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Nouvelles révélations sur le Traité sur la charte de l’énergie

Publié par Collectif d’organisations, le 1er mars 2021.

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Cela fait des années que les ONG et associations, dont l’Aitec, alertent : le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) est un traité nocif qui ne peut que ralentir, compliquer, renchérir ou même empêcher les politiques climatiques les plus ambitieuses. Investigate Europe, un collectif de journalistes d’investigation, vient de publier une série d’enquêtes sur le TCE qui viennent un peu plus, s’il en était besoin, faire la démonstration que se retirer de ce Traité qui protège les pollueurs, est une condition nécessaire pour qui veut avoir des politiques de transition énergétique qui soit à la hauteur du défi climatique.

Réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 pour conserver une chance raisonnable de contenir le réchauffement climatique mondial en-deçà de 1,5°C ou 2°C. Tel est l’objectif que se sont fixés les Etats d monde entier via l’Accord de Paris sur le climat. Immanquablement, il en résulte la nécessaire et progressive sortie de l’âge des fossiles, c’est-à-dire un processus inexorable de réduction à la fois de la production et de la consommation d’énergies fossiles. Ainsi qu’arrêter d’explorer et exploiter de nouveaux gisements et de construire de nouveaux corridors d’approvisionnement qui vont nécessiter des dizaines d’années d’exploitation pour être rentabilisés.

Ces réalités sont désormais de l’ordre de l’évidence. Mais les industriels des énergies fossiles ont une arme secrète : le Traité sur la charte de l’énergie. Dès que l’un d’entre eux considère qu’une politique climatique remet en cause la profitabilité de ses investissements existants ou en cours, le TCE lui permet de poursuivre les pouvoirs publics devant une justice parallèle qui leur est réservée, et de réclamer des centaines de millions, voire des milliards d’euros d’indemnités. Dans de nombreux cas, la seule évocation d’éventuelles poursuites leur permet de dissuader les pouvoirs publics de mettre en place ces mesures. Les exemples sont nombreux, comme nous l’avons rappelé dans notre note Aitec-Attac publiée en décembre 2020.

Le collectif de journalistes Invstigate Europe a donc fait les calculs. Ce sont 344,6 milliards d’euros d’infrastructures liées aux énergies fossiles en Europe, au Royaume-Uni et en Suisse qui sont aujourd’hui protégées par le Traité sur le charte de l’énergie. On parle ici d’infrastructures détenues, totalement ou partiellement, par des investisseurs étrangers et donc protégées par le TCE : trois quarts de ces montants sont des infrastructures gazières et pétrolières. En France, ce sont 22,5 milliards d’euros qui sont concernés (principalement des oléoducs et gazoducs qui traversent le pays). Deux fois plus en Allemagne.

Investigate Europe

A l’échelle européenne, cela représente donc le double du budget de l’UE. Qui est donc prêt à débourser l’équivalent de 660 euros par habitant.e pour satisfaire les intérêts des industries fossiles ? Qui plus est alors que ces estimations reposent sur une hypothèse basse : les industriels ont le droit de poursuivre les Etats non seulement pour le montant de leurs infrastructures construites mais aussi pour les profits espérés dans le futur. Ce n’est d’ailleurs pas une simple hypothèse : en Italie, l’entreprise Rockhopper demande 9 fois plus d’argent (275 millions $) que la valeur de ses investissements (29 millions $) suite à l’interdiction sur les forages offshore près des côtes.

Souvent, les entreprises des énergies fossiles n’ont même pas besoin d’aller jusqu’à l’arbitrage proprement dit. Outre l’exemple français qui montre que Vermilion a obtenu un affaiblissement de la loi Hulot sur les hydrocarbures simplement en évoquant la possibilité d’un recours devant le TCE, Investigate Europe montre, dans un article en allemand, que le TCE a permis aux industriels du charbon d’obtenir en Allemagne des compensations bien plus conséquentes que celles initialement prévues par les pouvoirs publics.

Investigate Europe

C’est là clairement un usage détourné de la mission initiale du TCE. Mis sur pied pour protéger les investissements dans les régions ne disposant pas de garanties légales et judiciaires suffisantes – notamment les pays de l’ex-URSS – le TCE est aujourd’hui une arme principalement utilisée par des entreprises européennes pour poursuivre des Etats-membres de l’UE. Soit 74% des cas alors que chaque pays de l’UE, et l’UE dans son ensemble, offrent un cadre juridique consistant et déjà très protecteur des investissements privés.

C’est parce que le TCE est désormais principalement utilisé par les investisseurs de l’UE pour poursuivre les États membres de l’UE que le professeur de droit public et de droit international Markus Krajewski parle du TCE comme d’une « erreur historique ». D’autres experts pointent le fait que le TCE génère également de potentiels conflits d’intérêts au moment de l’arbitrage lui-même, puisque les juges d’un jour ont été ou seront les avocats des investisseurs dans une autre affaire.

Secrets et conflits d’intérêts qui se retrouvent également au cœur du TCE, au sein même de son secrétariat. Le secrétariat qui a pour fonction de faire fonctionner le Traité, ou encore de recruter de nouveaux membres, est composé de personnes dont certaines, selon les révélations d’Investigate Europe, sont intimement liées à l’industrie des énergies fossiles. C’est notamment le cas de Marat Terterov qui est en charge de démarcher et intégrer au TCE de nouveaux Etats-membres.

Autant de révélations qui ne peuvent qu’accentuer l’urgence de sortir de ce traité nocif pour le climat, la transition énergétique et les finances publiques. C’est possible, l’Italie en est sortie en 2016. C’est nécessaire : le processus de rénovation du Traité va prendre des années de l’aveu même des négociateurs, et il n’y a aucune garantie qu’il n’aboutisse. D’une part parce qu’il faut l’unanimité et le Japon a déjà prévenu qu’il s’opposerait à toute modification. D’autre part, parce que les propositions sur la table, notamment celles de l’UE, sont insatisfaisantes, puisqu’elles prolongent de plusieurs dizaines d’années la protection des investissements dans les énergies fossiles.

L’idéal serait que les 27 Etats-membres de l’UE décident de se retirer du TCE conjointement et dans de brefs délais. A défaut, on attend de la France qu’elle le fasse de manière unilatérale ou avec les autres Etats-membres désireux d’en faire autant. C’est en tout cas ce que demande une pétition européenne qui, ce 1er mars, a déjà été signée par plus de 700 000 personnes en Europe.

Maxime Combes, économiste, et chargé de mission "commerce/relocalisation" pour l’Aitec



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