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"Local", "service public" et politiques locales. Position du problème.

Publié par , le 13 mars 2007.





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Dans la pratique jacobine de la république, « il n’existe de pouvoir qu’au centre ». Le « local » n’est donc qu’un espace d’application de décisions toutes prises au niveau « national ». Le service public s’identifie alors à l’État : c’est sa « mission » (jamais démocratiquement définie avec précision). Ceci au niveau des principes ; en termes organisationnels, il est mis en œuvre par une administration de type bureaucratique centralisé, légalisé par un droit public de type dérogatoire.
Depuis les années quatre-vingts, cette conception jacobine de l’État est en crise : crise politique, crise administrative, ses différents éléments évoluent en se dissociant les uns des autres et les réformes successives aggravent sa perte de cohérence. Pour autant, un modèle alternatif ne se dessine pas - sans même parler de se réaliser.

I - L’APPARITION DU "LOCAL" EN DES TERMES NOUVEAUX CAR POSITIFS (ET NON PLUS RESIDUELS) EST A LA FOIS L’UN DES SYMPTà?MES DE CETTE CRISE ET PROBABLEMENT L’UN DES ELEMENTS DE SON DEPASSEMENT.

Les raisons en sont multiples :

– la crise de l’État-providence, où toute décision émanait du centre,

– la décentralisation qui donne des compétences aux collectivités locales,

– la construction européenne, qui dessaisit l’État-nation d’une partie de sa souveraineté,

– la crise politique, qui est en grande partie celle de la représentation jacobine : les mécanismes qui la légitimaient en termes de participation s’affaiblissent.

II - LE NOTABILISME EST AUSSI UNE MANIERE DE CONCILIER BESOIN OBJECTIF DE POLITIQUES LOCALES, IDEOLOGIE JACOBINE ET EXIGENCES DE CARRIERES POLITIQUES.

La réalité des politiques locales montre que les autorités locales manifestent de diverses manières leur autonomie par rapport au centre : l’inaction, le refus, la distorsion, un rôle de maître d’œuvre de politiques plus vastes. Ou (depuis les lois de décentralisation) un usage spécifique de leur domaine propre de compétence. Mais il est soumis à des contraintes structurelles et financières. Les limites et les ambiguïtés de la décentralisation font du « local » une réalité floue. Elle s’est mise en place sur fond d’aggravation de la crise et du chômage ; elle a surtout profité au notabilisme comme style de pouvoir local, par la faiblesse de la participation des citoyens à la démocratie locale ; elle ne romps pas tant avec le centralisme qu’elle ne constitue en fait un système semi-centralisé qui laisse à l’État la responsabilité des actions à long terme comme l’aménagement du territoire et la définition de la règle.

III - LE LOCAL EST CONFRONTE A DEUX DEFIS :

– L’évaluation pluraliste des services publics locaux (ou des politiques publiques locales). Elle serait contradictoire avec les intérêts notabiliaires et corporatistes : les évaluations réalisées sont donc surtout quantitatives et réservées aux directions des organismes publics et aux élus-décideurs.

– la réalité des concertations locales des organismes de service public avec les associations d’usagers-citoyens. Certes, les associations sont diversement présentes localement. Mais c’est largement la conséquence de la structure hiérarchisée et autoritaire des grands organismes de service public. L’expérience des esquisses de concertation locale à EDF, à la SNCF, La Poste et France Télécoms permet de préciser les conditions d’une véritable concertation locale :

1 - une démarche managériale d’ensemble. Les cloisonnements entre directions, avec la direction générale, au sein de cette dernière et avec les ministères de tutelle la vident de contenu parce que l’information pertinente ne circule pas (ex. de « Socrate ») ;

2 - une concertation nationale consistante. C’est-à-dire :
– des décisions prises après et non avant les réunions,
– des ordres du jour ouverts (pas de sujets tabous comme l’a longtemps été la tarification),
– des comptes-rendus objectifs envoyés à tous les participants,
– une diffusion croisée des comptes-rendus entre les niveaux national et local de la concertation ;

3 - une perspective stratégique longue, qui donne de l’autonomie aux niveaux locaux de l’organisme ;

4 - une contractualisation de la désignation des responsables locaux : ils doivent rester en fonction le temps de l’élaboration et de la réalisation d’un projet local afin de responsabiliser les équipes.

5 - -elle ne relève pas d’abord de la réglementation, mais de la volonté (et de l’autonomie) managériale locale de l’expérimenter là où ses conditions sont réunies. Le mieux que la réglementation puisse faire, c’est de la rendre possible ;

6 - les niveaux national et local de la concertation sont complémentaires :

– le niveau national permet une vue d’ensemble par comparaison des initiatives fortes ;
– le niveau local apporte l’expérience irremplaçable des dysfonctionnements concrets, souvent à cheval sur plusieurs dimensions fonctionnelles. Il se nourrit des informations reçues du niveau national, dont il permet de tester la pertinence et qu’il alimente à son tour en illustrations et idées nouvelles. Son socle, c’est le traitement des plaintes. Mais son domaine peut aller bien au-delà - surtout s’il existe une synergie avec la concertation nationale.

IV - LE « SERVICE PUBLIC » S’EPROUVE LOCALEMENT A TRAVERS LES EPREUVES, comme attentes concrètes dont l’importance pour la société et l’économie locales est ressentie à l’occasion de la crise d’une activité de service public comme celle de la SNCF ou des transports publics locaux, de La Poste ou d’EDF. Ces crises sont l’occasion pour une opinion publique locale de se constituer en s’exprimant et de pousser à des expérimentations locales de sortie de crise. À la différence de Mai 68, le mouvement social de fin 1995 connaît pour la première fois ses points forts en province (Marseille, Toulouse…) et pas à Paris.

Du fait de la proximité des relations sociales locales, qualitativement différentes de l’espace national, cette co-existence au niveau local d’exigences de service public et d’un système politico-représentatif en transformation peut donner lieu :

– soit à une récupération notabiliaire qui relance la suprématie d’un centralisme masqué, et passe des compromis avec les oligopoles privés,

– soit à l’expérimentation d’une conception relationnelle du service public basée sur des formes de concertation locale (comités d’usagers) entre les différents acteurs (à l’initiative des associations d’intérêt général), partenaires d’une activité de service public.

V - L’AUTONOMIE DU NIVAU LOCAL (ET SON UTILISATION) SERA DANS LES PROCHAINES ANNEES L’EPREUVE DE VERITE DU « SERVICE PUBLIC ».

Sa vision jacobine l’identifie avec un mode de gestion centralisé et autoritaire qui réduit le niveau local à un rôle d’assisté et y empêche tout dialogue direct entre acteurs potentiels (élus-décideurs, usagers-citoyens et leurs associations d’intérêt général, opérateurs publics, professionnels,…). C’est cette pratique jacobine du « service public », prétendant s’appliquer uniformément du centre par l’exceptionalité du droit public, qui est en crise. Sa légalité est remise en cause par les directives européennes et sa légitimité en est affaiblie parce qu’elle est fondée sur une représentation qui n’est organisée qu’au sommet - et non sur les besoins sociaux des usagers-citoyens exprimés aux différents niveaux territoriaux pertinents.