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Les politiques publiques dans l’Union européenne

Publié par , le 9 mars 2007.





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 Laurent Ghékière - Directeur de l’Observatoire Européen du Logement Social du CECODHAS, France

Le CECODHAS, qui coordonne les gestionnaires des logements sociaux en toute l’Europe, faite aussi partie du Forum Européen du Logement. Nous sommes intervenus auprès de la Convention sur la Charte européenne des Droits Fondamentaux dans le cadre d’une audition publique pour la reconnaissance du droit au logement. Mais là également, l’argumentaire qui nous a été proposé, a été que cette Charte étant une Charte des droits fondamentaux s’adresse aux droits communautaires. Comme le logement ne fait pas partie des droits communautaires, il n’est pas question que l’on reconnaisse le droit au logement dans la Charte. Enfin les États-membres ont proposé comme compromis, que l’on reconnaisse le respect et le principe du droit à une aide au logement, conformément aux dispositions du Traité de l’UE, c’est-à-dire aux règles de concurrence et aux aides d’États dans le cadre des politiques nationales.

Aujourd’hui, le seul élément qui dans l’actualité communautaire ouvre une porte nouvelle, c’est dans le cadre des débats qui ont lieux actuellement entre la Commission européenne et le Parlement sur la mise en œuvre d’un nouvel Agenda social. Jeudi et vendredi s’est tenue une conférence au Parlement Européen sur ses propositions pour l’Agenda social. L’idée reprise par la Présidence française et Martine Aubry - qui est tout à fait intéressante - est de transposer la méthode développée après le traité de Maastricht en 1998, en matière de stratégies pour l’emploi. Les politiques de l’emploi ne sont pas non plus en tant que telles une compétence de l’Union, mais l’emploi est le problème le plus important de tous les pays de l’Union Européenne. Il avait donc été décidé en 1998, après le Traité de Maastricht, un rééquilibrage entre, en quelque sorte, le pilier monétaire et le volet social, qui était complètement secondaire en n’ayant pas une politique commune de l’emploi au niveau de l’Union Européenne, mais une stratégie commune et intégrée favorisant l’emploi.

Cette stratégie européenne était en quelque sorte adossée à des plans nationaux de lutte contre le chômage, qui relevaient de la compétence des États-membres. Chaque année ces plans étaient formalisés sur le papier. Ils étaient sujets à une évaluation annuelle dans une sorte de grande séance de confrontation des objectifs et des résultats. Ce que propose actuellement la Commission Européenne et la Présidence française de l’Union Européenne c’est que l’on ait le même dispositif en matière de lutte contre l’exclusion. C’est à dire qu’il y ait ce que l’on appelle une stratégie européenne d’inclusion, car on appelle cela au niveau européen, plutôt "inclusion" que « lutte contre l’exclusion ». Il faut que cette stratégie européenne d’inclusion sociale soit adossée à des plans nationaux d’inclusion qui intègrent donc des dispositifs nationaux, régionaux ou locaux de lutte contre l’exclusion et que, dans ces plans nationaux, soient précisés, par exemple, des mesures ou des politiques permettant l’accès aux soins, l’accès à toute une série de services sociaux mais également l’accès au logement. Tout cela pour qu’on retrouve aujourd’hui au niveau communautaire, l’accès au logement comme l’une des composantes à part entière des plans nationaux de lutte contre l’exclusion en cours de définition.

Le rôle des ONG est très important pour faire des propositions aux ministres, à la Commission et au Parlement sur les contenus de ces plans nationaux de lutte contre l’exclusion et également pour donner du contenu au volet accès au logement. Que signifie aujourd’hui l’accès au logement dans les pays de l’Union Européenne ? C’est très compliqué et très différent entre les quinze États-membres. Ce que l’on peut observer, d’une façon générale sur ces politiques d’accès au logement c’est qu’elles sont développées de plus en plus dans le cadre d’une décentralisation des compétences de l’État, vers les collectivités locales (c’est une tendance lourde que l’on peut observer un peu partout en Europe) et c’est vrai que la mise en œuvre de l’accès au logement est le fait aujourd’hui principalement des collectivités locales dans tous les États-membres. Les réflexions en France qui portent sur le rôle des agglomérations en matière de politique d’habitat, s’inscrivent avec un peu en retard dans ce processus. Des études portant sur l’Allemagne, l’Angleterre, les Pays-Bas ou encore l’Italie, démontrent que se sont bien les communes, les collectivités locales qui en sont en charge de l’accès au logement, avec l’appui des mécanismes d’aide, de financement, d’aide publique, d’allocation logement, qui sont généralement de compétences soit de la région dans les États fédéraux, soit directement de l’État national comme cela est le cas en France. Ces politiques locales du logement tentent de mobiliser une offre de logements accessibles pour permettre une mise en œuvre effective du droit au logement au niveau local. Jusqu’à présent, le droit au logement était principalement mis en œuvre à travers la mobilisation du logement social en quelque sorte, même si cela pose encore quelques problèmes de stigmatisation d’un parc pour les plus démunis. Ce que l’on voit de plus en plus afin de lutter contre ces phénomènes de "ghettoïsation" et d’absence de mixité, c’est que les collectivités locales essayent d’avantage de mobiliser une offre de logement bien plus diversifiée pour éviter effectivement d’associer "HLM" à "plus démunis" et essayer également, pour assurer une meilleure inclusion, que les populations qui en sont exclues ne se retrouvent pas en périphérie des villes mais plutôt à l’intérieur. Ils tendent donc de mobiliser d’avantage l’offre privée de logement par des mesures très différentes. Cela peut être la réquisition de logement, on l’a vu en France, mais de façon très marginale, la taxation des logements vacants, qui est très forte et très dissuasive dans les pays de l’Europe du Nord et Allemagne notamment, ou tout simplement la confiscation de l’usage du logement à des fins d’intérêt général, la commune en quelque sorte venant acquérir un droit d’occupation du logement, même si celui-ci est la propriété d’une personne privée. Un droit d’usage permettant à la commune d’assurer l’attribution de ce logement à des populations qui en sont exclues.

L’enjeu de ces politiques locales, c’est bien évidemment de disposer des ressources financières permettant de mettre en œuvre ces processus d’acquisition, de droit d’attribution, de construction de logements sociaux accessibles, etc. Le volet financier est donc très important et, comme vous le disiez dans votre programme, on fait face à des contraintes budgétaires assez fortes. Il y a un re-ciblage de l’action publique en la matière et ce n’est pas le seul problème à résoudre aujourd’hui. C’est un problème de "gouvernance" (terme un peu pompeux que l’on utilise à Bruxelles), c’est-à-dire de régulation au niveau local avec l’ensemble des acteurs présents et partenaires de ces politiques. Bien évidemment, les propriétaires de logements, que se soit des bailleurs sociaux ou des bailleurs privés, tous les réseaux travaillant dans le milieu associatif, les services sociaux et les habitants. Et cette question sur la gouvernance urbaine (ou sur la régulation publique de l’accès au logement au niveau local) est l’un des thèmes débattus actuellement par les ministres du logement au Centre Kléber, à Paris. Il existe donc une évolution, une ouverture ponctuelle qu’il faut absolument saisir avant le Conseil Européen de Nice, abonder les propositions de la Présidence française de juin, mieux intégrer - toujours dans le respect de la subsidiarité et des compétences nationales - la dimension de l’accès au logement dans les politiques communautaires actuelles, notamment en matière de lutte contre l’exclusion. C’est là un rôle pour l’ensemble des acteurs, y compris des habitants : faire des propositions pour insérer le volet logement de ces plans nationaux d’inclusion sociale et renforcer ces pratiques de gouvernance, de régulation partenariale au niveau local. L’agenda est relativement serré puisque le Conseil de Nice aura lieu début décembre. Il nous reste deux mois pour boucler des propositions globales.

Le Parlement Européen joue un rôle important dans ce domaine, puisque les propositions qui vont être présentées au Conseil Européen de Nice, vont l’être dans le cadre du processus de co-décision. Celles-ci vont être co-écrites entre la Commission Européenne, notamment par la direction générale de l’emploi et des affaires sociales et le Parlement Européen. Des messages doivent être adressés aux parlementaires européens particulièrement sensibles aux dossiers du droit au logement et de l’inclusion. Mais il y a également des propositions à faire parvenir aux gouvernements des principaux États-membres, notamment à la Présidence française qui sera en charge d’animer ce débat et de piloter cette action.

Le Forum européen du logement, y travaille, mais il est important que des propositions complémentaires viennent des habitants et que l’on arrive à une synthèse sur des propositions communes à soumettre au Parlement, à la Commission ou aux États-membres. Sur le deuxième volet, puisque vous faites mention dans votre programme des fonds européens, là je crois également, qu’il y a des ouvertures dans ce que l’on appelle à Bruxelles le concept de « développement urbain durable ». Ce concept a été développé, proposé et adopté par la Commission Européenne, en octobre 98, dans le cadre d’un forum qui a réunit tous les acteurs de la ville et s’est tenu à Vienne, sous Présidence autrichienne. Un cadre d’action pour le développement urbain durable a été proposé et adopté. Il vise à réorienter toutes les politiques communautaires pour les rendre plus sensibles aux problèmes des villes. Effectivement, aujourd’hui, les villes sont les principales actrices à la fois économique et sociale de l’Union Européenne, alors que tous les efforts de la politique régionale restent majoritairement orientés vers l’agriculture, qui est le principal poste de défense dans le cadre de la politique agricole commune.

Ceci dit, un léger rééquilibrage de cette politique régionale est intervenu en faveur des zones urbaines. La volonté de la Commission Européenne est d’avoir une approche intégrée de ces problèmes urbains. Quatre objectifs ont été définis dans ce cadre d’action. Premièrement, promouvoir l’emploi dans le milieu urbain, donc abonder toutes les politiques locales ou nationales de l’emploi par des fonds européens, principalement le fond social européen, afin de lutter contre l’exclusion et de corriger le marché de l’emploi. Deuxièmement, les problématiques de développement durable des villes, l’approche environnementale, notamment en ce qui concerne les transports, la pollution et toute une série de thèmes qui sont d’actualités aujourd’hui. Troisièmement, une intervention sur tout ce qui est "quartiers en difficultés", c’est-à-dire des quartiers d’habitat social un peu en périphérie qui font l’objet d’un phénomène de "ghettoïsation" ou de dérive. Quatrièmement, la volonté affichée par l’Union Européenne d’améliorer les processus de gouvernance urbaine, donc d’approches partenariales entre les pouvoirs publics, les acteurs et les habitants. Dans le cadre du renforcement de la gouvernance urbaine, il a été proposé toute une série de mesures appuyées par des financements européens et des programmes européens, que l’on pourrait résumer par le terme anglais de capacity building, donner la capacité aux habitants d’agir, d’être effectivement des acteurs à part entière dans le cadre de renforcement du travail en partenariat, en leur donnant, par exemple, des moyens de créer des associations, de se former pour être au courant des procédures, des mécanismes de financement, pour être vraiment des acteurs structurés permettant de travailler avec les collectivités locales, avec les bailleurs sociaux et avec l’ensemble des acteurs présents sur un territoire donné.

Cette amélioration de la gouvernance, ce renforcement de la capacité locale à agir me paraissent être également une piste à creuser. Nous sommes actuellement dans une phase d’élaboration des documents qui vont traduire les orientations des fonds structurels dans les principales régions de l’Union Européenne. Il y a là un gros travail qui est quasiment bouclé et qui a été proposé. Et dans la plupart de ses documents, l’Union Européenne a toujours affirmé que ces documents ne seraient acceptés par Bruxelles que s’ils intégraient effectivement cette démarche partenariale de collaboration avec l’ensemble des acteurs présent sur un territoire donné, y compris les habitants. Cela pose des problèmes de structuration et de démocratie locale : « Qui représente les habitants ? Comment sont-ils structurés ? Par qui sont-ils représentés ? » Ce sont des questions que vous connaissez, je suppose. Mais c’est une impulsion communautaire qu’à mon avis vous devez saisir en terme d’argumentaire pour être partie-prenante de ces processus et pour tenter effectivement de mobiliser ces fonds européens qui sont là pour renforcer votre capacité locale à agir. C’est un peu théorique mais se concrétise soit par l’intégration de méthodes particulières de formation, soit par l’appui au monde associatif à travers le fond social européen. Donc là, je renvois aux règlements nationaux du fond social européen dans chacun des États-membres. Il y a des mesures particulières pour la formation des populations en difficultés, pour le développement d’associations luttant contre l’exclusion, etc.

Deuxième élément : les programmes communautaires particuliers identifiés qui permettent par exemple l’échange d’expériences entre des réseaux d’habitants de villes différentes, de pays différents, pour effectivement développer des bonnes pratiques, puisque dans certains pays la participation des habitants est beaucoup plus ancienne, beaucoup plus structurée, voire institutionnalisé que dans d’autres, notamment les pays scandinaves comparés aux pays latins : y a là des réponses communes à trouver. Mettre en avant et capitaliser les bonnes pratiques, de façon que tout le monde puisse en profiter. Une action immédiate en direction des institutions communautaires en matière d’accès au logement à travers ses plans d’inclusions, serait d’exploiter au mieux les dispositifs du cadre d’action pour un développement urbain durable en vu de renforcer en quelque sorte l’action des habitants dans les processus de décision au niveau des décisions locales, à l’appui de fonds européens, d’échanges d’expériences ou de constitution d’associations.

Le dernier point, c’est de se battre jusqu’au bout pour que le droit au logement, le droit à l’habitat soient inclus dans cette Charte des Droits Fondamentaux. Il est vrai que l’argumentaire de la subsidiarité peu tenir la route d’un point de vue strictement juridique. Comme c’est une Charte qui s’adresse à l’Union Européenne et aux institutions communautaires, les politiques du logement n’étant pas de compétence communautaire, il n’y a pas lieu d’y inclure le droit au logement. Je dirais que c’est l’approche juridique ou technique de cette Charte. Mais celle-ci a une dimension politique bien plus importante : reconnaître des droits fondamentaux aujourd’hui, en l’an 2000, aux citoyens européens, sans y intégrer le droit au logement, me parait être un exercice un peu difficile à soutenir politiquement. On y a inclus le droit à l’aide au logement mais, encore une fois, l’aide au logement, n’est pas suffisante en elle-même pour engendrer un processus réel d’accès au logement. Il faut des procédures, des acteurs qui en sont responsables. Il faut que l’ont aille jusqu’au bout pour que le droit au logement soit intégré dans cette Charte. Je sais qu’aujourd’hui et demain la Convention qui a en charge l’écriture finale de ce projet se réunie à Bruxelles. A priori, il y a peu de chance que le droit au logement y figure parce qu’il y a des États-membres, et non des moindres, qui s’opposent totalement que le droit au logement soit reconnu au niveau européen. Le combat n’est pas terminé de ce côté-là. Même si la pression que nous avons pu mettre sur la Convention n’a pas abouti à la reconnaissance du droit au logement, elle aura quand même abouti à la reconnaissance du droit à l’aide au logement.

 Jean-Yves Cottin

Le sommet qui se tient actuellement avenue Kléber, n’est que faiblement médiatisé, et notre contre-sommet, encore moins ! Ce n’est donc pas avec cela que l’on va pouvoir faire pression pour que le droit au logement apparaisse dans la Charte européenne. Il est important qu’il y ait un lien entre ici et la rue Kléber. Nous pourrions nous y rendre demain et remettre une résolution en fin de travaux.

 Laurent Ghékière

En effet, les ministres ne veulent pas médiatiser ces réunions annuelles. Elles ont lieux depuis presque douze ans aujourd’hui. Le logement n’étant pas de compétence européenne, ce n’est pas un sommet européen en tant que tel. Donc ce n’était jusqu’à présent qu’une réunion informelle. Aujourd’hui, à cause de tous les problèmes de protocole avec l’Union Européenne c’est qualifié de séminaire de réflexion ministériel. Toutes les précautions sont prises pour qu’il n’y ait pas de débat avec la rue. C’est clair ! Cela dit, cette réunion est importante, d’abord parce qu’elle est présidée par la Présidence française et que Louis Besson est un fervent défenseur du droit au logement y compris au niveau de l’Union Européenne. Le fait d’avoir inscrit cette réunion, d’avoir invité les ministres à débattre de l’accès au logement, et non pas du droit au logement (parce que politiquement il ne pouvait pas inscrire le droit au logement à cette réunion) mais l’accès au logement est une démarche très positive.

Mais en même temps, la plupart des ministres qui sont aujourd’hui en train de débattre sont très frileux du point de vu du logement dans le cadre de l’Europe. La plupart d’entre eux défendent becs et ongles le principe de subsidiarité, au nom duquel l’Union Européenne n’a pas à s’ingérer dans les problèmes de logement, même si ces politiques du logement ont de plus en plus d’impact sur les politiques locales. Donc c’est effectivement peu médiatisé.

 Un participant

Quels États-membres et gouvernements posent problème en ce qui concerne le droit au logement ? Est-ce que c’est l’Angleterre par exemple ?

 Laurent Ghékière

L’Angleterre pose des problèmes sur tout, même sur le principe d’une Charte et des droits fondamentaux reconnus par écrit.

 Un participant

En France, le droit à l’aide au logement existe mais n’aboutit pas à la possibilité de logement pour tous. Il ne change rien au problème. De plus, cette aide existe pratiquement dans tous les pays de l’Union Européenne.

 Laurent Ghékière

Effectivement, le droit à l’aide au logement n’a rien à faire avec le droit au logement tout court. Il fait que reconnaître l’existence de l’aide au logement et des politiques locales ou nationales du logement mais en aucun cas, cela ne met en œuvre un processus d’accès au logement et de droit au logement, qui est fondamental. Les pays qui sont fortement opposés à la reconnaissance du droit au logement, sont tous les pays d’Europe du Nord, alors que dans leurs constitutions, le droit au logement est reconnu. Ce qui est contradictoire. Alors que ceux qui n’ont pas de droits au logement sont plutôt favorables (pays du sud). Un grand pays bloque, l’Allemagne, et comme la Convention est présidée par l’ancien président de l’ancienne République Fédérale d’Allemagne, il a mis tout son poids pour que le droit au logement ne soit pas reconnu. Il est appuyé par les pays scandinaves, les Pays-Bas, l’Angleterre. Les pays d’Europe du Sud comme l’Espagne, l’Italie, la Grèce, la France - en général les pays latins - ont une approche beaucoup plus politique de la question qu’une approche juridique et ils ont défendu la reconnaissance du droit au logement. C’est donc comme d’habitude au niveau européen un compromis, un consensus minimum entre ce que certain veulent et ce que d’autres ne veulent pas. Il est vrai que cette Charte est décevante - toutes les ONG l’ont dit - mais en même temps vu de l’intérieur (on a suivi beaucoup les travaux de cette commission) le fait d’avoir aboutit à un texte est quand même un exploit. La question est posée : « renvoit-on cette Charte aux oubliettes parce qu’il n’y a rien dedans et laisse-t-on tomber ce processus » ou « l’accepte-t-on sachant très bien qu’il n’y a pas grand’chose dedans » ? Enfin, il existe un corps de droits fondamentaux, mais il n’est pas intégré. Il faut à l’avenir la réviser, la faire vivre, la compléter, mais ce sera un processus très long. En tout cas cette démarche a permis aux ONG de s’exprimer devant la Convention, composée de trois collèges : celui des représentants des chefs d’État et des gouvernements, celui des parlements nationaux des États-membres et celui du Parlement Européen.

 Dominique Brunet - APU - Droit de Cité Métropole Lille, France

N’est-il pas dangereux de s’inspirer de la loi contre les exclusions et de cette stratégie d’inclusion qui en fait ne sert à rien au niveau français pour l’accès au logement ? Cette loi française va beaucoup plus dans l’aide au logement, que dans la lutte pour le droit au logement par l’accès au logement. Il y a un paradoxe. Sur Lille, qui n’est pas un haut lieu, aujourd’hui, en ce qui concerne le droit au logement, le DAL lutte pour renforcer le réseau existant d’accès au logement social. Il n’y a rien dans la loi française sur ce point.

Deuxièmement il n’y a rien dans la loi française concernant un droit à l’hébergement en cas d’exclusion ou d’expulsion. Même cela a été enlevé à la loi française. Alors, comment peut-on s’appuyer sur une loi française qui est mauvaise pour faire avancer une stratégie d’inclusion au niveau de l’Europe ?

 Laurent Ghékière

Deux éléments de réponse. Premièrement, la stratégie européenne d’inclusion, même si elle a été soutenue par Martine Aubry, est antérieure à la Présidence française. Elle a été en quelque sorte validée par la Présidence portugaise. La stratégie européenne d’inclusion sociale ne s’inspire pas intégralement de la loi contre l’exclusion, donc ce n’est pas une photocopie de ce qui se fait en France. On ne va pas faire cela à Bruxelles. C’est vrai qu’il y a des failles très importantes du point de vue du droit au logement, mais l’important dans cette dynamique européenne, c’est qu’avec l’appui des plans nationaux d’inclusion, il y aura une évaluation des mesures nationales qui sera faite sur une base annuelle et contradictoire, entre l’ensemble des parties prenantes. Elle ne sera donc pas limitée au gouvernement qui dira « on a tout fait. Tout va bien. Il n’y a pas problème en France ». Il y aura des contributions, un débat public autour de ces rapports nationaux et chaque année ces rapports seront publiés dans les quinze États-membres, mis sur internet dans toutes les langues. L’on pourra donc s’inspirer du plan national d’accès au logement de l’Allemagne pour se rendre compte qu’en Allemagne les communes ont une obligation légale d’héberger les populations qui sont à la rue. Ce qui peut renforcer des argumentaires en direction de la France où le responsable c’est l’État et lorsqu’il n’est plus là, il n’y a plus personne. C’est la même chose aux Pays-Bas ou en Angleterre, où le droit au logement est un droit sanctionnable, où l’on peut attaquer une commune qui refuse d’héberger une personne qui est dans la rue par exemple. Ce n’est donc pas une transposition de la loi française en Europe, mais un processus de monitoring, d’échange, d’évaluation contradictoire de politiques conduites nationalement. Il va obliger en quelque sorte la France, non pas à redéfinir son processus, mais du moins à le clarifier, le rendre plus lisible et le confronter avec les autres acteurs qui le vivent, voire qui le subissent. En termes d’échange, d’une meilleure connaissance de la façon dont le droit au logement, qu’il soit reconnu ou pas au niveau du droit constitutionnel, en fait cela a peu d’importance. Par exemple, l’Allemagne ne reconnaît pas ce droit mais c’est certainement le pays qui le met le mieux en œuvre au niveau local. Donc il faut vraiment relativiser ces problèmes. C’est vrai qu’il est important de reconnaître le droit fondamental, mais il est encore plus important de voir qui est responsable, comment cela fonctionne, quels sont les recours légaux de ceux qui sont dans la rue quand ce droit au logement n’est pas mis en œuvre. L’intégration de l’accès au logement dans les plans nationaux permettra cet échange d’information et de mieux comparer comment ce droit au logement est mis en œuvre dans les collectivités locales de l’Union Européenne et peut-être dans les pays où cela a l’air moins bien ficelé, comme cela semble être le cas en France. Il faut avoir un argumentaire en direction de l’autorité française pour faire des propositions en terme de renforcement du dispositif et de mise en accusation des limites que vous avez souligné effectivement.

 Marc Uhry - ALPIL, Lyon - France

Au niveau européen, existe-t-il des groupes ou des institutions qui plaident pour que le droit au logement soit un droit opposable dans le cadre de la communauté ? Il serait intéressant pour nous de nous rapprocher de ces mouvements, afin de plaider non seulement pour une inscription du droit au logement dans la Charte européenne mais aussi pour que ce droit soit opposable comme dans l’exemple allemand.

 Laurent Ghékière

La seule ONG que je connaisse est la FEANTSA (Fédération Européenne des Associations Travaillant avec les Sans-Abri) qui a comparé la mise en œuvre du droit au logement dans l’Union Européenne et publié de nombreux ouvrages qui décrivent ces processus. Elle demande que ce droit soit reconnu comme tel, qu’il soit un droit programmatique, un droit d’objectif à la française (où malheureusement, l’État veut mettre en œuvre le droit au logement, mais derrière il n’y a pas grand’chose) et qu’il soit un droit effectif sanctionnable par l’individu avec des pouvoirs de recours. Au niveau de l’Union Européenne, ont en est très loin. Je ne vois pas aujourd’hui la possibilité de porter plainte devant la Cour de justice de Luxembourg contre un État-membre parce qu’il n’a pas mis en œuvre le droit au logement. Par contre, il y a eu des recours très intéressant, notamment contre l’Italie, qui réservait les logements sociaux aux seuls italiens. Suite à cela, l’Italie a été obligée d’ouvrir ces logements à tous membres de l’Union Européenne. Cela dit, la comparaison européenne est tout à fait éloquente. Quant une commune allemande met en œuvre le droit au logement, ce n’est pas son objectif réel, mais c’est pour lutter contre les désordres publics qu’occasionnent le sans-abrisme. Elle a donc un devoir légal de respect de l’ordre public et c’est à ce titre-là qu’on applique le droit au logement. Ce n’est donc pas forcément au nom du droit au logement qu’on agit avec des mesures légales. On peut attaquer une commune en Allemagne si l’on est à la rue, non pas parce que l’on à pas de logement, mais parce qu’étant sans logement, on nuit à l’ordre public. L’argumentaire juridique n’est donc pas toujours orienté vers le droit au logement, mais parfois vers d’autres textes de loi ou d’autres préoccupations.

 Cesare Ottolini

Laurent soutient qu’il faut continuer à lutter pour la reconnaissance du droit au logement. Personnellement, je ne suis pas optimiste. Ce type de débat a déjà été développé à Istanbul . L’opposition des États-Unis était forte alors que l’Union Européenne, loin de nos regards, l’avait soutenu avec force. La conception juridique contraignante s’opposait à la conception politique. C’est très dangereux. Laurent dit qu’il faut parler des politiques, des programmes et des financements et l’on parle de capacity building.

Une autre notion peut-être encore plus négative : la "subsidiarité". Telle que nous l’entendons, c’est, par exemple, que chaque euro dépensé par une mairie doit être accompagné par un euro donné par l’Union Européenne. Au contraire, l’idée de subsidiarité du législateur européen en général, est que toute la demande de services sociaux - y compris les logements - que les privés, les ONG, les associations, ne sont pas capables de satisfaire, ce sera au pouvoir public de les mettre en œuvre. Ce qui imposerait une prise en charge par les associations de la résolution, entre autre, de la problématique du droit au logement. Cette subsidiarité signifie donc la privatisation des problèmes, la coupure de la solidarité et du pacte social. On ne peut pas être d’accord avec cette exploitation du milieu associatif ! Les expériences innovantes, les bonnes pratiques des associations, des coopératives, etc., ne sont que des exemples, des propositions, des moyens d’organiser la demande et de proposer des politiques. Cela ne se substitue pas au devoir d’intervention des politiques publiques. Le pire danger serait que le modèle européen copie celui de la Banque Mondiale, qui est : « tu vas faire les choses que nous ne voulons pas faire » ou « moi, je vais faire le travail qui rapporte et toi, tu vas gérer la pauvreté ». Ce serait intéressant de développer le débat sur ces sujets, mais nous n’avons malheureusement pas le temps maintenant.

 Laurent Ghékière

Effectivement, à Istanbul, l’Union Européenne avait parlé d’une seule voix et était favorable au droit au logement, contre les USA. De plus, la plupart des États-membres ont signé la Charte sociale du Conseil de l’Europe, qui reconnaît le droit au logement et le développe avec précision. Il va se tenir un autre sommet "Istanbul + 5" à New-York en juin 2001. L’Union Européenne devra également définir sa position commune lors de ce sommet. La Présidence suédoise s’en chargera. Il y a donc, là aussi, pour les acteurs favorables au droit au logement, une action à conduire en direction de la future Présidence de l’Union Européenne pour que la contribution commune européenne au sommet de New-York contienne cette reconnaissance. Cela ne veut pas dire qu’on le reconnaisse au niveau communautaire, mais que les États-membres, ensemble, le reconnaissent quant à leurs propres compétences.

La subsidiarité présente effectivement un danger. Car il n’existe pas de volonté de l’Union Européenne de limiter l’intervention des opérateurs nationaux, des pouvoirs publics dans certains registres alors qu’elle interviendrait dans d’autres. Quand on voit la reconduction du programme URBAN, par exemple, le programme IGLOO, ce sont des mesures qui viennent compléter des politiques nationales, mais pas se substituer à des politiques nationales ou locales. C’est toujours la logique du cofinancement, il faut que les pouvoirs publics apportent un financement pour que l’Union Européenne apporte un complément. Cette logique de partenariat, de complément met en œuvre un cahier des charges très rigoureux en terme de participation des habitants, qui mérite un développement du programme URBAN. Surtout, cela permet des échanges de bonnes pratiques qui font évoluer les mentalités à la fois des acteurs, des habitants, mais également des décideurs au niveau local. Cela justifie une approche plus positive des programmes européens, qui ne vont pas conduire à un désengagement des pouvoirs locaux ou nationaux. Au contraire, c’est plutôt à travers ces fonds européens mis à disposition des opérateurs, qu’il faut trouver une volonté de les mobiliser en apportant des contreparties nationales. Comme l’accès aux fonds européens est conditionné à un cahier des charges important, tant en terme de participations que de gouvernances, cela peut-être l’occasion d’une prise en conscience que nos pratiques sont un peu obsolètes et qu’il faudrait développer de nouvelles pratiques sur des bases neuves, plus en phase avec le discours actuel de l’Union Européenne. Certes, cela comporte des risques, mais aussi une richesse d’apports en réflexions nouvelles. Travaillant beaucoup avec le Parlement Européen et la Direction Générale Emploi, je constate une volonté de faire évoluer les méthodes des politiques publiques dans ce domaine du social, du logement et de renforcer la participation des habitants en la matière.