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Le service public ferroviaire. La SNCF entre l’impératif commercial et le "service public" - 1998

Publié par , le 13 mars 2007.





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La SNCF est et restera la pièce maîtresse (l’« opérateur historique ») du dispositif de service public des transports de demain. Mais comment, dans quel cadre, avec quels partenaires, financements et pour quelles missions ? Ces questions d’avenir nécessitent de connaître son passé. Car la SNCF est aujourd’hui une entreprise fragile à laquelle une politique d’austérité, une gestion de crise ont été administrées dans un contexte globalement défavorable de 1990 à 1996. Sa situation actuelle s’explique aussi par son histoire : la création du réseau de chemin de fer fut la grande aventure industrielle et administrative de l’interventionnisme étatique du XIX e siècle:déficits structurels et contrôles a priori de ses tutelles forment cercle vicieux. De 1993 à 1997, l’instabilité de la direction a contribué à l’aggraver.

I - UN ETATISME STRUCTUREL

La logique générale de l’intervention économique de l’État est à l’œuvre dès la phase de mise en place du chemin de fer au XIX° siècle : quand la rentabilité financière s’essouffle et que l’intérêt général justifie un contrôle public (sécurité) ou même une production « publique » (infrastructure), les deux acteurs administratifs traditionnels installent leurs tutelles, facilitées par la centralisation de l’organisation des réseaux : le corps des Ponts pour la tutelle technique et les directions des Finances. Cette logique est en même temps celle de la croissance de l’appareil administratif. Et les deux ont fortement marqué l’histoire des chemins de fer français dès ses origines.
Les éléments essentiels de l’« étatisme à la française » sont donc présents dès le départ : confusion entre les fonctions d’orientation - régulation - opération, les arbitrages s’effectuant en interne, en toute opacité, par les « grands corps ».

Depuis la Libération, la SNCF s’efforce en vain de s’assurer une expansion forte et stable sur longue période. Au lieu de quoi, ses trafics et parts de marché augmentent faiblement ou régressent. Et ses relations de travail sont dominées par l’impératif de réduction des effectifs qui, de 500 000 au lendemain de la Libération, n’ont cessé (sauf de 1972 à 1975) de décroître( jusqu’à 170 000 aujourd’hui) pour se stabiliser en 1999. Un « compromis défensif » apparaît donc comme la seule possibilité : une programmation des réductions d’effectifs qui garantisse l’absence de licenciement et le maintien du statut pour ceux qui restent.
Ce compromis est désormais remis en cause par le projet de directive européenne qui entend introduire la concurrence comme principe d’efficacité. Et qui, au nom du marché unique sur le territoire européen, remet en cause le monopole territorial national contesté également par les évolutions technologiques (grande vitesse, systèmes de contrôle et de signalisation).
Et cette situation forme cercle vicieux avec le contrôle a priori des tutelles qu’elle justifie et entretien.

Avec le lancement du TGV en 1980, elle avait espéré renouer avec le succès, non seulement dans sa dimension technique mais aussi commerciale et financière : cette technique révolutionnaire allait lui permettre de reprendre des parts de marché à l’avion et la route ; sa rentabilité allait combler le déficit de l’entreprise.
Même si les résultats ont semblé d’abord évoluer dans ce sens, la SNCF est restée en fait une entreprise fragile.

Car la crise est venue dans la seconde moitié des années quatre-vingts et s’est traduite à la fois par de graves accidents révélant l’inadaptation de sa réglementation et d’une partie de son infrastructure (notamment de son système de sécurité), et par de grandes grèves accentuant l’opposition entre attitudes syndicales et mécontentement des usagers. Elle a révélé une culture centralisée de type militaire, très fière de ses records techniques censés faire oublier ses rigidités sociales.
Le contrat de Plan État-SNCF (1990-1994) entendait dé-passer cette crise en accordant à l’entreprise une réelle autonomie de gestion en contrepartie d’une suppression programmée de son déficit. Il délimitait restrictivement les « missions de service public » donnant lieu à contrepartie financière. Mais son élaboration n’a pas donné lieu aux concertations avec les partenaires (internes et externes) qui auraient pu créer un consensus sur son contenu et la nécessité de son application.

De plus, de 1991 à 1997, le contexte économique est défavorable : la conjoncture oscille entre stagnation et récession, ce qui entraîne un recul des trafics de l’entreprise qui, à son tour, impose la programmation d’une réduction a priori des effectifs et une tendance à l’accentuation de la suppression des trains sur les lignes déficitaires. De quoi aggraver la situation duale entre l’impératif commercial et celui de service public. Cette situation atteint un point d’incandescence durant les grèves de fin 1995. Par ailleurs, le poids de la dette est tel que la reprise récente ne suffit pas à le réduire.

Or la SNCF doit gérer la rencontre entre plusieurs acteurs : l’État, la Commission européenne, les usagers-clients, l’entreprise et les collectivités territoriales. Et elle est elle-même composée de quatre réseaux : une SNCF « avion » (les TGV), les grandes lignes, les transports de proximité (T.E.R. et banlieue parisienne) et le fret. À chaque fois, les services sont différents, les usagers sont impliqués et organisés différemment. Les arbitrages actuels accordent la priorité aux voyageurs sur le fret. Par ailleurs, la SNCF est le premier transporteur routier à travers ses filiales.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la modernisation technique n’a pas eu d’effet d’entraînement sur l’ensemble des réseaux, mais elle a au contraire provoqué un effet d’exclusion. Ainsi, dans les gares parisiennes concernées, les lignes TGV ont progressivement réduit la part des lignes banlieue. Et quant aux horaires, le TGV est là aussi prioritaire. Il n’y a donc pas effet d’entraînement sur les réseaux banlieue ou T.E.R., mais contradiction entre leurs logiques : elles sont pour l’instant impossibles à réunir dans une même stratégie. État et collectivités territoriales sont impliqués différemment dans ces quatre SNCF, qui sont en interaction conflictuelle, mais pas dynamique.

Est-ce là un effet inhérent à la technologie TGV elle-même ou à la technostructure qui en a organisé centralement la mise en place centralisatrice ? Au bout de quinze ans, il semble impossible de les dissocier. La percée technologique a engendré un recul de l’esprit commercial et une diminution du nombre de points desservis par le réseau. À mesure qu’avec l’ouverture de nouvelles lignes, le TGV devient lui-même un réseau, il semble non seulement ne pas rechercher la complémentarité avec le réseau T.E.R. mais au contraire le réduire. Il suffit de voir où et comment sont implantées les gares TGV : c’est avec l’autoroute et l’avion qu’elles recherchent le plus souvent la complémentarité. Elles encouragent ainsi le trafic routier et limitent de plus en plus les voyageurs potentiels du TGV aux grandes villes. Le TGV cannibalise ainsi la SNCF et en définitive, il se cannibalise lui-même en sapant la principale base de sa croissance future : le réseau T.E.R. comme réservoir d’usagers potentiels du TGV.
Depuis 1994, les Régions qui ont conventionné avec la SNCF sont devenues l’autorité régulatrice des transports collectifs sur leur territoire. Elles doivent établir des schémas régionaux de transports. Elles apportent des financements avec un cahier des charges spécifique. C’est le seul avenir possible de la SNCF comme « service public », à condition de créer une dynamique participative comprenant tous les acteurs concernés, par une démarche d’évaluation pluraliste..
La majorité des cheminots appréhendait les T.E.R. comme « démantèlement du service public ». C’était le discours de certains syndicats, qui ont évolué pour la plupart sur ce point..

II - LA POLITIQUE DU PERSONNEL

Elle est dominée par la réduction des effectifs, qui crée un climat défensif. Mais cette réduction n’a lieu que dans les catégories de personnels d’exécution - et n’atteint pas la direction et les cadres. Le poids des déficits paralyse la direction dans son autonomie à l’égard de ses tutelles.
Il faut également noter la dérive de la masse budgétaire, qui a augmenté de 2,5 % en 1998, pour une inflation de 0,3 %.
Il est à espérer que la négociation sur les 35 h. permette d’aborder la question de l’organisation du travail dans une démarche dynamique.

III - LA CONCERTATION AVEC LES CLIENTS-USAGERS

Elle fut initiée en 1990 par le président Fournier avec 19 associations de consommateurs et d’usagers, pour tenter de créer une dynamique managériale conciliant l’impératif commercial et celui de service public. Davantage de l’ordre de la consultation que d’une véritable concertation, elle existe à deux niveaux :

1°) la concertation nationale

Elle est passée par deux phases : jusqu’à la mi-93, elle fut dominée par la politique commerciale agressive de la direction des activités grandes lignes (D.A.G.L.) qui en excluait a priori les questions tarifaires. Elle déboucha sur la crise du système de réservation « Socrate » qui se traduisit par une perte de l’ordre de 6 milliards F.
Depuis septembre 93, « Socrate » a fait l’effet d’un séisme sur la SNCF : des usagers ont alors quitté le train. La SNCF a alors reconnu la nécessité de prendre davantage en compte le point de vue de ses usagers-clients car la SNCF cherche à reconquérir sa clientèle. De nombreuses réunions de concertation ont lieu désormais (tous les quinze jours) selon un calendrier annuel qui couvre presque tous les sujets concernant les usagers. Mais les débats sur les infrastructures sont exclus.

2°) la concertation régionale

Elle a connu deux étapes.

a) Le système T.E.R. Prévue dans la loi sur les transports intérieurs (LOTI) de 1983 et les contrats de Plan, la relance du transport ferré régional est apparue en 1985 comme une tendance très minoritaire, aussi bien à la SNCF que dans les régions. Il n’a connu alors de développement que dans quelques régions pilotes comme Nord-Pas de Calais.
La concertation est donc dissociée entre S.N.C.F.-associations d’une part et S.N.C.F.- élus de l’autre. Ce qui fige les positions et ne lui permet pas de porter sur des décisions innovantes et impliquant nécessairement les trois acteurs.

b) La régionalisation des T.E.R. - Dans les Régions qui ont conventionné avec la SNCF, la concertation est désormais de la compétence des élus. En Alsace existent des comités de ligne comme en Suisse, où cela fonctionne bien. Dans le Nord, une démarche-qualité a été poussée assez loin, donnant lieu à des modifications d’horaires. Il reste à créer une dynamique participative autour des schémas régionaux par l’évaluation pluraliste.

IV - L’EVALUATION PLURALISTE DES RESULTATS

Il en existe les prémisses : les contrats de plan État-SNCF comprenaient des indicateurs. Mais ils n’ont donné lieu à aucun débat public. Des indicateurs existent quant à l’évolution des trafics, aux retards. La qualité, la propreté, la sécurité font aussi l’objet d’indicateurs. Mais ils ne sont jamais utilisés dans la concertation. L’évaluation pluraliste qui correspond au « service public » de demain (notamment aux schémas régionaux de transport) les intègre dans la démarche managériale : chaque acteur partie prenante définit les indicateurs correspondant à sa vision du « service public » ; ensuite, une négociation entre tous les acteurs aboutit à un compromis sur des indicateurs communs qui sont publiés et donnent lieu à débat périodique sur la conformité de leurs évolutions constatées aux objectifs retenus.

V - L’EUROPE DES TRANSPORTS A CONSTRUIRE

Aujourd’hui, l’avenir du chemin de fer est européen, pour trois réseaux sur quatre. L’enjeu en est la réglementation, la régulation et les financements.
Comment organiser une égalité de traitement entre moyens de transports (rail, route, avion) ?
Comment construire un service public européen des transports assurant un aménagement du territoire dynamique (égalité spatiale du territoire) ?