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TAFTA – CETA : Briefing à la réunion des Ministres du Commerce de Bratislava

Publié par AITEC, le 3 octobre 2016.

Commerce et développement TAFTA/PTCICETA/AECGUnion européenneNégociations commerciales



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Vous pouvez lire la note ci-dessous ou la télécharger ICI.

La réunion informelle de Bratislava

Le contexte

Les ministres du Commerce des 28 se réunissent dans la capitale slovaque jeudi et vendredi prochain (22 -23 septembre).

La réunion intervient dans un contexte très difficile pour l’UE en général (crise des réfugiés, montée de l’extrême-droite, Brexit...) et notamment pour la politique commerciale des 28.

la perspective d’élections aux États-Unis début novembre, puis en Allemagne et en France au printemps 2017, handicapent l’avancée des négociations du TAFTA, l’accord en discussion entre l’UE et les USA. Mais ces difficultés procèdent également de divergences profondes quant aux attentes et aux choix de politique économique de part et d’autre de l’Atlantique.

Le CETA, déclaré conclu depuis août 2014, connaît beaucoup de difficultés dans sa phase finale. Alors que le Conseil des ministres des Affaires étrangères doit l’approuver le 18 octobre, plusieurs gouvernements se disent dans l’incapacité d’y apposer leur signature, et la critique de nombreux experts, des sociétés civiles et d’une partie significative de l’opinion publique européenne font trembler les gouvernements.

L’ambition de l’UE d’engager de nouvelles négociations commerciales avec le Mercosur, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, par exemple, se trouve menacée par la perspective d’un échec du TAFTA et du CETA. D’autant que le départ programmé du Royaume-Uni affaiblit l’attractivité, et donc la position, européenne.

Les accords commerciaux bilatéraux en cours de négociation ou de conclusion, en particulier les accords transatlantiques, figurent néanmoins parmi les priorités de la Présidence slovaque de l’UE.

L’ordre du jour

La soirée du jeudi 22 est dédiée à des activités protocolaires et festives, et la réunion se déroule réellement le 23.

08:45 – 09:10 Accueil par le Ministre de l’économie slovaque

09:15 – 10:30 I. Session plénière / TTIP - Ouverture par le ministre Peter Žiga (chef de délégation + 2 membres)

11:05 – 13:20 II. Session plénière

a) CETA

b) Modernisation des instruments de défense commerciale de l’UE

13:30 Photo de famille

13:45 – 15:10 Déjeuner de travail

Débat sur l’expiration de certaines dispositions du Protocole d’accès de la Chine à l’OMC

Remarques de conclusion

15:15 – 15:45 Conférence de presse

Peter Žiga et Cecilia Malmström

Attention : il s’agit d’une réunion INFORMELLE, qui n’est donc pas en mesure légale de voter sur l’un ou l’autre des dossiers.

Elle n’en a pas moins beaucoup d’importance pour le futur des accords transatlantiques et pour celui de la politique commerciale de l’Union européenne.

En effet la réunion vise à établir un inventaire exhaustif des positions des gouvernements de l’UE face aux trois dossiers, et notamment de mesurer la liste des difficultés techniques et politiques à résoudre pour permettre la signature du CETA le 27 octobre prochain lors du Sommet UE-Canada prévu à Bruxelles.

Dates clefs à venir :

  • 23 septembre – débat CETA et TAFTA à la réunion informelle du conseil de l’UE. Bratislava. Matthias Fekl y représentera la France.
  • 18 octobre – officialisation (ou non) de la décision prise le 23 septembre. Conseil de l’UE dans sa formation Affaires étrangères. Luxembourg.
  • 27 octobre - Sommet EU-Canada. Bruxelles. Signature officielle du CETA (ou pas), en présence de Trudeau.

CETA : état des lieux et enjeux de la réunion de Bratislava

Rappel des faits

La négociation du CETA, démarrée en 2008 (et principalement conduite par les administrations canadienne et européenne précédentes), s’est achevée en septembre 2014.

S’en est suivi une longue phase d’atermoiement liée à l’installation de l’administration la nouvelle commissaire au commerce Cecilia Malmström, à la conduite de la consultation de la DG Commerce sur l’arbitrage d’investissement, puis à la campagne électorale canadienne. Dans le même temps la défiance croissante de l’opinion publique, l’intervention critique d’experts et d’élus et les mobilisations citoyennes dans toute l’Europe remettaient en cause les chances.d’acceptation du traité.

En novembre 2015, la Commission européenne a fait connaître sa proposition de réforme de l’arbitrage d’investissement, puis conduit des négociations avec la nouvelle administration canadienne afin d’en définir une version qui pourrait être intégrée au traité déjà conclu depuis un an et demi.

C’est pourquoi la version finale du traitén’a finalement été publiée qu’en février 2016, avec un nouveau chapitre « Investissement ».

Nous en proposons une analyse ici.

Une controverse très politique sur le statut légal du traité

Le 5 juillet dernier, la Commission réunie en collège des Commissaires s’est prononcée sur le statut légal du traité, au terme d’une controverse de plusieurs semaines de bataille de compétences entre États membres et Commission, au cours de laquelle plusieurs gouvernements (Allemagne, France, Autriche notamment) avaient fait savoir qu’ils refuseraient tout traité que leurs parlements nationaux ne pourraient ratifier in fine.

La Commission a donc déclaré le CETA « mixte », cédant par là aux demandes de la majorité des 28. Elle a néanmoins assorti sa décision d’une réserve : elle considère quant à elle le traité comme relevant de compétence exclusive de l’UE, et n’a concédé la mixité aux capitales des 28 qu’aux fins de garantir l’approbation et la mise en œuvre de l’accord.

Quel est l’enjeu de cette décision ?

un traité « mixte » exige l’accord des 28 à l’unanimité pour être approuvé. Il doit en outre être ratifié dans les États membres pour prendre sa pleine force juridique, et entrer en vigueur de manière définitive et complète. En France, les traités commerciaux exigent un vote du Parlement pour être ratifiés.

Un traité « de compétence exclusive » appelle la majorité qualifiée des 28 (vote à la majorité pondéré par la population par pays). Il n’exige aucune ratification nationale.

L’application provisoire du traité

Légalement, l’approbation du Conseil suffit pour initier la mise en application des parties d’un accord commercial de compétence exclusive de l’UE. La DG Commerce préfère cependant attendre la validation du Parlement européen pour engager l’application du traité. Si le traité est mixte, il ne s’agit que d’une application dite « provisoire » et parcellaire, qui ne concerne pas les dispositions de compétence nationale. L’application de ces dernières est déclenchée par la ratification nationale.

Le Conseil de l’UE se prononcera officiellement le 18 octobre prochain.

Contrairement à l’habitude, la DG Commerce propose de scinder le vote des États membres au Conseil en trois décisions :

  • sur la signature de l’accord : http://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2016/FR/1-2016-444-FR-F1-1.PDF Le Conseil confirme en approuvant cette décision qu’il autorise le président actuel du Conseil à signer au nom de l’UE. Attention ! L’accord étant mixte, tous les États membres signeront formellement le traité le jour de la cérémonie, c’est nécessaire pour lui donner une valeur légale. Or cela n’est pas reflété dans le présent texte, qui va donc probablement devoir être amendé.
  • sur l’application provisoire : ordinairement l’application provisoire des volets de compétences communautaires est traitée dans la décision sur la signature, et considérée comme presque automatique.

L’application provisoire n’est pas obligée par le droit européen toutefois, et le CETA ne la prévoit pas automatiquement (à la différence d’autres accords, par exemple l’accord en cours de finalisation avec le Vietnam), de telle sorte que les États membres peuvent la refuser, en théorie par un vote - à l’unanimité des 28 (27 ?) – demandant la modification du texte de la décision proposée par la DG Commerce.

La DG Commerce a senti que ce pouvait être un sujet contentieux au Conseil, à la fois sur le principe (l’application provisoire est-elle acceptable) et son périmètre (quelles sont les dispositions qui relèvent de la compétence de l’UE et qui peuvent donc être appliquées tout de suite).

La séparation des deux décision est donc une manœuvre tactique pour qu’un éventuel désaccord sur les modalités et contours de l’application provisoire n’entrave pas la signature du traité. Il restera de toute façon quelques mois pour régler ce problème, jusqu’à la ratification du Parlement européen.

Ce que cela implique :

le débat sur l’application provisoire (cf infra) est délié de celui sur l’approbation du traité par les gouvernements. Il n’aura pas d’effet sur l’agenda d’approbation et de signature.

Enjeux de la réunion de Bratislava

La réunion de Bratislava (23 septembre) doit fournir l’occasion de faire l’inventaire des problèmes qui doivent être réglés afin que tous les États membres puissent approuver le traité et apposer leur signature lors de la cérémonie officielle prévue le 27 octobre.

Or pour l’heure :

  • plusieurs gouvernements, dont la Belgique et l’Autriche, disent ne pas être en mesure d’approuver le traité. En Belgique, le Premier ministre fédéral doit préalablement recueillir l’assentiment de tous les gouvernements régionaux, et le parlement de Wallonie est opposé au CETA. En Autriche, le Chancelier social-démocrate a organisé une consultation interne à son parti, qui s’est soldée par une victoire écrasante du Non au CETA ; sous réserve d’un consensus au sein du gouvernement, c’est la position que portera Vienne le 18 octobre. D’autres pays, la Slovénie ou la Hongrie, se disent très réticents.
  • La Roumanie et la Bulgarie exigent d’Ottawa que leurs ressortissants soient – comme les 26 autres États membres - exemptés de l’obligation de visa pour entrer sur le territoire canadien. Ils n’accepteront le traité qu’à ces conditions.
  • Le débat interne au SPD allemand, conduit par le ministre de l’économie Sigmar Gabriel qui avait engagé son mandat dans le dossier, a certes conduit le parti à prononcer son soutien au CETA, mais il a également mobilisé l’opinion, et conduit les syndicats à s’engager. Ceux-ci, qui sont formellement membres du SPD, ont exigé de la Commissaire Malmström et la ministre Freeland qu’elles s’engagent à une déclaration d’interprétation complémentaire au traité, qui garantirait l’innocuité des dispositions sur l’investissement du traité, et renforcerait les engagements des parties dans les domaines sociaux et environnementaux. Le contenu et le statut précis d’une telle déclaration restent à clarifier d’ici le 18 octobre, l’épisode met néanmoins la DG Commerce en difficulté : alors qu’elle affirme refuser de rouvrir les négociations avec le Canada, l’inclusion de telles garanties dans des formulations juridiquement efficaces, telles que la notice interprétative ajoutée à l’ALENA en 2001 concernant le chapitre 11 sur la protection des investissements, ne peut intervenir sans une discussion de niveau politique.
  • Les modalités précises de mise en œuvre provisoire du traité restent à clarifier. Beaucoup de gouvernements, dont ceux des « grands » pays membres – France, Allemagne, Pologne par exemple – exigent l’exclusion du chapitre 8 (Investissement/ICS) du champ de l’application provisoire et cela fera probablement consensus. D’autres dispositions devraient être exclues également : procédures de sanction des infractions à la propriété intellectuelle (ch. 20), dispositions relatives aux services financiers (ch.13) par exemple. L’application des chapitres 22, 23 et 24 (Développement durable, commerce et emploi, commerce et environnement) serait à la discrétion des gouvernements. La réunion de Bratislava devrait permettre de préciser les proposition faites aux États membres en la matière, afin qu’ils se prononcent d’ici le 18.

Deux scenarii sont possibles :

  • les États membres approuvent le CETA le 18 octobre. Dans ce cas il est envoyé au Parlement européen et la procédure de ratification s’enclenche. Elle devrait intervenir début 2017.
  • La proposition de la Commission n’obtient pas l’unanimité du Conseil. Dans ce cas la cérémonie de signature du 27 octobre devra être ajournée. Reste à savoir si les États membres s’accorderont pour donner à la Commission mandat de rouvrir les négociations avec Ottawa sur les aspects controversés. Ce serait une situation sans précédent.

Les ratifications nationales

La DG Commerce de la Commission a saisi la Cour de Justice européenne d’une demande d’avis sur le statut légal de l’accord de commerce et d’investissement conclu en 2013-2014 entre l’UE et Singapour. Celui-ci, dont la logique et le type de dispositions sont similaires à celles du CETA, posait déjà la question « compétence exclusive/mixité ».

L’avis de la CJUE clarifiera cette question controversée depuis 2010 et le transfert de toutes les compétences « commerce » et « investissement » des États membres à l’UE : un accord de commerce et d’investissement qui comporte une quantité marginale de dispositions de compétence nationale (coopération dans le domaine de l’environnement, des transports ou de l’énergie par exemple) doit être considéré mixte et ainsi exiger une approbation des instances compétentes dans les 28 États membres ? Si oui, la ratification nationale conditionne-t-elle l’entrée en vigueur définitive de tout le traité, ou seulement de ces dispositions de compétence nationale ?

Cet avis devrait intervenir d’ici fin 2016, et il influencera très certainement le processus d’approbation du CETA. En effet la DG Commerce espère que l’avis lui sera favorable :

  • en plaçant l’accord UE-Singapour sous la compétence exclusive de l’UE,
  • en donnant une valeur suffisamment générale à cette appréciation pour qu’elle puisse s’appliquer au CETA.

Dans ces conditions, les ratifications nationales perdraient grandement en importance, voire pourraient être annulées.

TAFTA : quelle situation à la veille du 15ème cycle de négociations ?

Le traité en négociation entre l’UE et les États-Unis depuis juillet 2013 se trouve incontestablement dans le creux de la vague.

  • les élections américaines ont porté le commerce au cœur de la campagne électorale. Les deux principaux candidats Hillary Clinton et Donald Trump se sont tous deux – pour des raisons différentes – montrés très critiques quant au bilan de la politique commerciale américaine, notamment à l’égard de l’ALENA, et ont pris l’engagement de renoncer aux projets de traité transpacifique et transatlantique, entre autres.
  • L’opinion publique américaine est très attachée à des politiques dont le démantèlement est directement ciblé par les Européens dans la négociation du TAFTA, en particulier les programmes qui réservent une partie importante des marchés publics fédéraux aux entreprises américaines (Buy American Act, Buy America, Berry Amendment) – et même si une partie de es entreprises américaines sont en réalité des filiales locales de multinationales étrangères. Impossible pour Washington de céder aux exigences de l’UE, et notamment de la France, en pleine campagne électorale.
  • Si les négociations progressent dans un certain nombre de domaines techniques (convergence réglementaire sectorielle ou transversale, accès au marché dans l’agriculture et les services...), les points « durs » de la négociation n’ont pas véritablement été abordés : produits agrioles sensibles, marchés publics, indications géographiques, libéralisation des services financiers, énergie, notamment.

Le 15ème cycle de négociation prévu à Washington toute la semaine du 3 octobre devrait permettre de poursuivre les discussions techniques, mais il ne permettra en aucun cas le déblocage de ces dossiers complexes.

Du côté européen, la réunion de Bratislava sera l’occasion d’un bilan politique du processus de négociation, et d’un examen des perspectives.

La plupart des grands pays européens (Allemagne, Italie, Espagne, Suède, République tchèque...) soutiennent les négociations et souhaitent qu’elles se poursuivent. D’autres, plus petits (Grèce, Slovénie, Autriche par exemple), sont très critiques mais dans l’incapacité politique de stopper le processus, même coalisés face à l’alliance des grands pays.

QUID de la France ?

Le Secrétaire d’État au commerce extérieur Matthias Fekl a annoncé le 30 août dernier la décision de la France d’appeler à la fin des négociations.

Il convient toutefois de mettre ces déclarations en perspective :

  • depuis plus d’un an, la France annonce régulièrement son intention de sortir des négociations sans que ces déclarations ne soient relayées par des actions concrètes à Bruxelles. Les comptes-rendus des Comités de politique commerciale expriment même la satisfaction française à l’égard de la conduite du dossier par Bruxelles.
  • Paris appelle à la fin des négociations dans l’objectif réel de les influencer, et de presser in fine Washington à des concessions.
  • Les conditions d’arrêt d’une négociation commerciale ne sont pas définies par les traités européens, et la France se trouve prise à son propre piège. En 2013, lors de l’élaboration et du vote du mandat de négociation par le Conseil, celle-ci avait imposé l’unanimité des 28 pour l’approuver, ce afin d’obtenir la garantie d’une « exception culturelle » (en réalité une exception partielle sur l’audiovisuel). A défaut de règle précise, la coutume appellerait aujourd’hui l’unanimité des 28 pour suspendre les négociations, en perspective ou non d’une redéfinition du mandat

En somme, la France n’a pas de solution juridique. La seule issue est politique : la France doit construire une alliance capable de faire basculer le Conseil, négocier politiquement une sortie des négociations contre des concessions dans d’autres dossiers brûlants à Bruxelles, voire s’imposer unilatéralement.

La réunion de Bratislava, même informelle, sera donc décisive à bien des égards pour le futur des accords transatlantiques et c’est même toute la crédibilité de la politique commerciale de l’UE, et de la Commission qui les conduit, qui semble liée au sort du TAFTA et du CETA.

Nombre de négociations sont en jeu, le TiSA (Accord plurilatéral sur la libéralisation des services) ou les accords en négociation avec le Mercosur, la Tunisie, la Birmanie et l’Indonésie, de même que les projets avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande notamment.

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