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La dette met en danger la paix du monde - Gustave Massiah - 2005

Publié par , le 1er juillet 2005.

Financement du développementMouvement social et citoyenNéolibéralismeEconomie



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Les ministres des finances du G7 ont adopté la proposition préparée par le Royaume Uni pour le sommet du G8 qui doit se réunir en Ecosse en juillet. Ils ont annoncé une annulation de la dette multilatérale de 18 pays. Nous devrions nous réjouir de cette annonce ; après tout, l’annulation de la dette violemment refusée et considérée comme impossible devient un objectif déclaré du club dirigeant de l’économie mondiale, l’annulation concernerait les stocks de la dette et pas seulement le service de la dette, elle concerne la dette multilatérale, celle du FMI et de la Banque Mondiale.

Et pourtant nous restons sceptiques et toujours inquiets. Nous ne pouvons oublier la dernière décision qui avait suivi Jubilé 2000, la plus importante campagne de signatures de la société civile mondiale. Les pays du G7 avaient annoncé, à Cologne en 1999, un renforcement de l’initiative pays pauvres très endettés (IPPTE) qui avait été prise au G7 de Lyon en 1996.

Cette initiative déjà insuffisante est très contestée. Elle concernait 42 pays et devait se terminer rapidement ; or la sunset clause prévue pour fin 2000 recule sans cesse. Seuls 15 pays ont bénéficié de l’initiative et douze autres pays y sont engagés. Le Parlement européen a demandé, en janvier 2005, que l’annulation concerne l’ensemble des pays en développement, nous sommes encore très loin du compte. L’idée même de rendre la dette « soutenable » montre ses limites. Par exemple le Ghana (qui a terminé l’IPPTE) dépense 11% de son budget en service de la dette contre 9% pour la santé. Le Mali, lui aussi bon élève de l’IPPTE, paie un million de dollars par semaine en remboursement de sa dette, un montant qui lui permettrait de doubler ses dépenses d’éducation. Nous ne savons pas encore quelles seront les modalités des nouvelles propositions, mais les ambiguïtés du communiqué ne sont pas de bonne augure. D’autant que ces propositions ne s’attaquent toujours pas aux causes de la crise de la dette.

La gestion de la crise de la dette a servi à ajuster chaque société au marché mondial, à imposer des politiques macro-économiques néo-libérales. Ce sont ces politiques qui sont la cause première de l’accroissement des inégalités, de l’élargissement de la pauvreté, de l’approfondissement des exclusions. La crise mexicaine, qui a inauguré la dernière génération des dettes, s’est traduite par une perte de 50% du pouvoir d’achat des salaires, un taux de chômage de 25% et plus de 2,5 millions de personnes qui ont franchi le seuil de « l’extrême pauvreté ».

En partant d’un endettement important, dont la responsabilité revient aux emprunteurs et aux prêteurs, on est passé à une crise de la dette dont la responsabilité est directement le fait des pays et des institutions qui dominent l’économie mondiale. Après la dette liée aux investissements surdimensionnés, l’explosion de la gestion monétariste et l’auto-alimentation de la dette, nous avons assisté à la généralisation de la dette liée à la dérégulation des marchés financiers. La difficulté accrue du recours à l’endettement pour les pays les plus pauvres hypothèque leur possibilité de développement ; le remboursement de la dette représente 38% des budgets en Afrique. Le maintien d’une dette contestée, en grande partie illégitime, dont on sait qu’elle ne sera pas remboursée, accroît la fragilité des systèmes bancaires, des institutions financières et du système monétaire international. L’histoire a souvent montré que les systèmes de dettes internationales mal réglées peuvent déboucher sur des dérèglements propices aux risques de guerres, que l’on songe par exemple à la dette égyptienne du canal de Suez ou à la dette allemande entre les deux guerres. Le système international qui a généré la dette a conservé toute sa nocivité. Il est de l’intérêt de tous d’y remédier. L’annulation de la dette est un premier pas, nécessaire mais non suffisant, dans ce sens.

Du point de vue de l’économie mondiale, l’annulation de la dette permettrait de relancer l’activité dans les zones atteintes par les crises financières et monétaires. Les propositions existent. Dans un premier temps, elles concernent l’annulation du stock de la dette pour les pays les plus pauvres et la « déflation » du service de la dette, sur la base de critères sociaux, pour les pays intermédiaires. L’annulation de la dette doit permettre l’accès à des crédits bonifiés et à des crédits spécifiques, sans autres conditions que la possibilité de remboursement. Les seules conditionnalités acceptables sont celles qui s’imposent à tous, le respect du droit international et des accords internationaux.

La référence au droit international permet d’envisager un règlement équitable de la question de la dette. Elle permet surtout de répondre à une question majeure : comment éviter que la dette ne se reproduise après son annulation. Seul le droit permet de s’attaquer au système qui a généré la dette et de resituer l’annulation de la dette dans cette perspective. Ainsi, la récupération des avoirs placés dans les banques occidentales et les paradis fiscaux par les dirigeants des pays endettés, et leurs complices des pays créanciers, permettrait de récupérer plus de 40% de la dette. La lutte contre l’impunité est une mesure efficace pour lutter contre les malversations et les corruptions. De même, la coresponsabilité des emprunteurs et des prêteurs permettrait de discuter de la légitimité des dettes devant des instances juridiques compétentes. Le débat sur l’illégitimité des dettes a pris une nouvelle vigueur avec l’acceptation de la notion de « dette odieuse ». La responsabilité de l’évolution des taux de change et des taux d’intérêt et de leurs conséquences sur la dette devrait être appréciée par des instances de recours. Il serait ainsi possible, compte tenu des remboursements déjà effectués, d’apprécier à quel point la dette qui s’est gonflée d’elle même par le jeu des rééchelonnements et des intérêts cumulatifs sur une dette contestable et illégitime, a déjà été remboursée plusieurs fois par les peuples des pays dominés. Le déséquilibre entre créanciers et débiteurs dans toutes les institutions monétaires et financières internationales a accentué la subordination des pays du Sud. La négociation du remboursement des dettes au cas par cas, dans le cadre du Club de Paris et du Club de Londres, opposant un pays à tous ces créanciers a démontré la dureté du rapport de forces et de ses conséquences. Une conférence des Nations-Unies devrait être convoquée pour discuter globalement de la dette et de la réforme des institutions financières internationales.

La gestion de la crise de la dette a servi aux pays dominants pour remettre au pas les pays du Sud et mettre fin aux espoirs nés de la décolonisation ; sa logique n’est pas économique. Il est temps d’admettre que la poursuite de cette politique insupportable met aujourd’hui en danger la paix du monde. Les campagnes pour l’annulation de la dette qui ont pris une ampleur particulière avec la campagne Jubilé 2000 vont être relayées par la campagne 2005 plus d’excuses. La mobilisation citoyenne mondiale est la clé de la solution à la crise de la dette dans le cadre des avancées du droit international.

Par Gustave MASSIAH, Président du CRID et vice-président d’Attac. Article publié dans L’Humanité, 1er juillet 2005.