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Santé publique, service public. Le rôle du malade-usager-citoyen - 2000

Publié par , le 13 mars 2007.





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C’est un secteur d’activité où les aspects réglementaires sont imbriqués avec des aspects marchands et financiers importants. L’un des enjeux essentiels de citoyenneté, de démocratie, est donc la maîtrise collective des mutations technologiques au service de la satisfaction des besoins de santé, le contrôle des financements privés et publics afin qu’ils ne conduisent pas à développer surtout les activités rentables (ex. des vaccins dans le Tiers-Monde) et à délaisser des secteurs utiles parce que "non-productifs".

Ce n’est pas une fonction régalienne (elle n’est pas financée par l’impôt), bien qu’elle s’en rapproche : elle constitue un besoin fondamental, vital. Comme secteur d’activité, la santé est encadrés par des missions fortes.

Depuis le début des années quatre-vingts, trois "affaires" (le sang contaminé, l’amiante et l’ARC) ont - à des titres divers mais directement - secoué le système de santé. Elles illustrent toutes trois l’importance de la notion de collusion d’intérêt, si sous-estimée en France, au sein de la sphère publique et entre public et privé. Elles montrent aussi la difficulté à séparer ce nouveau "bien social" qu’est la santé de la logique du pouvoir et de celle de l’argent, afin que chacun fonctionne selon ses propres principes de répartition.

Elles ont provoqué de vives réactions, les Français étant très attaché au système de santé car constituant à leurs yeux un service public vital. Il doit donc se moderniser tout en restant au service de tous.

I. Les "missions de service public" du secteur santé

Ce sont les soins, l’éducation par la prévention, l’enseignement, la recherche (fondamentale et clinique).

1. Soins

Pas d’exclusion. La solvabilité du patient doit être secondaire. Il faut rechercher la couverture sociale des patients, sorte de péréquation implicite dont l’hôpital est le lieu, même si ce n’est pas lui qui la réalise. Le travail en réseau, avec structuration externe, reste à faire pour réaliser un continuum de soins.

2. Prévention-éducation

Cette mission n’est jamais remplie : elle ne représente que 2% des dépenses ! C’est actuellement une coquille vide, bien qu’elle soit potentiellement très importante, tant du point de vue de la santé que de son coût. Pourquoi ?

Elle ne peut pas reposer que sur l’hôpital car c’est une mission transversale. Or le système hospitalier est très cloisonné. Elle supposerait une coopération entre acteurs (y compris les représentants des destinataires des soins).

De plus, recettes et dépenses ne sont pas de même nature : les dépenses sont certaines et visibles tandis que les recettes sont diffuses et aléatoires. L’approche comptable chiffre donc surtout les dépenses et conclut que la prévention n’est pas rentable - même si une évaluation qualitative montre que c’est faux.

Car évaluation et indicateurs existent, mais grossièrement. Ainsi, le rang de la France a-t-il régressé pour la mortalité infantile d’après des indicateurs d’alerte. Des indicateurs régionaux sont indispensables. Ils sont en cours d’élaboration dans les agences régionales d’hospitalisation.

3. Enseignement

Cette mission n’est assumée que par l’hôpital. Elle ne peut être évaluée qu’en dehors de ses murs. Tout est à faire en ce domaine !
Il n’a existé jusqu’à présent ni régulation quantitative, ni qualitative. Aucune précision géographique ni carte sanitaire. Il existe un déficit important d’information du besoin.

4. Recherche

Elle devrait s’exercer au plus près du patient (recherche clinique) et être liée prioritairement en direction des fléaux médicaux (cancer, cardio-vasculaires, accidents du trafic), plutôt que tous azimuts.

L’hôpital est sur la sellette (maladies iatrogènes, infections noso-comiales) : les médias sont une réponse insuffisante. Les représentants des malades-usagers-citoyens commencent à exister au-delà des thèmes pathologiques précis. Mais c’est toute une culture qu’il faut faire évoluer pour les reconnaître comme acteurs à part entière du système de santé.

II. La santé nécessite une mixité "service public" - service privé à but lucratif

 Les établissements publics de santé (E.P.S.) sont majoritaires, avec missions de service public incontournables. Ce secteur subit des restrictions budgétaires, des dysfonctionnements fréquents et structurels.

 Le secteur privé à but non lucratif est soumis aussi aux missions.

 Le secteur privé lucratif ne répond pas à la logique de "service public" dans sa dimension enseignement-recherche-urgences. Il est l’objet de dysfonctionnements majeurs liés au profit (ex. : clinique du sport).

 Le privé au sein de l’hôpital public : sa vocation (années 70) est l’intéressement des chefs de service à une activité privée conjointe. Ce secteur est régi par une loi votée par le Parlement et maintenue (jusqu’à aujourd’hui) quelle que soit la majorité.

Il pourrait exister une émulation entre secteurs si une dynamique de concurrence plus loyale existait entre eux. Mais c’est plutôt la complémentarité qu’il faut organiser, pour éviter une médecine à plusieurs vitesses.

Le privé à but lucratif ne relève pas le défi de remplir les missions d’enseignement, de recherche et de soins.

La C.G.S. (filiale de Vivendi) s’intéresse de près à la réorganisation du privé à but lucratif, pour regrouper des moyens. Sous quelle forme ? Complémentarité ou concurrence sauvage ? Aucune régulation politique n’est actuellement annoncée. Il faudrait redéfinir les missions de chaque acteur : aujourd’hui, les règles ne sont pas les mêmes - les droits et les devoirs non plus.

Le cadre juridique actuel, c’est l’ordonnance de 1996 et les réformes de 1970 et 1991. La priorité est-elle à l’économique ou l’épidémiologique ? Sur quelles analyses de besoins de santé se fonde la priorité économique ? Actuellement, le système d’offre n’est pas fondé sur une analyse des besoins.

L’externalisation des missions et des tâches est de plus en plus fréquente. Les restructurations se sont opérées jusqu’à présent sans thermomètre.

Une régionalisation est nécessaire, à condition d’intégrer les collectivités locales et les usagers dans la définition des besoins (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui) en créant des agences régionales de l’hospitalisation.

III. La démarche de projet (de service, d’établissement)

Elle a été initiée par Claude Évin, ministre de la Santé du gouvernement Rocard. Elle est volontariste pour certaines directions. Plus bas, il est nécessaire de réorganiser l’hôpital, de décloisonner les baronnies. L’objectif, c’est la prise en charge globale du patient. On l’a segmenté ces dernières années par hyper-spécialisation, du fait du progrès médical. Cela demanderait à être évalué.

La réforme de 1991 a créé des conseils de service pour construire des projets de service. C’est une réalité dans certains cas. D’autres restent dans leur maladie infantile : on s’en débarrasse en cantonnant les projets dans des questions futiles.
C’est un phénomène nouveau. L’hôpital doit se réorganiser en interne comme avec ses partenaires extérieurs.

La difficulté à l’hôpital est d’apprécier le résultat. Le malade peut évaluer l’accueil, l’hôtellerie, la guérison, la souffrance, le regard sur son avenir. Le partenariat entre les personnels de santé et lui doit être formalisé car il est seul susceptible de permettre une vision plus globale des résultats que celle d’une seule partie.
Le président du C.C.M. est élu alors que le directeur d’hôpital est nommé. Si ce couple fonctionne sur une dynamique de projets, cela peut diffuser.

Les services à l’écart de cette dynamique de projet s’excluent d’eux-mêmes. Tôt ou tard, ils voudront rattraper.

IV. L’évaluation à l’hôpital

Quel est le profil des patients ? En 1991, le financement de l’hôpital se faisait à guichet ouvert. Les médecins engageaient des dépenses sans se préoccuper des résultats.

On assiste aujourd’hui à une déferlante sur le système d’information hospitalier. Les tutelles imposent des informations qualitatives (morbidité, pathologies…). La démarche managériale est d’origine américaine. Il faut la franciser en l’orientant vers la qualité des soins et la prise en charge des pathologies lourdes et des poly-pathologies. Donc des éléments plus qualitatifs que quantitatifs.
Dans la médecine ambulatoire, ça grince ! Secret professionnel et malades sont souvent des alibis pour ne pas rendre des comptes.
Le généraliste peut être le pivot de l’entrée des malades dans le système de santé, à condition de n’exclure personne. La gratuité des soins (paiement par capitation) existe en Europe mais pas en France.

Il faut relier le défi économique avec celui de la qualité. La priorité doit aller à la qualité des soins, et pas à l’économique.
Les ordonnances de 1996 étaient nécessaires, mais elles sont insuffisantes pour une politique de santé explicite et régulée. Une médecine à deux vitesses existe implicitement aujourd’hui. Les conférences nationales de santé doivent pouvoir en réduire le risque.
Nous sommes dans une situation transitoire, avec des aspects inconfortables.

Qu’est-ce qui est évalué ? Les activités, les coûts plus que les missions ?
Quels sont les acteurs de l’évaluation ? Pour l’instant, les pouvoirs publics et les médecins. Une démocratisation de l’évaluation est nécessaire pour inclure les autres catégories de personnels et les usagers. L’évaluation peut être un outil de concertation si les syndicats et les associations d’usagers sont admis à élaborer leurs indicateurs.

V. L’Europe

Pour l’instant, elle a écarté de sa réflexion les "services publics" non-marchands comme l’est officiellement la santé : ils sont laissés à la discrétion des États. Toutefois, l’impératif de sécurité justifie dès à présent des clauses de sauvegarde par lesquels les États-membres peuvent appliquer des restrictions à la libre circulation des produits. La France, ces dernières années, en a fait usage dans l’affaire de la "vache folle". Mais ce n’était pas là une politique communautaire. La nécessité de la construire rapidement s’est imposée fin 2000 avec le rebondissement sur les "farines animales" qui a imposé la création d’une agence sanitaire européenne, car les épidémies, pas plus que les nuages toxiques, ne respectent pas les frontières.
Avec l’emploi, la santé est l’un des « deux terrains d’élection pour construire le volet social de l’Union européenne ».

Les systèmes sont très différents d’un pays européen à l’autre. Il faut « tirer vers le haut », en terme de prospective : c’est un domaine où l’évaluation pluraliste peut constituer dans un premier temps le cadre d’une connaissance mutuelle entre nations européennes, permettant de repérer les domaines d’"interopérabilité".
La reconnaissance par l’U.E. des « droits fondamentaux de la personne » comme principe de solidarité équilibrant le principe d’efficacité qu’est la concurrence peut permettre la reconnaissance et l’organisation des activités de santé comme services d’intérêt général garantissant l’un de ces droits fondamentaux de la personne.
Puisque le bureau européen de l’O.M.S. et le Conseil de l’Europe sont déjà le cadre de réflexions et recommandations qui vont dans ce sens, leur collaboration avec l’Union européenne ferait rattraper à cette dernière son retard en la matière.

VI. Le malade-usager-citoyen
nouvel acteur qui dynamise le service public

L’affaire du sang contaminé a fait l’effet d’un électro-choc dans le domaine de la santé publique : elle a accéléré les transformations latentes, dont le moteur est la rapidité des progrès scientifiques et techniques. Elle a cristallisé la demande des malades de devenir partenaires des soins - et non plus assistés passifs.
Ceci parce qu’ils sont de plus en plus nombreux à sentir que cela est constitutif de leur droit au service public de la santé. Peut-être aussi ont-ils l’intuition que cette attitude de responsabilité active à l’égard de leur santé fait partie des conditions de leur guérison, comme le confirment psychologues et médecins. Parce que la résignation, la passivité sont du côté de la mort, tandis que la vie est mouvement, action.
Depuis l’"affaire" et en réaction, la législation commence à reconnaître des droits au malade, depuis la loi hospitalière (1991) et la seconde charte du patient hospitalisé (1995) : après celui « d’aller et venir librement » (1974), celui à une information claire et complète sur les raisons de la prescription, les suites pour le malade, celui à mourir dans la dignité, le soulagement de la douleur …
Diverses expériences de concertation ont pris de l’ampleur dans l’hôpital public. Celle de l’hôpital Broussais (1996-2000) montre que l’introduction à l’hôpital d’associations d’usagers comme partenaires favorise de nombreuses collaborations avec les professionnels et entre eux.
L’étape nécessaire est maintenant la prise en compte du malade comme partenaire des processus d’évaluation - et non plus seulement comme leur objet. Dans ses recommandations destinées au médecins rendues publiques le 27/4/2000, l’ANAES (agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé) affirme que « l’information donnée aux patients doit être évaluée ». Pourquoi les associations ne participeraient-elle pas à ces évaluations ?