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Conclusion. La démocratie est-elle une réponse à la mondialisation ? - Gustave Massiah

Publié par , le 13 mars 2007.





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Je n’interviendrai pas sur le fond du débat, je me contenterai de faire à partir de celui-ci quelques propositions de travail ultérieur. Tout d’abord, les interventions de cette rencontre ainsi que celles que vous enverrez par la suite pourrons être rassemblées dans un numéro d’Archimède et Léonard, la revue de l’AITEC. Elles pourront aussi, sous diverses formes, trouver un écho à travers le comité de rédaction d’Alternatives économiques. Je propose également qu’un certain nombre de thèmes qui se sont dégagés aujourd’hui soient approfondis, et non pas simplement au niveau de l’AITEC ou d’Alternatives économiques, mais par d’autres associations ou en collaboration avec elles.

Il y a eu ce matin un débat, notamment entre Alain Caillé et Jacques Bidet, sur la notion de contractualité au centre de la philosophie politique et de la modernité. Dans une de ses interventions, Alain Caillé lui a opposé la naturalité dans le principe marchand. On peut aussi y associer ce qu’avait dit Jacques Bidet sur la discussion des modèles socialistes et de la théorie de la justice, et sur la responsabilité de l’engagement.. Il y a là un débat tout à fait fondamental , et dont nous avons besoin.

Une autre point important de débat : ce qu’a dit Alain Caillé sur la contradiction entre l’élargissement de la démocratie par le marché, et son approfondissement. C’est-à-dire le contrôle de la société sur elle-même et la maîtrise de sa propre transformation. Ceci recoupe tout une série de débats sur la démocratie locale que préparent AILES, L’ODP, l’ADELS et d’autres groupes. Sont concernés les rapports entre démocratie de proximité et démocratie représentative, mais aussi le problème des identités, notamment le communautarisme comme forme d’identité, par rapport aux formes d’associativité. Beaucoup d’associations pourraient être intéressées par ce débat.

Je pense également que le débat association/plan/marché - qui a été proposé par Jacques Bidet dans une vision un peu ternaire de leur articulation, avec la réaction de Serge Depaquit sur la question : peut-on encore parler de « plan et marché » - pourrait être mis en discussion, notamment avec les secteurs de l’économie sociale. On pourrait donc reprendre ce débat avec ceux qui ont cherché, du point de vue théorique et du point de vue pratique, d’autres voies entre Etat et marché.

Pierre Metge a pointé une question importante à reprendre : la contradiction qu’il y a entre la « volonté de marché » - actuellement très forte chez beaucoup de peuples - et la crise de la solidarité que cela induit. Nous pourrions à partir de cela trouver quelques pistes de réflexions.

Claude Simon, à un moment donné, a lié le problème de la démocratie dans l’entreprise et du syndicalisme, ce qui a suscité bien des discussions. Le marché est-il en train de rentrer dans l’entreprise, ou en est-il au contraire exclu ? Quels sont les rapports entre la crise du syndicalisme et marché et démocratie dans l’entreprise ? Nous pourrions également reprendre cette discussion à l’AITEC.

Deux autres questions ont été surtout posées par des personnes impliquées dans des situations de transition, ou en tant que chercheurs ou consultants. La première, posée par Ghazi Hidouci, est liée a son expérience de ministre de l’Economie en Algérie : il s’agit des rapport entre le marché et le droit, et de l’importance fondamentale du code institutionnel qui doit régir le marché. Il ne faut pas, nous dit-on, confondre le rejet d’une situation oppressive avec la volonté de marché, même si le refus de la société antérieure prend la forme de la revendication d’une économie de marché. La deuxième a été évoquée par Pierre Metge et Raymond Benhaïm : la transition par le marché dans des sociétés autoritaires et administrées.

Ce problème est actuellement très concret : comment intervenir au niveau d’une transition ? L’importance de ce débat m’est apparu, il y a trois ans, lorsque nous avions participé avec beaucoup d’autres à la création de l’Assemblée européenne des citoyens, à Prague. Une partie de la gauche européenne était présente, dont ceux qui, à l’Est , s’étaient battus pour la démocratie. Et les représentants de l’Ouest les mettaient en garde contre le marché qui allait introduire le capitalisme et les inégalités. Nos amis de l’Est répondaient : « Arrêtez de nous donner des leçons, nous voulons le marché, et le capitalisme aussi si l’un ne va pas sans l’autre et même, s’il le faut, les inégalités ! « . C’est une interrogation très réelle que le mode de passage de ces économies autoritaires et administrées à des sociétés plus formellement démocratiques, et elle restera encore d’actualité pendant un moment. Nous-mêmes, si nous avons changé dans nos débats, nous avons encore des résistances à étendre notre critique de l’économie politique, de la philosophie et de la raison dialectique aux cinquante dernières années. Nous réagissons comme s’il y avait eu une parenthèse : le débat sur le socialisme réel étant clos, nous allons pouvoir repartir dans la bataille contre le marché et contre la démocratie formelle. Il nous faudra pourtant bien soumettre à l’analyse critique, non seulement ce que nous avons vécu, mais aussi ce que nous avons dit.

A l’AITEC, nous regroupons à la fois des professionnels et des chercheurs, et la nécessité de cadre de référence intermédiaire est plus évidente quand on est confronté à la pratique. Ghazi Hidouci a souligné le fait que pour sortir d’un système autoritaire, le passage par le marché réel peut être une voie. Et Raymond Benhaïm a dit en substance : « Lutter contre les rentes est une façon de s’attaquer aux fondements des pouvoirs politiques autoritaires. Pour lutter contre les rentes, le marché est un guide ; il éclaire aussi la manière dont se constitue l’économie internationale aujourd’hui ». Et cela pose le problème de la norme et du droit, y compris du droit international, donc, le problème, non pas de la régulation démocratique du marché, mais de la régulation du marché par le droit. C’est peut-être une piste de travail, pour des propositions techniques et politiques intermédiaires.

A propos de la rente, l’AITEC a déjà organisé un débat sur l’économie politique de la corruption, où nous avions abordé ce problème de la rente. Le seul à avoir proposé l’annulation complète de la rente fut Walras, qui proposait la nationalisation du sol, ce qui est paradoxal de la part d’un néo-classique ! Lutter contre la rente a donc pris une connotation néo-libérale. Mais lutter contre la rente politique est très différent. Ce problème est fondamental dans notre économie internationale, constituée pour une grande part en économie de rente.

Une autre piste, ouverte par Elsa Assidon, et reprise par plusieurs interventions, est celle-ci : on dit « sortir du marché » ! - en fait la question est : quelles alternatives à l’économie de marché telle qu’elle est aujourd’hui ? Et là, un certain nombre de propositions ont été amorcées, sur lesquelles nous pouvons travailler. Ce qui a été dit sur le rapport entre monnaie et marché, est fondamental. Alain Caillé a également, avec d’autres, parlé de « découpler le travail des revenus ». Et Elsa Assidon a évoqué l’importance de la prise en compte de la distribution des revenus, dans les théories économiques. Voilà une autre piste de travail : poser le problème de la répartition des revenus aujourd’hui, à la fois sur le plan théorique et sur le plan de propositions pratiques.

Christian Tutin a caractérisé ce qui différencie aujourd’hui les politiques économiques : la position par rapport au marché intérieur, en opposant la constitution d’un marché intérieur à l’ouverture totale. Il y a donc une réflexion à mener sur le thème : existe t-il une politique économique alternative ? Peut-être pas une alternative à l’économie de marché, mais des propositions alternatives en termes de politique économique.

Enfin, ce qui a été au centre des interventions de Sofia Mappa et de Manuel Bridier : la réflexion sur la démocratie, aujourd’hui. Sofia Mappa a proposé une hypothèse : le modèle occidental de démocratie ne constitue pas un modèle universel, généralisable à l’ensemble de la planète. Ce qui ne remet pas en cause l’existence de valeurs universelles. Nous voilà placés dans un vaste champ d’interrogations : quel est le rapport entre l’universel et le spécifique dans la pluralité des modèles démocratiques ? Quelle est la relation entre démocratie et démocratisation dans la transformation sociale ? Quels sont les défis posés à la démocratie ? Permettez-moi d’en formuler trois qui me paraissent essentiels. La construction de la démocratie dans un seul pays est-elle aujourd’hui envisageable ? Sommes-nous capables de définir une démocratie sans métèques et sans barbares ? Une approche démocratique peut-elle fonder une approche qui soit, à la même échelle, une réponse à ce que représente aujourd’hui la mondialisation ?
Un participant qui s’est présenté comme étudiant, était déçu que nous ne soyions pas arrivés à des solutions. Mais nous savons maintenant qu’il y a des détours nécessaires. Nous sommes dans ces détours et, à mon avis, il n’y a pas de raccourcis, même si nous espérons déboucher sur des propositions. Nous avons voulu donner la parole à des gens qui sont dans des pratiques de transformation directe, et à d’autres qui sont dans des pratiques théoriques. Il est essentiel de continuer à mener ce débat ensemble, à partir de différentes approches. Serge Depaquit a mis en garde : « C’est très bien de partir du Sud pour voir le Nord, mais ça ne suffit pas ». à?a ne suffit pas, mais c’est indispensable, parce qu’il n’y a pas, à l’échelle planétaire, de solutions Nord-Nord ou qui partent du Nord pour conquérir ou développer le Sud.

Gustave Massiah