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Minerais du sang : l’Union européenne s’arrête à mi-chemin

Publié par AITEC, le 16 juin 2016.

Après un an de négociations, le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne ont conclu mercredi soir un compromis sur une réglementation visant à mettre fin au commerce des minerais issus de zones de conflit, les « minerais de sang ». Ce compromis est décevant parce qu’il ne permet pas d’atteindre les objectifs initiaux.

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Après un an de négociations, le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne ont conclu mercredi soir un compromis sur une réglementation visant à mettre fin au commerce des minerais issus de zones de conflit, les « minerais de sang ». Ce compromis est décevant parce qu’il ne permet pas d’atteindre les objectifs initiaux.

Ce règlement européen avait pour objet d’en finir avec des pratiques commerciales rappelant tristement les vieux comportements mercantiles de l’époque coloniale : dans cet héritage historique, tant que nos industries ont accès aux matières premières, peu nous importe que la terreur, les violences et la guerre accompagnent leur extraction.

Pour rappel, sur les soixante dernières années, au moins 40 % de tous les conflits intra-étatiques sont potentiellement associés aux ressources naturelles1. En République centrafricaine (RCA), en Colombie et en République démocratique du Congo (RDC), le commerce de minerais est en partie responsable d’avoir alimenté des conflits mortels qui ont entraîné le déplacement de 9,4 millions de personnes. L’UE est un des premiers importateurs de minerais, importés à la fois sous forme brute mais aussi dans la composition de produits de consommation courante, comme les ordinateurs et téléphones portables, les moteurs ou les bijoux.

La proposition de règlement de la Commission européenne, datant de 2014, faible parce que non contraignante et ne s’appliquant qu’à une infime partie des entreprises européennes concernées, a été largement améliorée par le Parlement européen en mai 2015 (voirici), qui a défendu un règlement obligatoire pour toutes les entreprises de la chaîne de valeur, qu’elles importent des minerais sous forme brute ou dans des produits finis. C’est à la suite de ce progrès inconcevable aux yeux de la Commission qu’a débuté un cycle de négociations en « trilogue », c’est à dire des négociations à huis-clos entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission.

L’accord politique finalement trouvé mercredi 15 juin dans la soirée prévoit d’introduire, uniquement pour les importateurs de minerais et de métaux contenant les « 3TG » (étain, tantale, tungstène et or), l’obligation de mener une analyse de risque sur la provenance des minerais qu’ils commercialisent. Mais ces importateurs ne représentent que 0,05 % des entreprises européennes... Cet accord laisse donc la majorité des entreprises qui importent des minerais sous forme de produits finis en dehors de ce règlement : ces dernières pourront donc continuer à s’approvisionner de façon irresponsable sans problème !

Or, l’efficacité du règlement qui serait finalement décidé reposait sur son caractère obligatoire et commun à tout le secteur, sans lequel aucun effet sectoriel ne pourrait avoir lieu. Ainsi, cet accord est inefficace et dérisoire.

L’unique élément d’avancée est la clause de révision qui prévoit, si les entreprises laissées en dehors du règlement ne font pas preuve de bonne volonté deux ans après l’entrée en vigueur de la régulation, la possibilité de modifier le contenu pour les inclure dans les mesures obligatoires.

Beaucoup d’incertitudes et d’hypothèses, en somme...

Pour de nombreux États membres et pour la Commission, il était inconcevable d’accepter un règlement obligatoire, même pour les importateurs de minerais bruts. La vision archaïque de la compétitivité des entreprises (latitude totale des autorités quant aux conséquences des activités de leurs entreprises : fermons les yeux sur les personnes qui meurent, sont exploitées et vivent dans la guerre dans les pays où sont extraits les minerais, tant que nos entreprises sont compétitives !!) empêche les gouvernements d’envisager toute obligation sociale ou environnementale pour les acteurs économiques. Mais c’est aussi l’influence des lobbies industriels, prêts à tout pour fermer les yeux sur les risques d’approvisionnement inhérents aux chaînes de valeurs internationales, sur les décideurs politiques qui explique cette absence d’ambition.

Pourtant, le caractère obligatoire du règlement (pour toutes les entreprises), défendu par la centaine d’organisations de défense des droits mobilisées sur le dossier, est la conséquence d’un constat simple : les mesures volontaires, reposant sur la bonne volonté des entreprises, ont échoué, lamentablement échoué. Il est donc temps de prendre acte de cet échec et de changer de stratégie ! D’ailleurs, l’introduction de mesures obligatoires, même si elle n’est que superficielle, marque quand même une certaine reconnaissance de la nécessité d’imposer des règles aux entreprises.

Ainsi, l’accord sur ce règlement en demi-teinte, n’assumant pas son incohérence et son inefficacité ni son "progressisme", conduit à deux conclusions :

 Cette étape n’est qu’un premier pas superficiel, et sans renforcement du règlement pour qu’il s’applique à TOUTES les entreprises européennes concernées (environ 880 000), il restera lettre morte, échouant à remplir ses promesses ;

 La pression de plus de 130 organisations de la société civile, des 362 000 actions citoyennes et des parlementaires progressistes ont ouvert une brèche dans le dogmatisme néo-libéral : oui les entreprises doivent être contraintes de respecter des règles pour éviter les nombreux impacts dramatiques que leurs activités provoquent.

1PNUE, 2009, « From Conflict to Peace-building : the Role of Natural Resourc-
es and the Environment », disponible sur : www.unep.org)



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