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La régulation des Services Publics - 1999

Publié par , le 13 mars 2007.





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La régulation des services publics est la dimension stratégique de la nouvelle organisation qui se met en place à travers les directives européennes. Cette fonction doit être distinguée de l’orientation (responsabilité du politique) et de l’opération (responsabilité des opérateurs).

I - SERVICES D’INTÉRà?T GÉNÉRAL

– Droit à la nourriture, au logement, à l’éducation, à la santé, à la sécurité, à l’information sous toutes ses formes, aux transports, à l’énergie, à l’eau et à l’assainissement.

– Services réglés « naturellement » par les lois du marché : nourriture, logement.
Le rôle des pouvoirs publics est là limité à la réglementation générale (ex. : règles sanitaires pour l’alimentation) ou à la tutelle du secteur aidé (HLM).

– Autres services où par tradition et par principe, les pouvoirs publics sont leaders, même s’il existe une concurrence privée minoritaire : éducation, santé, sécurité.

– Services assurés jusqu’ici par les pouvoirs publics d’une manière majoritaire, mais qui sont de plus en plus ouverts sur le marché, donc la concurrence : information et communication,transports, énergie, eau et assainissement. Ce sont des services en réseau, c’est-à-dire utilisant des infrastructures (réseau câble, réseau PTT, voies ferrées, …).

Définition générale :
a) deux critères : répondre à un besoin collectif et assurer le même service au même coût à tout le monde quelle que soit sa situation sociale ou géographique -> solidarité et péréquation ;
b) une caractéristique : évolutif dans le temps et l’espace (au moins dans ses moyens et ses formes).

II - Rà?LE DES POUVOIRS PUBLICS VIS-À-VIS DES SERVICES D’INTÉRà?T GÉNÉRAL

Pouvoirs publics au sens large : union européenne, Etat français, collectivités territoriales …

Traditionnellement, l’État avait un double - voire triple - rôle :
– législateur : il fixait le cadre dans lequel s’exerçaient les missions de service public (réglementation générale) en liaison avec les grandes priorités économiques et sociales (politique) ;
– tutelle des établissements et entreprises publiques qui remplissaient des tâches d’intérêt général (rôle d’actionnaire) ;
– opérateur des missions de service public (administrations).

Évolution en cours sous l’effet de la création de l’Union européenne et, dans une moindre mesure, de la décentralisation :

– le rôle de législateur subsiste, mais il est élargi à la fois à la dimension européenne (rôles de la Commission de Bruxelles et du Parlement) et à la dimension régionale par délégation (exemple des transports régionaux) ;

– les rôles de tutelle et d’opérateur sont complètement modifiés, voire en voie d’extinction - au moins en ce qui concerne les services publics de réseau qui nous intéressent ici.
L’intégration européenne impose de plus en plus l’ouverture de marchés et (qu’on le veuille ou non) la privatisation totale ou partielle des opérateurs.
Par ailleurs, l’État, tout en restant l’actionnaire unique ou majoritaire d’entreprises publiques, joue de moins en moins un rôle d’opérateur direct depuis la mise en œuvre des contrats de Plan. Mais en même temps, le traité d’Amsterdam reconnaît l’importance sociale et humaine des services d’intérêt général.

D’où la nécessité de redéfinir le rôle des Pouvoirs Publics dans l’accomplissement des missions d’intérêt général dans un contexte d’ouverture du marché.
Son rôle de tutelle des entreprises de service public - traditionnel en France - est en particulier remis en question alors qu’est apparu depuis une dizaine d’années un concept nouveau - la régulation - qui pourrait être amené à se substituer progressivement à cette fonction de tutelle.

III - LA RÉGULATION

– Double définition

– Dans un sens large, c’est l’ensemble des ajustements nécessaires des différentes variables qui règlent le fonctionnement des services publics pour le rendre optimum.

– Dans un sens étroit (celui actuellement retenu par une majorité de politiques et de technocrates), c’est l’adaptation du fonctionnement des services publics aux lois du marché et de la libre concurrence.

Mais il faut profiter de cette remise en question du service public à la française pour tenter de moderniser et démocratiser son fonctionnement. Et donc considérer la régulation plutôt dans son sens large.

– Le champ de la régulation

Il peut recouvrir différentes fonctions, parmi lesquelles l’équité dans l’accès aux infrastructures et réseaux publics, les principes de la tarification des services publics, les conditions d’indemnisation financière entraînées par l’exercice de la solidarité nationale, la répartition de la rente financière entre les différents acteurs, l’observance des règles (nationales et communautaires) en matière de concurrence et de contrôle des prix, l’évaluation de l’efficacité économique et sociale des services publics, le contrôle, c’est-à-dire la capacité de déceler des anomalies de fonctionnement des services publics vis-à-vis de l’intérêt général, et de les corriger le cas échéant.

Est exclu a priori du champ d’application de la régulation la fixation des grandes orientations de la politique économique (sectorielles ou transversales) qui doit rester, à mon sens, l’apanage exclusif des pouvoirs publics par l’exercice de ses pouvoirs législatif et exécutif. Et par conséquent l’établissement de cahiers des charges correspondant aux obligations de service public.
Pour le reste, l’État (qui est encore l’actionnaire majoritaire de maintes entreprises publiques) ne peut être seul juge de ces fonctions de régulation. Il doit au moins les partager avec une instance qui soit indépendante ou autonome. Véritable contre-pouvoir ou lieu d’arbitrage entre intérêts divergents, cette instance devrait en outre être largement ouverte au public, c’est-à-dire aux usagers-citoyens dans un souci de démocratisation et dans le but d’éviter les excès habituels du jacobinisme et du corporatisme (éviter les « face à face » et le risque de capture du régulateur par l’opérateur).

– Les instances de régulation

Un nombre croissant d’institutions et de procédures de régulation est apparu depuis quelques années dans différents secteurs des services publics (C.O.B., Médiateur, Conseil de la Concurrence, C.S.A., A.R.T., …).
Chacune de ces institutions, qui a été créée par une loi (ou une ordonnance) en tant qu’Autorité « indépendante » (des opérateurs) a des spécificités propres à son activité et au contexte politique de sa période de création.
Si l’on regarde les choses d’un peu plus près et sans faire bien sûr un inventaire complet, on s’aperçoit que le degré d’indépendance, la composition, les conditions de saisine, jusqu’aux pouvoirs dévolus à ces autorités sont très variables d’une institution à l’autre. La démocratie (c’est-à-dire la prise en compte des souhaits des usagers-citoyens, ainsi que ceux des agents des services publics représentés par leurs syndicats) y est faible - pour ne pas dire absente. C’est dû à la carence de la représentation des usagers ou des associations dans ces institutions, en dehors de quelques personnalités de la « société civile »).
C’est là, me semble-t-il, la principale lacune du système actuel : régulation et démocratisation des services publics doivent aller de pair pour que l’intérêt général soit vraiment servi dans les meilleures conditions.
Il convient d’assurer aux instances de régulation une véritable autonomie à l’égard du pouvoir politique et des opérateurs, de véritables pouvoirs d’investigation (dans certains cas réglementaires) et enfin, une grande ouverture vers la reconnaissance des besoins des usagers-citoyens.

IV - UN SYSTà?ME DE RÉGULATION À CONSTRUIRE

On peut s’interroger sur la forme optimale que devraient prendre ces instances de régulation. Il paraît évident qu’il ne peut pas exister une seule instance nationale de régulation qui chapeauterait l’ensemble des services publics.

– la première segmentation est sectorielle (énergie, eau, transports, poste, télécommunications …),

– la deuxième est géographique : la régulation doit s’exercer à chaque niveau décisionnel (local, régional, national, européen), la difficulté étant de trouver un système d’emboîtement ou pyramidal permettant d’harmoniser ces différents stades de régulation,

– la troisième pourrait être fonctionnelle : certaines fonctions de régulation pourraient être re-groupées dans une instance commune. Mais la fonction d’évaluation devrait être isolée et exer-cée par des observatoires d’expertise distincts des instances de régulation, dans la mesure où la régulation doit elle-même être évaluée. La fonction d’observance de la concurrence pourrait rester sous l’autorité du Conseil national de la concurrence - éventuellement élargi et redéfini,

– quant au contrôle, il faut distinguer entre celui du fonctionnement global des services publics (qui fait partie de la régulation) et celui des opérations ponctuelles (qui doit rester interne aux entreprises).

À partir de là, on peut imaginer deux systèmes ainsi que leur combinaison :

– des comités de régulation locaux (ou départementaux ou régionaux) spécialisés par secteur. Ils devraient réunir des représentants de l’administration et de l’État, des représentants syndicaux des agents des services publics concernés, des parlementaires locaux et des représentants des usagers. De ces comités locaux devrait émaner dans chaque secteur un Comité national (exemple : le comité de l’énergie, de la poste, …) qui regrouperait des représentants du même type au niveau national, les associations locales d’usagers pouvant de leur côté se fédérer en groupements nationaux d’associations.
Mais l’on peut également concevoir que ces comités nationaux soient totalement déconnectés des comités locaux, afin d’éviter la création de nouvelles institutions centralisatrices. Resterait cependant à régler le problème de l’harmonisation entre ces différents statuts. Quoiqu’il en soit, ce statut, l’organisation et le fonctionnement de ces comités devraient être déterminés par la loi avec précision. A priori, on peut penser souhaitable pour leur efficacité que ces comités soient dotés de moyens financiers suffisants leur permettant notamment de rémunérer (à tout le moins, de défrayer) leurs membres bénévoles et reçoivent de la part des pouvoirs publics des délégations leur autorisant l’exercice de certains pouvoirs réglementaires et juridictionnels, au-delà bien sûr des pouvoirs de contrôle et d’investigation plus usuels).
Se pose également le problème du pouvoir au sein de ces comités : le mode de désignation et le rôle du président qui devrait être à mon sens l’un des représentants des usagers ou une personnalité de la société civile, le poids des usagers-citoyens qui devrait représenter au moins 1/4 voire 1/3 des votes, ainsi que celui de la représentativité des organisations ou associations d’usagers. Compte tenu de la faiblesse relative du consumérisme en France, faut-il prévoir des élections de type professionnel (ex. : les prud’hommes) ou un doublement des élections politiques ?
Les autres éléments de l’organisation et du fonctionnement de ces comités (la durée et le renouvellement des mandats de ses membres, la publicité de ses débats, les modalités de saisine, le contrôle, les moyens d’expertise, les possibilités de sanction et les procédures d’appel) devraient être fixés par la loi au préalable - quitte à être auto-régulés par la suite.

– Un réseau de régulateurs, sorte de médiateurs dans les matières économiques et sociales « sensibles » qui seraient nommés (ou élus) pour chaque secteur aux différents niveaux de la vie administrative et politique (département, région, nation). Ces régulateurs devraient être des « intermédiaires » intelligents entre les citoyens-usagers et leurs associations d’une part et les pouvoirs publics et les opérateurs d’autre part.
À ce niveau, plusieurs questions se posent :
– quel statut leur donner (élu, juge, haut fonctionnaire) ?
– quels modes de désignation et de rattachement (gouvernement, parlement, Conseil d’État, magistrature) ?
– quels pouvoirs leur donner vis-à-vis de l’État, des services publics et des entreprises concurrentes (d’investigation, d’agrément…) ?
En tout état de cause, leur indépendance (ou autonomie) devrait être garantie par leur irrévocabilité pendant toute la période de leur mandat et la transparence de leurs activités et de leurs relations avec les autres acteurs économiques et politiques.

In fine, il est tout à fait possible d’envisager une combinaison de ces deux systèmes, le régulateur étant alors la cheville ouvrière ou le secrétaire général du comité de régulation correspondant. Ce système peut paraître un peu lourd et présenter le risque de créer une nouvelle technostructure. Mais il aurait l’avantage de concilier l’autonomie, l’efficacité et la démocratisation de la fonction régulation.

Claude Klein pour Réseaux Services Publics (RSP)
Ce document a été réalisé en 1999 pour cadrer les réflexions et débats.