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Professionnels et usagers de santé peuvent-ils, ensemble, démocratiser leur service public ? - 2002

Publié par , le 13 mars 2007.





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ADELS - Territoires - 7èmes rencontres de la démocratie locale

Penser autremement l’action publique - atelier n° 5

Comment, localement, le SERVICE PUBLIC DE SANTÉ se recompose-t-il à partir des progrès scientifiques et techniques et des transformations qu’ils induisent dans les conditions de travail et de vie des personnels, et dans les attentes et besoins des malades-citoyens. Des expériences de concertation seront présentées et débattues.

RETRANSCRIPTION

PROFESSIONNELS ET USAGERS DE SANTÉ PEUVENT-ILS, ENSEMBLE, DÉMOCRATISER LEUR SERVICE PUBLIC ?

Le débat de l’atelier s’est organisé autour de la coopération (plus ou moins conflictuelle) entre professionnels et usagers de santé et de leur rôle dans le lien social. Il s’est ouvert par une interrogation par Chantal Deschamps sur la perception, le statut du malade-usager-citoyen de santé, à partir de ses expériences de responsable de la Maison des usagers à Broussais (Paris 15°) et de chargée de mission droits des usagers à Avicenne (Bobigny - 93). Il a été présidé par Jean Wils et animé par Philippe Brachet.

I - Thèmes possibles :

 Les “missions Droits des usagers”, les “Maisons des usagers” dans les hôpitaux : comment les créer ? leurs acquis, leurs limites, leurs moyens. Pourquoi n’en existe-t-il pas davantage ?

 Les autres formes de dispositifs hospitaliers partant des usagers, et de réseaux de professionnels militants et associatifs organisés.

 Comment intégrer l’environnement psycho-sociologique des personnes dans leurs relations au système de santé ?

 La loi sur les droits des malades et son chapitre sur le renforcement des réseaux de santé : que contiennent-ils ? Qu’en attendre ? Quel rôle et quels moyens accorde-t-elle aux associations de malades ?

 Comment l’hôpital (et plus largement, le système de santé) sont-ils insérés localement ? Quelles sont les compétences des collectivités locales dans le domaine de la santé ? Sont-elles suffisantes ? Démocratiques ?

 Ces compétences sont-elles les mêmes à Paris (AP-HP) qu’en province ? Pourquoi ?

 Le service public de santé relève-t-il des instances de concertation locale (commissions consultatives …) ?

 Les rapports entre public et privé au sein du service public de santé.

Autres thèmes possibles (liste non limitative), selon les participants :

 les missions du service public de santé sont : les soins, l’éducation par la prévention, l’enseigne-ment, la recherche (fondamentale et clinique) : comment sont-elles remplies ? Pourquoi ? Comment les améliorer ? Y en a-t-il d’autres ?

 l’accréditation et l’évaluation conduites par l’ANAES auprès des établissements de santé : quels sont les résultats de ces procédures et démarches en termes de concertation entre les acteurs de santé ?

 Le rôle des différents acteurs du système de santé.

 Les moyens, le financement : peut-on exclure toute relation marchande du service public de santé ? Sinon, comment la contenir ?

L’AITEC, à laquelle l’ADELS a confié l’animation de cet atelier, travaille en réseau avec elle et d’autres associations citoyennes à l’analyse, l’expérimentation et la proposition sur le(s) service(s) public(s) aux différents niveaux territoriaux (du local à l’Europe).

Elle a organisé le 5/2/2001 avec la mission Droits des usagers de l’HEGP une rencontre-débat sur le thème : professionnels et usagers de santé peuvent-ils ensemble démocratiser leur service public ?

Pour la santé comme pour les autres services publics, l’AITEC, et l’ensemble du réseau d’associations citoyennes dont elle fait partie, sont convaincus que les enjeux principaux d’aujourd’hui sont :

 la définition (ou re-définition) des missions à partir d’un débat public approfondi entre tous les acteurs concernés - y compris les associations de consommateurs et d’usagers, qui représentent (il faudra préciser comment) les destinataires du service public ;

 l’évaluation démocratique, c’est-à-dire pluraliste, des résultats au regard des missions, des objectifs et des buts, par les mêmes acteurs de manière périodique. Cette évaluation sera rendue possible par la définition démocratique des missions ;

 la mise en place d’une régulation doublement autonome : par rapport à la fonction d’orientation qui doit en fixer le cadre réglementaire, mais s’abstenir d’intervenir directement dans le déroulement du jeu des acteurs, et par rapport aux opérateurs ;

 la reconnaissance de l’usager-citoyen et de ses associations comme acteurs à part entière. Elle rendra le débat public réellement contradictoire et re-légitimera la représentation républicaine dans les domaines de service public. Il importe dans cette optique de préciser les modalités, les limites et les niveaux de sa participation.

II - Retranscription

Jean Wils - Nous allons rendre cette rencontre la plus démocratique possible en permettant à chacun d’exprimer son point de vue sur la citoyenneté de santé, thème de notre débat.

Chantal Deschamps - Exposé introductif
Les usagers de santé en questions

A/ Questions de mots

Le monde hospitalier français (toutes professions confondues) éprouve une vive réticence à employer le terme d’usagers : « usagers de l’hôpital », « usagers de santé ». Il voit dans ces expressions une forme de mépris à l’égard des malades comme des soignants.
Il pense, en effet, que la personne malade ne peut être comparée à celle qui prend le train ou le bus et conjointement, que celui qui soigne ne peut être apparenté à un conducteur d’engins quelconques.

Par ailleurs, quelques dix ans après l’apparition de ce terme dans leur monde professionnel, les hospitaliers éprou-vent toujours la même difficulté à saisir ce que recouvre ce concept. S’agit-il des seuls malades ? des consultants : femmes enceintes, enfants ayant besoin d’un bilan, personnes se faisant vacciner ? des familles de malades ? des bénévoles ? des visiteurs ? …

L’hôpital ne serait-il plus ce lieu dual, pour ne pas dire duel, où seules sont admises la présence des malades bien clairement identifiés et sagement cadrés, et celle des professionnels eux aussi, bien distinctement identifiés et correctement ordonnancé. Avec d’un côté, le personnel médical (entendez seulement les médecins) et de l’autre, le personnel non médical (entendez toutes les autres professions …) ?

Dans cet univers, l’emploi du terme "usager" semble déplacé et paraît même dégrader la valeur des hommes de soin qui n’hésitent pas d’ailleurs à ironiser sur le double sens de ce mot : "usager avec r", c’est-à-dire celui qui fait usage et "usagé", avec un é, c’est-à-dire cette chose qui peut être mise au rebut, qui est devenue bonne à jeter.

Quant à ouvrir les portes de l’hôpital à d’autres usagers (les associatifs par exemple), cela est ressenti comme une intrusion, une quasi-atteinte à l’intégrité de ce lieu.

En effet, si au pourtour des établissements de soin, les murs sont peu à peu tombés, découvrant parterres et jardins, à l’intérieur, les cloisonnements demeurent et les représentants de la "cité" (proches, associatifs, visiteurs) n’y sont effectivement pas ou peu attendus. Prenons pour exemple le nombre d’associations présentes dans les hôpitaux français (moins d’une dizaine par établissement), le temps de visite accordé aux proches dans certains unités très spécialisée, le rôle de "potiche" dévolu jusqu’alors aux représentants d’usagers.

Pour en finir avec les mots et leurs connotations, il convient aussi de s’arrêter sur la résonance du terme "hospitalier". Ce terme, qui porte en lui la vertu d’hospitalité, c’est-à-dire d’accueil, de protection et de bien-faisance donne aux établissements, de soin et à ceux qui y professent une image surévaluée, sublimée. Cela est particulièrement vrai pour les infirmières qui sont devenues dans le cœur des Français aussi chères que les pompiers.
Ce sentiment est particulièrement fort chez ceux qui n’ont jamais été malades et hospitalisés (c’est-à-dire le plus grand nombre de Français) et n’ont d’ailleurs de l’hôpital et de ses règles, qu’une vision fantasmée.
En terme de symbolisme, l’écart est donc immense entre une "hospitalière", héroïne des temps moderne et un "usager" dont le statut reste flou, ambigu, voire même dévalorisé par le mélange et la confusion des représentations.

B/ Questions de statut

Il est vrai que l’usager de l’hôpital, surtout si on le limite au seul malade, n’a rien de commun avec les autres usagers des services publics. Il s’agit :
 d’hommes et de femmes fragilisés, de plus en plus gravement atteints par de lourdes pathologies ou handicaps, et souvent dépendants,
 d’hommes et de femmes vivant, là, un moment fort, difficile, complexe de leur histoire, qu’il s’agisse de la naissance d’un enfant, d’une fin de vie, de l’entrée définitive en hôpital gériatrique, d’une greffe d’organe, …),
 d’hommes et de femmes coupés de la cité, avec un grand C, ayant perdu leurs repères, abordant un univers inconnu au langage codé,
 d’hommes et de femmes (pour les plus handicapés, ou les plus âgés) placés jusqu’à leur mort dans un « lieu de vie » se défendant absolument d’en être un, comme si un lieu de vie au sein de l’institution hospitalière pouvait détériorer son image. Étrange contradiction amenant les collectivités, la cité, l’État à ne pas développer une politique en faveur de la création de lieux de vie pour les plus fragilisés et dépendants, et conjointement à implanter à la marge des hôpitaux, des services de long séjour sans vie, sans âme, sans considération de ce qui fait la condition humaine.
 d’homme et de femmes ayant perdu leur verticalité et faisant donc l’apprentissage, pour un temps plus ou moins long, d’une soumission à l’autre.

Tout cela fait de l’« usager de l’hôpital » un usager ô combien différent de l’usager des transports publics, du centre des impôts, des PTT. Ou même de l’école qui accueille le petit usager pourtant chaque jour, pour un certain temps, mais un temps bien défini et sans bagage !

C/ Questions de sens

L’usager de l’hôpital, lui, emporte avec lui ses bagages : bagages pour passer de longues nuits, bagages de sentiments, bagages d’angoisse et de peur, bagages de souffrance et de solitude.
Et ce sont des bagages que l’on ne peut pas se contenter de mettre consciencieusement en ordre et dans un coffre !

Face à cela, l’hospitalier - au sens large du terme - ne peut se contenter d’être un "pilote". Sa technique professionnelle, fut-elle la meilleure, ne suffit pas. Il lui est demandé, à la fois de combattre la maladie et de protéger, d’accompagner le malade. Il lui est demandé de prendre soin et de donner des soins : ce qui ne se superpose pas forcément.

Or la présentation des métiers de soin (pour l’ONISEP, l’infirmière n’est-elle pas définie comme une technicienne du soin ?!), l’organisation de l’hôpital, l’impasse faite sur la quête du sens, la formation développée dans les écoles rendent de plus en plus difficile ce que l’on appelle « la prise en charge globale des malades ». C’est-à-dire l’accueil, les soins, l’accompagnement psychologique, relationnel, spirituel de la personne en pleine souffrance.

L’importance donnée aux seuls soins techniques (l’hôpital moderne n’est-il pas avant tout un grand plateau techni-que), l’incitation faite au soignant de se mettre à distance du malade, le rejet de l’émotion, l’oubli des sciences humaines dans les études médicales, le peu de valeur accordée à l’approche culturelle et spirituelle des soins, l’igno-rance de la dimension citoyenne, le refus de la présence du "tiers" et le poids de l’histoire (alliance de paternalisme des médecins, d’infantilisation des malades, de codage de l’institution, de silence de la société …) ont développé un no man’s land entre les soignants et les soignés ou leurs représentants, surtout lors de situations critiques.

Cette incommunicabilité ne provoque, pour le moment, que peu de crises, de rares conflits, un nombre peu élevé de plaintes. Mais elle fait progresser un esprit délétère pour le service public hospitalier, l’un des plus beaux services rendus aux hommes.

Il est temps - et la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé y invite - de tisser des alliances entre les deux citoyennetés : celle du malade, de ses proches et celle du soignant, de ses collègues.

D/ Question de reconnaissance et d’alliance

Pour parvenir à cette alliance, plusieurs pistes s’ouvrent à la réflexion des hospitaliers :

• se libérer du poids d’une histoire,

non celle de la médecine, mais celle de l’organisation hospitalière basée, entre autre, sur le paternalisme des médecins et l’infantilisation des malades, sur la spécialisation et la sectorisation à outrance et sur le codage du langage…

• repenser l’hôpital, le rendre au malade ;

Cette expression souvent entendue peut être incomprise, voire même blesser les soignants - très nombreux - qui donnent aux patients les meilleurs soins possibles. Pourtant cette formule provocatrice témoigne des petits et grands dysfonctionnements que l’on peut faire disparaître :
- une attente trop longue dans certains lieux, parfois plusieurs heures,
- un accès difficile à l’information,
- un manque d’écoute et de disponibilité des médecins,
- une organisation qui ne respecte pas suffisamment le rythme des malades, (horaires des repas, respect du sommeil, des visites ; des temps d’animation…
- le manque de lieux d’accueil pour les proches : ex. chambres ouvertes aux accompagnants, espace de rencontre, halte-garderie pour les jeunes enfants des visiteurs…
- les nouveaux temps de travail (35 heures) favorisant davantage la vie des hospitaliers que celle des malades, avec un risque de dérapage heureusement contrôlé par la loi (ex. la demande— certes réfutée— de 12 heures de travail pendant 7 jours de suite)…

• accorder toute sa valeur à la représentation des malades,

en donnant toute leur place aux associations de malades et en favorisant un partenariat effectif entre elles et les services hospitaliers…

• désenclaver l’hôpital,

en facilitant les échanges avec la Cité sous toutes ses formes, parfois même en faisant sortir l’hôpital de ses murs comme cela se passe avec l’unité mobile de soins, appelée “homnibus”, qui part de l’hôpital Jean Verdier et se rend aux portes des immeubles de Seine S t Denis,

• revoir la conjugaison « lieu de soin - lieu de vie »

pour les grands vieillards malades, les handicapés, les personnes en fin de vie…

Il y aurait beaucoup de choses à ajouter, mais mon intervention est déjà bien trop longue.

J. W. - On retrouve la flamme qui t’a toujours animé pour essayer d’ouvrir l’hôpital sous toutes ses formes. Tu as posé les termes du débat à partir de tes expériences : nous pourrons faire de même, au sein du système de santé où à partir de problèmes qui lui sont posés.
La personne malade est un acteur individuel en tant que malade, mais aussi un acteur social : en tant que telle, sa place est importante dans l’élaboration des problèmes et de leurs solutions dans le service public de santé.
Tu as affirmé la nécessité de « redonner l’hôpital au malade ». Je pense plutôt qu’il faut que ce soit le malade en tant que citoyen qui se réapproprie l’hôpital, car personne ne le lui redonnera ! Chacun doit le faire à sa façon, militante pour certains, autrement pour d’autres.
Quant au rôle des associations, l’usager du service public de santé - et en premier lieu le malade - est dans une situation de vulnérabilité telle que sur le moment, il a beaucoup de mal à intervenir directement dans les débats. Des médiations sont donc nécessaires.
Le philosophe Alain Finkielkraut affirmait récemment à la télévision que pour les Grecs, la citoyenneté était d’abord le partage des responsabilités, avant d’être l’exercice d’un droit. Ce qui pose bien la question de l’intervention dans les services publics, la difficulté de leur rénovation et démocratisation.

Andrée Fidrie Conseil de quartier de Paris 4° ar dt - Mon travail m’appelait à passer devant le ministère de la Santé. J’y ai vu pendant des mois un sit in d’infirmiers, sous une petite tante par tous les temps : ils attendaient que les gens viennent à eux. Chantal Deschamps a affirmé que les infirmières étaient des bien-aimées : est-ce si vrai ? J’ai vu les pompiers les faire reculer avec des jets d’eau, comme s’ils n’avaient pas un jour besoin d’elles ! J’ai été scandalisée.
Dans les Vosges, ils ont fait venir vingt infirmières d’Espagne : l’ambiance est telle qu’actuellement, elles sont toutes reparties. Pourquoi les écoles d’infirmières ne sont-elles plus pleines actuellement ? Beaucoup de questions se posent. En Espagne, les méthodes sont différentes et les médicaments portent d’autres noms. Disons que c’est avant tout les difficultés de la langue qui les a fait fuir.

C. D. - Que les infirmières soient les plus aimées est le résultat d’enquêtes et peut se comprendre. Pourquoi ce manque d’infirmières en France ? Deux réponses possibles : une insuffisance d’éléments pratiques, mais aussi intellectuels, pour l’entrée de jeunes dans ce métier. Mais nous manquons aussi d’internes en chirurgie : personne en internat de chirurgie cardiaque cette année à Marseille et à Lyon (3 à Paris) ; nous manquons aussi de kinésithérapeutes, alors que les études n’ont pas connu de trouble ; nous commençons aussi à manquer d’assistantes sociales, à la différence des pays voisins auxquels nous allons faire appel.
La seconde explication est culturelle : des sociologues qui ont étudié cette question dans une région parlent d’« échec français de l’altérité » : les adultes n’ont pas réussi auprès les moins de trente ans à les convaincre de l’importance de prendre soin de l’autre, quel qu’il soit. Tous les problèmes de société se répercutent d’emblée sur la santé. Ainsi du vieillard, que l’on ne voit quasiment plus dans la rue : quand il n’y a plus nulle part où le mettre, on l’enferme à l’hôpital. J’ai passé quinze jours l’été dernier à Barcelone : j’étais étonnée de voir des gens de tous âges se promener dans la rue à n’importe quelle heure. Je ne vois cela ni à Paris ni à Lyon.
En matière d’organisation de formation à la santé, des erreurs graves ont été commises ; mais se pose aussi un grave problème culturel : pourquoi le « prendre soin de l’autre » n’intéresse-t-il plus les jeunes ?

M me… UFCS - À Apt (12000 habitant), les gens se promènent dans les rues. C’est le gigantisme des grandes villes, dont les lycées ont des milliers d’élèves, et idem pour tous les services publics, qui fait que l’usager est perdu. Notre hôpital est petit (menacé, mais il tient) mais les relations humaines y sont bonnes, bien que le personnel soit aussi surchargé.

X - Affirmer que les personnes âgées ne se promènent plus dans les rues est une généralisation hâtive.
J’ai également des amies infirmières qui n’ont pas voulu aller au bout de se mouvement en craignant qu’il ne donne une image catastrophique de leur situation. De même sur l’altérité : les jeunes sont-ils moins généreux aujourd’hui qu’hier ? Pas sûr ! Je connais des jeunes qui ont voulu faire des études de santé et n’ont pu aller jusqu’au bout parce qu’ils se présentaient à 300 et que l’on en prenait 30 pour cause de restriction budgétaire.
Nous ne devons pas joindre notre voix à ceux qui aujourd’hui ne sont que dans la critique et dans la plainte.
D’autre part, la santé ne se limite pas aux malades. Il faut aborder la santé (entre autres dans la prévention) comme l’affaire de tous. Du coup, lorsque l’on est hospitalisé et en position horizontale donc pas la meilleure pour se défendre, si le travail de responsabilisation vis-à-vis de la santé a été mené, on trouvera parmi les malades des personnes susceptibles de prendre la parole elles-mêmes et pas seulement par l’intermédiaire de leur entourage. Il est préférable d’aborder la santé de cette manière que par une série de dénonciations.

Cécile Wandoren Association Nationale du Réseau d’Acteurs des Plates-Formes, Espaces et Maisons de Services Publics (A.P.E.M.-S.P.) - Pour ce qui concerne mon expérience personnelle, j’ai commencé très tôt à fréquenter l’hôpital en longue hospitalisation, j’ai vu ainsi évoluer son organisation au fil du temps. J’ai un excellent souvenir de mon premier séjour en chirurgie cardiaque, j’étais une enfant très bien entourée par les autres malades, ma famille et surtout les infirmières. À 25 ans d’intervalle, en tant qu’adulte donc et cette fois pour des problèmes au cerveau, j’ai retrouvé ce dévouement et cette gentillesse des infirmières dont j’avais le souvenir. J’ai alors pris conscience de ce besoin d’attention pour la personne hospitalisée, car dans ces moments-là celle-ci est fragile, dépendante et de ce fait plongée dans un état d’infantilisation important. Le moindre comportement des infirmières a alors un impact terrible, il suffit que l’une d’elles soit désagréable pour que l’on n’ose pas lui demander ce dont on a besoin. Elles sont la structure de l’édifice hospitalier.
Au cours de ma dernière hospitalisation qui date de 3 ans, tout était plus systématique : autour des malades, le per-sonnel et les infirmières faisaient toujours preuve de gentillesse, mais le rythme avait changé. J’ai senti qu’il fallait que je laisse ma place dès que possible : durant le mois supplémentaire que j’aurais dû passer à l’hôpital parce qu’ incapable de me prendre en charge toute seule, j’ai dû faire appel à une amie pour venir à la maison s’occuper de moi.
Je constate donc une dégradation importante qui à mon sens n’est pas due aux personnes mais au système : du fait sans doute de restrictions budgétaires. Ceci a pour conséquences un manque de personnel dommageable pour les malades en tout premier lieu.

Y Élue et membre d’un mouvement social - Je trouve aussi les infirmières admirables. Mais les médecins (je suis veuve d’un médecin à la fois hospitalier et libéral) m’ont semblé plus préoccupés de statistiques que de leurs malades qui, par contre, sont bien aidés par les infirmières et les aides-soignantes, avec plus d’écoute, d’humanité.
La pénurie des personnels est réelle. Y compris des aides-soignantes, avec le développement de l’aide à domicile. Il est grave de donner sans doute une équivalence à des aides ménagères après cinq ans de ménage : elles auront le droit de soigner des personnes âgées, avec les risques que cela comporte.
Dans mon village de 1100 habitants, ma responsabilité d’élue m’amène à sortir et beaucoup (de plus ou de moins de 65 ans) me font remarquer qu’il n’est pas prudent de sortir le soir. Je les vois faire leurs courses le matin et ne plus sortir l’après-midi parce qu’ils ne se sentent plus en sécurité. Ce n’est pas être défaitiste que de dire cela : j’ai confiance dans les jeunes et considère que les personnes de quarante ans ne sont pas plus accueillantes pour les anciens que les jeunes !

M me… Point Information Jeunesse - Les usagers sont librement accueillis chez nous. La relation de confiance est nécessaire, dans le milieu hospitalier comme ailleurs.

M me… fonctionnaire - En m’affichant ainsi, j’ai le sentiment de porter quelque chose de lourd sur les épaules ! Autant je suis fière de mon travail dans le secteur social, autant je suis presqu’honteuse du statut et des lourdeurs qu’il induit, du manque criant d’évolution que l’on peut constater y compris à la lecture des publications des ministères.
Ainsi, comment peut-on recruter sur concours, quand on connaît leur contenu actuel ? La fille d’une amie a passé le concours d’infirmière, programmé avant le bac. Elle a été reçue à son concours, pas à son bac : elle n’a pas pu rentrer à l’école ! Elle a redoublé et a été reçue à son bac la seconde fois ; elle a également repassé le concours, mais sans succès. Elle est donc rentrée à l’école d’aide-soignante. Quid dans l’administration, le service public, de la motivation ?! Bien sûr, la compétence technique est importante, mais quand on a un bac S et que c’est la condition pour entrer dans une école, il me semblerait indispensable de sélectionner les gens sur leurs motivations. Ils ont déjà leurs bagages. Cette question se pose dans tous les domaines : les travailleurs sociaux sont maintenant recrutés sur concours ! Alors que mes collègues et moi sommes rentrés parce que nous étions motivés. Avec la généralisation du système des concours, beaucoup rentrent maintenant pour leur carrière dans l’administration. Cela induit un risque de bureaucratisation du service et la non-prise en compte du métier.
Des documents récents du CNFPT prônent encore ce mode de sélection et de formation alors qu’il est obsolète et inadapté aux besoins. C’est culturel.

J. W. - Vous dites “on” : je m’interroge sur le fait que les professionnels à la fois manifestent contre ces concours et en sont aussi à l’origine. Comment considérer qu’il y aurait d’un côté des responsables et de l’autre des citoyens ? Ce n’est pas si simple ! Les infirmières ne veulent pas que le concours soit ouvert à des personnes sans bac. Les métiers se défendent par des attitudes corporatistes. À l’intérieur des professions, notre capacité à poser ces questions et à résister à cette fuite en avant des diplômes requis suppose de le faire dans le cadre général des professions de santé, de toute l’administration et pas uniquement pour une profession.
Nous somme tous en tant que professionnels responsables de cet état de fait. En tant qu’ancien kinésithérapeute, je considère qu’ils sont co-responsables de leurs difficultés d’aujourd’hui. La question de la citoyenneté est là directement posée : ce ne sont pas seulement l’Administration, l’État, les autres, mais aussi NOUS qui sommes co-responsables de la situation actuelle ! Que pouvons-nous faire là où nous sommes pour faire avancer les choses, aux différents niveaux d’intervention possibles (syndical, politique, local, régional, national, européen …) ? Comment être constructifs à l’égard de questions qui semblent nous échapper ?

M me … - Je ne souhaite pas que l’on recrute les fonctionnaires au rabais mais que l’on s’interroge sur le sens des concours. Dans mon exemple précédent, quel sens cela a-t-il de refuser une année un candidat parce qu’il a eu le concours mais pas son bac, et l’année suivante, de le refuser également alors qu’il a eu son bac et bien qu’il ait déjà eu le concours l’année précédente ? Quel sens ont ce que je considère comme des aberrations ?
Je me suis battue pendant des années dans les syndicats sur ces questions et j’ai claqué la porte de guerre lasse. J’étais pratiquement la seule à réclamer que l’on ne recrute pas sur concours mais sur examen professionnel et selon des critères correspondant aux besoins. Pas une sélection élitiste sur des critères formels qui n’ont rien à voir avec les compétences requises pour l’exercice du métier. Je voulais également que l’on demande aux candidats à des postes de cadre une formation complémentaire de type universitaire, si c’est pour des postes stratégiques. Car là, les compétences professionnelles ne sont pas toujours suffisantes, à la différence des cadres intermédiaires auxquels on demande de savoir gérer leur équipe.
Le fonctionnement administratif actuel est basé sur des habitudes qui font office de vérité.

C. D. - L’exemple que j’ai donné ne mettait pas en cause les infirmières. Étant infirmière moi-même, je n’ai que de la tendresse pour elles !
Je n’ai aucun réflexe sécuritaire en ce qui concerne les personnes âgées. Par contre, je crains toujours l’emploi des mots "témoignage" et "plainte" qui, par la dimension affective qu’ils impliquent, empêchent souvent de poursuivre un questionnement, une analyse plus globale et chiffrée. Quant on parle de la manière dont les malades peuvent réagir vis-à-vis du service public, il faut se rappeler que l’hôpital public reçoit à l’opposé du privé, les personnes atteintes des plus lourdes pathologies, des plus graves handicaps. C’est vis-à-vis d’eux qu’il faut se poser la question de la citoyenneté, de la fraternité inscrites dans la devise républicaine. Et cette question ne concerne pas seulement les soignants. Ainsi, de quelle fraternité la cité fait-elle preuve à l’égard des mourants ? Quelles paroles fortes ont été prononcées dans les années passées pour que la douleur soit prise en charge ? Il a fallu que le législateur s’en mêle et promulgue deux lois pour que, dans les hôpitaux publics, la douleur soit mieux prise en charge et que les personnes en fin de vie puissent être accompagnées. Et que dire des combats menés ensuite dans les hôpitaux pour que ces soient appliquées ! Rappelons que Bernard Kouchner, constatant que 50% des Français n’étaient pas encore soulagés de leurs souffrances, relançait voici quelques semaines un deuxième plan de lutte contre la douleur qui devait s’étendre sur quatre ans.
Il ne faut pas oublier le retard de la France dans ce domaine et dans celui des soins palliatifs. Là encore, la loi a précédé l’action. Pourtant les anglo-saxon savaient, depuis de nombreuses années, développer les soins d’accompagnement des personnes en fin de vie. De nombreux pays avaient suivi. La France n’a réagi que tardivement (avant-dernier des pays d’Europe occidentale). Aujourd’hui, des services (de quatre à dix lits) ont été ouverts, des unités mobiles ont été créés. Mais leur nombre reste très insuffisant et leur implantation dans les hôpitaux des grandes villes, laisse de grands vides sur l’ensemble du territoire.
Ce retard, ce manque de structures ne concerne pas seulement les soins palliatifs et le soulagement de la douleur. On peut aussi déplorer le manque de services susceptibles d’accueillir les malades qui, à la suite d’un accident, entrent « en état neuro-végétatif chronique ou persistant ». Pourtant les équipes (médecins, infirmières, kiné‚…) qui prennent en charge les malades dans le coma, font souvent des merveilles par leur compétence et leur humanité. Mais combien de centres d’accueil existe-t-il en France ? Une vingtaine à peine !
Ces insuffisances amènent aussi à parler des personnes âgées qui, devenues malades, et dépendantes ont, pendant des années, été envoyées du cœur de la Cité (Paris par exemple) à la périphérie des villes, dans des hôpitaux gériatriques de grande banlieue. Sur une trentaine d’années, c’est presque un million de vieillards qui ont ainsi été éloignés de leur domicile, rompant avec tout ce qui faisait leur vie.
Ces vieillards particulièrement vulnérables n’ont rien eu à dire. Ils n’ont pu se mobiliser, se défendre. Et aucune association ne les a entourés, aucun réseau ne s’est créé autour d’eux pour leur offrir une autre vie ! personne n’a parlé pour eux ! Face à cet exil, la cité et l’hôpital portent ensemble une responsabilité.

Jean-Claude Boual fonctionnaire au ministère de l’Équipement, responsable associatif sur l’avenir des services publics en France et en Europe - Il y a un an, j’ai participé avec Chantal Deschamps, Jean Wils et Philippe Brachet à un débat sur le même thème qu’aujourd’hui. Pour la première fois sur ce thème, les associations d’usagers étaient nombreuses et posaient des questions allant parfois au-delà de l’hôpital.
C’est également le cas aujourd’hui. Les problèmes rencontrés à l’hôpital ne trouveront de solution que dans le cadre de la cité en général. L’exemple de la façon dont Paris traite ses personnes âgés est analogue au traitement des déchets : le territoire de Paris ne comprend aucune usine de traitement des déchets. Les classes sociales existent toujours : ce que le centre privilégié ne veut pas voir chez lui, il le rejette à sa périphérie. C’est le même constat que celui du manque d’altérité dans notre société : la “libéralisation” actuelle des services publics est souvent dénoncée. Mais les “libéraux” se sont appuyés sur les dysfonctionnements qui viennent d’être signalés pour l’hôpital et existent dans tous.
Ainsi des effets des 36 heures (dans la fonction publique, c’est 36 et non 35 !) sur l’organisation du travail dans les hôpitaux : le même phénomène se retrouve dans l’Éducation Nationale. À Paris, le débat sur les rythmes de travail est ubuesque : les enseignants veulent travailler 4 jours (ensuite, ils réclameront de travailler 3 1/2). Mais quel est l’intérêt de l’élève, quel que soit son âge ? Seuls sont pris en compte les intérêts des enseignants et de ceux des parents qui veulent leur week-end complet. L’intérêt des destinataires des services publics est perdu de vue. « Redonner l’hôpital au malade », c’est valable pour tous les services publics qui aujourd’hui, fonctionnent pour eux-mêmes. Il est encore difficile d’aborder cette question, peu de fonctionnaires remettant en cause la gestion ultra-corporatiste du statut. Ayant été pendant plus de vingt ans syndicaliste au plus haut niveau, je sais comment cette logique fonctionne !
Ce bras de fer entre ultra-corporatisme et ultra-libéralisme débouche sur la remise en cause à brève échéance du statut de la fonction publique et du service public lui-même car la légitimité de ce dernier réside d’abord dans la création du lien social.
Ces dysfonctionnements, ce corporatisme, ont été les principaux arguments de M me Tchatcher pour "libéraliser" les public utilities au Royaume Uni. D’ailleurs, les Travaillistes avaient commencé à la fin des années 70. Cette privatisation a pris un tour violent durant la grève de plus d’un an qui a opposé le gouvernement britannique aux mineurs. Son objectif principal était de casser le syndicalisme. Ils ne s’en sont toujours pas remis aujourd’hui : malgré leur grand nombre d’adhérents, il ne sait pas comment se situer dans la société.
Prenons l’exemple de la tentative de réorganisation du ministère des Finances par Christian Sautter fin 2000 : les réactions des agents étaient très corporatistes contre le reste de la fonction publique et de la société. On pourrait multiplier les exemples, à la SNCF notamment. Comment en sortir ?
J’ai participé récemment à des débats avec des associations de défense ou de promotion du service public. Partout, elles se sont créé à partir de la défense d’hôpitaux en général plutôt petits, en liaison avec la réorganisation de la carte hospitalière en cours. Aucune ne s’enferme dans ce cadre mais elles posent le problème en termes de services publics présents dans leur ensemble sur un territoire donné.
Or dans le cadre européen, les instances (et pas uniquement la Commission, car en dernier ressort, ce sont conjointement le Parlement et le Conseil des ministres européens qui décident) abordent les questions des services publics de façon sectorielle, dans la perspective de construction du marché intérieur : l’électricité d’un côté, les transports d’un autre, l’eau d’un troisième … Les synergies entre les différents services publics sur un même territoires ne sont pas prises en compte, alors que ce sont elles qui créent le lien social. Pas l’hôpital à lui tout seul. Il y participe, mais ne peut y suffire.

Quant aux concours dans la fonction publique, la question doit être là aussi replacée dans son contexte. Car durant toute leur vie, les gens ne sont évalués qu’en fonction de leur diplôme initial. Ce culte est entretenu par l’Éducation Nationale et par le statut de la fonction publique pour lequel l’accès n’est fonction que du diplôme. Cette spécificité française nous tire en arrière car nos élites sont de moins en moins compétitives. Car en quoi des études brillantes jusqu’à 23 ans apporteraient-elles la preuve de la capacité à diriger de grandes organisations ? Cet élitisme républicain-là est de plus en plus dépassé.
Le milieu enseignant français refuse de reconnaître ce problème car il refuse toute évaluation de toute nature. Jusqu’à affirmer que la non-évaluation des enseignants du “supérieur” serait constitutionnelle - ce qui est faux. C’est un privilège obtenu à travers l’histoire : chacun s’auto-évalue et le système se coopte ! Ce système se retrouve en médecine chez les professeurs : c’est l’une des raisons du blocage du système de santé. Il n’existe pas d’exemple dans l’histoire que de tels systèmes n’évolue pas vers la médiocratie. Comment renverser cette situation pour que les services publics soient capables de créer efficacement le lien social de la société de demain ?

Nous devons trouver des outils pour expérimenter des solutions et ne pas rester dans la dénonciation. L’un d’entre eux (qui n’est pas dans la culture étatiste française) est l’évaluation pluraliste, par tous les acteurs : professionnels et leurs organisations syndicales ; pouvoirs publics responsables, aux différents niveaux territoriaux ; usagers-consommateurs-citoyens et leurs associations. Des expériences existent dans le secteur hospitalier (celle de l’hôpital Broussais) mais aussi dans celui des transports (Comités locaux d’animation de ligne - CLAL - d’Alsace, aujourd’hui généralisés par la loi) qui montrent que c’est possible. Mais la résistance de la bureaucratie est forte, dans l’administration comme dans l’entreprise et même dans les syndicats. Il y a quatre ans, nous avons tenté de créer un comité à cet effet, qui a lancé un appel, avec les associations de consommateurs, les syndicats, les institutions. Au niveau du principe général de la nécessité d’une évaluation pluraliste, l’accord était général ! Dès que nous avons créé le comité et invité à signer l’appel, les syndicats se sont défilés un à un ; les associations aussi ; la puissance publique n’a pas voulu décider le moindre financement ! Il ne faut pas renoncer à ce combat car la pression communautaire va bientôt nous y obliger.
Cette évaluation pluraliste doit être publique et permettre aux usagers de réaliser des expertises indépendantes. Car chaque service public a sa technicité qui est opaque pour les usagers. La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades a montré la résistance des médecins en se cachant derrière le secret professionnel, alors que ce n’est pas un argument valable pour l’accès du malade à son dossier médical. Car si les notes du médecin lui appartiennent, nous ne sommes plus dans le service public ; si elles appartiennent au malade, il doit y avoir accès s’il le demande. Pour connaître sa maladie, il a besoin de passer par un expert (le médecin) comme pour l’électricité, les trains (le conducteur) et les autres services publics. Ce n’est pas parce que dans la médecine, la relation est individuelle que le rôle d’expert du médecin est fondamentalement différente. Bien sûr, le médecin est tenu au secret professionnel, mais cela vaut pour ne pas divulguer des informations du malade à des tiers, mais pas entre le médecin et le malade.
Une vraie évaluation aurait évité les conséquences de l’arrêt Perruche. Sans l’intervention de l’usager-citoyen, l’hôpital ne changera pas. Les forces internes n’y suffiront pas car la santé est une question posée à la société toute entière.

M me… - Les routiers ont une boîte noire : au-delà de huit heures de conduite d’affilée, ils n’ont plus le droit de conduire. Une infirmière ne peut pas faire son travail en travaillant 12 h/jour x 7 jours ! Elle n’a plus d’émotion, plus la force de travailler. Même si elles le veulent, c’est illégal : elles devraient avoir l’équivalant d’une boîte noire.

J-C B. - En application d’une directive européenne, une loi existe qui interdit de travailler plus de dix heures d’affilée.

M me… - D’autre part, je suis inquiète de la tendance croissante à rentabiliser, commercialiser les services publics. Ainsi, je trouve honteux de la part des médecins chefs de service le privé à l’hôpital, car c’est une sélection par l’argent dans les soins. Le libéralisme frappe aux portes des administrations et je ne sais comment le faire reculer.

M me… déléguée de l’UNAFAM dans Paris 19° ar dt - Nous constatons depuis quelques temps une ouverture des hôpitaux aux associations : les usagers sont représentés et peuvent participer aux labels d’accréditation. Nous commençons à travailler avec les médecins, qui nous demandent même maintenant de nous mobiliser. C’est vraisemblablement qu’ils sont dépassés par un grave problème économique. C’est sans doute une évolution positive à saisir, qui implique un travail considérable de la part des associations vis-à-vis des élus, des politiques. Nous devons obtenir des crédits pour faire fonctionner ces réseaux associatifs.

J. W. - C’est vrai déjà en application de l’ancienne loi et la nouvelle va renforcer le rôle des malades et de leurs associations dans le système de santé. Mais il existe une ambiguïté : il ne faut pas être dupe de la demande de participation de la part des médecins, car c’est aussi une façon fréquente de se servir des usagers. Les grands laboratoires pour le séquençage du génie génétique ont fait manifester des usagers pour breveter le génome au niveau de l’Europe : des usagers sont arrivés en fauteuil roulant avec le tee shirt « brevetons le génome » ! Restons vigilants.
Une évaluation pluraliste est nécessaire : chaque partie doit être traitée à part égale dans cette démarche (médecins, personnels, usagers, pouvoirs publics …). Or les médecins sont, avec les enseignants, l’une des seules professions qui n’acceptent pas l’évaluation. S’ils demandent à être augmentés, c’est en faisant valoir la qualité des soins : d’accord, mais à condition d’évaluer cette qualité. Il est impossible de se contenter d’une déclaration d’intention, c’est une question de crédibilité. Or évaluer, c’est se poser la question de la valeur, donc celle des missions, du sens du service public. Pour une profession réexaminer la question de ses missions, c’est réinterroger les valeurs du service public. Chacun doit accepter de le faire pour sa part : les syndicats et les usagers, chacun pour sa part. Mais il faut aussi reconnaître que certaines évolutions sont positives.

Philippe Brachet - Derrière les résistances défensives et corporatistes du “service public”, c’est la conception du pouvoir qui est en cause. En France, nous sommes toujours dans une conception monarchique, d’origine religieuse, fondée sur le sacré. Elle est particulièrement forte dans le domaine de la santé, très lié à la vie et à la mort. Cette conception personnelle du pouvoir, qui s’incarne dans la personne du souverain (incarnée dans la santé par le médecin, et plus particulièrement encore par le chirurgien, qui détient le pouvoir de vie ou de mort), comment la dépasser pour une conception relationnelle plus horizontale, démocratique moderne ? Il s’agit de fonder la décision publique sur l’acceptation du conflit comme valeur et la formation d’un consensus à partir d’un débat public contradictoire approfondi entre tous les acteurs concernés, chacun exprimant ses intérêts, ses convictions. Alors que dans notre monarchie républicaine, le Pouvoir descend du souverain (qui le détient comme par nature) sur le bon peuple par l’intermédiaire des appareils. Nous vivons aujourd’hui en France une mutation culturelle douloureuse, l’organisation des activités de service public en étant au cœur, précisément parce qu’elles sont au cœur du lien social.

C. W. - Enfant, les médecins m’impressionnaient, je sentais qu’ils souhaitaient conserver une certaine distance par rapport à leurs malades, ce qui fait qu’à présent, sans doute par révolte, je refuse de les appeler par leur titre. Mais ils trouvaient mon cas intéressant, et j’ai donc bénéficié d’attentions et de soins privilégiés alors que chacun aujourd’hui devrait revendiquer ce droit, ce qui est rarement le cas : les malades sont souvent des cobayes pour les médecins.
D’ailleurs, aussi bien les médecins que les enseignants ont encore aujourd’hui le sentiment de détenir la Connaissance, ils n’ont pas de considération pour ce qu’ils jugent d’un niveau inférieur, a fortiori le malade qui est effectivement « en situation d’infériorité », mais en situation seulement. Pour preuve, le milieu médical appelle ses clients des “patients” et non des usagers, ce qui enlève toute dimension égalitaire à la relation. Celle-ci reste très archaïque.

… - L’intérêt économique est souvent prédominant. Ainsi d’un cancéreux en phase terminale auquel on donne un médicament inefficace parce que celui qui est efficace coûte trop cher. Seule l’intervention d’un membre du milieu médical peut faire revenir sur cette décision. De même pour la maladie de Parkinson.
Cela rappelle le calendrier des vacances d’hiver, qui est décidé non en fonction des besoins des enfants mais pour qu’économiquement, les professionnels du tourisme aient un taux de remplissage maximum. La citoyenneté passe après l’argent. Cela se constate aux difficultés qu’ont les handicapés à accéder à beaucoup d’immeubles. Pourtant, certains efforts seraient peu onéreux et faciliteraient beaucoup les choses. Ainsi, dans certaines écoles, certains enseignants et conseils d’école se sont associés aux opérations de collectes de bouchons bleus pour faciliter l’achat de fauteuils aux handicapés : ne s’agit-il pas d’actions citoyennes qui devraient être valorisées car susceptibles de mobiliser les enfants autour de la création du lien social ?
Il est vrai que les jeunes sont parfois individualistes. Mais en même temps, ils se mobilisent pour des causes humanitaires, ce qui explique que Jeunesse et Sports ait créé les Juniors associations : beaucoup de jeunes de moins de dix-huit ans souhaitent s’y investir et le droit à l’investissement leur est reconnu.

M me… - Effectivement, nous ne sommes pas dupes : nous allons être utilisés par le corps médical pour combler l’insuffisance des moyens. Mais c’est pour nous une possibilité d’interagir et de changer la situation.
La constitution de réseaux affaiblit les hiérarchies verticales. Ceux qui ne mettent pas l’usager au centre du système de soins seront rejetés par le réseau ; qui fera une sélection.

J W - J’ai participé au MEDEC - une « grand’messe » médicale au Palais des expositions à la porte de Versailles - à une réunion sur les réseaux répondant au besoin des différents services publics hospitaliers de contrôler l’existence et le fonctionnement des réseaux. La discussions avec leurs membres a montré que chaque fois qu’ils sont institutionnalisés, ils dysfonctionnent. Les meilleurs réseaux sont ceux qui se créent à partir du terrain et fonctionnent sur le terrain. Quand ils sont institutionnalisés, ils disparaissent !
Cela laisse des portes ouvertes pour développer des démarches citoyennes locales à partir des problématiques de terrain sans être nécessairement contrôlé par un pouvoir public quel qu’il soit.

François Arnold - animateur bénévole d’un atelier de peinture dans un hôpital de gériatrie (association « L’arbre à mains ») - Dans cet hôpital à la périphérie de Paris, magnifiquement situé en pleine nature, les personnes âgées sont perdues !
Lorsque Chantal Deschamps affirme qu’il faut « redonner l’hôpital aux malades », je me demande s’ils l’ont jamais eu. Pour qu’ils puissent prendre une certaine responsabilité dans l’hôpital, il faudrait une vraie mutation culturelle.
Ainsi dans l’hôpital où je suis engagé depuis dix ans, l’âge moyen des patients se situe autour des 85 ans. Comment ces personnes auraient-elles la possibilité de « prendre le pouvoir » ? Par ailleurs, je n’ai pas l’impression, non plus, que les enfants, les familles en aient l’envie ou la possibilité. En effet, elles sont trop souvent dans l’obligation de placer leurs anciens. De ce fait, les uns comme les autres remettent tout pouvoir au personnel.
Restent les associations. Cet hôpital en compte quatre, ce qui en réalité signifie cinq ou six bénévoles ! Il faudrait une dizaine d’associations bien structurées et étoffées pour envisager une présence efficace.
Mais alors surgit un autre problème : on se trouverait face aux partenaires sociaux qui exercent, eux, souvent un vrai pouvoir. Ainsi, je constate depuis deux mois une sorte de grève tournante due à l’application des 35 heures qui rend difficile le déroulement de l’atelier, faute de personnel pour y conduire les malades !
Pour l’instant dans l’atelier on donne de la joie à une trentaine de personnes (sur 400 patients !). Il faudrait beaucoup plus pour donner plus, pour faire plus et réaliser cette mutation culturelle.

Y - Dans ma commune de 1700 habitants, je suis membre d’une association qui réagit contre la façon dont le maire les traite en administrés : nous nous sommes regroupés pour reprendre en charge certaines activités dans une optique de citoyenneté. Cette porte d’entrée permet une démarche globale : re-situer un problème concret dans un contexte général. Autour d’horaires de bureaux de poste, par exemple, le fonctionnement communal est ré-interrogé, ainsi que les fonctionnements des habitants. Les gens qui se débarrassent de leurs parents sont dans une démarche de consommateur-usager. Gérer chez soi des gens qui ont la maladie d’Alzeimer est autre chose que des soins courants.

Ph. B. - Cette exigence était déjà celle de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « la société à le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Mais comment la concrétiser ?

M me… fonctionnaire, membre de la LDH (93) - La fonction publique commence à poser un lourd problème. Après trente ans de fonction publique et vingt de syndicalisme, je m’inquiète pour les jeunes. Ayant un enfant malade, je suis membre de l’UNAFA. Je suis contente de voir la porte de la citoyenneté s’ouvrir : que pouvons-nous faire au niveau local ? Le livre blanc sur la santé mérite d’être connu, mais comment s’y prendre ?
La lourdeur de la fonction publique s’est aggravée : en tant que responsable financière, je dois remplir bien plus de paperasse qu’avant. J’aimerais être aidée.

J-C B. - Une loi organique vient d’être votée en juillet 2001 réformant la procédure financière : elle est l’occasion de constater que notre système de comptabilité publique date du XIII° siècle, quand le roi a voulu établir sa comptabilité personnelle pour le royaume. Depuis, les procédures se sont accumulées qui encouragent aujourd’hui les gens à ne rien faire en constituant un système d’irresponsabilités. Car ceux qui veulent agir se heurtent à un tel maquis de procédures qu’ils laissent tomber ! Ce sont ceux qui ne prennent aucune initiative qui sont gagnants en termes de promotion.
Ce n’est pas le statut lui-même qu’il faut mettre en cause mais le corporatisme - en particulier celui des Finances, sous prétexte de contrôle. Car ces systèmes, en particulier celui de la Cour des Comptes, sont irresponsables. Pour elle, seule la procédure compte et non le fond. Cette irresponsabilité s’étend au politique : les candidats à la présidence de la République promettent des diminutions d’impôts alors que les services publics ont un coût et qu’ils prétendent aussi les améliorer ! Cela correspond à une conception de la citoyenneté qui n’est plus celle qui crée du lien social et gère ensemble la cité.
Pourtant, la fonction publique offre des marges de manœuvres importantes, mais le système pyramidal de responsabilités rend irresponsable et lâche. Cette dérive s’est accentuée depuis une trentaine d’années de sorte qu’aujourd’hui, seule une petite minorité de fonctionnaires utilise ces marges dans une optique de citoyenneté. Ainsi, certaines directives ne sont pas conformes à la loi ; mais combien utilisent le droit de refuser d’obéir à un ordre illégal ? Ainsi de l’organisation du travail mise en place à l’hôpital, qui est scandaleuse du point de vue du malade. Car quand elles ont travaillé 12 h/jour, les infirmières (pas plus que n’importe quel salarié) ne peuvent faire du bon travail : c’est dangereux pour elles, pour les malades, pour les établissements… et en plus, c’est illégal. Et on laisse faire ! Il s’agit d’une forme de lobby (même si soit disant, ils n’existent pas en France) qui prédomine sur l’intérêt général.
L’intervention citoyenne est indispensable, mais elle se heurte à de nombreux obstacles. Ainsi de la Convention européenne présidée par Giscard d’Estaing (qui se veut un grand démocrate) pour élaborer un projet de Constitution européenne. Il l’a organisée de telle sorte que la société civile, les associations ne peuvent rester présentes que 3/4 d’h, par rotation. Alors que la précédente était ouverte. C’est ainsi que les Conventionnels se réapproprient le pouvoir au détriment de la société civile !
Même si le niveau local est essentiel comme niveau de départ, ne minimisons aucun échelon car chacun a son importance. Si certaines dispositions sont prises sur les services publics dans le cadre des accords sur l’OMC en cours de négociation, leur réappropriation citoyenne sera rendue bien plus difficile. Les niveaux mondial, européen et national ont toute leur importance.

M r… - La concurrence croissante entre les majors privées et les services publics en régie aboutit à ce que les seconds copient la gestion des premiers, qui obéit à la recherche de valeur en bourse. Ils se calent sur des principes de rentabilité qui sont différents de ceux d’efficacité. Même dans le domaine de l’hôpital, on commence à vouloir le gérer comme une entreprise privée. C’est l’une des causes d’une certaine dérive actuelle - même si l’on peut douter que la situation était meilleure auparavant.
Quant au manque d’altérité actuel, il est le même dans les autres pays européens. Cette tendance humaine générale est renforcée par la concurrence, qui obéit au principe « chacun pour soi ».
Le corporatisme, réel en France, est dû à l’émiettement de la représentation de tous les secteurs : il existe entre 7 ou 8 syndicats nationaux, je ne sais combien de syndicats de médecins, 27 organisations de consommateurs… Tout ce monde se fait une concurrence à couteaux tirés d’où résulte une surenchère revendicative qui aboutit à ce corporatisme.
Quant à l’évaluation, elle est essentielle mais ne doit pas être le moyen pour les détenteurs du pouvoir de tirer la couverture à eux !

X - Connaît-on le nombre d’infirmières recrutées pour réaliser les 35 h ? J’ai l’impression qu’elles ont été fort peu nombreuses. En attendant celles formées dans les écoles d’infirmières qui ont fait beaucoup de publicité, ne pourrait-on leur payer les 4 h supplémentaires plutôt que de leur proposer des congés qu’elles ne pourront prendre que dans longtemps ?

Y - Les réseaux associatifs ont connu une forte évolution depuis une dizaine d’années : ils sont maintenant en situation d’infériorité par rapport aux pouvoirs publics. Ainsi dans le secteur de l’hôpital : les associations devraient être assez nombreuses et travailler entre elles, et les citoyens devraient être formés sur le fonctionnement des services publics. Une sorte d’escalier devrait permettre de se présenter en interlocuteur des pouvoirs publics avec un bagage suffisant. Mais cela pose un problème car les bénévoles manquent de temps.
D’autre part, la mobilisation venant de la société civile elle-même me semble préférable à celle créée d’en haut par les pouvoirs publics.

J-C B. - Dans la loi dite de démocratie de proximité, non seulement les conseils de quartiers sont limités aux communes de plus de 80 000 habitants, mais ils avaient été prévus au départ sans les élus (type comités de quartier) et ces derniers ont imposé leur présidence. Résultat : ce ne sera pas l’expression réelle des citoyens mais de la simple consultation des élus, des instances déconcentrées des conseils municipaux, ce qui est insuffisant pour l’appropriation citoyenne des quartiers.

M me … - La sélection fondée sur les seuls diplômes n’a pas comme seule conséquence dommageable de se priver de candidats motivés. Quand des candidats préparent plusieurs concours, ils sont souvent obligés de rentrer là où ils sont reçus, qui n’est pas nécessairement celui qu’ils auraient choisi.
Quant à la participation locale du citoyen, elle suppose aussi que parmi les agents, certains aient eux-mêmes ce sens du service public. Mais comment cela pourrait-il évoluer dans ce sens, la sélection et la formation étant ce qu’elles sont ? L’évaluation pluraliste est peut-être un début de réponse en permettant de mettre en lumière les carences sans viser individuellement les personnes, et montrer ce que cela suppose comme sens du service public et comme motivation. Car les jeunes qui sont refusés sont déçus, qui vivent avec un regret profond. Comment avoir prise sur ce phénomène ?

J. W. - L’évaluation a deux fonctions : les prendre en compte toutes les deux permet de réinterroger le sens du service public à partir de ses missions et de contrôler. Une évaluation-régulation permet de réinterroger constamment le sens des procédures mises en place afin qu’elles ne trahissent pas les missions initiales. Or actuellement, une dérive progressive se produit et les procédures prennent le dessus parce qu’elles ne sont pas réinterrogées.
L’aspect de contrôle de l’évaluation est souvent utilisé de façon négative. Ainsi, l’ANAES effectue plutôt des évaluations versant contrôle, tout en réinterrogeant aussi les pratiques des services et des hôpitaux : elle établit des critères et l’accréditation de l’établissement dépend de sa conformité à ces critères.

C. W. - Si souvent les conseils de quartier mis en place par les municipalités fonctionnent mal, c’est parce que les habitants sont peu nombreux à participer, et peu motivés parce qu’ils savent que les jeux sont faits d’avance, quelle que soit leur expression : la participation se limite souvent à de la consultation.
Pour ma part, je suis chargée de mission à l’A.P.E.M.-S.P. (Association Nationale du Réseau d’Acteurs des Plates-Formes, Espaces et Maisons de Services Publics constituée le 14 septembre 2000), qui s’est donné pour objectifs de développer et de valoriser le rapprochement entre services publics et usagers et d’être une instance de ressources, de réflexion pour toutes les initiatives engagées par les collectivités locales, les services de l’État.
L’association a pour objet de constituer un espace de débat, d’échanges, de qualification mutuelle, d’aide ˆ la décision et de coopération. Peuvent s’y côtoyer professionnels, usagers, élus, représentants de l’Etat, des administrations, responsables associatifs. Cette diversité nous amène à nous présenter comme un réseau d’acteurs plutôt que comme un réseau de professionnels. L’association appelle les acteurs à s’ouvrir, dépasser les cloisonnements et les postures conventionnelles, coopérer, nouer des relations égalitaires. Cette volonté de développer une approche globale et transversale est essentielle pour tenter de transformer les pratiques du service public en proximité. Elle est également une preuve de dynamisme. Nous contribuons ainsi à notre niveau à la remise en cause de l’immobilisme ambiant dans le service public.
On peut actuellement estimer le nombre des structures de ce type à environ 250, qui poursuivent des objectifs souvent semblables : rapprochement avec l’usager, maillage territorial, innovation, partenariat interservices, etc. Il fallait leur donner une visibilité plus grande, faire valoir leur spécificité, diffuser leurs expériences et leur savoir faire, c’est-à-dire accompagner leur qualification, c’est ce qui a été l’élément déclencheur de la mise en place d’un réseau. Nous rassemblons aujourd’hui environ cent trente Maisons de Services Publics dans toutes les régions de France : chaque structure possède des moyens et offre des services différents (Assistantes sociales, CAF, CPAM, service juridique, écrivain public, EDF…) selon les conventions qui ont été mises en place et en fonction des besoins des usagers.
Le siège de l’association se trouve à Saint-Denis, ce qui nous permet d’intervenir auprès de l’État, dont nous sommes les interlocuteurs directs, tant pour ce qui concerne les problèmes qui se posent dans les quartiers urbains en difficulté que dans les milieux ruraux. Nous bénéficions de l’appui et du soutien de la Délégation Interministérielle à la Ville et de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale, ce qui nous permet d’apporter une contribution plus efficace à ces structures sur tout le territoire dans le sens d’une reconnaissance de leur rôle, de leur statut et la nécessité de pérenniser leur action.
Je me permets de présenter notre association en tant que témoignage d’une dynamique allant dans le sens d’un rapprochement réel entre usagers et services publics, une action de co-production "habitants-usagers" et acteurs des services publics visant à l’amélioration des services publics. Ce thème fera d’ailleurs l’objet des 3 e Rencontres Nationales des services publics de proximité organisées à Marseille en novembre prochain.

J-C B - Contrôle et évaluation sont de nature différentes et doivent être effectués dans des cadres différents. Si l’évaluation est réalisés avec l’ensemble des acteurs concernés par une activité de service public, ce peut être un facteur d’évolution de cette activité, de démocratisation et de citoyenneté active. Ceci à tous les niveaux territoriaux car partout où une puissance publique intervient doit exister une vraie évaluation.

C. D. - Les enfants des personnes âgées en hôpital gériatrique sont âgés d’environ 70 ans. C’est difficile à cet âge de prendre en charge des parents de plus de 90 ans.
Comment faire, où aller, quand on souhaite participer à une action de citoyenneté active ? En monde de santé comme ailleurs, il n’y a pas de mystère, il faut conquérir le terrain. Marie-Christine Pouchelle, ethnologues de la santé (laboratoire du CNRS) le souligne en parlant de la création de Maisons des Usagers, lieu de citoyenneté à l’hôpital qui commencent à se mettre en place dans certains hôpitaux, lieu où des usagers et des professionnels de santé volontaires se rassemblent et essaient d’informer, de former, de réfléchir et de travailler ensemble à des dossiers bien concrets, dans le but de créer des partenariats et de devenir des citoyens efficaces capables de représenter les malades. Elle analyse ainsi la situation :

« pour créer une Maison des usagers dans l’hôpital, où par surcroît la place manque souvent et où la concurrence est constante pour s’approprier du territoire, il faut un engagement fort d’un ou plusieurs personnages clés de terrain. Une telle entreprise suppose en effet que tous les hospitaliers (médecins, infirmières, administratifs, techniciens, etc.) du terrain, au sens littéral mais aussi au sens figuré, reconnaissent les usagers comme de véritables partenaires. On est aux antipodes des cultures hospitalières fondées sur l’exclusivité d’un soin réservé aux professionnels et sur l’incompétence supposée des patients comme de leurs proches. Et c’est sans doute pour cela que ces Maisons, ces espaces dont les usagers pourraient aussi bien être les soignants que les soignés ne pourront démarrer que très lentement ».

retranscription réalisée par Philippe BRACHET