AITEC
Bouton menu

Accord de libre échange UE-Canada (CETA/AELG) : pourquoi les organisations françaises et européennes doivent se mobiliser contre cet accord

Publié par AITEC, le 8 juillet 2011.

Depuis que l’OMC patine, embourbée dans ses propres contradictions, les accords de libre-échanges régionaux se multiplient entre l’Union européenne et le reste du monde. Celui entre le Canada et l’UE n’a pas jusqu’ici suscité dans le mouvement l’attention qu’il mérite : c’est dommage car il aura des conséquences considérables.

Commerce et développement CETA/AECGUnion européenneNégociations commercialesEnvironnement



Partager :

bouton facebook bouton twitter Bouton imprimer

Les choses se précisent concernant les négociations. Une cession de négociations se tiendra à Bruxelles du 11 au 15 juillet. Elle est présentée, par le négociateur en chef canadien, comme cruciale et il semble qu’il ait raison.

En effet, sera dévoilée la « liste négative » des engagements des partenaires ; la question de l’investissement sera fixée ; les questions d’accès aux matières premières seront traitées ainsi que celle de la réglementation environnementale de l’UE.

1- Porte ouverte à une libéralisation non-contrôlée, menaces sur les services publics et les pouvoirs de régulation étatique et locaux.

Sous le terme « liste négative des engagements » se dissimule ce qui est conçu comme un accélérateur des négociations. Jusqu’ici, à l’OMC ou dans d’autres accords de libre-échange, les partenaires de négociations ont engagé des listes dites "positives", c’est-à-dire des listes de secteurs retenus pour être libéralisés. Ainsi, pour l’AGCS par exemple, l’UE a dressé un long tableau des secteurs qu’elle accepte de voir libéralisés, autrement dit, qu’elle consent à ouvrir à la concurrence. Avec l’accord UE-Canada, c’est la démarche inverse dite approche par « liste négative » : les partenaires sont invités à soumettre les secteurs qu’ils ne veulent pas voir libéraliser.
Cette interprétation extensive équivaut à augmenter l’ampleur des secteurs libéralisés : en effet, comme tous les textes juridiques (et un accord international en est un), l’interprétation des termes se fait strictement, autrement dit sans extrapolation. Là, il est convenu que tout est négociable, tous les secteurs sont susceptibles d’être libéralisés et soumis à la concurrence, sauf ceux qui seront définis strictement dans l’accord, et qui, par définition, seront réduits par la négociation. Tout ce qui n’aura pas été porté sur la liste, tout ce qui en sera retiré à la faveur des négociations, sera réputé libéralisable. En somme, l’UE accepte une libéralisation d’une ampleur non-maîtrisée.

Par ailleurs, l’UE n’a pas informé sur cette liste et n’a aucune intention de le faire. Cela se fera après, quand tout sera bouclé, autrement dit, trop tard.

En outre, cet accord rendrait très difficile tout retour en arrière possible sur ces politiques de libéralisation face aux menaces de recours à un tribunal d’arbitrage par les entreprises multinationales en charge de ce service. Par exemple, si un gouvernement local venait à prendre la décision de re-munipaliser la gestion d’un service – tel que l’eau – l’entreprise gestionnaire de ce service pourrait attaquer le gouvernement devant des tribunaux d’arbitrage internationaux pour atteinte aux intérêts de l’entreprise. (Cf. infra chapitre sur l’investissement).
Cet affaiblissement des pouvoirs publics face aux intérêts des multinationales européennes et canadiennes est également patent concernant l’ouverture des marchés publics locaux aux multinationales. A travers cette ouverture, les gouvernements locaux perdraient des instruments de régulation clés pour favoriser le développement d’entreprises locales, de services locaux, d’une agriculture de proximité, …, notamment au nom de la clause du « traitement national » qui impose un traitement égal des investisseurs locaux et étrangers. Il serait également rendu beaucoup plus difficile pour un gouvernement local d’imposer au sein de ses appels d’offre des clauses de développement local (emploi de la main d’œuvre locale, transfert de compétence, etc.).

2- Retour en force de l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement)

L’accord UE-Canada n’innove pas seulement sur la question de la liste négative, il instaure une régression démocratique qui a un précédant, l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) négocié en catimini en 1998 dans le cadre de l’OCDE.

Ici, il s’agit de permettre aux investisseurs de poursuivre directement l’État ou une instance infra étatique (une collectivité locale, une province etc.) qui prendrait des mesures réglementaires de toute nature susceptibles de réduire leurs bénéfices escomptés. L’Accord de Libre-échange Nord-Américain (ALENA) prévoit ce genre de mécanisme dans son chapitre 11, avec des conséquences célèbres : c’est ainsi que l’entreprise MetalClad, qui voulait enfouir du plomb en surface dans le sol mexicain a obtenu un compensation pharaonique de l’Etat mexicain qui avait commis l’imprudence de le lui interdire pour des motifs de protection de l’environnement. C’est ce genre de mécanisme dont les détails de la mise en œuvre sera discutée en juillet. Pour l’instant, le mécanisme n’est pas arrêté : faut-il mettre sur pieds un organe de règlement des différends et si oui (ce qui semble logique), comment ? C’est de cela dont il sera question, le principe étant arrêté. Nos amis canadiens nous informent que le gouvernement allemand pousse pour que le mécanisme le plus dur soit mis en place.

En son temps, le mouvement social s’était largement mobilisé pour obtenir que l’AMI soit retiré. Nous en sommes loin actuellement, et ce à quelques semaines d’une négociation cruciale.

3- Les réglementations environnementales et sanitaires dans le collimateur du Canada

Le Canada estime que les normes européennes sont trop complexes et considère notamment le principe de précaution comme une mesure protectionniste. Les réglementations environnementales et sanitaires mises en place par l’Union européenne sont dans le collimateur du gouvernement canadien. Sous la pression des multinationales d’extraction pétrolière, les négociateurs canadiens sont particulièrement offensifs sur la question des carburants extrait de sables bitumineux. Leur extraction est fortement émettrice de gaz à effet de serre et le gouvernement canadien l’autorise dans l’Alberta. Il souhaite que l’UE cesse de réglementer, voir d’interdire cette extraction sur son sol. Il apparaît que sur cette question des intérêts croisés se mobilisent : les lobbies pétroliers ont un accès direct aux décideurs, et le groupe Total est fortement intéressé par l’exploitation de ce pétrole qui ferait reculer le pic pétrolier (et la nécessaire transition énergétique) de plusieurs dizaines d’années. L’actionnaire principal de Total est la canadienne Power Corporation. L’accord UE-Canada amènerait à lever l’obstacle de l’exploitation du pétrole de sables bitumineux en Europe - en attendant d’autres levées de réglementations. Parallèlement à cette offensive, de lourdes pressions pèsent sur la directive européenne « Qualité des carburants » inscrite dans le cadre des engagements de l’UE dans la lutte contre les changements climatiques, pour qu’il n’y ait pas, en Europe, de distinction de catégorie de carburants en fonction de leur intensité carbone1. Ainsi les entreprises pétrolières pourraient à leur guise exploiter ces sables bitumineux au Canada et en Europe, et vendre ces carburants très polluants sans aucune restriction !

Par ailleurs, si l’UE a refusé que sa réglementation sur les OGM soit négociée, rappelons que l’UE est toujours sous le coup d’une négociation de l’OMC relative au bœuf aux hormones. Le Canada demande que l’accord soit l’occasion de régler ce différend dans le sens d’une acceptation par l’UE de l’importation de ce type de viande.

Dans la même logique, le Canada annonce officiellement sa volonté d’affaiblir la directive REACH. Celle-ci réglemente la mise sur le marché des nombreux produits chimiques intégrés dans les objets de consommation courante et avait pu être considérée, au moment de son adoption, comme édulcorée par les différents mouvements environnementalistes. C’est encore largement au-dessus de la réglementation canadienne.
Conclusion

Les Canadiens demandent l’accès aux ressources naturelles (pétrole), l’affaiblissement de REACH et se trouvent prêts à accepter, en contrepartie, un accès à leurs services publics pour les grandes entreprises européennes demandeuses. Le Canada, et surtout le Québec, compte beaucoup de services publics non encore privatisés, contrairement à l’UE. De leur côté, les entreprises de services européennes seront ravies de mettre la main sur les services publics d’un pays à la population solvable.

Cet accord est une régression démocratique puisqu’il laisse aux entreprises la possibilité de placer les Etats et les gouvernements locaux sous un chantage permanent, celui de les poursuivre et d’obtenir leur condamnation s’ils réglementent les activités que ces entreprises convoitent.

Cet accord aura des conséquences sur les questions d’environnement en facilitant la perpétuation d’un système productiviste et extractif dont nous savons qu’il est un échec.

Par ailleurs, le Canada fait partie de l’ALENA avec le Mexique et les Etats-Unis. Cet accord exige que tous les engagements internationaux des Etats partenaires soient compatibles avec lui. Autrement dit, l’accord UE-Canada ouvre la voie à l’instauration, à terme, d’une vaste zone de libre-échange entre les Etats-Unis, l’Union européenne, le Canada et le Mexique.

Jusqu’ici, les mobilisations n’ont absolument pas été à la hauteur, en dépit des alertes. Les mouvements français ont un rôle à jouer déterminant, vue la proximité culturelle avec le Québec.

Nous appelons les organisations de la société civile française à se mobiliser pour s’opposer à la négociation d’un tel accord. A ce titre, nous vous invitons à une réunion de travail le lundi 11 juillet à 16h30 au CICP, en présence de Stewart Trew, militant au Conseil des Canadiens et coordinateur de la campagne contre l’AELG, pour discuter ensemble des enjeux politiques de cet accord, de l’état d’avancement des négociations, et de la stratégie commune à mettre en place.

Invitation à l’initiative de :
Attac-France (contact : Frédéric Viale - frederic.viale@free.fr)
Aitec- Ipam (contact : Fanny Simon - fannys.aitec@reseau-ipam.org)

Documents à télécharger

  Sans titre


Sur le même thème

Commerce et développement

Accord UE-Mercosur Première analyse de « l’instrument conjoint » proposé par Bruxelles

Commerce et développement

BREAKING : Accord-UE-Mercosur – Révélation d’un document secret

Commerce et développement

Accord UE-Mercosur : opacité, secret et manque de transparence.

Commerce et développement

L’accord de libéralisation du commerce UE-Mercosur n’est pas mort