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Le débat international sur la ville et l’habitat après Habitat II

Publié par Gustave Massiah, le 9 mars 2007.

Droit au logement et droit à la villeConférences Habitat



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Habitat 1, à Vancouver, organise le premier débat mondial sur le logement et la ville. A l’époque, nous étions en simplifiant dans une situation où la ville était définie, dessinée et produite par le pouvoir qui détient la raison. L’Etat, était porteur de la rationalité et de la modernité. Le logement et la ville étaient produits par des filières modernistes. L’industrialisation imposait sa logique. L’expansion du salariat s’accompagnait du logement social. La productivité devait permettre d’abaisser le coût du logement et de le produire en masse, pour le plus grand nombre. Les équipements devaient assurer le passage du logement à la ville et servir de support à l’intégration sociale des couches populaires. La régulation publique devait permettre de réintégrer le foncier dans la circulation du capital. La Charte d’Athènes et le mouvement moderne servaient de référence. Après Vancouver, et déjà à Vancouver dans le "festival-off" des ONG, des idées nouvelles vont faire leur chemin, charriant contradictoirement les résistances sociales, l’innovation et la modernisation, les récupérations par les pouvoirs. Ainsi, la prise de conscience de l’environnement et le développement durable ; la reconnaissance de la vivacité et de l’importance des productions populaires et la participation des habitants ; la réaffirmation des droits et le droit au logement.

La préparation d’Habitat 2 a permis de 1994 à 1996, un réel débat international sur les pratiques, les techniques et les instruments dans les domaines de l’habitat et des politiques urbaines. Dans un premier temps, cette discussion a été menée au niveau des grandes régions et a facilité les analyses comparatives. Elle a impliqué les décideurs administratifs, les professionnels, les chercheurs, les associations et les institutions internationales. D’autres discussions ont ensuite été menées directement au niveau international sur les instruments et les expériences. Elles ont impliqué différentes catégories de professionnels et de techniciens (financiers, fonciers, matériaux, aménageurs, etc).

De cette préparation, on peut déjà dégager des premières conclusions : les politiques d’habitat et les politiques urbaines sont spécifiques à chaque situation ; elles dépendent des contextes économiques, sociaux et politiques ; des institutions et des capacités de mobilisation. Les stratégies qui déterminent les politiques gagnent à des approches plus larges qui permettent de meilleures mises en perspective. La discussion peut être menée au niveau global ; elle gagne aussi à être poursuivie au niveau des grandes régions plus homogènes sur le plan géoculturel. Au niveau des instruments, les échanges d’expériences sont immédiatement possibles. Citons par exemple, les techniques foncières, fiscales, constructives, les analyses de coût et d’organisation, les modalités de financement, le partenariat entre les acteurs, la participation. Dans tous ces domaines, la mise en œuvre dépend complètement des situations. Mais, on peut parler d’une boîte à outils commune et d’une culture technique contemporaine qui associe les instruments aux conditions de leur mise en œuvre.

Habitat 2 a été également un moment fondateur. Le débat a permis d’identifier les enjeux et les positions en présence. La déclaration officielle a marqué des avancées, notamment en matière d’anticipation du droit au logement et en terme de reconnaissance de différents acteurs. Le plan d’action même s’il est difficile à lire et peut paraître indigeste, répétitif et velléitaire, a l’avantage d’être un document international, traduit en plusieurs langues, qui unifie les terminologies. Il constitue ainsi une base pour des échanges internationaux plus faciles. La recherche des meilleures pratiques a permis une discussion, encore balbutiante, sur les critères de réussite. Enfin, deux autres aspects se dégagent à Istanbul. D’abord, l’émergence des collectivités locales en tant qu’acteurs internationaux. Elles rejoignent ainsi les associations qui s’étaient faites reconnaître au cours des conférences précédentes, de Rio à Copenhague. Ensuite, la reconnaissance de la ville ; la dimension urbaine élargit les approches du logement et du social tant dans la compréhension de leur nature que dans l’appréciation des politiques correspondantes.

Après Habitat 2, les résultats ne sont pas très visibles et peuvent conduire à des désillusions. Cinq ans après, les mesures préconisées par Habitat 2 se sont elles traduites par des décisions et des productions significatives en matière de logement et de ville ? Sans grand risque de se tromper on peut dire que, à l’exception de rares pays, ce n’est pas le cas. En cinq ans, la situation ne s’est pas améliorée pour les couches les plus pauvres. Les tendances d’accroissement de la pauvreté et des inégalités se sont poursuivies. Les raisons ne sont pas difficiles à imaginer. Il est clair, tout d’abord, que la volonté politique de s’attaquer réellement à ces problèmes est absente ; le logement et la ville ne sont pas des priorités pour les dirigeants ! De ce fait, pour beaucoup d’états, les décisions étaient de façade, il n’était pas question de les appliquer. Plus fondamentalement encore, le plan d’action adopté est contradictoire, tout en proposant comme priorité de lutter contre la pauvreté, il réaffirme le bien fondé de la libéralisation qui est une des causes principales de l’accentuation des inégalités et de la croissance de la pauvreté.

Au delà de la victoire des inerties, ne négligeons pas les contradictions et les avancées. Nous sommes aussi dans un temps nécessaire de décantation et d’appropriation des avancées. N’oublions pas qu’après Vancouver, il a fallu attendre une dizaine d’années pour que le rapport Bruntland sur le développement durable relance le débat international. Aujourd’hui, des reclassements sont en cours dans le débat international sur le logement et la ville. C’est sur cet aspect que nous allons mettre l’accent.

Les thèmes majeurs du débat spécifique sur l’habitat et la ville se précisent : la question foncière, le financement de l’urbanisation et du logement, les services urbains, les modalités d’aménagement et de production, le droit au logement et à la ville. Le débat sur ces questions est marqué par l’évolution du contexte, et plus particulièrement du rapport entre l’approche globale et l’approche locale.

De ce point de vue, le débat international s’approfondit dans deux directions. D’une part, le rapport entre l’évolution de la mondialisation, la régulation de l’économie mondiale et la conception du développement qui détermine largement le contexte de l’urbanisation, les politiques de développement, les politiques urbaines et du logement. D’autre part, le développement local, la démocratie participative, le renforcement des instances locales qui ouvre un champ de nouvelles pratiques et de nouvelles représentations. Ces deux approches sont contradictoires et complémentaires. L’échelon local peut aussi bien être l’achèvement de la mondialisation ou une autonomisation par rapport à elle. Cette ambiguïté se retrouve plus particulièrement sur certaines questions : la gouvernance, la décentralisation, la place des grandes régions, le rôle des nouveaux acteurs, les pouvoirs locaux et les associations.

La mondialisation et l’urbanisation

Le rapport entre urbanisation et mondialisation constitue la toile de fond du débat. L’approche de la mondialisation s’affine ; elle est moins ressentie comme une fatalité et plus considérée comme un processus contradictoire dont l’issue n’est pas prédéterminée. Il est donc plus question de la caractériser et de l’infléchir que de la subir. Cette mondialisation bouleverse le système géopolitique et remet en cause la nature des Etats. Elle modifie les rapports entre le local, le national et le mondial ; entre le rural et l’urbain ; entre le particulier et l’universel. Supports de la mondialisation, les villes en sont aussi transformées.

L’évolution est marquée par une rupture ; celle de la liaison étroite entre urbanisation et industrialisation qui a caractérisé la révolution industrielle et urbaine du XIXème siècle. La généralisation du modèle industriel productiviste à l’échelle de la planète se heurte à une double limite qui explique pourquoi, dans les discours officiels, les références à l’environnement et à la pauvreté urbaine sont systématiques. La première limite est celle de l’écosystème planétaire dont on mesure la fragilité, notamment, dans la dégradation de l’environnement des mégapoles, elles mêmes sources de nuisances et de pollutions. La question de l’environnement urbain émerge lentement du débat général sur l’environnement.

Une autre question, souvent reliée à celle de l’environnement, est encore peu abordée, celle des techniques nouvelles qui vont révolutionner les villes. Le fondement technologique de l’urbanisation contemporaine date de la période 1885 à 1897, avec une douzaine d’innovations qui ont marqué durablement la ville moderne (l’acier dans la construction, la plomberie d’intérieur, l’électricité, l’ascenseur, le téléphone, la moteur à explosion, le tramway, etc.). Que sera le paquet technologique qui marquera les villes futures ?

La seconde limite est celle des conséquences sociales. La question sociale est plus controversée. Même si la structuration sociale n’a pas fondamentalement changé, les rapports entre les classes et les catégories se sont modifiés. La fraction dominante est celle qui est liée à la financiarisation aux échanges mondiaux et aux nouvelles technologies. La classe ouvrière reste stratégique même si elle a perdu sa centralité dans les représentations. Les couches moyennes ont perdu leur sécurisation. Les couches sociales formées des exclus, des sans-droits et des précaires, minoritaires dans les pays du Nord, majoritaires dans les pays du Sud, sont croissantes et de plus en plus visibles.

L’accroissement des inégalités, l’élargissement et l’approfondissements des exclusions sont de plus en plus reliés à la mondialisation et à son caractère néo-libéral. Exclusion par la pauvreté et la misère liée aux inégalités de revenus. Exclusion du travail et des statuts sociaux liés au travail stable. Exclusion par la difficulté d’accès au logement. Exclusion culturelle de la reproduction sociale des "élites". L’exclusion massive dont les mégapoles sont le théâtre brouille les identités. Les représentations classiques (communautaires, religieuses, nationales, sociales) ne rendent plus compte du rapport de l’individu au groupe.

L’armature urbaine mondiale joue un rôle majeur dans la nouvelle représentation du monde. Trente huit agglomérations majeures constituent les zones motrices de l’économie mondiale. Elles polarisent les quinze grandes aires régionales qui se constituent à travers les négociations des accords formels qui vont des « marchés communs » aux unions régionales. Les autres grandes villes subissent une double attraction, celle des agglomérations majeures qui définissent l’espace de la mondialisation et celle des territoires nationaux qui conservent leur cohérence et structurent l’espace international. Les villes moyennes sont marquées par les changement de nature dans les rapports entre l’urbain et le rural.

Prenant acte de cette nouvelle situation, après Istanbul, la Banque Mondiale a lancé un nouveau programme, « Cities Alliance ». Ce programme associerait les bailleurs de fonds (institutions multilatérales et bilatérales de coopération) et les municipalités. Au départ prévu pour les très grandes villes, il pourrait comporter un volet pour les villes moyennes. Il s’agit de définir les stratégies de développement des villes avec pour priorité la lutte contre la pauvreté urbaine et l’amélioration des quartiers dégradés. L’objectif est celui de « villes sans bidonvilles ». Le programme prévoit des stratégies nationales de restructuration des quartiers dégradés dans lesquels s’inscriraient les stratégies municipales ; il prévoit aussi de mettre l’accent sur la gouvernance et le cadre institutionnel. C’est la première initiative importante de la Banque Mondiale qui donne une priorité aux politiques urbaines. Ce programme ambitionne de devenir le cadre de référence de toutes les réflexions et actions du développement urbain. Une fois de plus, la Banque Mondiale démontre que l’hégémonie intellectuelle est la meilleure manière d’affirmer une direction politique.

La conception du développement

Les politiques urbaines et les politiques du logement découlent directement des politiques de développement. C’est pourquoi il faut repartir de l’évolution de la conception du développement. D’autant que, comme on a pu voir à Seattle, la crise de la pensée libérale et la montée d’un mouvement citoyen mondial de contestation relance le débat.

La reconnaissance des effets écologiques et sociaux désastreux de l’ajustement structurel ont conduit à un modèle corrigé qui repose sur trois volets : la poursuite de l’ajustement des équilibres économiques de base, la lutte contre la pauvreté et la recherche d’une « bonne gouvernance ». La cohérence du modèle d’ensemble n’est pas évidente. Ses implications institutionnelles non plus la discussion restant ouverte sur les formes de la régulation, la discussion restant ouverte sur les formes de la régulation. L’investissement productif est toujours laissé aux marchés financiers, la dette obère violemment l’investissement public.

Les implications sur les politiques urbaines sont considérables. La ville et le logement s’éloignent du champ de l’économique pour rejoindre les politiques sociales. Le projet gestionnaire de la ville l’emporte sur celui de la transformation. Par exemple, les projets de la Banque Mondiale apparaissent comme des vecteurs de la dimension sociale de l’ajustement. Il s’agit d’intervenir dans les quartiers populaires pour compenser les effets néfastes de l’ajustement sur les plus bas revenus, les « premiers déciles ». De nouvelles modalités sont expérimentées ; par exemple, les « agetip », agence de travaux d’intérêt publics qui permettent de faire travailler les petites entreprises et les artisans et d’injecter du revenu dans les quartiers. La Banque Mondiale découvre les associations et, par différents moyens, tente de les associer à sa politique et à ses projets. Elle s’engage aussi dans la décentralisation et dans le renforcement des collectivités locales.

Dans chaque société et au niveau mondial, la prise de conscience de l’impasse portée par le modèle de l’ajustement structurel progresse. Une contre tendance chemine dans le droit international. L’idée qu’il est possible de réguler l’économie et les échanges à partir du respect des droits ; des droits civils et politiques autant que des droits économiques, sociaux et culturels. C’est le sens que l’on peut donner à la notion très controversée du développement durable.

Comment donner, au développement durable, un sens qui serait propre aux mouvements citoyens ? D’abord, en l’inscrivant dans la pensée du développement par rapport à la critique radicale du modèle de l’ajustement structurel. Ensuite, en partant des propositions portées par les mouvements, celles qui ont été discutées dans les forums civils des grandes conférences multilatérales, à Rio, à Copenhague, à Vienne, à Pékin, au Caire, à Istanbul. Ce sont ces propositions qui ont convergé à Seattle. On y retrouve les grandes lignes pour un développement économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé, géopolitiquement acceptable, culturellement diversifié. Ces pistes doivent être explorées, leur cohérence vérifiée ; il ne s’agit pas encore d’un programme. Tous ces thèmes émergent et sont présents dans les interrogations croissantes sur les politiques du logement et les politiques urbaines. Signalons la démarche entreprise par de nombreuses municipalités sur les Agendas 21 locaux qui amorce une nouvelle culture de l’économie politique.

La gouvernance et la démocratie

La gouvernance est devenu un nouveau terme obligé. Il faut évidemment se méfier des mots valises imposés. Il s’agit toutefois d’une évolution positive. Elle marque la reconnaissance de l’importance du politique par ceux qui refusaient de le prendre en compte, même si la gouvernance est souvent une vision technocratique du politique. Pour ce qui nous intéresse, les questions de pouvoirs sont posés à travers la décentralisation, la démocratisation, la participation, les collectivités locales et es associations.

La décentralisation est un mouvement historique qui concerne tous les aspects de la gouvernance et de la démocratie ; elle modifie l’action publique et la distribution des pouvoirs. La décentralisation est une réponse à une double crise, la crise de l’état et la crise sociale. Les états sont contestés par le haut et par le bas ; par la mondialisation et par la revendication d’une démocratie de proximité. La mondialisation n’est pas un point d’arrivée, un processus achevé. La décentralisation remet en cause la centralité de l’état et cherche à relier directement le local et le mondial. La décentralisation, portée par la contestation des états, porte aussi une proposition de refondation des états, de légitimation à partir des collectivités locales. Mais, la décentralisation en tant qu’elle préserve des autonomies, quelle permet des résistances à l’uniformisation, est aussi une contre tendance à la mondialisation.

La décentralisation et le renforcement des collectivités locales lui offrent un nouvel espace à la démocratisation. La gouvernance participative favorise la démocratie de proximité, elle en est un des modes d’expression. Les élections locales sont un des moments et un des lieux de la revalorisation de la fonction politique. Les collectivités locales sont aussi le support du renouvellement des élites politiques. Les plate-forme locales qui regroupent autour des municipalités les principaux acteurs de la vie locale, les associations, les opérateurs économiques et les leaders d’opinion, les services administratifs déconcentrés, les chercheurs et les professionnels construisent un espace démocratique de reconnaissance de la pluralité des acteurs locaux, de négociation entre les projets et les initiatives, de règlement pacifique des conflits locaux. Les collectivités locales peuvent permettre, à travers la démocratisation, de rendre tangible et concrète la démocratie. Au delà de la diversité des histoires, des cultures et des situations, il y a là un mouvement convergent, actuel, à l’échelle mondiale, dont il faut comprendre le sens.

Le Sommet d’Istanbul en 1996, a été marqué par l’émergence des collectivités locales. Les collectivités locales expérimentent avec la coopération décentralisée et le partenariat un élargissement du système international. Le mouvement municipal s’organise internationalement. A titre d’illustration, à Windhoek, en mai 2000, Africités 2 a organisé la réunion de 550 élus locaux de 37 pays africains, la plus importante jamais réunie d’élus africains ; et un niveau particulièrement pertinent pour discuter des problèmes du continent et de l’unité africaine. Plus généralement, à Rio en mai 2001, on assistera à l’unification du mouvement mondial des collectivités locales est en cours avec la fusion de trois grandes associations internationales de collectivités locales, la FMCU, IULA et METROPOLIS.

Le renforcement des collectivités locales institue l’espace pertinent du rapport entre le développement local, la démocratisation, la résolution des conflits locaux. La représentation dominante passe d’un modèle bipolaire à un modèle polycentrique. Entre l’Etat, contesté mais toujours présent, et les habitants, considérés suivant le cas comme des sujets, des clients, des consommateurs, des usagers ou des citoyens, d’autres intervenants cherchent leur place. Les collectivités locales et les associations portent les deux formes de représentation, la délégation et la participation. Les municipalités gagnent en autonomie ; elles relient le local et le territoire ; elles affirment leur représentativité et la légitimité de la démocratie de proximité. Les associations s’affichent comme la forme organisée de la société civile ; elles rappellent les intérêts des habitants et l’exigence de leur participation ; elles prétendent à une démocratie directe par rapport à la démocratie de délégation. Les entreprises rappellent l’importance de la production ; elles portent la rationalité de la gestion des réseaux et des services ; elles sont soucieuses de la spécificité des espaces des entreprises et des rapports qui s’y déploient.

Nous insisterons moins sur le mouvement associatif qui est bien plus connu. Il a joué un rôle majeur dans cette évolution. Le mouvement associatif est confronté à trois contradictions majeures : l’institutionnalisation qui entraîne les risques de substitution à des fonctions de l’état et d’instrumentation (le modèle administratif s’impose alors dans l’association) ; la professionnalisation, la prestation de services et la subordination au marché (le modèle de référence est l’entreprise) ; l’interpellation, la revendication et la liaison au mouvement social (le modèle syndical sert de référence). L’articulation entre ces trois tendances caractérise chaque association. Le mouvement associatif vit cette contradiction entre les associations d’habitants, d’une part, et les associations intermédiaires et professionnelles, de l’autre. De même que le débat sur le rapport à établir avec les institutions nationales dans chaque pays et avec les institutions financières multilatérales et bilatérales. Sur le plan international, il est bien représenté par HIC (Habitat International Coalition) qui prépare une rencontre internationale d’habitants à Mexico en 2001.

Du point de vue des pouvoirs locaux et de la recherche de nouvelles formes de démocratie participative, plusieurs initiatives montrent l’importance de l’évolution en cours. Ainsi, Porto Alegre au Brésil a lancé le budget participatif. Plus de 300 000 personnes ont participé à l’élaboration du budget municipal. Pour le maire, Tarso Genro, il s’agit d’instaurer une nouvelle sphère publique non étatique, une relation directe entre le pouvoir exécutif et la société civile active, une démocratie directe ouverte à qui veut s’y engager et respectueuse de ceux qui ne le veule pas. Cette démarche a été adoptée par plus de cent villes dans le monde. En France, les associations qui ont lancé 90 propositions pour plus de démocratie proposent trois leviers pour une gouvernance locale participative : l’évaluation démocratique, l’agenda 21 et le budget participatif.

Le développement local

L’urbanisation s’apprécie à l’échelle planétaire, elle s’inscrit dans le local. Le développement local est porteur d’une nouvelle approche du développement. Il permet d’équilibrer les approches macro-économiques et sectorielles Le mouvement des collectivités locales est porteur du développement local et de la démocratie de proximité. Les collectivités locales sont, à deux titres, des échelons essentiels de régulation. D’une part, elles assurent la cohérence entre le social et le territoire, le support et le cadre du développement et de la coordination des initiatives et des projets. D’autre part, elles assurent l’accès aux services locaux qui est une des composantes de la participation citoyenne. Elles inscrivent le développement local dans l’amélioration des conditions de vie des habitants et dans le respect des droits économiques, sociaux et culturels qu’il leur revient de mettre en œuvre.

Les collectivités locales sont porteuses d’une dynamique de développement, celle du développement local. Le développement local renforce l’autonomie des collectivités locales et contribue à accroître leurs moyens propres. Le renforcement de l’économie locale et du marché local, de l’action des entreprises locales et du secteur de production populaire, dépendent largement de l’action municipale. La dépense publique locale, composée du budget des collectivités locales et des dépenses déconcentrées des administrations nationales, est un moteur de l’économie dans le même temps où elle répond à des besoins sociaux. Les municipalités sont devenues aujourd’hui un des principaux opérateurs de développement. Elles peuvent par leur capacité de remboursement et d’endettement faciliter des investissements à long terme. Elles peuvent assurer la cohérence du territoire, l’articulation entre le développement local et les autres dimensions du développement durable.

Le logement, les services urbains, l’aménagement sont trois volets déterminants du développement local. La politique du logement concerne les municipalités quand elles ont le souci de la gestion du parc de logements, de tous les logements implantés dans la commune, et en font une partie intégrante de la gestion urbaine et de la gestion municipale. Les décisions prises en matière de logement qui modèlent la ville, gérer le logement c’est gérer la ville. De même, les communes arrivent à compenser la médiocrité d’un habitat par une bonne desserte (voirie, jardin, école...) et par le renforcement de son intégration à la ville existante (facilité d’accès au reste de la ville, qualité et faible coût des transports, continuité physique...). Les associations produisent de l’accès au logement et développent de nouvelles pratiques de facilitation, de gestion et d’accompagnement.

L’accès aux services locaux urbains est un critère déterminant de la gestion urbaine. La discussion sur la couverture universelle est au cœur du débat sur les droits économiques et sociaux. Les collectivités locales sont tenues d’inventer de nouvelles formes d’économie urbaine qui combinent l’efficacité du marché et l’égalité devant les normes urbaines. La nature des services dépend de l’organisation de l’offre et des choix de la municipalité entre les différentes formes d’exploitation et de gestion des services.

Deux programmes sont particulièrement innovants en matière de développement local participatif. Le programme ECOLOC, dans quinze villes d’Afrique de l’Ouest, à l’initiative du Programme de Développement Municipal et du Club du Sahel. Il repose sur la construction de comptes économiques locaux qui servent de support pour la définition, par les municipalités et les différents animateurs locaux, d’une stratégie municipale et d’une relance de l’économie locale. Le Programme de Gestion Urbaine, géré par la CNUEH et le PNUD. En Amérique Latine, dans 51 villes, des consultations urbaines et des plans d’action autour des objectifs (pauvreté, environnement, gouvernance participative, égalité entre les genres) ont été préparés par des coalitions locales comprenant les municipalités, des associations d’habitants, des ONG, des universités et des professionnels.

Le foncier et le financement

En matière de politiques spécifiques du logement et de la ville, le diagnostic est largement partagé. Le marché reste la référence dominante au niveau des politiques et hégémonique au niveau des idées. Les mécanismes de marché déterminent le foncier et le financement. La ségrégation urbaine redouble les différenciations sociales et structure la pensée urbaine. Il n’y a pas de solution à la question du logement en dehors de la prise en compte de la ville. Le logement social est en crise : il devrait loger tous ceux qui en ont besoin ; il n’y parvient pas et ne s’organise pas pour cela. Il n’a pas été prévu pour cela et son évolution est inverse à l’accueil aux couches sociales les plus défavorisées. L’intervention publique reste considérable, tant du point de vue des moyens d’intervention qu’au niveau des systèmes de régulation. Pourtant, les états ne s’autorisent plus à affirmer leur rôle et ne se considèrent plus en mesure d’intervenir à l’échelle des problèmes rencontrés. Ce qui est en cause ce sont les modalités d’intervention publique.

Dans la crise qui se manifeste dans l’évolution des quartiers et des villes, retenons deux caractéristiques : la globalisation financière et ses conséquences sur les politiques de financement public ; la nature du marché foncier, de son inertie et de ses amplifications, de son rôle dans la ségrégation urbaine. A cette situation correspond la diversification des acteurs et des opérateurs (administrations, municipalités, entreprises, associations, gestionnaires) et de leurs stratégies ; ainsi que les réponses populaires et citoyennes à la question du logement et de la ville.

Le premier débat sur la production de l’habitat, qui se poursuit de Vancouver à Istanbul, est celui du rééquilibrage entre les filières modernistes et les filières populaires. Comment faire pour que les filières modernistes n’accaparent pas tous les moyens publics allant jusqu’à marginaliser et « insécuriser » l’habitat populaire, celui de la plus grande masse des ménages urbains ? On a bien assisté à quelques essais d’aménagement et d’équipement, au moins élémentaires, de sites d’accueil de l’habitat, moderniste et populaire, Malgré quelques expériences, cette doctrine du rééquilibrage n’a pas triomphé. Son succès dépend en réalité de la passation d’un nouveau pacte politique entre classes dirigeantes et masses urbaines.

Sur la question foncière, la préparation d’Habitat 2 a été l’occasion d’une réelle avancée. On a pu discuter ouvertement des régularisations foncières et plus généralement du refus par les habitants des « déguerpissements » et des expulsions. On a pu aussi constater la grande richesse de l’histoire urbaine, notamment en Amérique Latine et en Asie, sur les négociations foncières et en Afrique sur l’aménagement foncier « spontané ». Malgré des succès significatifs, les méthodes d’aménagement correspondantes sont lourdes, longues et coûteuses ; et le stock des quartiers spontanés est considérable et s’accroît chaque jour. Depuis Istanbul, une piste prometteuse est ouverte avec les politiques foncières locales menées par les municipalités avec les associations et les opérateurs locaux.

Le financement de l’habitat et de l’urbanisation est un chantier en pleine activité. Les associations de pouvoirs locaux préparent des propositions pour Habitat 2+5. Elles concernent l’accroissement des ressources propres des municipalités, le rôle de la taxation foncière pour le financement de l’urbanisation, les transferts de ressources liées aux transferts de compétence, le financement des services urbains, l’accès des municipalités à l’emprunt et aux marchés financiers, etc. Par ailleurs, la mobilisation de l’épargne populaire et son utilisation pour le logement offre des perspectives considérables dans toutes les régions. En Asie particulièrement, une vingtaine de systèmes de crédits innovants explorent l’articulation entre les systèmes formels et nouvelles formes innovantes ; citons par exemple, le Community Mortgage Programme aux Philipines, la Grameen Bank au Bengla Desh, le Kampung Improvement Programme en Indonésie, la Sewa Bank en Inde, les Unions de Coopératives de Crédit dans plusieurs pays.

Le droit au logement

Le droit au logement est stratégique parce que le logement est stratégique. Il est lié à la satisfaction des besoins fondamentaux et au travail. Affirmer un droit au logement pour tous est une nécessité. C’est la meilleure manière aujourd’hui d’interroger la question du logement. C’est aussi une des meilleures façons d’interroger la question des droits.

Il ne faut pas opposer le droit au logement au droit à la ville ; ils sont complémentaires. Trop souvent, le droit à la ville est avancé pour éviter la discussion sur l’accès au logement. Il est plus important de rechercher les passerelles qui les relient, par exemple la légitimité des manières populaires de produire la ville, l’égalité des normes d’équipement entre les quartiers, l’accès aux services urbains, etc.

Peut-on garantir le droit au logement pour tous dans une économie de marché ? Surtout quand l’évolution des sociétés de marché est marquée par l’approfondissement des inégalités, l’élargissement des exclusions, la montée des ségrégations sociales. Pour y arriver, il faudrait en faire un objectif politique explicite, orienter en ce sens les formes de régulation des marchés, définir les modalités d’interventions publiques correspondantes, d’apporter une attention particulière à tous ceux qui n’ont pas accès à un logement convenable et à ceux qui sont mal logés. Partir de l’accès au logement pour ceux qui ont le plus de difficultés à y accéder, c’est changer la perspective des politiques.

Pour garantir le droit au logement, la discussion porte sur la nature de l’intervention publique : mise en place d’un filet social, service public de protection sociale, redistribution et allocations de revenus. On peut aussi élaborer et imposer des normes. Les normes traduisent une situation, un compromis, une évolution du rapport de forces entre les droits et le marché. La définition des normes se concrétise par des transferts, des subventions, des aides, des péréquations organisées par les autorités publiques. Mais, toute démarche normative imposée accentue la rupture entre participation et technocratie. Les habitants reconnaissent la légitimité des normes quand elles ne leur sont imposées et quand elles ne sont pas un moyen pour les expulser. On ne peut accepter que les normes servent à normaliser les habitants et que la réduction des normes soit la condition de l’accès ou du maintien dans un logement.

Le mouvement associatif des habitants commence à poser la question des mesures à proposer sur le plan international pour aller vers la garantie du droit au logement. Proposons dans ce sens : le droit pour les habitants au maintien dans les lieux et le refus des expulsions sans relogement ; le droit à la négociation individuelle et collective et le droit au recours. En ce qui concerne les politiques du logement, on peut préconiser : la diversification de l’offre et la légitimité des filières populaires ; l’ajustement des méthodes d’intervention et des procédures (rénovation, réhabilitation, « réserves de transition », instruments fonciers, etc.) ; le soutien aux opérateurs économiques et aux associations comme producteurs d’accès au logement et non comme accompagnateurs sociaux.

Le débat international sur les droits économiques, sociaux et culturels soulève plusieurs questions fondamentales. La différence entre un droit proclamé et un droit garanti, le rapport entre les droits et le marché, la justiciabilité des droits économiques. Ces questions sont en discussion à propos du protocole additionnel préparé, par le comité pour les droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, après la Conférence de Vienne.

Les droits à garantir sont ceux qu’une société peut assumer. Mais, si elle le peut, elle le doit. Les droits dépendent autant du niveau de développement d’une société que de ses choix. Pour autant, les inégalités sociales ne peuvent remettre en cause l’égalité en droit, l’égalité d’accès. Ainsi en matière de ville et de logement, l’accès au logement pour tous et l’accès aux services urbains sont déterminants. Ce sont les conditions d’accès qui concrétisent le droit au logement. Le droit d’accès pour tous, c’est le droit pour chacun d’avoir accès à un logement correspondant aux normes minimales acceptables ; c’est le droit pour chacun de ne pas être empêché d’accéder à un logement.

Le droit international est porteur d’une nouvelle modernité. Il permet aux mouvements citoyens dans chaque pays de se mobiliser pour faire avancer les situations. Il peut permettre aux citoyens d’avoir un recours si leurs droits sont violés. Prenons un exemple. En France, après l’occupation d’un immeuble inoccupé, Boulevard René Coty, par des familles de sans logis soutenues par l’association Droit au Logement (DAL), la mairie de Paris après jugement du tribunal de première instance avait fait évacuer l’immeuble par la force et avait fait détruire tous les planchers pour empêcher toute occupation. La Cour d’Appel de Paris, statuant à la demande du DAL, et se référant à la signature par la France de conventions internationales reconnaissant le droit au logement, avait demandé à la mairie de Paris de reloger les familles. Les associations se sont saisies de ce jugement pour développer les luttes pour l’accès au logement.

La « question du logement » est toujours d’actualité. Le débat entre Engels et les proudhoniens ne l’a pas épuisé. Le capitalisme peut-il loger les prolétaires ? Le marché peut-il loger les pauvres ? Une société peut-elle loger tous ses membres ? L’Humanité peut-elle loger tous les siens ?

L’échelle du monde est aujourd’hui une échelle pertinente. A cette échelle, la situation se dégrade de manière relative et absolue ; la résolution de la question du logement s’éloigne. La déclaration universelle des droits de l’homme ne peut être subordonnée au droit du marché et au droit des affaires. A l’échelle du monde, si l’Humanité est capable de loger les siens, elle doit le faire. Ce défi peut être relevé. A condition d’être reconnu.

Gustave Massiah



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