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Système électrique et intérêt général - Pierre Bauby

Publié par , le 14 mars 2007.





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Ce texte fait suite au débat engagé lors de la séance « Points de repère sur le "modèle EDF" », il tente de répondre à certaines questions soulevées alors, dont celle de la définition du service public. Si l’on s’extirpe des confusions qui règnent en France sous le vocable « service public » (entre missions, organe, monopole, État, mode de propriété, statuts des personnels, etc.) pour s’intéresser d’abord aux missions et finalités du service public, et par-delà les définitions de type juridique, économique et politique, l’essence du concept de service public relève à chaque niveau (local, régional, national, européen, voire demain, peut-être, mondial) de l’emboîtement de trois registres :
 la garantie du droit individuel de chacun d’accéder à des biens ou services essentiels pour la satisfaction de ses besoins, la garantie d’exercice des droits fondamentaux de la personne, conditions du lien social (universalité, continuité),
 l’expression de l’intérêt général de la collectivité, pour assurer la cohésion sociale et territoriale (égalité d’accès, de fourniture, de service et de qualité, recherche de moindre coût, péréquation géographique des tarifs, adaptabilité),
 un moyen essentiel que se donne la puissance publique pour réguler le marché, conduire des politiques publiques (par exemple politique énergétique, sécurité d’approvisionnement, recherche-développement, protection de l’environnement, etc.), concourir au développement économique et social et à l’emploi, participer au développement local, etc.

Ainsi le concept de service public intègre à la fois l’individuel et le socialisé, l’économique, le social et le politique, le marchand et le non-marchand, le local, le régional, le national et l’européen, les besoins du consommateur, du citoyen et de la société. Il va au-delà de la seule prise en compte des problématiques des "défaillances du marché", des "externalités" ou des "biens collectifs". Il est par essence évolutif dans le temps et dans l’espace.
Sa mise en œuvre implique des choix qui relèvent de modes d’organisation de la société, de choix politiques ; ce sont les autorités publiques qui décident que telle activité relève ou non du "service public" ; le plus souvent ce sont les instances politiques mais aussi fréquemment les jurisprudences. Le service public implique des modes de définition, de réglementation, d’organisation et de régulation qui tiennent à ce qu’il ne relève pas seulement du droit commun de la concurrence.

En ce qui concerne le système électrique la directive a été obligée pour la première fois d’indiquer que les États membres peuvent (c’est à option) imposer aux entreprises du secteur des obligations de service public et non comme c’était le cas pour la Poste ou les télécommunications un "service universel" réduit à une obligation minimale.

De ce fait pour la première fois également la France est obligée de préciser ce qu’elle entend par service public dans le projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l’électricité. Ainsi son article premier est consacré à cette définition : « Le service public de l’électricité a pour objet de garantir l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire national.
Dans le cadre de la politique énergétique, il contribue à l’indépendance et à la sécurité d’approvisionnement, à la gestion optimale des ressources nationales et à la maîtrise de la demande d’énergie.

Il concourt à la cohésion sociale, au développement équilibré du territoire, dans le respect de l’environnement, à la recherche et au progrès technologique, ainsi qu’à la défense et à la sécurité publique.
Le service public de l’électricité est géré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité, et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de prix et d’efficacité économique ».

Le point le plus contestable du projet de loi est la non-reconnaissance explicite du "droit à l’énergie pour tous", dont les formes de concrétisation sont certes problématiques, mais qui devrait aller au-delà des références à la cohésion sociale, à la péréquation géographique des tarifs et du dispositif en faveur des personnes en situation de précarité.

L’autre point à relever est l’extrême timidité avec laquelle sont conçues les instances de consultation et de participation. A ce stade, il apparaît clairement que la définition des missions de service public n’est pas assimilable au monopole, ni irréductiblement antagoniste avec l’introduction de concurrence au sein du système électrique, même si cette introduction crée des enjeux nouveaux, impliquant de mettre l’accent sur la "régulation". Cette régulation est celle du rapport évolutif, des arbitrages à rendre (de l’« unité contradictoire ») entre concurrence et missions de service public, entre marché et action publique, de la répartition de la rente électrique. C’est la raison pour laquelle il y a lieu de mettre l’accent sur l’expression de la diversité des intérêts, attentes et besoins de tous les acteurs de manière continue et préalable aux arbitrages, donc sur la création de lieux, d’instances, tant aux plans de la régulation que de l’évaluation, permettant à tous les niveaux cette expression.

A ce stade aussi, la définition des missions de service public ne détermine pas automatiquement le mode de propriété de l’opérateur chargé des missions de service public. L’efficacité de l’action publique dans une société complexe ne saurait relever d’un seul mode d’intervention ; elle peut impliquer des formes d’intervention plus directes de la puissance publique, que ce soit en orchestrant l’action d’acteurs qui ne coopéreraient pas spontanément, ou en agissant plus directement, soit elle-même soit par l’intermédiaire d’entités publiques ou mixtes. Dans le cas de l’électricité, compte tenu de la conjonction des enjeux en matière de politique énergétique, de sécurité d’approvisionnement, de prise en compte du long terme, de sécurité et de sûreté (en particulier nucléaire), l’existence d’un acteur public apparaît clairement justifiée et légitime. Mais cette reconnaissance ne saurait conduire ni à confier l’essentiel des pouvoirs à la haute administration, ni à l’existence d’un "État dans l’État", comme EDF a pu en représenter la caricature, ni à la domination de logiques de multinationales.

Notons également que l’éligibilité partielle risque de se faire au détriment des clients captifs et en faveur des grands industriels, avec risque de subventions croisées. D’un autre côté l’éligibilité totale peut se révéler en pratique génératrice d’importants coûts de transaction et d’inégalités patentes liées aux pouvoirs de négociations asymétriques des différents clients.

THEMES DEBATTUS

1) La tarification

En quoi la tarification est-elle un élément de service public ? Les instruments d’optimisation utilisés par EDF ont été la tarification au coût marginal, le taux d’actualisation des investissements et les comptes de surplus de productivité globale des facteurs (abandonnés depuis 1975). Ne faut-il pas revenir aux comptes de surplus pour alimenter un débat contradictoire ?

2) Les missions

Il manque dans le projet de loi un dispositif déclinant les missions en critères et précisant la part des différents acteurs dans la définition de ces critères, car pour l’instant on reste dans la confusion et l’opacité entre le gouvernement, l’opérateur et le régulateur.

3) L’évaluation

La propriété publique ne peut se justifier qu’à condition de comporter un dispositif d’évaluation pluraliste comme substitut à la concurrence ? L’État n’est pas vertueux par nature, dans le cas de l’électricité il y a eu confiscation de la rente, l’étatisation opère des transferts. Le secteur public doit être accompagné de démocratie, or la Directive européenne pas plus que la loi française ne dit un mot sur l’évaluation.

4) Les droits fondamentaux

La question demeure entière : pourquoi l’électricité relèverait-elle d’une mission de service public et pas l’habitat, certes il existe bien l’argument économique du monopole naturel sur les industries en réseau, mais on souhaiterait une réponse plus politique d’autant que le droit au logement est inscrit dans la constitution.

5) Électricité ou énergie

La problématique communautaire nous pousse dans une logique sectorielle, or les questions sont parfois plus globales : faut-il un droit pour tous à l’électricité ou bien un droit à l’énergie, ce qui n’est pas tout à fait semblable.

6) Services publics en réseau et autres services publics

Le séminaire ne devrait-il pas aborder les services publics non-marchands : éducation, santé, où l’on retrouve des problématiques parallèles à celles des services publics en réseau ?

7) Rapport entre service public et concurrence

Le remède à certaines défaillances de l’État est-il forcément l’introduction de la concurrence ? La concurrence amène toujours à privilégier le court terme sur le long terme et il est clair que le souci majeur des multinationales privées qui se précipitent sur ces secteurs est de s’accaparer leur part de rente et non pas de s’occuper du bien du consommateur. Le remède aux défaillances de l’État ce n’est pas plus de concurrence mais plus de démocratie.

8) La solidarité européenne

Le service public s’arrête toujours aux frontières. La solidarité, par exemple la péréquation tarifaire, est toujours envisagée à l’intérieur des frontières nationales. Si l’Union européenne arrive à instituer une monnaie commune pourquoi pas un prix unique du timbre ou un même tarif pour le kilowatt/heure du Portugal à la Finlande ?

9) Les repères économiques

N’y a-t-il pas certains éléments qui peuvent servir de repères économiques : les biens collectifs, les externalités, le monopole naturel… ? Le reste relève du domaine politique et des droits fondamentaux.

10) L’innovation technologique

Elle risque dans le court terme de bouleverser bien des choses. On l’a vu dans les télécommunications avec l’instauration de plusieurs réseaux pour les téléphones mobiles. Le même processus peut se produire demain dans le secteur électrique. Le modèle électrique n’est pas immuable

11) La modernisation des entreprises publiques

Il faut une amélioration des rapports avec l’État : un perfectionnement des contrats de plan, des nominations moins politiques des dirigeants et surtout la question du tripartisme doit être revue. Le Conseil d’administration est aujourd’hui inactif, il serait préférable de le séparer en un Conseil de surveillance et un Directoire.

12) Les collectivité locales

Aujourd’hui elles sont obligées d’accorder une concession à EDF, si demain elles sont éligibles et qu’elles peuvent choisir leur fournisseur que restera t-il de la péréquation ?

13) Les implications de la loi sur l’électricité

On est enfermé dans des problèmes qui ne relèvent pas de la théorie pure mais de la façon dont on gouverne une société et qui est compliquée par le cadre nouveau de la régulation européenne. Le problème est moins de retrouver des comptes de surplus que de réussir à articuler l’ensemble dans un contexte d’ouverture à la concurrence. En effet, après un système stable qui aura duré 53 ans on entre dans une période de bouleversement dont on ne connaît ni la durée ni l’issue. L’hypothèse la plus probable est que le vent de la concurrence va amener une marchandisation plus complète et que les barrières contenues dans la loi française casseront sous l’effet des réalités. L’autre hypothèse est celle de la défaillance du marché qui aboutisse à un choc important avant dix ans.

14) Marché et droits fondamentaux

Le marché par nature ne peut répondre aux droits fondamentaux de la personne puisqu’il ne s’intéresse qu’à la demande solvable. Or à quoi sert-il d’avoir un droit à l’électricité si l’on n’a pas de logement

15) Le secteur communautaire

Au Québec entre l’État et le secteur privé il existe un secteur communautaire avec qui l’État passe des contrats pour rendre un certain nombre de services à la population.

16) Le fédéralisme

Sans être un État fédéral comme les États-Unis ou l’Allemagne, l’Europe en se dotant d’une monnaie commune et d’une banque centrale met en place des formes étatiques européennes. La régulation européenne existe sans avoir un nom c’est la DG IV

par Pierre Bauby