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"Les Suds dans la crise"

Publié par , le 30 septembre 2010.

Rencontre avec Ph. Hugon et P. Salama autour de leur ouvrage : « Les Suds dans la crise ». Cette rencontre a été organisée à l’initiative du Cedetim et du groupe de travail « commerce-finance » de l’Aitec suite à la sortie du livre « Les Suds dans la crise » co-dirigé par Philippe Hugon et Pierre Salama (économistes du développement)





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Ce livre apporte un regard croisé sur les conséquences de la crise dans les pays du Sud, alors que jusqu’à présent les analyses sur la crise restent majoritairement occidentalo-centrées.
A partir de cette perspective, nous découvrons des réalités locales différentes qui ne nous permettent plus de parler d’ « un Sud », mais « des Suds ». Cette analyse nous aide également à repenser la configuration des rapports de force au niveau mondial avec le poids croissant des pays émergents dans l’économie mondiale. Enfin, les réponses de ces pays à la crise, notamment la relance par la dynamisation du marché intérieur, remettent en cause les politiques de libéralisation impulsées par les Institutions Internationales depuis le Consensus de Washington.

Pour ouvrir cette réflexion, les auteurs ont été appelés à répondre aux deux questions suivantes :

1)Avec la différenciation des sociétés dites « du Sud » et la mondialisation des mouvements sociaux dépassant la césure Nord/Sud, comment envisager l’évolution de la représentation Nord/Sud ?

2)Aujourd’hui, le monde globalisé doit faire face à une crise financière, économique, sociale, mais également à une crise géopolitique avec la remise en cause de l’hégémonie de la Triade (Japon, Europe, États-Unis) et la montée en puissance de grandes régions. Quel regard portez-vous sur cette évolution de la mondialisation, notamment sur le rôle à accorder aux grandes régions, et leur réalité en Afrique et en Amérique Latine ?

Philippe HUGON :

Il introduit son intervention en présentant le monde globalisé d’aujourd’hui et ses caractéristiques :
mondialisation du capitalisme
financiarisation de l’économie
développement des moyens de communication et diffusion accélérée et mondiale de l’information (rôle de l’informatique)
modèle de l’individualisme diffusé à l’échelle mondiale
Cette mondialisation a conduit au dépassement du modèle de l’État stato-centré

1.Vers un déplacement du centre de gravité du capitalisme vers l’Asie, mouvement renforcé par la crise :

L’évolution des rapports de force au niveau mondial :
Le « 1er monde » : Avant il détenait le hard et le soft power (puissance politique et militaire et main mise sur le commerce, les finances et les innovations). Aujourd’hui, le « 1er monde » détient encore l’essentiel du pouvoir mais n’est pas en mesure de maintenir cette position hégémonique (Cf. concurrence commerciale et financière des pays d’Asie et d’Amérique Latine notamment). Quant à l’Europe, la crise l’enfonce encore plus dans une position déclinante.

Les pays émergents : Ils ont certes subi la crise de plein fouet (baisse de la demande extérieure, diminution des IDE, …), mais à travers leur politique de relance, ils ont réussi à relancer la croissance. D’où un renforcement du déplacement de centre de gravité du capitalisme notamment vers l’Asie

Le « 3è monde » : Divisé en 2 groupes :
→ Les pays fournisseurs de matières premières qui bénéficient d’une rente croissante mais qui restent néanmoins vulnérables du fait de cette dépendance aux cours du marché et aux tensions internes (inégalités criantes). On constate également des liens renforcés entre ces pays et les pays émergents (Cf. Chine)
→ Les pays marginalisés, ou « 4è monde » ayant très peu d’interdépendance avec la mondialisation

Cette nouvelle configuration des rapports de force – avec renforcement de la place des pays émergents dans l’économie mondiale et affaiblissement du « 1er monde » - , ne nous permet plus de penser en terme de représentation Nord/Sud.

2.Une régulation politique régionale nécessaire mais qui se traduit aujourd’hui par un jeu de coopération à géométrie variable :

Situation en Afrique : Faible intégration régionale résultant de l’absence de leadership (l’Afrique du Sud pourrait jouer ce rôle, mais elle doit préalablement régler ses problèmes internes d’intégration) ; et des conflits au sein du Maghreb (cf. Sahara occidental) ; … Néanmoins, processus d’intégration émergent en Afrique de l’Est.

Situation en Asie : on tend vers l’apparition d’un pôle asiatique au niveau du commerce, de la finance, des investissements, mais qui ne peut pas encore être considéré comme une puissance régionale (absence de puissance militaire, de puissance monétaire, ...)

Situation mondiale : Nous ne sommes plus dans un monde unipolaire (Cf. montée en puissance de l’Asie, de l’Amérique Latine), mais nous ne pouvons pas non plus parler de monde multipolaire. Actuellement, l’intégration régionale, seule alternative crédible, n’en est qu’à ses balbutiements (en dehors de l’Asie). On assiste davantage à un jeu de coopération ad hoc, autrement dit des alliances stratégiques sur des sujets particuliers (tels le nucléaire iranien ; les négociations sur le climat, …)

Pierre SALAMA :

1.Crise structurelle et changement de suprématie : mise en parallèle de la crise actuelle avec la crise des années 30 :

La crise des années 30 : un changement de suprématie vers les États-Unis et bouleversements au niveau la division internationale du travail
→ à l’échelle internationale, fin de la suprématie de la livre sterling ;
→ en Amérique Latine : industrialisation de ces pays par substitution des importations et forte croissance économique. Face aux conflits sociaux de classe, apparition de gouvernements populistes en Amérique Latine (Vargas, Peron, Cardenas) qui mettent en place des politique de grands investissements. Cette politique volontariste va permettre de pousser la croissance par une substitution des importation lourdes (à plus forte intensité capitalistique)

La crise actuelle et ses caractéristiques : crise liée aux effets de la globalisation commerciale et financière, en particulier le décrochage des salaires et de l’investissement productif.
Ainsi, la sortie de crise ne pourra se faire que par une réforme profonde de l’architecture financière et commerciale au profit d’une meilleure répartition des revenus. Cela passera également par une prise en compte des conditions éthiques et environnementales dans les processus de production.

Les effets de la crise actuelle sur les pays latino-américains : assiste-t-on au même scénario que celui de la crise des années 30 ? On constate actuellement une forte croissance dans les pays latino-américians qui ont réussi à renouer avec la croissance grâce à l’essor de leur marché intérieur.

2.Le pari des marchés intérieurs comme sortie de crise ?

Les pays latino-américains ont-ils les moyens de pousser un nouveau régime de croissance basé sur une dynamisation du marché intérieur ?
Ceci dépend de leur capacité à renforcer leur marché intérieur ce qui passe par une meilleure répartition des richesses et donc une profonde réforme fiscale (inégalités criantes dans ces pays qui ne cessent de se creuser malgré les politiques sociales de certains gouvernements). Or, il y a de très fortes oppositions dans ces pays dès que l’on touche à la rente. Par conséquent, la dynamisation des marchés intérieurs dans ces pays est sous-tendue à leur capacité à la résolution des conflits d’intérêts.
Les luttes salariales et autres mobilisations, souvent tournées sur des questions de modes de vie, vont donc à la fois contribuer à peser sur les débats et à la construction des nouveaux compromis. Ces luttes sont et seront particulièrement importantes à ce moment des crises où le panel des possibles reste encore très ouvert, des plus barbares aux plus justes.

A l’échelle mondiale : ce que l’on peut constater, c’est que les pays qui ont su rebondir économiquement sont ceux qui ont axé leur politique de relance sur le marché intérieur (Cf. la Chine, les pays latino-américains). Ceci met à mal de consensus de Washington et remet en cause les politiques mondiales de libéralisation du commerce qui ont cassées la capacité des gouvernements à mettre en œuvre des politiques d’industrialisation (notons, par exemple, que le Brésil a pu utiliser la Banque nationale de Développement BNDS comme outil de relance seulement parce qu’il avait refusé auparavant sa privatisation). Cela remet également sur la table la question du protectionnisme (sous de nouvelles formes : qualité, subventions, manipulation des taux de change, …). La crise d’aujourd’hui montre bien que les règles du jeu sont en train et doivent changer.

3.Vers de nouveaux rapports de force :

L’impérialisme d’hier ne dispose plus des même marges de manœuvre face aux nouvelles alliances Sud/Sud.

Et même à l’échelle des Suds, la domination des pays émergents sur leurs voisins s’expriment de manière différente.

Questions transversales abordées lors du débat :

1.Les conflits sociaux dans la crise :
En Afrique, impact très marginal de la crise, il s’agit davantage de conflits internes
En Asie : Aujourd’hui beaucoup de tension en Chine avec la crise malgré que le gouvernement ait essayé de limiter ces conflits en menant une politique de grands travaux (création d’emplois pour combler les emplois perdus avec la crise et éviter ainsi des tensions suite au retour des ces travailleurs dans les campagnes)
En Amérique Latine : Réapparait aujourd’hui très fortement la question indigène notamment sur les questions d’exploitation des ressources naturelles → question très délicate (ressource économique pour les gouvernements mais désastre écologique et humain)

2.Vers un renouveau des mouvements sociaux à l’échelle mondiale, qui se retrouvent sur des enjeux communs (Cf. enjeux environnementaux, sociaux, …) :
→ Renouveau des mouvements salariés
→ Mouvements paysans
→ Renouveau des mouvements des femmes (Cf marche mondiale des femmes en Asie, en Afrique, …)
→ Mouvements des habitants
→ Mouvements pour la défense des droits humains,
→ Réorganisation des anciens secteurs informels autour de l’économie sociale et solidaire
→ en Amérique Latine : nouveaux mouvements civiques qui se sont traduits par des prise de pouvoir

3.Globalisation et criminalité :
A travers la mondialisation, se sont construites des forces répressives très violentes qui utilisent les questions de criminalité (cartels de drogue, ...) comme prétexte à la répression des mouvements sociaux (Cf. Mexique, Colombie, ...)
Question qu’y mériterait d’être approfondie.

4. Des politiques migratoires de plus en plus répressives :
Face aux crises actuelles (économiques, sociales, environnementales), il est à prévoir une intensification des mouvements migratoires. Or on assiste déjà à des politiques migratoires de plus en plus répressives.
D’où l’importance de porter davantage d’attention sur ces questions de migration.