’évolution de la vie moderne comme ce fut le cas pour les télécommunications dont les techniques ont évolué brusquement. Cette adaptation permanente doit obéir, non seulement à l’évolution technique, mais aussi sous l’effet des exigences de plus en plus affirmées de leurs usagers qui veulent trouver des conseillers avisés ; ainsi pour l’usage de l’électricité et du gaz, on ne vend plus seulement les produits électricité et gaz, mais aussi les services entourant ces produits. Dans le domaine financier (cf. la Poste), l’usager est dans l’attente d’une protection par son conseiller, en particulier pour le crédit hypothécaire, ces conseils devant être orientés dans l’intérêt de l’usager, et non pas seulement dans celui de l’opérateur du service (ce qui exige un sens de l’intérêt général de la part de celui-ci). Enfin il ne faut pas oublier que le service public doit veiller à ce que ses propres employés (qui représentent près du tiers de l’emploi total dans l’UE), apprécient leurs conditions de travail, ce qui n’est pas le cas actuellement où ils sont désorientés par cette vague de libéralisation, contraire à leurs valeurs.

DISCUSSIONS SUR LES FONDEMENTS JURIDIQUES DES SIG

L’UE [1] traite tous les sujets qui lui sont soumis sous un aspect purement juridique, en se référant aux textes communautaires signés depuis le Traité de Rome (1957), ce qui a souvent comme conséquence de négliger leur aspect social et économique, mais permet de donner à ses décisions une apparence de parfaite impartialité, dénuée de toute orientation politique. Les « services d’intérêt général » (SIG) sont abordés dans cette optique : on invoque à leur sujet systématiquement l’article 86 des Traités, d’après lequel l’existence de ces services ne constitue qu’une exception à la règle prioritaire de la libre concurrence. Quant à l’article 14 des Traités (ajouté en 1993) et l’article 36 de la Déclaration des droits fondamentaux (2001), proclamant tous deux la vocation spécifique de ces services à favoriser la cohésion économique, sociale, territoriale et culturelle, on veut prétendre qu’ils n’ont pas la même valeur opérationnelle que l’article 86, seul texte à bénéficier de ce caractère. .
Les directives de la CE dans le domaine des SIG sont toutes des directives sectorielles qui obéissent strictement à l’article 86, et qui ont visé successivement l’aviation civile, les télécommunications, l’électricité, le gaz, la poste, les transports en commun. D’autres documents de la CE qui, contrairement aux directives sectorielles, traitent de l’ensemble de ces services, sont seulement interprétatifs, sans pouvoir faire évoluer le droit ; ils ont précisé, depuis les années 1990, la définition des SIG, des SIEG (service économique d’intérêt général), et des SSIG (service social d’intérêt général), le contenu de leurs missions, la façon dont celles-ci doivent s’articuler avec les règles de la concurrence et la mesure dans laquelle les opérateurs de ces services peuvent être indemnisés en compensation de ces obligations. Ces textes ont également précisé comment appliquer le principe de « subsidiarité » : les Etats membres ou les collectivités locales sont aptes à choisir leurs services publics et les missions de ceux-ci, mais dans le cadre des règles générales imposées par la CE. Un exemple récent illustre cette répartition des rôles avec l’introduction d’une nouvelle notion, le « mandatement » (toute délégation de pouvoir de l’autorité publique doit être assortie d’une qualification explicite de la mission de service public, condition nécessaire pour que la CE lui permette de bénéficier d’aides d’Etat). Cependant la CE (malgré les recommandations qui lui avaient été faites) n’a jamais voulu édicter de directives couvrant l’ensemble des SIG, qui seules auraient eu pleine valeur juridique.
La Cour européenne de justice a donc eu à remédier à cette carence par une série d’arrêts qui ont défini une jurisprudence commune à tous ces services, mais cette jurisprudence est, par nature, malheureusement souvent instable et parfois contradictoire. Depuis l’arrêt Corbeau (1993) qui précisait le contour de leurs missions, à l’arrêt Altmark en 2003 (posant quatre conditions pour autoriser une compensation financière à l’accomplissement de ces missions), il y a eu toute une série de jugements. En particulier, l’application du principe de subsidiarité, élargissant ou restreignant le pouvoir des autorités publiques (Etats ou collectivités locales) a fait l’objet de toute une jurisprudence, par exemple, la possibilité pour ces dernières de gérer elles-mêmes leurs services publics ou au contraire l’obligation de recourir à un appel d’offre. Pour éviter la procédure lourde des marchés publics et de l’appel d’offre concurrentiel, la collectivité doit posséder une part du capital de l’organisme de gestion (que l’on exige souvent à 100%), l’opérateur doit exercer son activité uniquement sur le territoire de la collectivité et majoritairement par délégation de l’autorité publique. La Cour impose là des conditions très restrictives.

CAS PARTICULIER DES SSIG [2] :

Jusqu’en 2004, les SSIG étaient exclus de toute compétence communautaire, les Etats membres en étant seuls responsables. Dans son livre blanc sur les SIG de 2004, la CE reconnaît pour la première fois l’existence des SSIG, assortie de l’annonce d’une directive. Lors de son passage au vote du Parlement européen en 2006, la directive « Services » (dans le prolongement de la « directive Bolkenstein ») spécifie que ces SSIG en sont explicitement exclus, mais le Conseil ajoutera une clause de « mandatement », d’après laquelle toute délégation de pouvoir de l’autorité publique (y compris pour les SSIG) devra être assortie d’une qualification explicite de la mission de service public par celle-ci, condition nécessaire pour lui permettre de bénéficier d’aides d’Etat. L’interprétation qu’est soupçonnée en faire la CE, laisse à penser que les SSIG pourraient être réintroduits, de cette façon, dans le cadre de la directive « Services ». Le fait que la jurisprudence communautaire tend de plus en plus à considérer tout service comme de nature commerciale ne fait qu’étayer cette méfiance. De plus, la communication du 20/11/07 sur les SIG inclut les SSIG, ce qui pourrait laisser croire à une banalisation de ceux-ci. Enfin une directive « Santé transfrontalière » suscite des réserves, du fait qu’elle considère que ce sont les patients qui doivent se déplacer pour bénéficier de ses avantages, ce qui favoriserait les plus mobiles et les plus aisés (évalués à 1% des patients), alors qu’il paraîtrait préférable de prévoir la mobilité des professionnels de la santé. Cependant une communication du 20/11/07 insiste sur le caractère spécifique des SSIG (conformément à l’art.2 du Protocole du Traité), ses rédacteurs estimant avoir clarifié la notion d’activité économique, par rapport à l’activité sociale. On appréciera l’application qui en sera faite par la loi de transposition de la Directive « Services » (en cours d’élaboration).

RIPOSTE AU DESINTERET DE L’UE POUR LES SIG :

La stratégie de la CE pour les SIG est l’enlisement, afin de les traiter comme des services commerciaux ordinaires. Si l’on veut lutter contre cette orientation, il faut revendiquer leur caractère spécifique, c’est à dire la nature de leurs missions, leur financement (y compris la péréquation tarifaire), le principe de subsidiarité, la nécessité d’une forte régulation face à la concurrence, l’évaluation des performances. Ces éléments doivent être portés dans un document qui pourrait constituer un projet de directive, prouvant à la CE la possibilité de rédiger un tel document, contrairement à ses assertions. Plusieurs tentatives lui ont été soumises, sans qu’elle s’en émeuve. La Confédération des Syndicats, en 2007-08, a organisé une pétition réclamant une directive-cadre sur les SIG, qui n’a pas eu de suite. Mais le Parlement Européen, dont les pouvoirs viennent d’être élargis, pourrait monter une campagne sur ce thème, en particulier par l’intermédiaire du groupe qu’il vient de constituer sur les Services Publics. Les électeurs, soutenus par les syndicats et le mouvement associatif, disposent des moyens de pression sur leurs élus pour tenter de faire aboutir ces revendications. Les parlementaires nationaux ont également maintenant des possibilités d’agir, non seulement lorsqu’ils ont à voter sur la transposition des directives dans leur droit national, mais aussi par la possibilité qui leur est désormais offerte de collaborer avec leurs collègues du PE.
De plus il faut rester attentifs à tous les textes concernant ce sujet, susceptibles de poursuivre la politique de banalisation des services publics et il faut s’appuyer sur tout document existant permettant d’endiguer ces tentatives. En dehors même des directives qui ont valeur juridique, la CE publie des textes (livres verts, suivis de livres blancs, ou communications), demandant à des organisations officielles ou privées de donner leur avis sur ceux-ci : il est bon d’y répondre de façon documentée… bien que la CE n’est pas tenue de tenir compte de ces avis. On peut également chercher à créer l’événement, en organisant des rencontres et colloques sur le thème du service public ou organiser la signature de pétitions en leur faveur (cf récente pétition M.Vauzelle) afin de rappeler leur existence et leurs caractéristique à ceux qui voudraient les voir disparaître.
On rappellera à cette occasion qu’à Bruxelles, il convient, si l’on veut être entendu, de pratiquer une politique de présence permanente, ces institutions fonctionnant sous l’influence (abusive) du lobbying.


[1Elle est composée d’une hiérarchie dans la production du droit, allant des traités qui ont constitué l’Union (à commencer par le traité de Rome 1957, révisé par les traités d’Amsterdam 1993, et de Nice 2001, en attendant confirmation du traité de Lisbonne) à des directives ou règlements (qui ont force de loi dans les Etats membres, après transposition dans leur législation) et des textes interprétatifs ou explicatifs (livres verts ou blancs, communications). Ces productions émanent de la Commission européenne et sont adoptées après un vote conjoint du Conseil des ministres et du Parlement européen. La Cour européenne de justice, en interprétant ces textes à l’occasion des procès qui lui sont soumis, crée une jurisprudence qui a force de loi, jusqu’à ce qu’un autre arrêt modifie celle-ci.

[2Services Sociaux d’Intérêt Général, comprenant en particulier Santé, Enseignement, Sécurité sociale,Logement social ,etc….