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A chacun son NEPAD - Frédéric Morteau - 2003

Publié par , le 9 mars 2003.

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Un label désormais obligatoire

Le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique ou NEPAD, selon l’abréviation usuelle, semble être devenu une référence obligatoire de tout discours sur l’Afrique, voire le label obligatoire de tout projet ou programme digne d’intérêt. Il semble en voie de prendre le relais de l’initiative pour la réduction de la dette des pays pauvres et très endettés (Initiative PPTE), dont la portée apparaît de plus en plus limitée, et de la lutte contre la pauvreté, telle que l’entend l’axe FMI-Banque mondiale dans sa rénovation du vocabulaire de l’ajustement structurel, dès lors qu’il s’agit de produire un discours optimiste sur le redressement de l’Afrique.

Le NEPAD a constitué un thème dominant du Sommet Franco-Africain réuni à Paris en février dernier et devrait, malgré les débats sur l’occupation de l’Irak et les préoccupations liées à la stagnation de l’économie mondiale, rester un thème majeur du prochain Sommet du G8 qui se réunit à Evian début juin 2003. Son analyse présente donc une importance particulière pour les organisations françaises de solidarité internationale.

Le NEPAD semble présenter à première vue quelques aspects attrayants. Reconnu comme une initiative définie et conduite par les africains eux-mêmes, le NEPAD semble rompre avec la logique des conditionnalités imposées de l’extérieur, depuis le début des années 80. Initiative légitimée à l’échelle du continent, privilégiant l’intégration régionale, il semble de nature à renforcer la solidarité africaine et le poids du continent face à ses interlocuteurs extérieurs et à faire progresser le continent vers l’unité politique et économique. Mettant au premier plan les initiatives visant à la paix et à la sécurité, à la démocratie et aux droits de l’homme, à la bonne gestion des affaires publiques, le NEPAD semble prendre en compte des aspects politiques essentiels et conformes à l’intérêt des peuples. Le NEPAD, faisant notamment référence aux objectifs du développement international inclus dans la Déclaration du Millénaire, se propose d’éliminer la pauvreté et de placer l’Afrique sur la voie de la croissance et du développement durable, en mettant fin à sa marginalisation, objectifs qu’il est difficile de contester.

Il est remarquable que les principes du NEPAD semblent avoir recueilli le soutien de l’ensemble des nations, comme en témoigne le débat organisé en septembre 2002 à l’Assemblée générale des Nations-Unies, et de l’ensemble des bailleurs de fonds bilatéraux ou multilatéraux. Le NEPAD semble avoir donc réussi à replacer, de manière remarquablement consensuelle, le développement de l’Afrique au centre des débats internationaux. Il se pare de plus d’une appellation d’origine africaine contrôlée, accordée à l’unanimité des Etats de l’Union africaine.

Une telle unanimité apparente est évidemment surprenante. Elle pose problème et exige des analyses sérieuses de la part des organisations de solidarité internationale, qui refusent de s’en tenir aux apparences et aux discours et souhaitent pouvoir évaluer, en liaison avec leurs partenaires du Sud, la réalité du développement de l’Afrique et des contributions que les dirigeants du Nord affirment lui apporter.

Un objet inclassable et inachevé

Les analyses du NEPAD s’avèrent délicates. Bien que cité sans cesse, le NEPAD reste méconnu. Il est le plus souvent cité sans faire référence à un texte officiel.

Il s’agit par ailleurs d’une initiative récente, puisqu’elle n’apparaît, sous un nom d’ailleurs différent, qu’en juillet 2001. Ses réalisations concrètes semblent pour le moment quasi-inexistantes. Sa nature ambiguë, son caractère multiforme et évolutif en rendent l’approche malaisée.

Vu du côté des Chefs d’Etat promoteurs du NEPAD, un "partenariat pour un programme" (MAP) et un "plan" (OMEGA) ont été fusionnés en une "initiative" ("Nouvelle initiative africaine"), qui a ensuite pris le nom de "partenariat" (le NEPAD), parfois qualifié de "cadre de développement" ou de "processus", lui-même source de multiples "initiatives" sectorielles (pour la paix et la sécurité, pour la démocratie et la gouvernance politique, pour la gouvernance économique et d’entreprise, pour les infrastructures, pour l’environnement, pour les flux de capitaux, pour l’accès aux marchés, etc.), à partir desquelles des "plans d’action" et des "programmes prioritaires" sont en cours d’élaboration.

La consultation des documents du NEPAD fait apparaître un vaste catalogue, parfois confus, de programmes et de projets, classés selon des listes de priorités variables, faisant généralement peu de cas de l’analyse de leur vraisemblance et des conditions concrètes de leur mise en œuvre, notamment en termes de ressources nécessaires. Elle donne une impression d’inachèvement, mais celle-ci n’est pas surprenante, compte tenu de la jeunesse de l’initiative. Cet inachèvement est même revendiqué par ses promoteurs : la mise en œuvre des actions les plus urgentes en matière d’infrastructures est ainsi laissée à l’initiative des "communautés économiques régionales", cependant qu’un plan d’action à moyen et long terme doit être élaboré sur une période de 18 mois à partir de début 2003.

Pour tenter d’y voir clair, il paraît donc indispensable de revenir aux sources. Nous tenterons donc d’identifier la genèse du NEPAD, d’en analyser le contenu apparent à partir de quelques textes de base à caractère officiel, en particulier le texte fondateur approuvé en octobre 2001.

Nous tenterons ensuite d’en apprécier la consistance réelle à la lumière des évolutions ou tentative d’applications intervenues depuis cette date (déclaration sur la démocratie et la gouvernance politique économique et d’entreprise, mécanisme d’examen par les pairs, plan d’action initial de juillet 2002, actions de promotion et de recherche de financement), d’en cerner les perceptions par ses "partenaires" (bailleurs de fonds, entreprises du nord), nous efforçant ainsi de comprendre le rôle central qu’a pris le NEPAD dans le discours sur l’Afrique.

Nous examinerons enfin quelques réactions des organisations de la société civile africaine, avant de proposer quelques constatations et interrogations de synthèse, pouvant contribuer à définir de premières orientations pour les organisations françaises de solidarité internationale.

Les origines du NEPAD

Le NEPAD trouve son origine dans les appels à la "Renaissance africaine" lancés par le Président sud-africain Thabo Mbeki dès sa prise de fonctions et dans les travaux menés à l’initiative de celui-ci à partir de septembre 2000.

Le NEPAD se réfère clairement aux aspirations à l’unité africaine. Il concrétise ces aspirations en présentant une initiative réellement régionale. Initiative ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble du Continent, elle tire sa légitimité de son approbation, sous le nom de "Nouvelle initiative africaine", par le Sommet de l’Organisation de l’unité africaine, réuni le 11 juillet 2001 à Lusaka. Ce même sommet avait pris acte de la transformation de l’Organisation de l’unité africaine en Union africaine, à la suite de l’entrée en vigueur de son acte constitutif.

Le "Millennium Partnership for the African Recovery Programme" (programme MAP), proposé par les Présidents Thabo Mbeki, d’Afrique du sud, Abdelaziz Bouteflika, d’Algérie, et Olusegun Obasanjo, du Nigeria, mandatés par l’Organisation de l’unité africaine, peut être considéré comme la principale source du NEPAD. br>

Le programme MAP a été soutenu dès l’origine par la Banque africaine de développement et par la Commission des Nations-unies pour l’Afrique. Un "pacte pour le redressement de l’Afrique", élaboré en avril 2001 par cette commission, a été considéré comme une contribution technique des Nations-unies à la mise en œuvre du programme MAP. On retrouve pratiquement l’ensemble des analyses et des propositions du programme dans le document de base du NEPAD, approuvé en octobre 2001.

Le Plan OMEGA du Président sénégalais Abdoulaye Wade, présenté au sommet franco-africain de Yaoundé en janvier 2001, est largement apparu comme un concurrent francophone du programme MAP. Contrairement au programme MAP, le plan OMEGA n’accordait aucune place aux questions politiques. Il développait une approche relativement simpliste, en termes d’écart à combler par des investissements massifs, dans quatre secteurs prioritaires : infrastructures, éducation, santé et agriculture (ces trois derniers secteurs étant eux-mêmes largement perçus en termes d’infrastructures). Le Plan OMEGA semble avoir eu surtout pour effet d’imposer le Président sénégalais dans le groupe dirigeant du NEPAD. Il aurait pu avoir le mérite d’assurer la présence d’un pays plus petit et plus pauvre et qui aurait pu, à ce titre, être plus représentatif, si ses dirigeants avaient su se départir d’une tendance à la grandiloquence, voire à la mégalomanie.

L’élaboration d’une initiative unique a été immédiatement recommandée par le Sommet de l’OUA, réuni à Syrte en mars 2001, puis concrétisée avec l’aide de la Commission économique pour l’Afrique des Nations-Unies, après la Conférence des ministres africains des finances et du plan réuni à Alger en mai 2001.

La "Nouvelle initiative africaine", résultant de la fusion des deux initiatives, a été finalement approuvée par le Sommet de l’OUA en juillet 2001.

La concrétisation de l’initiative a été déléguée à un Comité de mise en œuvre composé de quinze chefs d’Etat (trois par grandes sous-régions) (1), présidé par le Président Olusegun Obasanjo, avec pour Vice-Présidents le président algérien Abdelaziz Bouteflika et le président sénégalais Abdoulaye Wade. Les autres structures de la "Nouvelle initiative africaine" consistaient en un Comité de pilotage, composé de représentants des cinq pays considérés comme fondateurs (Algérie, Sénégal, Afrique du sud, Nigeria et l’Egypte, qui s’était ajoutée entre temps aux quatre autres pays), présidé par le Professeur Wiseman Nkuhlu, représentant l’Afrique du sud, et par un secrétariat de cinq personnes, basé à Midrand, au siège de la Development Bank of Southern Africa.

Le succès de l’initiative a résulté essentiellement de l’accueil qui lui a été immédiatement fait par les pays développés, dès le Sommet du G8 réuni à Gênes en juillet 2001. Une brève déclaration du 21 juillet 2001 a salué la "Nouvelle initiative africaine". Il a été décidé d’établir un nouveau partenariat et de préparer un "Plan de Gênes pour l’Afrique", consacré aux thèmes-clefs de la "Nouvelle initiative africaine" : démocratie et gouvernance politique, prévention et réduction des conflits, développement humain, technologies de l’information et de la communication, gouvernance économique et d’entreprise, lutte contre la corruption, encouragement des investissements privés, accroissement des échanges, lutte contre la faim. Ceci conduira au Plan d’action pour l’Afrique qui sera adopté au Sommet du G 8 de juin 2002. On note déjà une sélectivité dans les thèmes retenus, une grande discrétion à propos des infrastructures et l’absence de prise en compte de la question de la dette, si ce n’est par une allusion aux ressources libérées par l’initiative PPTE.

Le contenu de l’initiative a été précisé à l’occasion de la première réunion du Comité de mise en œuvre des Chefs d’Etat et de Gouvernement réuni à Abuja, le 23 octobre 2001. Le nom officiel de "New Partnership for Africa’s Development" (NEPAD) a été adopté et le document de base du NEPAD, très proche de celui de la "Nouvelle initiative africaine", a été approuvé à cette occasion.

Les autres décisions du Comité concernaient la confirmation des structures du NEPAD, le lancement d’un plan de promotion, aux niveaux des Etats, des sous-régions, du continent et au niveau international, avec l’objectif d’obtenir des soutiens internes, de faciliter des partenariats publics-privés et de renforcer le partenariat international (notamment la préparation d’une Conférence sur le financement du NEPAD à Dakar, alors prévue en janvier 2002), le principe de la mise au point de normes de bonne gestion des affaires publiques, d’un mécanisme d’examen par les pairs et d’un code de bonne conduite, la création d’un sous-comité pour la paix et la sécurité et enfin la mise en place de groupes de travail coordonnés par diverses institutions pour la préparation de programmes et projets dans cinq secteurs considérés comme prioritaires : renforcement des compétences en matière de paix et sécurité (OUA), gouvernance économique et d’entreprise (Commission économique pour l’Afrique des Nations unies), infrastructures (BAD), banques centrales et normes financières (BAD), agriculture et accès aux marchés (OUA).

On note dans cet historique de l’élaboration du NEPAD le rôle dominant de quelques Chefs d’Etat de pays peu représentatifs de l’ensemble du continent : deux pays pétroliers, le seul pays émergent en Afrique sub-saharienne et le principal bénéficiaire de l’aide américaine en Afrique. Des éléments tels que les objectifs initiaux de l’Afrique du sud, le rôle du Sénégal, l’arrivée inattendue de l’Egypte posent des questions de stratégie politique qui mériteraient d’être approfondies.

Le texte fondateur d’Octobre 2001

Le document approuvé en octobre 2001 à Abuja a été largement élaboré à partir de la "Nouvelle initiative africaine", elle-même très inspirée du document du programme MAP.

Le document se présente comme un engagement des dirigeants africains à éliminer la pauvreté, à reprendre la croissance et le développement et à intégrer l’Afrique dans la mondialisation, au titre d’une nouvelle relation de partenariat avec la communauté internationale.

Il fait référence aux objectifs du développement mondial, exprimés notamment dans la Déclaration du Millénaire de septembre 2000, en matière de réduction de la pauvreté, de santé et d’éducation.

A côté d’un discours peu convaincant sur l’importance des ressources ou des marchés africains, en terme de commerce ou d’investissements, le développement de l’Afrique est présenté comme étant de l’intérêt des pays développés, mentionnant la stabilité mondiale, les migrations, l’environnement, faisant appel, sans le citer, au concept de "biens publics mondiaux".

Certains éléments historiques ayant conduit à l’appauvrissement de l’Afrique sont rappelés, sans toutefois passer sous silence les responsabilités des dirigeants africains.

L’ajustement structurel est rapidement évoqué : il est considéré comme ayant éliminé des distorsions de prix, mais ayant accordé une attention insuffisante aux services sociaux et obtenu de faibles résultats en terme de croissance durable. Aucune conséquence n’est cependant tirée de cette critique fondamentale quant aux relations avec les Institutions de Bretton Woods et un net soutien à leurs approches est mentionné, à propos de la réduction de la pauvreté, sans noter la continuité dans l’ajustement structurel derrière les récents changements de vocabulaire.

Le document souligne la marginalisation de l’Afrique dans la "révolution économique" que constituerait une mondialisation accélérée par les progrès des technologies de l’information et de la communication, sans qu’apparaissent clairement les facteurs qui permettraient le renversement des tendances que se propose le NEPAD, en dehors du volontarisme de quelques dirigeants africains et d’une prise de conscience et d’un sursaut de bonne volonté attendus de la communauté internationale.

Les considérations politiques et institutionnelles tiennent une large place dans le programme d’action, qui présente une Initiative pour la paix et la sécurité, une Initiative pour la démocratie et la gouvernance politique, une Initiative pour la gouvernance économique et d’entreprise, ces diverses initiatives étant présentées comme des conditions d’un développement durable.

Les principes démocratiques auxquels il est fait référence sont ceux de la démocratie parlementaire occidentale, enrichie de quelques références à la société civile et aux processus participatifs. Aucune spécificité dans l’exercice de la démocratie n’est évoquée, que ce soit au titre des conditions socio-économiques ou de particularités culturelles du continent.

Le document présente les priorités sectorielles du NEPAD. En matière d’infrastructures, elles concernent les technologies de l’information et de la communication, l’énergie, les transports, l’eau et l’assainissement. Ces secteurs y sont traités de manière très inégale. Une large place est faite aux technologies de l’information et de la communication alors que l’eau et l’assainissement sont traités de manière très sommaire. Il est clairement indiqué que le plan d’action ne prend en compte que les infrastructures régionales.

La réduction de la pauvreté est traitée comme un sous-chapitre de l’initiative de développement des ressources humaines, aux côtés de l’éducation (complétée par des considérations sur l’exode des cerveaux) et de la santé.

Le plan d’action présente un chapitre relatif à l’agriculture, une Initiative pour l’environnement, quelques rapides considérations sur la culture, une Plate-forme pour la science et la technologie.

Compte tenu de l’importance des besoins de financement, l’initiative pour les flux de capitaux est évidemment un chapitre essentiel du document.

Les besoins sont estimés à 64 milliards de dollars par an, dont il est indiqué que la majeure partie ne pourrait provenir que de l’extérieur. (2)

Une extension des mesures de réduction de la dette est notamment proposée. Une réforme de l’initiative PPTE fixant des plafonds en proportion des recettes fiscales est proposée. La réduction de la dette est considérée comme un programme à mettre en œuvre de manière accélérée. Les dirigeants du NEPAD sont supposés négocier des accords pour obtenir des réductions supplémentaires de dettes, parallèlement à l’engagement de ressources concessionnelles. Ce qui pourrait apparaître ici comme un premier pas vers la constitution d’un front commun des débiteurs africains n’aura cependant aucune suite.

On note que les initiatives politiques et institutionnelles sont présentées comme des préalables à la mobilisation des ressources au titre de l’initiative pour les flux de capitaux, ce qui permettra aux bailleurs de fonds de reprendre des conditionnalités, notamment politiques, proposées par les africains eux-mêmes.

La paix et la sécurité étant considérées comme des conditions du développement, on s’abstient ainsi de toute réflexion sur la causalité inverse que constitue l’influence des crises économiques et sociales sur l’instabilité et les conflits et l’on justifie potentiellement l’abandon des pays en crise à leur sort.

La réforme de l’aide publique au développement est brièvement évoquée, un accroissement de l’aide semblant n’être attendu qu’à moyen terme.

Contrastant avec une extrême prudence sur les questions de la dette et de l’aide publique au développement, un grand cas est fait en revanche des flux de capitaux privés, notamment sous l’aspect de partenariats public-privé. Aucune estimation n’est cependant faite de la répartition entre apports privés et publics. Aucune référence n’est faite à la stagnation des investissements directs étrangers au sud depuis 1997, puis au fort recul enregistré entre 2001 et 2002, ni au faible niveau (seulement 7 milliards de dollars de flux nets en Afrique sub-saharienne (3) sur 143 milliards de dollars pour l’ensemble des pays en développement en 2002) et à la structure actuelle des investissements directs étrangers en Afrique : une grande partie des investissements directs étrangers en Afrique sub-saharienne se concentrent ainsi dans trois pays (deux pays pétroliers, l’Angola et le Nigeria, et l’Afrique du sud, seul pays pouvant être actuellement considéré comme émergent). Une telle concentration des flux sur quelques pays et quelques secteurs est malheureusement conforme à l’expérience historique des investissements directs étrangers dans d’autres continents.

Le rôle (illusoire) ainsi assigné au secteur privé permet largement aux bailleurs de fonds de se soustraire à leurs responsabilités.

Le document aborde au titre de l’Initiative pour l’accès au marché : la diversification des productions agricoles, les mines, l’industrie, le tourisme, les services, la promotion du secteur privé, la promotion des exportations, l’élimination des barrières douanières.

Quelques engagements sont demandés aux pays développés et aux institutions multilatérales : accélérer l’initiative PPTE, réduire la dette des pays à revenus intermédiaires, accroître l’aide publique au développement (en rappelant l’objectif de 0,7 % du PIB), assurer l’accès de l’Afrique aux médicaments, assurer l’accès aux marchés, favoriser les investissements, etc.

Quatre programmes sont supposés faire l’objet d’une mise en œuvre accélérée : lutte contre les épidémies (SIDA, malaria et tuberculose), technologies de l’information et de la communication, réduction de la dette et accès au marché.

L’analyse des besoins et la préparation des programmes sont supposées se poursuivre selon un processus partant du niveau national et passant au niveau sous-régional, puis au niveau continental, inversant en quelque sorte le processus suivi jusqu’alors, bien que le seul mécanisme institutionnel décrit à ce stade concerne le Comité de mise en œuvre des Chefs d’Etat.

Evolutions et premières tentatives d’application

Conformément aux décisions du Comité de mise en œuvre, les structures du NEPAD ont poursuivi les actions de promotion et de recherche de financements, largement engagées avant la réunion d’Abuja, parallèlement à un approfondissement du contenu.

Il a évidemment été question du NEPAD à la Conférence de Monterrey sur le financement du développement, en mars 2002, au Sommet du G8 de Kananaskis, en juin 2002, au Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg (26 août-4 septembre 2002), puis à l’Assemblée générale des Nations-Unies, lors d’une réunion plénière de haut niveau exclusivement consacrée au NEPAD, le 16 septembre 2002, pour ne citer que quelques exemples.

En matière de promotion et de recherche de financements, la conférence réunie à Dakar en avril 2002 est symptomatique des ambiguïtés et des illusions du NEPAD. Alors qu’il s’agissait d’une "Conférence internationale sur le financement du NEPAD", il n’y fut question que des financements qui étaient supposés résulter de partenariats avec le secteur privé, en particulier dans de grands projets d’infrastructures. Il s’est agi d’une manifestation médiatique très réussie, marquée par un message de George W. Bush et par la présence de plus de 500 représentants d’entreprises privées internationales, dont 100 nord-américains (incluant des représentants d’entreprises telles que Microsoft ou Hewlett-Packard), mais dont les apports concrets semblent avoir été insignifiants. Malgré la présentation de plusieurs dizaines de projets d’infrastructures, présentés sous forme de fiches sommaires, aucun projet concret ne semble avoir progressé et aucune promesse de financement ne semble avoir été obtenue. La grande majorité des projets, y compris ceux qui étaient présentés comme transcontinentaux, concernaient l’Afrique de l’ouest et certains semblaient purement nationaux. Il serait évidemment facile d’ironiser sur le projet d’autoroute trans-sahélienne, de 4460 km de Dakar à N’djamena (9 milliards de dollars) ou sur le projet d’autoroute trans-côtière, de 4560 km, de Nouakchott à Lagos, (10 milliards de dollars), supposés financés en BOT. (4)

Plus sérieusement, quelques travaux de fond se sont poursuivis. Une déclaration sur la démocratie et la gouvernance politique, économique et d’entreprise et un mécanisme africain d’examen par les pairs, ayant pour objet de s’assurer de l’application des principes de cette déclaration, ont été préparés conformément aux décisions de la première réunion du Comité de mise en œuvre des Chefs d’Etat et approuvés lors de la troisième réunion de ce Comité, tenue à Rome en juin 2002, puis présentés à l’Assemblée inaugurale de l’Union africaine, réunie à Durban en juillet 2002.

Cette assemblée n’a pas souhaité imposer ces textes mais a encouragé les Etats à approuver la déclaration sur la démocratie et la gouvernance politique économique et d’entreprise et à adhérer au mécanisme d’examen par les pairs.

L’Initiative pour la gouvernance économique et d’entreprise a été enrichie par l’approbation de huit normes ou codes de bonne conduite et par des travaux sur la lutte contre le blanchiment, (complétée après le 11 septembre par la lutte contre le financement du terrorisme). Il est intéressant de noter à ce sujet que les pays africains ont insisté sur la notion de récupération des fonds détournés, mais sans aller jusqu’à la faire figurer dans les accords de partenariat avec des institutions financières du nord.

Le NEPAD ne semble pas avoir produit depuis d’autres documents officiels et cohérents.

L’Assemblée de Durban a avalisé un Plan d’action initial. Il s’agit malheureusement d’un document disparate qui n’apporte guère d’éléments nouveaux par rapport au texte fondateur d’octobre 2001.

En matière d’infrastructures, il présente notamment un plan d’action à court terme, à réaliser en quatre ou cinq ans, assorti d’une liste de projets, dans les domaines de l’énergie, de l’eau et de l’assainissement, des transports, des technologie de l’information et de la communication et évoque la préparation d’un plan à moyen et long terme, devant être effectuée en 18 mois à partir de début 2003, avec l’appui de la Banque africaine de développement. Il souligne la nécessité d’évolutions institutionnelles, ouvrant la voie à des partenariats avec le secteur privé, mais imposant la mise en place d’organismes régulateurs.

Le plan d’action mentionne des besoins de financement considérables dans quelques secteurs ou sous-secteurs : de l’ordre de 15 milliards de dollars par an pour l’agriculture, de 30 milliards de dollars par an pour la santé, de 20 milliards de dollars par an dans le secteur de l’eau et de l’assainissement. Une autre approche plus globale des besoins de financements, après prise en compte de l’épargne jugée possible et des flux externes courants, conduit à un besoin résiduel de 54 milliards de dollars par an, dont l’ampleur semble bien montrer l’irréalisme des programmes énumérés, en l’absence d’un accroissement massif de l’aide au développement, auquel les promoteurs du NEPAD ne semblent guère croire.

Le Comité de mise en œuvre de novembre 2002 n’a pas enregistré de progrès notable dans la réalisation du plan d’action, pour laquelle il est fait appel aux Etats membres (à qui il est demandé d’intégrer le NEPAD dans leurs plans nationaux) (5), aux cinq communautés économiques régionales (dont le rôle reste à préciser) et surtout, semble-t-il, à la Banque africaine de développement, dans les secteurs d’infrastructures. Le Comité a accordé en revanche une large place à la mise en œuvre du mécanisme d’examen par les pairs, auquel douze pays seulement avaient manifesté leur intention d’adhérer à l’issue de la réunion.

De nouveaux documents relatifs au mécanisme d’examen par les pairs ont été présentés et approuvés lors de la sixième réunion du Comité de mise en œuvre tenu le 9 mars 2003 à Abuja : protocole d’accord sur l’adhésion au mécanisme ; organisation et procédures du mécanisme ; objectifs, normes, critères et indicateurs ; schéma de protocole d’accord sur les évaluations techniques et les visites de revue. Le groupe de hautes personnalités indépendantes chargé de piloter la mise en œuvre du processus était supposé être choisi dans les deux mois.

Le protocole d’accord concrétisant l’adhésion au mécanisme n’a cependant été signé à cestadeque pardix pays : Afrique du sud, Algérie, Congo, Ethiopie, Ghana, Kenya, Mozambique, Nigeria, Ouganda et Rwanda. La faiblesse actuelle du nombre des adhésions, les mises au point techniques et nominations encore attendues, les incertitudes sur la portée du mécanisme, notamment dans le domaine politique, soulèvent quelques doutes sur les progrès envisageables à court terme.

Des progrès dans le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix seraient en revanche attendus de la réunion du G8 d’Evian. En attendant de tels progrès, les interventions militaires étrangères en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire ont été considérées par le Président du Comité de pilotage du NEPAD lui-même, non comme la manifestation d’une incapacité de l’Afrique à régler ses propres problèmes, mais comme le signe d’un engagement accru des pays développés.

Une réunion des bailleurs de fonds dans le secteur des infrastructures, qualifiée de "Rencontre pour le soutien à l’initiative NEPAD – pour une politique continentale des infrastructures" s’est tenue au siège de l’Agence française de développement (AFD) à Paris les 6 et 7 mars 2003. Cette réunion a été présentée par l’AFD comme "la première réunion opérationnelle entre bailleurs sur le NEPAD". Le Professeur Wiseman Nkuhlu, Président du Comité de pilotage du NEPAD, y a regretté l’absence de progrès dans la mise en œuvre des projets prioritaires retenus dans le plan d’action à court terme, diffusé en juillet 2002, et plus généralement les lenteurs des bailleurs de fonds en matière d’évaluation et d’approbation de projets d’infrastructures. Les conclusions de cette réunion, telles qu’elles ont été tirées par le Directeur général de l’AFD, vont au contraire dans le sens de la prudence et ne laissent guère présager une accélération des décisions de financement : la "base de travail " doit être "claire et bien comprise", "une plus grande cohérence et une clarification du contenu de la demande africaine" sont nécessaires, "l’ambiguïté de l’architecture opérationnelle" conduit à souhaiter "un point d’entrée central", qui pourrait être la Banque africaine de développement. "Le plan à moyen et long terme (…) constitue une réponse intéressante", à condition qu’il ait "une validation politique". Les "cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté" (CSLP), mis en place à la demande des Institutions de Bretton Woods, "demeurent le processus sur lequel reposent (les) décisions d’allocation des ressources" des bailleurs de fonds. L’intégration régionale n’est plus considérée comme un critère déterminant ou prioritaire et doit passer "par le renforcement de la cohérence des politiques sectorielles entre pays".

Le Directeur général de l’AFD a largement repris des thèmes qui lui sont chers, comme celui de "l’effet de levier" des aides publiques, la préférence pour les prêts au détriment des subventions, l’appel aux financements privés, la mise en œuvre de garanties, toutes notions développées avec les apparences de la rationalité économique et du souci de bonne gestion, qui répond en réalité d’abord au manque chronique de ressources en subvention théoriquement destinées aux pays les plus pauvres.

Le début de l’année 2003 aura enfin vu l’émergence tardive des premières préoccupations concrètes du NEPAD quant au rôle de la société civile, pour le moment écartée du processus et généralement critique avec la réunion du Forum de la société civile sur le NEPAD à Accra du 25 au 28 mars 2003. Les rares éléments disponibles sur cette réunion montrent qu’il ne s’agissait pas tant d’engager un processus de consultation de la société civile africaine que de réfléchir aux moyens de la "mobiliser" pour la mise en œuvre du NEPAD.

On retiendra de ce bref bilan, près de deux ans après l’approbation de la "Nouvelle initiative africaine", que le NEPAD n’a pas encore réussi à lancer des actions réellement convaincantes, même dans des domaines qui ne dépendent pas des bailleurs de fonds, comme le mécanisme d’examen par les pairs. Son véritable "succès" vient de son appropriation généralisée, mais ambiguë, déformante et conditionnelle, et , qui plus est, sans la moindre retombée concrète jusqu’à présent, par les bailleurs de fonds. Le cas du G8 l’illustre avec éloquence.

Le NEPAD et ses partenaires - Le plan d’action pour l’Afrique du G8 : Des engagements limités, ciblés, conditionnels

Le NEPAD bénéficiait déjà d’un large soutien international (par exemple des Nations unies, de la Banque africaine de développement, du G7, à l’occasion du Sommet de Gênes, en juillet 2001) avant même d’être connu sous ce nom.

Les déclarations de soutien au NEPAD n’ont cessé de se succéder, de manière quasi-rituelle et le plus souvent extrêmement vague, comme dans quelques brèves allusions du Consensus de Monterrey, dans la déclaration politique du Sommet de Johannesburg, dans la déclaration des Nations unies sur le NEPAD de septembre 2002, puis dans une résolution de novembre 2002, qu’il serait en général fastidieux de citer du fait de la faiblesse de leur contenu et de leur portée pratique.

Tout se passe comme si chacun choisissait quelques thèmes, quelques mots-clés reflétant la stratégie ou les modes du moment, permettant de faire passer, par la seule magie du concept de NEPAD, les idées dominantes à l’intérieur de telle ou telle organisation ou ses intérêts spécifiques comme l’expression d’une appropriation par les peuples d’Afrique.

Des projets existants ont été ainsi "népadisés" dans un but de "communication", réflexe classique des bailleurs de fonds quand émerge un thème à la mode sans que des ressources nouvelles soient disponibles. Des projets nationaux ont été considérés comme régionaux pour pouvoir être considérés comme contribution au NEPAD.

Le soutien modéré du FMI (mettant en avant la création de centres régionaux d’assistance technique en matière de gestion économique et financière et le soutien aux zones de libre échange) ou de la Banque mondiale (pour laquelle la principale qualité du NEPAD viendrait de sa convergence avec les Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté) mériteraient d’être comparés au soutien plus concret et plus affirmé de la Banque africaine de développement ou des institutions des Nations unies.

Nous nous limiterons à ce stade à ce qui constitue la principale réaction des pays développés au NEPAD : le Plan d’action pour l’Afrique du G8, adopté au Sommet de Kananaskis (26 et 27 juin 2002), à l’occasion duquel les dirigeants des huit pays avaient rencontré les présidents de l’Afrique du sud, de l’Algérie, du Nigeria et du Sénégal.

Ce sommet du G8, le premier depuis le 11 septembre, a été évidemment marqué par les considérations liées au terrorisme et à la sécurité internationale et dominé par les Etats unis.

Le NEPAD est naturellement présenté comme "une occasion historique" et le plan d’action du G 8 comme la concrétisation de décisions de principe prises au Sommet de Gênes.

Le plan d’action du G8 note particulièrement les engagements pris par les dirigeants africains en matière politique et institutionnelle : paix et sécurité, bonne gouvernance et droit de l’homme, bonne gestion économique sont donc retenus comme des préalables au redressement. Le G8 salue les décisions prises quelque jours avant par le Comité de mise en œuvre des Chefs d’Etat, réuni à Rome le 11 juin 2002 : déclaration sur la démocratie et la gouvernance politique économique et d’entreprise, mécanisme d’examen par les pairs.

Il annonce en conséquence un partenariat renforcé avec les pays dont les performances refléteront les engagements en la matière. Les pays du G8 choisiront donc leurs partenaires parmi "les nations africaines qui sont gouvernées avec justice, qui investissent dans leur capital humain et promeuvent la liberté économique", ajoutant cette notion de " liberté économique" qui ne figurait pas dans les textes du NEPAD.

Les efforts seront donc concentrés sur certains pays, choisis selon des critères principalement politiques, conformément à la politique d’aide constamment appliquée par les Etats-Unis, et sur un petit nombre de secteurs.

En matière de ressources supplémentaires d’aide publique au développement, le G8 se borne à évoquer l’amélioration de l’efficacité de l’aide (manière habituelle de rejeter l’idée d’un accroissement substantiel) et à faire référence aux engagements informels de Monterrey : l’aide supplémentaire pourrait atteindre 12 milliards de dollars, dont au moins la moitié pourrait bénéficier aux pays africains sélectionnés selon les critères déjà mentionnés, selon les orientations et les procédures propres à chaque bailleur de fonds.

Le G8 s’engage à l’égard du NEPAD dans les domaines prioritaires suivants : le renforcement institutionnel et la "bonne gouvernance", l’aide aux investissements étrangers, l’aide au commerce extérieur, l’appui à l’intégration régionale (vue sous l’aspect des zones de libre-échange).

Le plan d’action du G8 relève que "nos partenaires africains ont souligné l’importance des infrastructures, notamment sur le plan des partenariats d’investissement alliant secteurs public et privé et comme composante clé de l’intégration régionale et du développement". Il se garde bien d’y répondre, ne prenant en compte les infrastructures en général que sous l’aspect du renforcement des capacités et du transfert d’expertise et ne mentionnant explicitement que les technologies de l’information et de la communication et la gestion des ressources en eau.

L’allègement de la dette n’est abordé qu’en rappelant l’Initiative PPTE (et le déficit de 1 milliard de dollars pour le financement du Fonds fiduciaire correspondant).

Le plan d’action du G8 apporte ainsi au NEPAD une réponse limitée, ciblée et conditionnelle, écartant toute hypothèse d’effort significatif en matière d’accroissement de l’aide ou de réduction de la dette et renvoyant au secteur privé pour le financement des infrastructures. En ciblant par avance les efforts sur un petit nombre de pays méritants, le plan d’action du G8 rejette en pratique un autre élément essentiel du NEPAD : sa dimension continentale ou régionale. L’approbation du NEPAD par le G8 s’apparente fort à un refus.

On ne peut cependant rien lui reprocher qui ne soit déjà clairement présent dans les textes du NEPAD : conditionnalités politiques, recours au secteur privé pour le financement d’infrastructures publiques.

On constate ainsi que la parfaite conformité des orientations du NEPAD au discours dominant n’a pas suffi à amadouer les bailleurs de fonds et à assurer l’apport rapide et massif de capitaux qui était escompté par ses promoteurs. Elle a au contraire fourni des arguments permettant aux pays développés de différer tout effort accru de solidarité avec l’ensemble de l’Afrique.

Le NEPAD vu de Paris

L’analyse de la conception française du NEPAD se heurte, comme toute analyse de l’aide française au développement, à l’éclatement des instruments entre Ministère des affaires étrangères, Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie (Direction du Trésor, DREE) et Agence française de développement. Elle restera donc partielle à ce stade.

On notera d’abord, pour s’interroger sur son rôle de la France dans cet épisode et la fonction assignée au Plan OMEGA, la présentation de ce plan par le Président sénégalais Wade au Sommet franco-africain de Yaoundé en janvier 2001, alors que les Présidents Mbeki, Bouteflika et Obasanjo étaient déjà mandatés par l’Organisation de l’unité africaine. On pourra rapprocher cet événement du biais de l’approche française du NEPAD vers certains pays d’Afrique francophone sub-saharienne et en particulier la Zone franc, que l’on retrouve notamment dans les analyses faites en avril 2002 par le Haut Conseil de la Coopération Internationale (HCCI) à la demande du Premier Ministre.

En dehors de ce particularisme, les orientations françaises à l’égard du NEPAD sont d’abord restées strictement conformes au consensus minimaliste élaboré par le G8 à Kananaskis. Les instructions de l’Elysée et du Quai d’Orsay de septembre 2002 affirment explicitement la nécessité de "concentrer notre attention sur le Plan d’action du G8 et non sur le NEPAD (qui reste controversé au sein même des pays africains)". Il s’agira pour une grande part de démontrer la conformité d’actions déjà engagées ou identifiées par la coopération française au Plan d’action du G8.

Le relevé de conclusions du Comité interministériel de la coopération et du développement (CICID) du 11 décembre 2002 évoque cinq secteurs d’intervention prioritaires pour la contribution de la France au NEPAD et au Plan d’action du G8 : l’eau et l’assainissement, l’éducation, la santé et la lutte contre le SIDA, l’agriculture et le développement rural, les infrastructures.

Ce relevé de conclusions fournit au passage des exemples du processus de "népadisation" de projets existants ou d’orientations propres à un bailleur de fonds, en ce qui concerne la France.

La première priorité retenue comme contribution française au NEPAD concerne l’eau et l’assainissement, bien que ce thème ne tienne pas une place majeure dans les documents du NEPAD et bien qu’il soit particulièrement difficile d’identifier des projets régionaux ou sous-régionaux (6) (les seuls projets d’infrastructures retenus par le NEPAD) en la matière. Il s’agit "d’aider à la création de mécanismes financiers innovants, susceptibles de faciliter l’investissement privé", dans un secteur où sont massivement présents quelques grands groupes français spécialisés dans les concessions de distribution d’eau, secteur de concentration retenu par l’Agence française de développement au titre de son nouveau "projet d’orientation stratégique".

La deuxième priorité présentée, relative à l’éducation, est l’occasion d’indiquer que "l’amélioration des systèmes éducatifs en Afrique francophone sera au premier plan de nos préoccupations, mettant en pratique notre devoir de solidarité francophone".

En ce qui concerne les infrastructures, la France s’écarte cependant du consensus minimaliste de Kananaskis en matière d’infrastructures, qui privilégiait le renforcement des capacités et le transfert d’expertise par rapport aux investissements. L’AFD met l’accent dans divers documents sur des interventions dans les infrastructures (éventuellement régionales ou pouvant être considérées comme telles), selon des modalités supposées renouvelées, mais en réalité traditionnelles ("partenariat public-privé"), parfois encore virtuelles (garanties d’émissions obligataires en monnaie locale, garanties des investissements). Son rôle dans l’organisation de la réunion de bailleurs de fonds de mars 2003 est significatif. On y retrouve les orientations générales de l’AFD au titre de son "projet d’orientation stratégique", et en particulier l’ambiguïté générale, conforme à l’esprit général du NEPAD, sur le rôle d’hypothétiques investissements privés appelés à relayer les ressources budgétaires limitées de l’aide publique au développement, notamment en matière de subventions destinées à financer des projets dans les pays les plus pauvres.

Le NEPAD vu d’en bas

Le document de base du NEPAD d’octobre 2001 soulignait les progrès de la démocratie en Afrique et faisait largement référence à la société civile. Il indiquait que "les priorités et les plans de développement nationaux et régionaux (devaient) être préparés par des processus participatifs impliquant le peuple". Ces principes louables n’ont pourtant aucunement été suivis dans le processus en cours.

Le Comité de mise en œuvre des Chefs d’Etat, réuni en mars 2002, recommandait de plus grands efforts pour faire connaître le NEPAD sur le continent africain, pour approfondir l’appropriation et la responsabilisation. Il ne s’agissait toutefois, selon les termes mêmes du communiqué officiel, que d’une "stratégie de marketing et de communication" et non d’une consultation de la société civile.

Les consultations se sont activement poursuivies auprès des bailleurs de fonds. Les projets et programmes prioritaires ont continué à être préparés de manière totalement technocratique par des groupes de travail spécialisés, bénéficiant de l’appui d’experts de diverses institutions internationales, telles que la Banque africaine de développement, avant d’être avalisés par le Comité de mise en œuvre des Chefs d’Etat et éventuellement approuvés par les Sommets de l’Union africaine, émanation des exécutifs nationaux.

Le premier (et unique) forum parlementaire sur le NEPAD ne s’est tenu qu’en octobre 2002. Le premier forum sur le rôle de la société civile ne s’est tenu qu’en mars 2003.

En pratique, qu’il s’agisse des prises de positions de syndicats ou d’organisations paysannes, de déclarations d’organisations non gouvernementales, d’analyses d’intellectuels africains, la société civile africaine a dû s’imposer dans le débat sur le NEPAD, exclusivement orienté par ses promoteurs vers les bailleurs de fonds et les organisations internationales.

Puisqu’une large place a été faite plus haut au Sommet du G8 de Kananaskis, il est intéressant de mentionner le Forum des peuples, réuni à Siby, au Mali, du 25 au 28 juin 2002, parallèlement à ce sommet. La déclaration finale du Forum des peuples constate que le NEPAD souffre d’une absence totale de stratégie participative et souligne le peu d’égard des gouvernements africains à l’égard de la société civile.

Le Forum des peuples demande donc une véritable participation de l’ensemble des couches sociales à l’élaboration des priorités du développement, un "partenariat effectif et permanent" avec la société civile africaine et formule quelques recommandations fort éloignées de la complaisance du NEPAD à l’égard du G8 et des institutions financières internationales : annulation inconditionnelle de la totalité de la dette extérieure africaine, enquête sur les fonds détournés en vue de leur rétrocession et de sanctions contre les responsables, création d’un Fonds de développement pour l’Afrique, rémunération équitable des produits agricoles, protection des industries naissantes, etc.

D’autres représentants de la société civile reconnaissent certains aspects positifs au NEPAD, tels que ceux qui ont été énumérés au début de ce texte, tout en critiquant la reprise du modèle de mondialisation néo-libérale, alors que la situation même de l’Afrique en montre clairement les limites, mettent en garde contre les dangers de privatisations rapides et massives de services publics de base, soulignent l’absence de consultation populaire et l’absence d’analyse des rapports de force internationaux déterminant le succès de tout plan de développement de l’Afrique. Ils ne désespèrent pourtant pas de redresser le NEPAD.

On constate malheureusement que les bailleurs de fonds se sont rapidement emparés du NEPAD et ont commencé à l’interpréter selon leurs souhaits, avant qu’il n’ait commencé à être approprié et élaboré par les peuples africains. On ne saurait leur reprocher, puisque le partenariat défini dans le NEPAD s’adressait d’abord à eux.

Le NEPAD étant présenté par ailleurs comme le plan de l’Afrique pour atteindre les objectifs du Millénaire et pour le développement durable, tout ce qui va dans le sens des objectifs du Millénaire ou qui porte l’étiquette de développement durable, c’est-à-dire en définitive toute aide au développement, est susceptible d’être considéré comme contribution au NEPAD, ce qui en dilue le contenu et passe sous silence l’objectif d’intégration politique et économique régionale, au risque de réduire les exigences de solidarité et d’unité africaine au souvenir d’un discours et l’élément commun à l’Afrique à un simple sigle.

On peut craindre dans ces conditions que le NEPAD ne puisse être sensiblement amélioré par la mise en œuvre des processus participatifs évoqués dans son document fondateur, si tant est qu’existe une véritable volonté de les engager, et que la dilution de certains aspects positifs du NEPAD et son appropriation croissante et sélective par les bailleurs de fonds éloignent les perspectives de construction d’un véritable plan de renaissance africaine par l’ensemble des peuples du continent.

Quelles orientations pour les organisations de solidarité internationale ?

Il n’appartient pas aux organisations de solidarité internationale du nord de se substituer aux analyses et aux revendications de la société civile africaine. Elles se doivent en revanche de les faire connaître et de les soutenir dans les débats internationaux. Après le Sommet Franco-Africain de février 2003, le Sommet du G 8 en donne l’occasion, avec la réunion du Sommet pour un Autre Monde.

Les organisations de solidarité internationale peuvent apporter d’utiles contributions, fondées sur la connaissance des pratiques des gouvernements, organismes d’aide et entreprises de leurs pays, en présentant des analyses objectives des ambiguïtés du NEPAD, de sa fonction mystificatrice et de ses utilisations abusives par les pays du G8.

Elles peuvent montrer l’écart entre certaines ambitions louables du NEPAD et ce à quoi il a été réduit par le G8 et les institutions financières internationales.

Elles doivent plus généralement exiger une évaluation continue, non pas du NEPAD en tant que tel, mais du développement de l’Afrique et de la consistance et de l’impact réel des plans et programmes qui sont supposés y contribuer.

Elles peuvent dénoncer sa fonction de légitimation de politiques qui ont montré leurs limites, voire démontré leur échec, son détournement en faveur d’intérêts économiques ou politiques particuliers et son usage par les bailleurs de fonds et les dirigeants du Nord pour refuser de prendre les mesures de solidarité indispensables, en particulier en termes d’accroissement de l’aide publique au développement et d’annulation de dettes, remettant ainsi au premier plan les objectifs du développement international et les revendications des peuples africains.

(1) Nombre porté à 20 lors du Sommet de l’Union africaine de Durban
(2) Les considérations sur les besoins de financement et les ressources qui figurent dans les documents du NEPAD sont toujours sommaires et ambiguës et ne distinguent pas les besoins de financement globaux des besoins de financement complémentaires, notamment extérieurs, par rapport à une situation de référence, non précisée.
(3) Les investissements directs étrangers dans le nord de l’Afrique étant inférieurs à 2 milliards de dollars, concentrés sur le Maroc, l’Algérie et l’Egypte.
(4) "Build-Operate-Transfer" : réalisation et exploitation d’une infrastructure par une entreprise privée, au titre d’un accord de concession prévoyant son retour à l’Etat à l’issue d’une période déterminée.
(5) Des groupes de travail nationaux sur le NEPAD sont supposés être mis en place dans chaque pays, mais ne semblent l’avoir été pour le moment que dans une dizaine de pays.
(6) Sauf peut-être dans la gestion intégrée des ressources en eau de bassins fluviaux transfrontaliers.