AITEC
Bouton menu

Monnaie et hégémonie, la parabole du jeune homme amateur de bijoux - Michel Doucin - 2004

Publié par , le 8 mars 2004.

EconomieFinances publiques



Partager :

bouton facebook bouton twitter Bouton imprimer

La question de la monnaie de référence dans les relations internationales et celle du déséquilibre de la balance des paiements du pays dont la monnaie est principale instrument de réserve sont parmi les plus complexes qu’ait à traiter la science économique. En effet, il nous est difficile de nous abstraire de notre condition de pauvres citoyens qui surveillons fébrilement nos comptes bancaires, angoissés à la perspectives d’être jamais à découvert, et de nous projeter dans un univers fabuleux où vivre avec un gigantesque découvert arrange tout le monde.

La première étape conceptuelle à franchir est de penser que la monnaie n’est qu’un fiction, comme l’atteste le fait que l’essentiel de la masse monétaire, à l’échelle d’un pays est constitué, non de billets et pièces, mais de simples écritures comptables, dites « scripturales », sans aucune référence à l’existence d’un stock de richesses (or ou autre) sur lequel elles seraient gagées. On demande simplement aux banques, qui autorisent une grande partie de ces écritures (mais de moins en moins car se développe beaucoup plus vite l’activité bancaire interne des entreprises multinationales accompagnant leurs activités de production, 1/3 des échanges mondiaux) de respecter un ratio très bas, de l’ordre de 15 %.

La seconde étape conceptuelle est de penser qu’un pays a la chance que sa monnaie soit nécessaire, comme unité de valeur, à l’ensemble du système des échanges mondiaux, de même que le mètre étalon est indispensable aux scientifiques, et que pour cela, il faut qu’il vive au dessus de ces moyens.

Alfred Sauvy a, dans « La machine à chômage », donné une anecdote qui, transposée à notre sujet, en donne une compréhension intuitive assez bonne.

Un jeune homme entre dans un bijouterie et achète une bague de 10. 000 dollars qu’il paie avec un chèque ; le bijoutier, satisfait de cette recette, achète une voiture qu’il désirait, depuis quelques temps déjà et endosse, à cet effet le chèque. Le garagiste heureux achète un mobilier pour sa chambre et endosse, lui aussi, le chèque. Et le circuit se produit jusqu’au 10ème possesseur du chèque, qui n’acquiert rien, présente le chèque à la banque et apprend qu’il est sans provision.

Les dix commerçants se réunissent et décident de se partager en parties égales la perte de 10.000 dollars : chacun doit perdre 1000 dollars et s’y résigne. Le bijoutier annonce, cependant, qu’il ne perdra pas 1000 dollars, car la vente lui a permis de gagner 2000 dollars. Il gagne, net 1000 dollars.

Chacun s’aperçoit alors qu’il est dans le même cas. Ainsi, les dix commerçants ont gagné chacun 1000 dollars. En outre, le jeune homme a eu une bague pour rien.

Aujourd’hui, si on ne peut plus endosser de chèque en France, n’étant qu’un simple particulier, par contre les banques peuvent toujours le faire. C’est ce qu’elles font couramment.

Dès lors, nous pouvons dire que le jeune homme, c’est la Réserve fédérale américaine et que les commerçants, ce sont les banques centrales des pays qui utilisent le dollar comme monnaie de référence principale, c’est-à-dire, le reste du monde. La Fed émet des chèques sans provision en dollars sous forme d’un déficit de sa balance des paiements (résultant éventuellement d’un déficit du budget de l’Etat, comme actuellement), ce qui arrange tout le reste du monde qui peut s’en servir pour des transactions financières qui, à chaque étape, dégagent la valeur ajoutée liée aux processus productifs, et finalement des revenus pou les particuliers.

Le système est immoral si on pense que le jeune homme ne devrait pas impunément s’enrichir d’une bague ; moral si on voit dans le système international actuel un jeu d’argent qui a besoin d’un caissier en chef.

Deux solutions : soit on change de caissier en chef, c’est ce qu’essaie peut-être de faire l’eurozone en laissant s’apprécier fortement sa monnaie ; soit on invente un autre système, tel que la monnaie de référence, étape conceptuelle supplémentaire à franchir, ne serait d’aucun pays, une monnaie internationale en soi (Keynes l’avait suggéré). Mais sans doute la solution deux n’est-elle réaliste qu’une fois la solution un au moins partiellement réalisée, car le jeune homme n’a aucune envie de payer vraiment sa bague, en l’occurrence, l’US Army, le système de recherche public américain, la NASA, bref un système impérial dont il est convaincu qu’il est bénéfique au reste du monde et que celui-ci doit le payer.

Reste une question : il y a peut-être des commerçants qui dégagent des marges bénéficiaires si faibles, qu’ils perdent lorsqu’ils se cotisent pour rembourser les frasques du jeune homme prodigue ? C’est sans doute vrai, mais cela demande approfondissement ; quid en effet des effets de la zone franc-euro sur les économies africaines aujourd’hui ?

Un sujet à creuser. Cherche économistes sans œillères pour ce faire.