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NEPAD : Une occasion ratée - Ghazi Hidouci - 2003

Publié par , le 9 mars 2003.

AfriqueFinancement du développementGouvernanceEconomie



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La présente note est destinée à résumer de façon succincte les analyses d’ONG africaines relativement à l’essentiel des dispositions du NEPAD. Elle n’aurait pas beaucoup de sens si elle n’était mise en perspective dans un ensemble de propositions alternatives, relatives au développement de l’Afrique. La préparation des manifestations liées à la réunion du G8 nous offrira l’opportunité de le faire en tentant de présenter l’essentiel des points de vue des organisations indépendantes et des intellectuels critiques africains à coté des travaux du milieu associatif occidental mobilisé pour une mondialisation alternative.

Pour l’heure, il nous a paru urgent de relever, principalement pour l’information, les contradictions, les manœuvres non avouées et les hypocrisies associées à l’opération, mal camouflées par l’utilisation abusive du label “ progressiste et avant gardiste ” de l’Afrique du Sud par ses dirigeants actuels et les autres chefs d’État impliqués.

L’esprit et le contenu du NEPAD illustrent la déshérence de classes politiques au pouvoir incapables d’exprimer une attitude autonome par rapport au discours dominant du consensus de Washington, complètement décalées par rapport aux réalités africaines et à la nature des problèmes politiques et économiques que les sociétés africaines affrontent. Le projet illustre également le mépris par ses auteurs, comme par ceux qui au G8 les ont félicités, des efforts de lutte pour la survie entrepris partout localement en Afrique et par la majorité, et qui, encadrés et soutenus par des politiques économiques appropriées, peuvent servir de base, même étroite, à la construction de solutions véritables aux problèmes principaux de développement affectant l’Afrique.

 Pour cette raison, les réseaux alternatifs africains insistent sur le mépris par les auteurs du NEPAD de toute consultation préalable des populations. Durant l’élaboration du NEPAD, aucun syndicat, aucune association, aucun mouvement politique, aucun parlement ne sera consulté. Les consultations larges ne garantissent évidemment pas la qualité et la pertinence d’une construction. Elles donnent néanmoins à l’opération un caractère plus légitime et moins clandestinement expert, et surtout, auraient pu manifester auprès des chefs d’États du G8, que les dirigeants africains impliqués avaient au moins le sens du respect de leurs peuples. Ils ont au contraire, raté là une occasion de se faire respecter eux-mêmes.

 N’oublions tout de même pas la manière : le premier acte officiel relatif au NEPAD s’est produit lors de la réunion économique du Forum de Davos, lorsque T. Mbeki en parla pour la première fois. Ceci montre le réalisme des initiateurs du projet dans la globalisation présente. Toutefois, la garantie des membres de ce forum ayant été considérée comme nécessaire au succès de l’entreprise, la cause était déjà pratiquement entendue et la subordination assurée.

 L’expertise viendra donc de l’extérieur, et sera non assumée. Il y aura des consultations intenses de la Banque mondiale et du FMI, l’implication des entreprises transnationales (à Davos en Janvier 2001 et à New York en février 2002), de chefs d’États occidentaux, de l’Union européenne et du G8 lui même, à Tokyo en juillet 2000 et à Gênes en juillet 2001. Dans ces conditions, le produit fini reflétera un discours politicien agréable à la propagande néo-libérale.

 Le programme fera assumer à la seule détermination des Africains (comprenons leurs dirigeants), la responsabilité de l’élimination des causes du sous-développement dans un monde paradoxalement systématiquement ouvert et global. Jamais la colonisation n’a prétendu être aussi exigeante. L’implication automatique est que la “ pauvreté ” et la régression sont des phénomènes entièrement de la responsabilité des Africains et non des conséquences de la manière dont les marchés leur imposent la globalisation. De fait, les marchés ne leur imposent rien. S’ils ne les admettent pas tels qu’ils sont, et tels qu’ils ont été, depuis l’apartheid, la colonisation, le piège de la dette, etc, c’est qu’ils s’excluent et se marginalisent eux-mêmes par rapport aux bienfaits de la “ globalisation ”. Ce sont des chefs d’États africains, et non occidentaux, qui l’affirment.

 Les leçons du passé sont entièrement ignorées et l’amnésie érigée en règle. Tous ceux qui n’ont pas digéré l’émancipation arrachée de haute lutte par les Africains, et ceux qui continuent à les asservir de mille manières, peuvent dormir tranquilles. Ils sont historiquement et présentement absous par leurs représentants juridiquement reconnus par les Nations unies et, à leur tête, les dirigeants sud-africains. Le NEPAD ignore l’explication historique comme l’explication économique des réalités présentes. Il ne fait aucune analyse des (ni aucune référence aux) démarches de politiques économiques du passé, ne serait-ce que de façon critique. Il gomme les propositions à la solidarité du Nord, pourtant modestes, du Plan d’Action de Lagos, pour célébrer les Institutions financières internationales et les firmes transnationales, considérées comme seules dignes d’égards. Les programmes d’ajustement structurel sont ânonnés sans discernement alors que leurs auteurs eux-mêmes en admettent l’échec. Leurs effets dévastateurs sur les sociétés africaines sont superbement ignorés par leurs représentants.

 Les réformes prônées imposant la poursuite de l’ajustement néo-libéral répondent à des préoccupations d’élites vivant de l’intermédiation pour les firmes mais éliminent progressivement toute capacité de gouvernance autonome en Afrique. L’absence criante de référence aux processus démocratiques, aux conditions locales diverses et aux capacités de travail gelées en est une illustration choquante.

Les modifications des “ distorsions antérieures des prix ”, pourtant nécessaires, ne sont abordées que sous l’angle de l’abrogation des contrôles des changes, de la suppression des subventions aux pauvres, et de compétition pour la désindustrialisation massive. L’attention insuffisante aux services sociaux de base signifie en réalité l’acceptation de la privatisation rampante des services de santé, éducation, d’hygiène et d’eau. L’intégration rapide dans l’économie mondiale est aveuglément privilégiée selon un cheminement inverse de celui qui aurait dû être tenté.

L’Afrique, appauvrie par la colonisation, la corruption et la gestion féodale de la décolonisation, est dans une situation sociale qui requiert d’autres démarches économiques que celle de source de matières premières à bas prix et des plus basses rémunérations du travail. Pendant que l’Asie réussissait partiellement à bénéficier de son intégration aux marchés mondiaux par l’exportation de produits manufacturés, le potentiel industriel de l’Afrique diminuait justement du fait de la subordination excessive aux appétits des grandes firmes, suivie de l’ajustement structurel à contre courant. C’est la raison principale de l’autonomisation de la dette. Le NEPAD aurait été plus inspiré d’apporter sa pierre au règlement des dettes illégitimes que de réclamer une aumône sans doute inférieure à ce qui est attendu des PPTE. Or le NEPAD refuse de remettre en cause le principe même de la légitimité morale du remboursement de la dette.
Les auteurs du NEPAD prendront plutôt la responsabilité commune de la recherche d’une stabilité macro-économique favorable aux marchés financiers, particulièrement en développant des politiques fiscales, budgétaires et monétaires restrictives, et en améliorant les garanties institutionnelles à l’investissement spéculatif et à la privatisation des services publics sous garantie financière de l’Etat.

L’Afrique, dans toute sa diversité, doit être informée de cette situation et de la nécessité d’agir contre ces projets de marginalisation du continent afin d’ancrer solidement son développement, par des voies alternatives, dans une complémentarité fructueuse avec les pays développés. Il faut particulièrement dénoncer la propension du NEPAD à approfondir la dépendance externe de l’Afrique et l’exploitation de ses ressources.

Ce texte a été publié dans le Rapport 2002-2003 de l’Observatoire français de la coopération internationale (Editions Khartala)