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Quelle utilité publique ?

Publié par Alexia Rivet, le 5 novembre 2020.

Dans cet article, Alexia Rivet, de la Convergence des Alternatives à Europacity, interroge l’utilité publique, alors que Grand Paris Express s’apprête à installer un gare de la future ligne 17 du métro du Grand Paris en plein champ, au triangle des Gonesses, sur les dernières terres arables d’Ile-de-France

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Historiquement, la notion d’utilité publique se définit dans son contexte de "déclaration d’utilité publique" liée au processus d’expropriation. En effet, la constitution érige le droit de propriété en droit inaliénable sauf en cas d’utilité publique. Un tel enjeu justifie à lui seule l’importance extrême d’être bien d’accords sur la notion d’utilité publique.

Cette notion n’a pas de définition stricte, il n’existe pas de critères tout établis, de définition arrêté. L’utilité publique se définit à chaque fois que la question se pose sous la forme d’une enquête publique.

A l’origine outils de contestation pour les propriétaires expropriés, l’enquête publique s’est surtout développé à partir des années 80 quand la loi Bouchardeau et son décret d’application n°85-453 du 23 avril 1985 définissent l’enquête publique comme la condition de « réalisation d’aménagements, d’ouvrages, de travaux exécutés par des personnes publiques ou privées, lorsqu’en raison de leur nature, de leur consistance ou du caractère des zones concernées, ces opérations sont susceptibles d’affecter l’environnementt ». La Déclaration de Rio de 1992 déclare dans son principe 10 que « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens » puis la convention Aarhus en 2002 intègre un nouveau chapitre intitulé « Participation du public à l’élaboration des projets d’aménagement ou d’équipement ayant une incidence importante sur l’environnement ou l’aménagement du territoire ».

Ainsi définir l"utilité publique et défendre l’environnement sont directement de la responsabilité des citoyens pour lesquels sont organisés des débats publics dans un bel esprit de démocratie participative. Bien que la forme de l’enquête et de débat publique aient normalement été affinés, on leur a souvent fait la critique que ces débats n’arrivaient qu’à la fin et qu’ils débutaient dans une ambiance d’après-coup et de fait accompli. La toute récente loi ASAP semble bien aller dans ce sens en réduisant encore un peu plus les moyens donnés à l’enquête publique, quand elle ne se transforme pas en vague consultation.

Encore une fois le triptique logique résponsabilité-moyen-reconnaissance est honteusement déformé pour laisser le moins de moyens possibles aux citoyens à assumer cette responsabilité pourtant juridiquement établie et d’un poids essentiel : faire entendre la voix de l’environnement. Face à des projets tellement énormes et voraces qui entendent s’imposer en déracinant des personnes et en bouleversant un territoire la seule défense de ceux qui sont le territoire se réduit de plus en plus. Car, avant d’être un combat potentiellement politique, écologie et environnement sont des choses simples, évidentes : le paysage, l’ambiance, la sécurité, le bien-être etc. Parler pour son environnement et le défendre face à ceux que la spéculation foncière veut imposer comme voisin c’est parler de soi, de son histoire et du sens qu’elle s’est dessiné dans ce territoire. C’est défendre le territoire face à ceux qui ne tiennent que les cartes et les chiffres, ré-imposer du réel, accepter ou non un événement plus ou moins bouleversant dans le théâtre physique de nos vies. En cela l’utilité ne peut être effectivement défini que par ceux pour qui le territoire est si utile qu’il constitue leur foyer.

Pourtant l’énoncé est rendu fortement trompeur par l’adjectif "publique". Le "publique", la force publique n’est pas la volonté citoyenne ; c’est a priori son expression par les décisions prises par ceux que l’acte citoyen du vote désigne comme représentants du pouvoir public. Ainsi on ne sait plus si on doit défendre l’utilité pour soi ou l’utilité pour l’Etat. L’effet est effectivement renforcé par l’avènement tardif du débat publique dans la procédure. Il ne s’agit plus alors de définir l’utilité mais définir l’utilité pour l"Etat d’un projet soutenu par l’Etat. Comme dit l’expression : on ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif et la question prend un sens absolument rhétorique, presque de simple politesse sinon de mépris à peine voilé. Aujourd’hui mépris également du pouvoir juridique et de ses conséquences.

Le cas du projet de ligne 17 sur le Triangle de Gonesse est en cela édifiant. Anciennement destiné à desservir un projet inutile pour la région, détruisant des terres fertiles sur un territoire n’ayant plus de sécurité alimentaire, gare en plein champ à 2 km des premiers habitants ce projet est aujourd’hui suspendu par une décision judiciaire qui sera rendue le 5 novembre par le Tribunal d’appel de Versaille. Une décision judiciaire car, justement, le manque de considération des conséquences environnementales ont fini par remettre en cause le projet en l’état. La seule parole citoyenne ne suffisait pas, il a fallu s’en remettre à la justice. Mais vers qui peut-on se tourner quand même une décision juridique est tournée en simple formalité administrative ?

L’enquête publique parcellaire "en vue de déterminer, la liste des propriétaires et ayants droit des biens immobiliers dont la maîtrise foncière est nécessaire à la réalisation, sur les territoires de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne et du Val d’Oise, de la ligne 17 Nord du métro automatique du réseau de transport public du Grand Paris, et de procéder, à l’amiable ou par voie d’expropriation, à leur acquisition" se tient, par décision préfectorale, depuis le 20 octobre et jusqu’au 20 novembre 2020. De débat publique il n’y en a pas quand il est organisé pour exproprier et acquérir des terrains pour un projet jugé juridiquement invalide. Ne mettrait-on pas la charrue avant les bœufs ? Comme demandez les clefs de voiture à un ami avant même de savoir si il veut bien nous la prêter. S’agit-il d’un manque de politesse, d’un égocentrisme forcené ou d’un réel et franc déni de l’existence de la justice ? A vraie dire la réalité est bien plus pragmatique : il s’agit d’un passage en force et d’un exemple frappant de l’Etat n’étant pas au service de ses citoyens mais agissant contre eux. Contre leur sécurité alimentaire, contre la préservation du patrimoine commun, contre leur avis, contre leur droit et responsabilité légitime à émettre un avis éclairé dans un processus qui respecte les règles. Comprenons-bien : les citoyens doivent émettre un avis sur l’accaparement de terres pour un projet qui n’a pas encore pleinement démontré sa pleine conscience et son respect de celles-ci. Un projet pour le moment rendu invalide par la justice, un projet sans Autorisation Environnemental et d’autant plus un projet sans projet puisqu’on ne sait toujours pas ce que cette gare en plein champs est sensée desservir ! Là où tout pousse à la réflexion et au débat, là où il faudrait tout reprendre de zéro et revoir les bases l’Etat précipite, impose, joue au jeu du fait accomplis.

En pleine crise écologique et sociale et face à son échec cuisant de prendre la pleine mesure des enjeux, la force publique ne peut plus prendre le risque d’être mise face à ses contradictions et, comme pour toute situation où l’on essaye plus de convaincre par les mots et le bon sens, reste la force brute.

Serait-ce là le vrai visage de leur "Grand Paris" ? Non pas un adjectif conceptuel et lyrique renvoyant à un accroissement positif mais bien le signe d’un rapport de force, le message clair de cette volonté à s’imposer. Le Grand Paris contre les petits territoires, les "petites gens", le Grand Paris qui en se désignant comme tel définis tout ce qui n’est pas lui comme petit et insignifiant ? Un proverbe bien connu des psychologues dit "le délire n’est pas dans le thème, il est dans la conviction" et, si il est légitime et logique de débattre de ce projet (on peut être pour le Grand Paris), il n’est par contre pas concevable de le voir ainsi imposer sa conviction en niant toute la réalité. Lancer une enquête publique pour s’accaparer des terres alors même que le projet qui justifierait ces expropriations n’est pas validé par la justice est un non-sens complet, un délire, une torsion du réel pour en imposer le sens.

Pourtant , aujourd’hui plus que jamais, il est plus que nécessaire de tirer les leçons du passer et de ne plus passer à côté du sens, de donner les définitions justes et partagées de ce qui nous entoure. Aujourd’hui prenons le mot au pied de la lettre et demandons-nous : quelle utilité publique ? Est-ce qu’une gare, des entrepôts de logistiques, toujours plus de cette économie globalisée qui nous fait défaut sont plus utiles que des terres agricoles ? Est-ce que plus d’artificialisation est plus utile que moins ? Est-ce qu’il est plus urgent de se tourner vers le poids d’une capitale que vers les ressources qui rendent notre territoire résilient ? Est-ce plus urgent de créer des emplois au prix du bétons ou en créer au bénéfice de la terre ?

C’est une enquête d’utilité publique alors posons-nous la question : qu’est-ce qui est le plus utile ?



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