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QUEL FINANCEMENT POUR QUEL DEVELOPPEMENT ?

Publié par , le 6 mai 2010.

Il s’agit de l’architecture du texte de l’AITEC pour le groupe de travail du CRID.
Gustave Massiah
Octobre 2001





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L’analyse et les propositions sur le financement du développement sont ici envisagées du point de vue des associations de solidarité internationale. Ce point de vue modifie la perspective. Il exprime la volonté de définir une position associative qui se situe dans la dynamique des mouvements sociaux et ne se confond pas avec la vision des pouvoirs économiques et administratifs dominants. Il s’appuie sur les pratiques des associations de solidarité développées en partenariat. Il prend en compte les avancées des mouvements citoyens qui se sont mobilisés dans les dernières années. Il s’agit notamment les campagnes dette et développement ; pour la réforme radicale des Institutions Financières Internationales ; pour un commerce international respectueux des droits économiques, sociaux et culturels ; pour la lutte contre la spéculation financière et les paradis fiscaux ; pour le contrôle de l’investissement international et de l’action des entreprises multinationales.

LE FINANCEMENT DE QUEL DEVELOPPEMENT ?

Le développement durable est une référence que nous retenons. Mais, nous refusons un consensus douteux qui nierait le caractère contradictoire et conflictuel des modèles et des politiques de développement. Nous devons préciser notre conception du développement durable. Au-delà des effets de mode, il y a de nouvelles pistes. A condition de lui donner un sens qui tienne compte de la critique du modèle dominant, celui de la libéralisation et de l’ajustement structurel, et des modèles précédents dont l’échec a conduit à l’ajustement. On y retrouve les grandes lignes pour un développement économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé, géopolitiquement acceptable, culturellement diversifié. Des propositions ont été discutées dans les forums civils des grandes conférences multilatérales, à Rio, à Copenhague, à Vienne, à Pékin, au Caire, à Istanbul. Ce sont ces propositions qui ont convergé à partir de Seattle.

Le développement ne se réduit pas à la croissance. Il doit mettre l’accent sur la satisfaction des besoins fondamentaux. La régulation de l’économie et des échanges doit être fondée sur le respect des droits ; des droits civils et politiques autant que des droits économiques, sociaux et culturels. L’efficacité économique nécessite de savoir comment produire les richesses ; il faut aussi se demander quelles richesses produire et comment les répartir. La régulation par les mécanismes de marché garde son intérêt, elle ne peut pas être subordonnée au seul marché mondial. Il ne faut pas négliger l’encouragement du marché intérieur, des formes de consommation collective, du renforcement du lien social. La marchandise, tant la forme marchande que les rapports marchands, n’est pas la forme achevée de l’utilité sociale ; les pratiques populaires et l’économie solidaire ont aussi leur intérêt et leur légitimité.

Il est dangereux de subordonner, dans les politiques économiques, l’égalité et la lutte contre les discriminations à la croissance. La prise en compte des différences de situation, des inégalités, des formes de domination et d’oppression n’est pas une question secondaire, une conséquence malheureuse qu’il faudrait corriger. Elle fait partie des objectifs de la transformation sociale et la caractérise. La protection sociale ne devrait pas simplement intervenir comme un correctif, en cas d’accident ou de handicap, elle devrait garantir les risques pour permettre à chacun de ne pas retomber dans ces situations de survie. Les services publics doivent être fondés sur le principe de l’égalité d’accès pour tous aux droits fondamentaux.

Les politiques de développement à encourager articulent plusieurs échelles. L’échelle locale est celle de la satisfaction des besoins, du rapport entre population et territoire, du rapport entre démocratie et développement ; la coopération internationale devrait en faire une priorité et soutenir les dynamismes locaux. L’échelle macro-économique est celle du pouvoir de l’Etat, de la cohérence et du pilotage ; elle doit être d’abord nationale et non l’instrument privilégié du contrôle extérieur. L’échelle sectorielle est celle de la maîtrise des techniques, de l’organisation de la production et du travail ; la coopération internationale devrait ouvrir des perspectives par rapport à la domination des oligopoles et des marchés financiers. L’architecture du système mondial doit favoriser le développement au service des peuples et non favoriser les inégalités sociales, écologiques et géopolitiques.

Les grandes régions géoculturelles devraient être systématiquement encouragées en tant qu’espace de développement à l’échelle de l’évolution. L’échelle nationale garde toute sa pertinence, elle est nécessaire si on veut fonder les politiques publiques sur la durée et l’intérêt général. C’est l’échelle de la régulation sociale, de la régulation sectorielle et spatiale au niveau de l’aménagement du territoire, de la régulation écologique et de la préservation des intérêts des générations futures. L’échelle nationale est celle de l’égalité et de la redistribution à travers ses différentes formes notamment les tarifs, la fiscalité, la répartition des rentes. Mais la redistribution doit aussi être mise en œuvre au niveau international, au niveau de la mondialisation. C’est l’intérêt des propositions comme celle de l’instauration d’une taxe sur les transactions financières à court terme qui servirait à financer les services de base.

Le renforcement des collectivités locales, la décentralisation, le développement local sont prioritaires. Le niveau local, à travers les collectivités locales, est le niveau pertinent de la cohésion territoriale et de la démocratie de proximité. Les coalitions locales peuvent être construites à partir des collectivités locales et des associations qui portent les deux formes de représentation, la délégation et la participation. Le fonctionnement et l’accès aux services de base sont les fondements des politiques locales.

Chaque peuple a le droit de choisir son modèle de développement. C’est aussi une condition de réussite des politiques de développement. Une politique de développement doit être définie par rapport à une situation, aux dynamismes internes et à la mobilisation de la société. Un développement dans la durée n’est possible que s’il est accepté, géré, coordonné par les sociétés concernées et s’il prend en compte les réalités socio-politiques locales. Les sociétés concernées peuvent seules définir valablement leurs besoins, mettre en œuvre les instruments de transformation des techniques de production, et faire évoluer les bases de l’organisation sociale. Cette démarche est d’autant plus nécessaire que les situations sont difficiles. Par exemple, la réduction des déficits budgétaires, indispensable dans de nombreuses situations, implique souvent des mesures impopulaires ; il reste que des choix sont possibles et que les orientations qui sont décidées doivent être discutées et appréciées. La réussite d’une politique d’austérité repose d’abord sur la légitimité du pouvoir et l’adhésion populaire à sa politique. L’ajustement structurel imposé est certainement une des plus mauvaises manières de répondre à ces impératifs. D’une manière générale les politiques imposées de l’extérieur peuvent forcer la modernisation, elles débouchent souvent sur des conflits et des crises qui annulent tous les progrès.

La responsabilité interne des régimes et des Etats nationaux n’est pas annulée par la reconnaissance à chaque peuple du droit de définir son modèle de développement. Au contraire, leur responsabilité est engagée, face à leurs peuples, sur les choix des modèles et sur les orientations du développement, particulièrement en ce qui concerne le respect des droits humains. La nécessité de lutter contre l’idée libérale qui voudrait que tous les Etats soient forcément corrompus, bureaucratiques, inefficaces ne rend que plus pressante la lutte que nous devons mener contre les déviations bureaucratiques, technocratiques et autoritaires des Etats.

La question de la démocratie est essentielle. La compatibilité entre développement et démocratie n’est pas mécaniste, elle dépend d’un choix politique volontaire. Le mépris pour les aspirations démocratiques et les libertés a été le fossoyeur des régimes issus des indépendances. Mais, la référence à la démocratie, et aux libertés, ne peut pas être rhétorique. Et, la question de la démocratie ne peut pas être réduite à un nouveau dogme, celui de l’identité entre le marché et la démocratie. La démocratisation est une des conditions de la mobilisation et de l’engagement pour le développement. Elle fonde la nécessité et la légitimité de l’Etat comme garant de l’intérêt général, instrument des politiques sociales de répartition et de distribution, et porteur des liens sociaux qui fondent le développement économique.

QUEL FINANCEMENT DU DEVELOPPEMENT ?

Cette partie sera reformulée à partir des analyses et des propositions des plateformes qui seront jointes en annexe.

La mobilisation de l’épargne intérieure est une priorité. Les expériences de crédit populaire en montre les capacités. A condition de les protéger contre les détournements et leur captation par l’extérieur. Les système bancaires et les mutuelles sont des instruments fondamentaux, leur « multinationalisation » et la perte de maîtrise des politiques de crédit et monétaire réduit à néant les politiques de développement nationales.

La reconquête des souverainetés nationales en matière monétaire et de développement y compris en matière de politiques fiscales, salariales, financières et sociales est, dans la situation actuelle une des conditions du financement du développement. Dans ces politiques, la lutte contre l’inflation ne doit pas être sous-estimée, elle ne peut pas être surdéterminante. Dans tous les cas, le système monétaire international doit permettre d’éviter les dérapages hyperinflationnistes. La régionalisation offre des perspectives intéressantes en matière de développement, de politiques économiques, et même en matière monétaire, à condition qu’elle corresponde à une vision politique large qui inclue la réalité de construction d’espaces de production, de marchés d’échanges régionaux et d’accords démocratiques. Et qu’à chacune de ces régionalisations correspondent des négociations politiques dans lesquelles les mouvements sociaux prennent leur part.

L’annulation de la dette est un préalable. Il s’agit de s’attaquer au système qui a généré la dette et d’empêcher celle-ci de se reproduire. Ce qui implique notamment la reconnaissance de la coresponsabilité des créanciers et des débiteurs dans la formation de la dette et dans les décisions. Ce qui implique aussi la lutte contre l’impunité et le gel des avoirs à l’extérieur des dirigeants des pays endettés. Un système de justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels aux niveaux national et international doit à terme être établi et des instances de recours mises en place. L’annulation de la dette doit permettre l’accès à des crédits bonifiés et à des crédits spécifiques, sans autres conditions que la possibilité de remboursement. D’une manière générale, les seules conditionnalités acceptables sont celles qui s’imposent à tous, le respect du droit international et des accords internationaux.

Le commerce mondial doit être organisé sur de nouvelles bases. La libéralisation et l’ajustement au marché mondial caractérisent une politique néolibérale dont l’échec est patent. La logique et le fonctionnement de l’OMC doivent être remis en cause. L’Accord Général sur les Commerces et les Services qui redouble la logique de l’OMC n’est pas acceptable. La discussion doit être ouverte sur la nécessité et les moyens de rééquilibrer les termes de l’échange, notamment aux niveaux des prix des matières premières et au niveau des échanges commerciaux. La priorité doit être donnée à la construction des marchés intérieurs et à l’égalité d’accès aux services de base. C’est l’égalité d’accès aux services de base qui permet de garantir le respect des droits. Elle permet de fonder la lutte contre la pauvreté sur le refus des inégalités croissantes et des discriminations.

L’investissement productif ne peut pas être laissé à la libre appréciation du marché mondial des capitaux. Les firmes multinationales ne sont pas les seules opérateurs économiques. Les entreprises nationales, les petites et moyennes entreprises, les secteurs de l’économie assurent une part considérable de la production et de l’emploi.

La question des orientations, de la capacité d’évolution et de la légitimité des institutions actuelles est posée. Du point de vue du développement, il faut partir des institutions financières internationales. Ce qu’il faut attendre spécifiquement de ces institutions c’est, d’une part, la stabilité du système monétaire et la prévention des crises financières et, d’autre part, un système financier qui favorise un développement respectueux des droits humains. De plus, nous attendons de ces institutions qu’elles fonctionnent démocratiquement.

Pour assurer la stabilité du système monétaire et de prévenir les crises financières, plusieurs propositions pourraient préfigurer l’architecture d’un système monétaire international et des institutions qui en auraient la responsabilité. Le système des taux de change, s’il veut être crédible, doit être fondé sur les échanges commerciaux et ne doit pas être déterminé par les seuls mouvements de capitaux. Le contrôle des mouvements de capitaux est impératif aussi bien au niveau international qu’au niveau national. Les expériences chilienne, malaise, chinoise, etc. en ont démontré la nécessité et la possibilité. Ce contrôle nécessite de lutter contre le blanchiment et la criminalisation financière et implique l’interdiction des paradis fiscaux. Les taxes, comme la taxe Tobin ou d’autres taxes, peuvent aider à la régulation du système monétaire. A plus long terme, il serait intéressant de retravailler la proposition, défendue par Keynes lors des premières négociations de Bretton Woods, d’une monnaie universelle, qui reste au-delà de son caractère utopiste une perspective à explorer.

La première étape est de démocratiser le fonctionnement des institutions qui doivent mettre en œuvre la régulation internationale. Il s’agit, dans l’immédiat, d’insister sur la transparence, le contrôle, la participation de tous les pays aux décisions comme base nécessaire du fonctionnement de toutes les institutions internationales. La reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels renouvelle l’approche des évaluations ; elle leur donne un cadre commun de cohérence. Dans cette perspective les modalités d’évaluation prennent toute leur importance : indépendance des instances d’évaluation par rapport aux institutions, débat public et contradictoire laissant leur place aux différents acteurs sociaux, pluralité des expertises. Il s’agit aussi, d’évaluer les politiques de ces institutions et de s’assurer de leur compatibilité avec la Déclaration des Droits de l’Homme et avec les accords internationaux signés et ratifiés par l’écrasante majorité de leurs membres.

La question de la légitimité du système international et de l’architecture formée par les institutions internationales est posée. L’évolution de la mondialisation lui donne une plus grande actualité. La régulation actuelle, par le marché mondial, est loin d’être la meilleure solution. Nous considérons donc qu’il faut des institutions financières internationales pour agir dans la durée, mais nous ne saurions faire confiance aux orientations et au fonctionnement des institutions actuelles. Il s’agit de limiter les compétences de ces institutions à leur mission et de leur refuser le rôle de tutelle des pays pauvres qui leur a été attribué par les pays riches, par le bloc majoritaire des actionnaires de l’économie mondiale qui dirigent aujourd’hui ces institutions. Il s’agit aussi de les intégrer au système des Nations Unies qui présente le double avantage au niveau de ses principes de ne pas reposer pas sur des suffrages censitaires (un dollar, une voix) et d’avoir comme charte fondatrice la déclaration universelle des droits de l’Homme.

Le principe d’une redistribution mondiale est inéluctable si on veut assurer l’accès de tous les pays au financement du développement. Plusieurs modalités sont envisageables en matière de redistribution. Celle-ci peut être envisagée par le recours à un système de taxes et par le rééquilibrage des termes de l’échange. C’est dans cette perspective que doit être envisagée l’évolution de l’Aide Publique au Développement (APD). Dans l’immédiat, ce canal de redistribution, un des seuls qui permette le financement d’investissements publics devrait être augmenté conformément aux accords internationaux. Sa réduction constante est la preuve du peu d’intérêt accordé par les dirigeants des pays riches à la réduction des inégalités, à la justice et à la paix dans le monde.